La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2016 | CJUE | N°C-303/15

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 7 juillet 2016., Naczelnik Urzędu Celnego I w Ł. contre G.M. et M.S., 07/07/2016, C-303/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 7 juillet 2016 ( 1 )

Affaire C‑303/15

Naczelnik Urzędu Celnego I w Ł.

contre

G.M.

et

M.S.

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Łodzi (tribunal régional de Łódź, Pologne)]

«Procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques — Règles techniques dans le secteur des jeux de hasard — Obligation des États membres de communiquer à la Commission europé

enne tout projet de règle technique — Conséquences du défaut de notification»

I – Introduction

1. En vertu du d...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 7 juillet 2016 ( 1 )

Affaire C‑303/15

Naczelnik Urzędu Celnego I w Ł.

contre

G.M.

et

M.S.

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Łodzi (tribunal régional de Łódź, Pologne)]

«Procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques — Règles techniques dans le secteur des jeux de hasard — Obligation des États membres de communiquer à la Commission européenne tout projet de règle technique — Conséquences du défaut de notification»

I – Introduction

1. En vertu du droit polonais, seuls les titulaires d’une autorisation d’exploitation de casinos de jeux peuvent organiser des activités de jeux de roulette, de jeux de cartes, de jeux de dés et de jeux automatisés (ci-après l’« l’exigence d’autorisation »). En outre, l’organisation de jeux de roulette, de jeux de cartes, de jeux de dés et de jeux automatisés est réservée aux casinos de jeux (ci‑après la « restriction de lieu »).

2. Les défenderesses dans la procédure au principal se sont vu reprocher d’organiser sans autorisation des jeux automatisés (machines à sous) dans des bars. Elles affirment à l’appui de leur défense que l’exigence d’autorisation constitue une « règle technique » au sens de la directive 98/34/CE ( 2 ), qui n’a pas été notifiée à la Commission européenne. Partant, elle ne saurait être invoquée contre elles par les autorités polonaises.

3. Le fait que l’exigence d’autorisation n’ait pas été notifiée à la Commission n’est pas contesté. Dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, le juge national demande que soient clarifiées les conséquences de ce défaut de notification. Toutefois, avant d’envisager ces conséquences, un problème préliminaire doit être évoqué, à savoir : est-ce que l’exigence d’autorisation constitue une « règle technique » ? Si ce n’est pas le cas, alors il ne saurait exister aucune obligation de
notification.

4. Conformément à la demande de la Cour de justice, les présentes conclusions doivent se limiter à une analyse de ce problème préliminaire et de la question générale qu’il soulève : dans quelle mesure les régimes d’autorisation de certains types d’activités, c’est-à-dire des services, devraient être considérés comme relevant de l’obligation de notification des « règles techniques » applicable aux produits, c’est-à-dire des marchandises ?

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

1. La directive 98/34

5. L’article 1er contient un certain nombre de définitions pertinentes :

« 1) “produit” : tout produit de fabrication industrielle et tout produit agricole, y compris les produits de la pêche ;

2) “service” : tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

[…]

3) “spécification technique” : une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les exigences applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité.

[…]

4) “autre exigence” : une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent s’y influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation ;

5) “règle relative aux services” : une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services au sens du point b) et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis audit point.

[…]

11) “règle technique” : une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services. »

6. L’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34 dispose ce qui suit :

« Sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.

[…] »

B – Droit polonais

7. L’article 6, paragraphe 1, de l’ustawa o grach hazardowich (loi sur les jeux de hasard) ( 3 ) dispose ce qui suit :

« Les activités de jeux de roulette, de jeux de cartes, de jeux de dés, et de jeux automatisés doivent être exercées sur la base d’une autorisation d’exploitation de casinos de jeux. »

8. L’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard ( 4 ) dispose ce qui suit :

« Les activités de jeux de roulette, de jeux de cartes, de jeux de dés et de jeux automatisés sont réservées aux casinos de jeux. »

III – Faits, procédure et questions préjudicielles

9. G.M. et M.S., les parties défenderesses dans la procédure au principal, sont poursuivies pour avoir organisé dans des bars en Pologne des jeux automatisés (machines à sous) sans concession d’exploitation de casino de jeux, conformément à l’exigence d’autorisation découlant de l’article 6, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard.

10. Le tribunal national en première instance a estimé que l’exigence d’autorisation constituait une « règle technique » au sens de la directive 98/34. L’exigence d’autorisation n’ayant pas été communiquée à la Commission, le tribunal national en première instance a conclu qu’elle ne pouvait s’appliquer aux parties défenderesses. En jugeant ainsi, le tribunal national en première instance s’est référé à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Fortuna ( 5 ). Dans cette affaire, la Cour a considéré,
entre autres, que l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard (c’est‑à‑dire la restriction de lieu) constituait une « règle technique ».

11. L’autorité polonaise compétente, le Naczelnik Urzędu Celnego I w Łodzi (directeur du bureau des douanes I de Łódź, Pologne, ci-après le « NUC »), a fait appel de ce jugement devant le Sąd Okręgowy w Łodzi (tribunal régional de Łódź, Pologne). Ce dernier connaît la jurisprudence de la Cour selon laquelle le manquement à l’obligation de communiquer les « règles techniques » à la Commission implique que celles-ci ne peuvent pas être opposées à des particuliers ( 6 ). Toutefois, le juge national se
demande si le même raisonnement devrait s’appliquer à l’exigence d’autorisation, compte tenu de la nature spécifique du secteur concerné (les jeux de hasard). À la lumière de ces doutes, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

« L’article 8, paragraphe 1, de la directive [98/34] peut-il être interprété en ce sens qu’il admet, en cas de défaut de notification de dispositions considérées comme ayant un caractère technique, la possibilité de conséquences différenciées, c’est‑à‑dire, s’agissant des dispositions qui concernent des libertés non soumises aux restrictions prévues à l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, que le défaut de notification devrait avoir pour conséquence l’inapplicabilité
des dispositions concernées dans l’affaire concrètement en cause, alors que, s’agissant des dispositions qui concernent des libertés soumises aux restrictions de l’article 36 du traité, la juridiction nationale, qui est en même temps une juridiction de l’Union, est autorisée à apprécier si, malgré le défaut de notification, ces dispositions sont conformes aux exigences de l’article 36 du traité et ne sont pas soumises à la sanction de l’inapplicabilité ? »

12. Des observations écrites ont été présentées par le NUC, qui est la partie requérante dans l’affaire au principal, par G.M., l’une des parties défenderesses dans l’affaire au principal, par la Commission ainsi que par les gouvernements polonais, belge, grec et portugais. Le NUC, G.M., les gouvernements polonais et belge ainsi que la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 20 avril 2016.

IV – Appréciation

A – Introduction

13. Conformément à la demande de la Cour de justice, les présentes conclusions doivent se limiter à une analyse de la question préliminaire s’agissant de savoir si l’exigence d’autorisation constitue une « règle technique ».

14. J’estime que ce n’est pas le cas. Deux voies alternatives sont suggérées à la Cour, par lesquelles celle‑ci pourrait conclure ainsi.

15. La première voie est la suivante : après une présentation des différentes catégories de « règles techniques » au sens de la directive 98/34 (sous B) et un aperçu concis de la jurisprudence pertinente de la Cour (sous C, 1), il est suggéré que les exigences d’autorisation préalable ne constituent pas des « règles techniques » (sous C, 2). Dans la mesure où l’exigence d’autorisation peut être séparée de la restriction de lieu, je considère que la première ne constitue pas une « règle technique »
qui devrait être notifiée, même si la seconde en est une, qui est soumise à l’exigence de notification (sous C, 3).

16. La deuxième voie (sous E) pourrait entraîner la Cour plus loin. Toutefois, j’estime que cela en vaut la peine. Cet argument alternatif invite la Cour à reconsidérer l’élargissement insidieux qui est en cours de la notion d’« autre exigence » en ce qui concerne la réglementation des services en général et les régimes d’autorisation préalable relatifs aux services en particulier. S’il n’est pas contrôlé, cet élargissement est susceptible de conduire à une obligation générale de notification de
facto imposée également aux services, cet élargissement étant uniquement fondé sur le fait que les règles relatives aux services sont susceptibles d’avoir un impact marginal sur les produits qui sont utilisés pour fournir ces services. J’estime qu’une telle évolution est problématique et devrait être évitée.

B – Sur les différentes catégories de « règles techniques »

17. La notion de « règle technique » de l’article 1er, paragraphe 11, de la directive 98/34 couvre quatre catégories de mesures. Ces catégories sont i) les « spécification[s] technique[s] » telles que définies à l’article 1er, paragraphe 3, de ladite directive, ii) les « autres exigences » telles que définies à l’article 1er, paragraphe 4, de ladite directive, et iii) les « dispositions […] interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit » citées à
l’article 1er, paragraphe 11, de la même directive. L’article cite également iv) certaines règles et restrictions relatives aux services de la société de l’information ( 7 ), qui ne sont pas pertinentes en l’espèce.

18. Concernant la première catégorie, l’exigence d’autorisation en cause en l’espèce ne relève pas de cette catégorie dans la mesure où elle ne fait pas référence aux produits utilisés dans le contexte des jeux de hasard ou à leur emballage en tant que tels, de sorte qu’elle ne « fixe pas leurs caractéristiques» ( 8 ).

19. S’agissant de la troisième catégorie, afin de relever de cette dernière, une mesure nationale doit avoir un champ d’application qui va bien au-delà de la limitation de certaines utilisations possibles du produit en question et doit viser des mesures qui ne laissent place à aucune utilisation autre que celle purement marginale pouvant raisonnablement être attendue du produit concerné ( 9 ). Ce n’est pas le cas de l’exigence d’autorisation. Elle n’interdit pas totalement l’utilisation de certains
produits mais elle soumet celle‑ci à des conditions préalables.

20. S’agissant la deuxième catégorie, elle couvre notamment les mesures qui visent à protéger les consommateurs et qui affectent le cycle de vie d’un produit. Le champ d’application de cette catégorie est moins clair et il est discuté en détail dans la section suivante.

C – Sur la notion d’« autre exigence » et sur les régimes d’autorisation

1. La jurisprudence relative aux « règles techniques » dans le secteur des jeux de hasard

21. Il existe plusieurs affaires dans lesquelles la Cour a examiné l’application de la directive 98/34 au secteur des jeux de hasard : les affaires Lindberg ( 10 ), Commission/Grèce ( 11 ), Fortuna e.a. ( 12 ), Berlington Hungary e.a. ( 13 ) ainsi que Ince ( 14 ). Ces affaires sont toutes pertinentes aux fins de l’interprétation de la notion d’« autre exigence ». Elles seront brièvement décrites ci‑dessous.

a) Affaire Lindberg

22. L’affaire Lindberg concernait l’interdiction en Suède d’organiser des jeux de hasard en utilisant certains types de machines de jeux [lyckohjulsspel (roue de la fortune)]. Dans son arrêt, la Cour a considéré que l’interdiction en cause était susceptible de constituer une « autre exigence » ou une mesure « interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ». Afin de relever de cette dernière catégorie, l’interdiction ne doit « laisser place à aucune
utilisation autre que purement marginale pouvant raisonnablement être attendue du produit concerné ». Afin de constituer une « autre exigence », la mesure devrait influencer de manière significative la composition, la nature ou la commercialisation du produit. La classification de la mesure a été laissée en dernier lieu aux soins de la juridiction de renvoi ( 15 ).

23. Dans l’affaire Lindberg, il était également demandé à la Cour quelle était l’incidence du passage d’un régime d’autorisation à un régime d’interdiction. La Cour a considéré que, si la mesure nationale avait été une exigence d’autorisation plutôt qu’une interdiction, elle n’aurait pas constitué une « règle technique ». Ce faisant, la Cour s’est référée à sa jurisprudence selon laquelle « les dispositions nationales qui se limitent à prévoir des conditions pour l’établissement des entreprises,
telles que des dispositions qui soumettent l’exercice d’une activité professionnelle à un agrément préalable, ne constituent pas des règles techniques» ( 16 ).

b) Affaire Commission/Grèce

24. L’objet de cette procédure d’infraction était une loi grecque imposant une large interdiction d’installer et d’exploiter tous les jeux électriques et électroniques, en dehors des casinos. La Cour a soutenu que cette interdiction constituait une « règle technique» ( 17 ). Bien qu’elle ne l’ait pas dit de manière explicite, la Cour semble avoir considéré que la mesure grecque avait une influence significative sur la commercialisation et constituait une « autre exigence » au sens de l’article 1er,
paragraphe 11, de la directive 98/34 ( 18 ). Cela est confirmé par l’arrêt postérieur rendu dans l’affaire Berlington Hungary e.a. (voir ci-après), dans lequel la Cour a considéré qu’une interdiction d’exploiter des machines à sous en dehors des casinos constituait une « autre exigence », en citant l’arrêt Commission/Grèce ( 19 ).

c) Arrêt Fortuna e.a.

25. L’arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495), concernait également la loi sur les jeux de hasard, la même qui fait l’objet de la présente affaire. Dans son arrêt, la Cour a considéré que la restriction de lieu contenue à l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard, permettant aux seuls casinos de jeux d’organiser des jeux automatisés (machines à sous), constituait une « règle technique ». Une fois de plus, bien que cela ne soit pas dit explicitement, il
apparaît que la restriction de lieu ait été considérée comme ayant une influence significative sur la commercialisation et, pour cette raison, constituait une « autre exigence» ( 20 ).

26. L’affaire Fortuna e.a. concernait également certaines dispositions transitoires de la loi sur les jeux de hasard. Ces dispositions transitoires imposaient en substance un gel des autorisations existantes pour l’organisation de jeux automatisés à gains limités (en d’autres termes, elles interdisaient la délivrance de nouvelles autorisations ou l’extension ou la modification des autorisations existantes). La Cour a jugé que les dispositions transitoires imposaient des conditions susceptibles
d’affecter la commercialisation des machines de jeux automatisés à gains limités. En tant que telles, elles pouvaient constituer d’« autres exigences » dans la mesure où elles influençaient de manière significative la nature ou la commercialisation de ces machines. L’appréciation de cette dernière condition a été laissée à la juridiction nationale. La Cour opère ainsi un contraste avec la restriction de lieu, en lien avec laquelle elle a statué (de manière implicite) sur la notion d’« influence
significative », et qu’elle n’a pas laissée à la libre appréciation de la juridiction nationale.

d) Affaire Berlington Hungary e.a.

27. L’affaire Berlington Hungary e.a. avait pour objet la multiplication par cinq de taxes sur les machines à sous et une interdiction d’exploiter des machines à sous en dehors des casinos de jeux. Dans cet arrêt, la Cour a considéré que l’augmentation de la taxe ne constituait pas une « règle technique » de facto dans la mesure où elle n’était pas accompagnée d’autres « spécifications techniques » ou d’« autres exigences» ( 21 ).

28. En outre, la Cour a explicitement confirmé que le fait de réserver l’organisation de certains jeux de hasard aux seuls casinos « constitu[ait] une “règle technique” au sens dudit article 1er, point 11, dans la mesure où elle [était] susceptible d’influencer de manière significative la nature ou la commercialisation des produits utilisés dans ce contexte […] Or, une interdiction d’exploiter des machines à sous hors des casinos […] est susceptible d’influencer de manière significative la
commercialisation de ces machines […] en en réduisant les canaux d’exploitation» ( 22 ).

e) Affaire Ince

29. L’affaire Ince concernait une disposition du traité relatif aux loteries en Allemagne, qui réglementait l’organisation et l’intermédiation de paris sportifs. Il était estimé que le traité contenait certaines dispositions pouvant être considérées comme des « règles relatives aux services » au sens de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 98/34. Toutefois, d’autres dispositions du traité telles que celles « instituant l’obligation d’obtenir une autorisation pour l’organisation ou la
collecte de paris sportifs » ne constituaient pas des « règles techniques ». En concluant ainsi, la Cour a repris la formulation utilisée pour les autorisations dans l’arrêt Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246) (voir point 23 des présentes conclusions).

2. Les régimes d’autorisation ne sauraient être qualifiés d’ « autre exigence »

30. Il est clairement affirmé dans les arrêts Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246), et Ince (C‑336/14, EU:C:2016:72), que les régimes d’agrément préalable ne constituent pas des « règles techniques ». Partant, on ne saurait a fortiori les qualifier d’« autre exigence » au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 98/34.

31. Il est en définitive possible de situer l’origine de cette affirmation dans l’arrêt de la Cour rendu dans l’affaire CIA Security International ( 23 ). Dans cette affaire, il était demandé à la Cour si l’exigence d’agrément préalable prévue par le droit belge pour exploiter une entreprise de sécurité ( 24 ) constituait une « règle de technique » au sens de la directive 83/189/CEE ( 25 ), qui a précédé la directive 98/34. La Cour a considéré que ce n’était pas le cas, la notion de « spécification
technique » (qui est au centre de la définition de règle technique de la directive 83/189) ne s’appliquant pas aux dispositions qui prévoient « les conditions pour l’établissement des entreprises de sécurité» ( 26 ).

32. Le raisonnement adopté dans l’affaire CIA Security International, selon lequel le régime d’agrément préalable ne constitue pas une « règle technique », a depuis été appliqué de manière explicite dans le contexte de la directive 98/34 (en utilisant le texte cité au point 23 des présentes conclusions) ( 27 ). Il est donc clairement pertinent aux fins de la question de savoir comment les « autres exigences » devraient être interprétées en vertu de la nouvelle directive. Ci-après, je ferai référence
à la règle qui exclut les régimes d’agrément préalable du champ d’application des « règles techniques » comme à « l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International ».

33. On pourrait soutenir que l’affaire Fortuna e.a. a mis en cause l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International. Dans son arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495), la Cour a admis que certaines dispositions transitoires de la loi sur les jeux de hasard pouvaient constituer une « autre exigence ».

34. Le fait que l’arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495) ait infirmé l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International est l’un des arguments avancés par la Commission dans ses observations écrites et orales. La Commission affirme que l’exigence d’autorisation constitue une « règle technique » à la lumière de l’arrêt Fortuna e.a. ( 28 ).

35. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, l’arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495) ne visait pas à infirmer l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International. En vertu de l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International, les exigences d’agrément préalable ne sont pas des « règles techniques ». Au contraire, l’arrêt Fortuna e.a. concernait un gel des autorisations – en d’autres termes, les autorisations étaient exigées mais, pour la durée
de la période de gel, aucune ne serait accordée ( 29 ). Il convient par conséquent de distinguer la situation de l’affaire Fortuna e.a. de celle de l’espèce.

36. En outre, le fait que l’arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495) n’ait pas pour objet de remettre en cause l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International est confirmé par l’arrêt postérieur rendu dans l’affaire Ince, dans lequel la Cour a explicitement appliqué cette exception ( 30 ).

37. Enfin, d’un point de vue plus général, le fait de qualifier une mesure de « règle technique » a des conséquences importantes. Si la mesure n’est pas une « règle technique », il n’est pas nécessaire de la notifier. S’il s’agit d’une règle technique, elle doit être notifiée sous peine d’être inapplicable. Que l’on me pardonne le jeu de mots, mais dans ce contexte dont « les enjeux sont élevés », l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International a le grand avantage de constituer
une règle claire et facilement applicable. Le fait de l’écarter et de se poser la question de savoir si les régimes d’autorisation influencent de manière significative la composition ou la nature d’un produit ou sa commercialisation a d’énormes conséquences en termes de sécurité juridique. Selon moi, la Cour n’a pas pu avoir de telles intentions dans l’arrêt Fortuna e.a.

3. Application à l’espèce

38. L’exigence d’autorisation dispose que « seuls les titulaires d’une autorisation d’exploitation de casinos de jeux peuvent organiser des activités de jeux de roulette, de jeux de cartes, de jeux de dés et de jeux automatisés ». Si l’expression « exploitation de casino de jeux » n’avait pas figuré dans cette phrase, il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International aurait été applicable à l’espèce. La disposition aurait été exclue des
notions d’« autre exigence » et de « règle technique » plus généralement.

39. Les termes descriptifs et qualificatifs « exploitation de casino de jeux » compliquent la donne. La Commission affirme en substance que ces mots créent un « lien étroit » entre l’exigence d’autorisation et la restriction de lieu. Dès lors que cette dernière est une « règle technique », ainsi que cela est affirmé dans l’arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495), la première doit également en être une.

40. Je ne suis pas d’accord, pour les raisons suivantes.

41. Premièrement, les régimes d’autorisations préalables relatifs aux services du type de ceux qui sont concernés en l’espèce sont souvent soumis à des conditions et à des limitations substantielles ( 31 ). Ces conditions et ces limitations substantielles peuvent tout à fait constituer des « règles techniques » et devraient être notifiées en tant que telles. Toutefois, j’estime que ces conditions et ces limitations n’ont pas un « impact » automatique sur l’exigence d’autorisation elle‑même ( 32 ).
En effet, dans le cas contraire, la valeur pratique de l’autorisation d’exception de l’affaire CIA Security International serait compromise et le champ d’application de l’exigence de notification contenue dans la directive 98/34 pourrait être élargi de manière potentiellement considérable. Comme je l’ai déjà dit ci-dessus, un tel développement pourrait mettre en cause la validité de toute une série de régimes d’autorisation préalable pour les services, créant une insécurité juridique importante.

42. Deuxièmement, le NUC a confirmé lors de l’audience qu’il n’existait pas de procédures séparées pour obtenir une autorisation ou un « agrément préalable », en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard, et pour obtenir une autorisation d’exploiter un casino de jeux, en particulier en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de cette loi. Toutefois, le NUC a également confirmé que l’exigence d’autorisation et la restriction de lieu étaient deux choses différentes. Il est, par
exemple, possible de trouver une violation de la restriction de lieu au moyen d’un contrôle ex post, sans que l’autorisation délivrée à l’opérateur soit automatiquement retirée.

43. En outre, lors de l’audience, le gouvernement polonais a affirmé que la restriction de lieu visée à l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard ne devait absolument pas être considérée comme un élément de la procédure d’autorisation. La restriction de lieu, en combinaison avec les dispositions du kodeks karny (code pénal, Pologne), vise plutôt à sanctionner l’organisation de jeux de hasard, par exemple, dans les bars ou dans les restaurants.

44. À la lumière de ces observations, j’estime qu’il est clair que l’exigence d’autorisation et la restriction de lieu ont des champs d’application et des fonctions différents et que toutes deux ne sauraient simplement être traitées comme des « règles techniques » au motif qu’il existerait un lien étroit entre elles.

45. Troisièmement, la principale crainte de la Commission en ce qui concerne l’exigence d’autorisation est qu’elle fait explicitement référence à la restriction de lieu, avec l’expression « exploiter un casino de jeux ». Toutefois, selon moi, il n’apparaît pas clairement que ces mots signifient qu’il existe des limitations supplémentaires, géographiques ou autres, dans l’exigence d’autorisation, allant au-delà de la restriction de lieu. En définitive, il s’agit d’une question d’interprétation du
droit national, sur laquelle il appartient au juge de renvoi de statuer ( 33 ). Sans préjuger de son interprétation, si la juridiction nationale venait à conclure que l’expression « exploiter un casino de jeux » n’impose pas de limitation au-delà de la restriction de lieu, l’exigence d’autorisation ne devrait pas être considérée comme une « règle technique ».

46. L’objectif de l’exigence de notification contenue dans la directive 98/34 est de « protéger, par un contrôle préventif, la libre circulation des marchandises» ( 34 ), c’est-à-dire d’autoriser un contrôle ex ante des restrictions potentielles sur la libre circulation des marchandises. La restriction de lieu dans sa forme actuelle a été notifiée et contrôlée. La notification d’autres dispositions qui font simplement référence à la restriction de lieu, ce qui semble être le cas de l’exigence
d’autorisation, n’apporterait rien de plus aux fins de l’objet de ladite directive ( 35 ).

47. Par analogie, il est de jurisprudence constante qu’il n’existe aucune obligation, en vertu de la directive 98/34, de notifier une mesure nationale qui « reproduit ou remplace, sans y ajouter des spécifications nouvelles ou supplémentaires, des règles techniques existantes […] dûment notifiées à la Commission» ( 36 ).

48. En résumé, le fait que l’article 6, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard crée l’exigence d’autorisation et fasse en même temps référence à la restriction de lieu complique l’analyse. Toutefois, il n’est pas justifié, selon moi, d’en conclure que l’exigence d’autorisation relève du champ d’application de la directive 98/34, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

D – Conclusion

49. Au vu de ce qui précède, et sous réserve de l’interprétation que feront les juridictions nationales du lien existant entre l’article 6, paragraphe 1 et l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard, une norme nationale, telle que l’exigence d’autorisation prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard, ne constitue pas selon moi une « règle technique » au sens de la directive 98/34.

E – Approche alternative

50. Nonobstant la conclusion qui précède, et si la Cour devait conclure que l’exigence d’autorisation et la restriction de lieu ne peuvent pas être séparées de la manière proposée, ou que l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International doit être revue plus généralement à la lumière de l’arrêt Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495), il deviendrait nécessaire de considérer de manière plus complète la définition des « règles techniques » et notamment des
« autres exigences ».

1. « Autre exigence » – critique

51. Je nourris de sérieux doutes en ce qui concerne l’élargissement de la notion d’« autre exigence » aux régimes d’autorisation préalable relatifs aux services, comme proposé en substance dans le cas présent. J’expose mes principales préoccupations ci-après.

52. Premièrement, il existe un risque d’élargissement excessif et imprévisible du champ d’application de l’exigence de notification.

53. Une mesure constitue une « autre exigence » si elle est « imposée à un produit » et affecte « le cycle de vie » de ce produit d’une manière susceptible « d’influencer de manière significative » sa « commercialisation ».

54. Les mesures qui réglementent la fourniture de services auront toujours une influence indirecte sur les marchandises. Le fait de fournir des services implique toujours l’utilisation de produits à un moment donné. Les chauffeurs de taxi utilisent des voitures, les opérateurs de stations de radio utilisent des équipements de son, les comptables utilisent des calculatrices et les juristes utilisent des stylos, du papier et, occasionnellement, des ouvrages de droit. En outre, tout le monde utilise
des ordinateurs pour à peu près tous les types de services fournis aujourd’hui. Dans toutes ces situations, on peut toujours affirmer que le fait de soumettre un service donné à une exigence d’autorisation aura pour conséquence de réduire le nombre de fournisseurs de services, ce qui réduira indirectement le nombre des produits utilisés pour les fournir, de sorte que cela aura un impact sur les ventes de ces produits. En résumé, le fait de soumettre la fourniture de chacun des services cités
ci-dessus à une autorisation préalable aura, de manière secondaire, un impact sur la consommation des produits utilisés.

55. Cela signifie-t-il que les régimes d’autorisation préalable dans toutes ces situations constituent d’« autres exigences » qui sont susceptibles d’être notifiées ? Selon moi, la réponse devrait clairement être « non ». Néanmoins, dans ce cas, où doit donc être placée la limite ?

56. G.M. a affirmé lors de l’audience que les ventes de machines de jeux avaient chuté de manière significative depuis l’introduction de l’exigence d’autorisation.

57. Toutefois, la signification d’« autre exigence » ne saurait être réduite à une question de volume de ventes. Il en est ainsi d’abord et avant tout parce que la définition d’« autre exigence » fait expressément référence à la « commercialisation » (marketing) (et non à la vente) et inclut d’autres conditions importantes, notamment celle selon laquelle les mesures doivent être « imposées à un produit ». C’est également le cas parce que les régimes d’autorisation préalable relatifs aux services
affecteront toujours le volume des ventes d’un produit. Le fait d’établir une exigence de notification subordonnée à une appréciation ex ante de la question de savoir si la mesure aura une influence significative sur le commerce entraîne selon moi soit une insécurité juridique excessive quant à la question de savoir quelles mesures doivent être notifiées ( 37 ), soit simplement une invitation à notifier absolument tout à la Commission ( 38 ). Il n’est pas nécessaire de regarder plus loin que
l’affaire Fortuna e.a. elle-même pour trouver des preuves de cette insécurité juridique. Cette affaire a conduit à un certain nombre de décisions nationales contradictoires sur la manière dont le critère de « l’influence significative » devrait être appliqué ( 39 ).

58. Deuxièmement, les répercussions d’une appréciation incorrecte de l’obligation de notification constituent une raison de plus pour optimiser la sécurité juridique dans la définition de la notion de « règle technique ». C’est notamment le cas compte tenu des « graves conséquences directes» ( 40 ) que l’inapplicabilité de certaines règles peut avoir sur les relations entre particuliers, à savoir des personnes qui ne sont pas liées au défaut de notification. L’arrêt CIA Security International
(C‑194/94, EU:C:1996:172) illustre ce point. Cette affaire concernait une procédure civile entre deux particuliers. Le fait que l’un d’entre eux ne puisse pas invoquer pour sa défense une « règle technique » parce qu’elle n’avait pas été notifiée matériellement affectait l’issue de ce litige ( 41 ).

59. Troisièmement, outre cet impact sur les relations de droit privé, les États membres ont des antécédents en matière de défaut de notification de mesures, défaut de notification qui a été invoqué dans des circonstances plutôt inattendues, en dehors de tout lien évident avec le champ d’application original des mesures nationales concernées. Par exemple, le défaut de notification d’une mesure a été invoqué afin d’échapper à la responsabilité pénale ( 42 ).

60. Les conséquences du défaut de notification soulignées ci-dessus n’ont pour le moins pas fait l’unanimité ( 43 ). Le fait d’élargir la notion d’« autre exigence » pour y inclure des exigences qui sont principalement centrées sur les services (et non sur les marchandises), notamment les régimes d’autorisation préalable et les exigences de lieu ( 44 ), ne peut que rendre plus probable la survenance de tels scénarios.

61. Quatrièmement, la Cour a fait face, dans les années 1980, à un élargissement insidieux du champ d’application de la liberté de circulation. Toutes sortes de mesures nationales qui réglementaient la manière dont les produits étaient commercialisés ont été contestées devant les juridictions nationales au motif qu’elles avaient un impact sur le commerce. En réalité, bon nombre des mesures nationales concernées ne visaient pas à réglementer les marchandises elles-mêmes mais plutôt la manière dont
elles étaient commercialisées ( 45 ). La Cour a réagi à ces affaires dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 46 ) .

62. Je vois un schéma similaire dans les affaires relatives à la directive 98/34. Pour éviter une telle expansion de l’obligation de notification dans le contexte de la directive 98/34, le champ d’application des « autres exigences » ne devrait pas pouvoir être élargi de manière incontrôlée au domaine des services au motif que les mesures nationales portant sur la fourniture de services sont susceptibles d’avoir des effets indirects sur le commerce des produits.

63. Certes, il existe des différences entre ces deux schémas dans le cadre de la liberté de circulation au sens du TFUE et dans le cadre de l’obligation de notification au titre de la directive 98/34. Notamment, dans le cadre de la directive 98/34, pour constituer une « autre exigence » susceptible d’être notifiée, une mesure doit être capable d’influencer de manière significative la commercialisation. Cette situation est en contraste avec l’absence de tout seuil minimal dans le cadre de
l’article 34 TFUE ( 47 ).

64. Toutefois, l’« influence significative » est une notion très élastique, qui crée des problèmes supplémentaires plutôt qu’elle n’offre de solutions concrètes. Deux types de problèmes se posent en particulier : des problèmes d’ordre conceptuel et des problèmes d’ordre opérationnel.

65. D’un point de vue conceptuel, la réponse à la question de savoir si une disposition légale nationale doit être notifiée devrait logiquement être donnée lorsque cette disposition est à l’état de projet. Prévoir à ce moment-là si elle aura ou pas une « influence significative » sur la commercialisation peut s’avérer difficile. Ainsi, selon moi, l’examen de la question de savoir si une disposition a certaines caractéristiques signifiant qu’elle doit être notifiée se base principalement sur une
appréciation de la qualité normative de cette disposition. Il devrait être possible, dans la plupart des cas, d’apprécier l’existence de telles caractéristiques ex ante et indépendamment de la mise en œuvre hypothétique et future de la disposition.

66. À cet élément conceptuel s’ajoute un problème opérationnel ou fonctionnel. En pratique, il sera difficile pour une juridiction nationale, devant un moyen fondé sur le défaut de notification, d’apprécier raisonnablement « l’influence significative » de manière objective et avec un degré suffisant d’assurance. L’existence de données quantitatives fiables relatives à la mesure nationale pertinente n’est pas systématique et, même si des données quantitatives sont disponibles, le seuil d’influence
« significative » reste vague ( 48 ). Les prévisions sur l’évolution future des mesures nationales pertinentes ou les approches fondées sur l’intuition relèvent au mieux du domaine de l’hypothétique et, au pire, de celui de la boule de cristal. Le tableau est encore plus compliqué, premièrement, par la possibilité pour une mesure de devenir notifiable en raison de l’évolution des modèles commerciaux et, deuxièmement, par le fait que le caractère notifiable de règles en substances similaires est
susceptible de varier d’un État membre à l’autre, sur la base des différences entre les modèles commerciaux du produit concerné à un niveau national ( 49 ).

67. Cinquièmement, il est une autre différence significative entre l’obligation de notification prévue par la directive 98/34 et les articles 34 et 36 TFUE, qui met en avant la nécessité de prendre davantage de précautions dans le cadre de la première : en ce qui concerne la directive, une fois qu’une mesure est qualifiée d’« autre exigence », aucune justification n’est possible. Aucun équilibrage des intérêts en présence n’est effectué. Si la mesure n’a pas été notifiée, elle est tout simplement
inapplicable. Cela contraste avec les articles 34 et 36 TFUE dans le cadre desquels des restrictions à la liberté de circulation peuvent à tout le moins potentiellement être justifiées ( 50 ).

68. Les conséquences plus sévères et automatiques du défaut de notification au sens de la directive devraient nous rendre encore plus réticents à retenir une lecture large de la notion d’« autre exigence ». Une telle lecture pourrait également conduire à une situation plutôt paradoxale dans laquelle des mesures considérées comme ne relevant pas du tout de l’article 34 TFUE seraient néanmoins notifiables et inapplicables en cas de défaut de notification ( 51 ).

69. Au vu des considérations qui précèdent, cette affaire semble arriver à un moment opportun pour reconsidérer la signification de la notion d’« autre exigence » prévue par la directive 98/34 dans le contexte des mesures réglementant les services susceptibles d’avoir un impact sur les produits.

2. Approche proposée de l’interprétation de la notion d’« autre exigence »

a) Texte, système et finalité

70. Le point de départ, et la considération principale, dans l’interprétation de la notion d’« autre exigence » dans le présent contexte est le fait que la directive 98/34 est focalisée sur les mesures relatives aux marchandises et à la liberté de circulation des marchandises, et non sur les services.

71. La directive 83/189 qui l’a précédée prévoyait une obligation de notifier les projets de « règles techniques » uniquement pour les produits. En effet, même aujourd’hui, les seuls types de « règles techniques » qui concernent spécifiquement des services et qui sont notifiables au sens de la directive 98/34 sont les services de la société de l’information ( 52 ). Partant, les autres types de services pourraient systématiquement être considérés comme exclus de ce champ d’application. Plus
précisément, d’autres types de services pourraient être inclus dans le champ d’application de la directive 98/34 seulement de manière indirecte et résiduelle, compte tenu de leur impact sur les marchandises.

72. Cet accent mis sur les marchandises est confirmé par une interprétation détaillée des points de vue textuel, systémique et finaliste de la directive 98/34.

73. L’article 1er, paragraphe 4, de la directive 98/34 introduit les « autres exigences », comme des exigences « imposées à l’égard d’un produit ». Ces exigences doivent viser le « cycle de vie » (du produit). Les exemples donnés dans le texte de l’article 1er, paragraphe 4, de ladite directive incluent les « conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination » du produit lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative sa « composition » sa « nature » ou sa
« commercialisation ». Le texte de cette disposition parle ainsi haut et fort du produit.

74. Notamment, par définition, une « autre exigence » doit être « imposée à un produit » et non aux services qui utilisent ce produit. Il est vrai que des règles imposées à des services peuvent avoir un impact significatif sur l’utilisation de marchandises liées. Toutefois, le problème de « l’influence significative » sur les produits est considéré dans le cadre d’une condition supplémentaire séparée contenue dans la définition d’« autre exigence ». Le fait de considérer que les mots « imposé au
produit » signifient « directement ou indirectement imposé au produit » revient à ignorer les mots « imposé au produit» ( 53 ).

75. La place centrale des produits dans la notion d’« autre exigence » est confirmée par les références répétées à la nécessité pour les mesures d’avoir d’une manière ou d’une autre un impact sur les caractéristiques physiques du produit (à savoir sa composition, sa nature, la manière dont il est éliminé ou recyclé).

76. Il est vrai que le terme de « commercialisation » pourrait en théorie être compris comme impliquant une lecture plus large de la disposition, notamment lorsque la mesure a un impact quantitatif sur les ventes seulement et que le produit lui-même n’est autrement pas affecté. Toutefois, dans le cadre d’une lecture plus systémique de la définition complète d’« autre exigence », dans le contexte de la directive dans sa totalité, cela n’est pas le cas. Le terme de « commercialisation » ne saurait
être lu comme une invitation ouverte à rassembler dans la notion d’« autre exigence » tous les types de règles qui concernent en premier lieu la fourniture de services et qui impliquent l’utilisation de produits en dépit de la formulation des quatre lignes précédentes de la définition.

77. Selon moi, la référence à la « commercialisation » contenue à l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 98/34 devrait être lue, en ligne avec le reste de la définition et le texte de la directive dans sa totalité, comme une référence aux mesures liées à la commercialisation qui ont potentiellement un impact sur les caractéristiques physiques du produit, telles que l’étiquetage ou la présentation. Cela en opposition à d’autres mesures affectant potentiellement le commerce du produit, par
exemple les règles relatives aux conditions de vente ( 54 ).

78. Ainsi que l’a souligné la Commission dans son exposé des motifs accompagnant la proposition de directive 94/10, cet élargissement du champ d’application de la directive 83/189 a permis de couvrir des réglementations qui sont « susceptibles d’avoir un effet sur le produit et de provoquer des distorsions du marché» ( 55 ). L’expression d’« effets sur le produit » reflète ici une nouvelle fois la place centrale du produit dans la notion de « règle technique » et l’exigence que la mesure n’affecte
pas seulement les ventes, mais également le produit lui-même. En outre, l’expression « distorsion du marché » doit selon moi être lue comme faisant référence à une crainte de discrimination entre marchandises concurrentes, par opposition aux restrictions à l’accès au marché. La lecture de la notion d’« autre exigence » que je propose ici, davantage « centrée sur le produit », nécessite d’une certaine manière qu’il y ait une répercussion sur les caractéristiques du produit lui-même. Cette lecture
est par conséquent également soutenue par la proposition originale de la Commission introduisant l’expression en cause.

b) Le centre de gravité et les exceptions relatives aux interdictions et à l’impact sur le produit

79. Compte tenu de ce qui précède, je propose l’approche suivante, basée sur le centre de gravité de la mesure nationale dans l’interprétation et l’application de la notion d’« autre exigence » au sens de la directive 98/34, et soumise à un nombre limité d’exceptions. Elle comporte trois étapes successives.

80. Premièrement, les mesures nationales en premier lieu « imposées au produit » sont les « autres exigences » au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 98/34 si les autres conditions contenues dans cette disposition sont remplies.

81. Deuxièmement, les mesures nationales imposées en premier lieu aux services (ou à l’établissement) ne relèvent au contraire pas, en principe, de la notion d’« autre exigence ». Elles comprennent, notamment, les mesures nationales qui limitent la manière dont les produits sont commercialisés ou utilisés par les fournisseurs de services. Elles incluent, par exemple, i) les exigences d’autorisation et d’autres critères d’éligibilité relatifs à l’établissement ou à la fourniture de services ( 56 ),
ii) les restrictions sur les lieux dans lesquels les services peuvent être fournis ( 57 ) et iii) la publicité des services ( 58 ).

82. Troisièmement, les règles nationales prima facie imposées à des services peuvent toutefois relever de la notion d’« autre exigence »dans des circonstances spécifiques et dans la mesure où les autres conditions requises par l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 98/34 sont remplies, notamment lorsque :

— la mesure nationale implique l’interdiction totale d’un service et que cela entraîne le fait que certaines marchandises en particulier ne sont pas utilisées du tout, ou que les marchandises ne sont utilisées que de manière très marginale dans d’autres contextes ( 59 ) ; ou

— la mesure nationale qui concerne en premier lieu la fourniture de services affecte nécessairement le cycle de vie du produit d’une manière qui a un impact sur ses caractéristiques physiques (par exemple, les restrictions sur l’utilisation d’un produit dans la fourniture de services qui impliquent nécessairement d’altérer la composition, l’étiquetage ou la présentation du produit). Dans de tels cas, il y a clairement une « réaction » ou un « recul » à l’égard du produit lui-même ( 60 ).

83. Afin d’assurer la plus grande sécurité juridique possible et de minimiser les cas dans lesquels les autorités nationales et les juridictions doivent décider si une mesure nationale doit être notifiée en se fondant sur la notion plutôt vague d’« influence significative sur la commercialisation », l’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International devrait clairement être confirmée. En d’autres termes, les régimes d’autorisation préalable ne constituent pas des « règles techniques »
à moins qu’ils ne relèvent de l’une des situations spécifiques visées au point 81 des présentes conclusions.

84. L’approche proposée ici reconnaît que les mesures nationales imposées sur la fourniture de services peuvent affecter la liberté de circulation des marchandises et sont susceptibles de relever du champ d’application de ces deux libertés ( 61 ) (à moins que l’une ne soit purement secondaire par rapport à l’autre) ( 62 ). Toutefois, cela reflète également les aspects textuel, systémique et finaliste de la notion d’« autre exigence » contenue à l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 98/34 et
confirme que celle-ci est clairement centrée sur les produits (notamment l’exigence, contenue dans le texte lui-même, selon laquelle la mesure doit être « imposée à un produit »). Le centre de gravité combiné avec l’approche de la limitation des exceptions a également l’avantage d’améliorer la sécurité juridique. C’est un élément clé compte tenu des conséquences graves du défaut de notification.

3. Application à l’espèce

85. L’exigence d’autorisation n’est pas imposée aux produits ( 63 ). En principe, elle ne constitue pas une « autre exigence ». L’exception d’autorisation de l’affaire CIA Security International vient au soutien de cette conclusion.

86. On pourrait considérer que la référence à la restriction de lieu modifie la nature de l’exigence d’autorisation. Celle-ci pourrait, par conséquent, permettre la prise en compte des circonstances spécifiques présentées au point 81 des présentes conclusions. Toutefois, aucune des circonstances spécifiques soulignées dans ce point, qui justifieraient d’écarter la conclusion prima facie basée sur le centre de gravité de la mesure nationale, n’apparaissent applicables. Il appartient à la juridiction
nationale de conclure en dernier lieu sur ce point. Toutefois, au vu des faits présentés à la Cour, l’exigence d’autorisation ne semble avoir aucun impact évident sur les caractéristiques physiques des produits concernés.

4. Conclusion

87. Compte tenu des arguments présentés ci-dessus, j’estime que l’exigence d’autorisation n’est pas une « autre exigence » ou plus généralement une « règle technique » au sens de la directive 98/34.

V – Conclusion

88. À la lumière de ce qui précède, je recommande à la Cour de répondre à la question posée par le Sąd Okręgowy w Łodzi (tribunal régional de Łódź, Pologne) qu’une règle nationale, telle que l’exigence d’autorisation prévue à l’article 6, paragraphe 1, de l’ustawa o grach hazardowich (loi sur les jeux de hasard), n’est pas une « règle technique » au sens de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et
réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37). Les mots « et des règles relatives aux services de la société de l’information » ont été ajoutés dans le titre de la directive par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998, portant modification de la directive
98/34/CE prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1998, L 217, p. 18).

( 3 ) Dz. U. de 2009, no 201, position 1540.

( 4 ) Telle qu’applicable pendant la période en cause. Le texte de cette disposition a depuis été modifié.

( 5 ) Arrêt du 19 juillet 2012, Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495).

( 6 ) Voir, notamment, arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246).

( 7 ) Les services de la société de l’information sont les seuls types de services qui relèvent directement du champ d’application de la directive 98/34 (défini à l’article 1er, paragraphes 2, 5 et 11 cités ci‑dessus).

( 8 ) Arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246, points 59 et 60), ainsi que du 12 juillet 2012, Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495, point 29).

( 9 ) Arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246, point 77).

( 10 ) Arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246).

( 11 ) Arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Grèce (C‑65/05, EU:C:2006:673).

( 12 ) Arrêt du 19 juillet 2012, Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495).

( 13 ) Arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386).

( 14 ) Arrêt du 4 février 2016, Ince (C‑336/14, EU:C:2016:72).

( 15 ) Arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246, points 77 et 78).

( 16 ) Arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246, points 87 et 88).

( 17 ) Dans cette affaire, la République hellénique n’a pas contesté le fait que la mesure constituait une « règle technique » n’ayant pas été notifiée. La Cour a cité l’arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246), de manière générale, comme faisant autorité pour conclure que la mesure constituait une « règle technique » : arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Grèce (C‑65/05, EU:C:2006:673, point 61).

( 18 ) Par opposition à une interdiction catégorique d’utilisation. Toutefois, il ressort des mémoires écrits de la Commission dans cette affaire qu’elle considérait que la mesure était une interdiction d’utilisation.

( 19 ) Arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Grèce (C‑65/05, EU:C:2006:673). En outre, la possibilité d’organiser des jeux dans certains lieux semble constituer plus qu’une simple « utilisation marginale » et, partant, ne constituerait pas une interdiction au sens de l’article 1er, paragraphe 11, de la directive 98/34. Voir, à cet égard, point 19 des présentes conclusions et points 63 à 65 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire Lindberg (C‑267/03, EU:C:2004:819) où ce
dernier donne l’exemple de machines de jeu utilisées comme butoir de porte comme une « utilisation marginale ».

( 20 ) Voir notes en bas de page 18 et 19 ci-dessus, ainsi que le texte correspondant.

( 21 ) Arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, points 93 à 97).

( 22 ) Arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, points 98 et 99).

( 23 ) Arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C‑194/94, EU:C:1996:172).

( 24 ) L’exigence était formulée comme suit : « Nul ne peut exploiter une entreprise de sécurité s’il n’est agréé préalablement par le ministre de l’Intérieur. L’agrément n’est accordé que si l’entreprise satisfait aux dispositions de la présente loi et aux conditions relatives aux moyens financiers et à l’équipement technique, fixées par le Roi […]. »

( 25 ) Directive du Conseil du 28 mars 1983 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1983, L 109, p. 8).

( 26 ) Voir, également, arrêt du 8 mars 2001, van der Burg (C‑278/99, EU:C:2001:143, point 20), dans lequel il a été considéré que « les modes de commercialisation » (en l’espèce, les règles relatives à la publicité) ne relevaient pas du champ d’application des « règles techniques ».

( 27 ) Tout d’abord dans l’arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34, point 45).

( 28 ) Arrêt du 12 juillet 2012, Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495, notamment points 36 et suiv.).

( 29 ) Ni étendue ni modifiée.

( 30 ) Voir arrêt du 4 février 2016, Ince (C‑336/14, EU:C:2016:72, point 76) : « […] les dispositions instituant l’obligation d’obtenir une autorisation pour l’organisation ou la collecte de paris sportifs ainsi que l’impossibilité de délivrer une telle autorisation à des opérateurs privés, […] ne constituent pas des “règles techniques” […] des dispositions nationales qui se limitent à prévoir les conditions pour l’établissement ou la prestation de services par des entreprises, telles que des
dispositions qui soumettent l’exercice d’une activité professionnelle à un agrément préalable, ne constituent pas des règles techniques au sens de cette disposition ».

( 31 ) Notamment, en l’espèce, l’article 15, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard impose de limiter le nombre de casinos de jeux qui peuvent être ouverts dans une zone géographique donnée en relation avec le nombre d’habitants.

( 32 ) Voir, par analogie, arrêt du 8 mars 2001, van der Burg (C‑278/99, EU:C:2001:143, point 21). Cette affaire concernait l’interdiction de publicité pour un équipement radio qui ne respectait pas certaines spécifications et qui avait obtenu une approbation préalable. La Cour a soutenu que l’existence d’un « lien direct » entre l’interdiction et les exigences techniques devant être remplies par l’équipement radio n’était pas suffisante pour que l’interdiction relève du champ d’application de la
directive.

( 33 ) Je comprends qu’il existe une jurisprudence nationale importante dans ce domaine, qui est susceptible de clarifier les relations entre l’article 6, paragraphe 1, et l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier cette jurisprudence, et les présentes conclusions sont fondées sur les observations écrites et orales des parties à la présente affaire.

( 34 ) Voir, notamment, arrêt du 20 mars 1997, Bic Benelux (C‑13/96, EU:C:1997:173, point 19), et arrêt du 6 juin 2002, Sapod Audic (C‑159/00, EU:C:2002:343, point 34). Voir, également, considérants 2 et 7 de la directive 98/34.

( 35 ) L’existence de relations et de liens entre différentes dispositions de droit national est courante, et il est souvent impossible de comprendre des dispositions isolées sans les lire dans le contexte du texte intégral. C’est pour cette raison que les projets de règles techniques doivent être notifiés avec le projet complet de l’instrument législatif [arrêt du 16 septembre 1997, Commission/Italie (C‑279/94, EU:C:1997:396, points 39 à 41)]. Toutefois, de telles interconnexions ne font pas de ces
autres dispositions des règles techniques.

( 36 ) Voir, notamment, arrêt du 3 juin 1999, Colim (C‑33/97, EU:C:1999:274, point 22) ; à propos de la loi sur les jeux de hasard, voir point 46 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire Lindberg (C‑267/03, EU:C:2004:819).

( 37 ) Ainsi que l’a souligné l’avocat général Jacobs, « s’il fallait procéder à une évaluation préalable de l’effet produit par la mesure, il serait moins facile d’identifier les mesures concernées » [voir point 35 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire Lindberg (C‑267/03, EU:C:2004:819)]. Des doutes analogues sont souvent exprimés dans le contexte de l’article 34 TFUE et de l’utilisation du « critère d’accès au marché » pour déterminer l’applicabilité de cette
disposition. Voir, notamment, Gormley, L. « Two years after Keck », Forham Intl. Law Journal, no 19, 1996, p. 882 et 883 ; et Snell, J., « The notion of market access : a concept or a slogan », Common Market Law Review, vol. 47, 2010, p. 437 à 459).

( 38 ) La Commission a reconnu lors de l’audience que ce dernier scénario au moins n’était pas souhaitable.

( 39 ) Voir, notamment, arrêt du Wojewódzki Sąd Administracyjny, Gdańsk (tribunal administratif régional de Gdańsk, Pologne) du 19 novembre 2012 (III SA/Gd 546/12), dans lequel il a considéré que les articles 129, 135 et 138 de la loi sur les jeux de hasard [les dispositions transitoires citées dans l’arrêt du 19 juillet 2012, Fortuna e.a. (C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495)] étaient des règles techniques dans la mesure où elles exerçaient une influence significative sur la nature et la
commercialisation des produits concernés (machines de jeux automatisés à gains limités). Cet arrêt a été annulé par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) dans un arrêt du 5 novembre 2015 (II GSK 1632/15) au motif que les dispositions transitoires ne modifiaient pas la situation juridique des parties (en considérant également que l’article 6 de la loi sur les jeux de hasard n’était pas une règles technique) ; voir arrêt du Wojewódzki Sąd Administracyjny, Szczecin
(tribunal administratif régional de Szczecin, Pologne) du 9 octobre 2015 (II SA/Sz 396/15), dans lequel ce dernier a considéré que l’article 135 de la loi sur les jeux de hasard n’était pas une règle technique [arrêt du Wojewódzki Sąd Administracyjny, Wrocław (tribunal administratif régional de Wrocław, Pologne) du 4 octobre 2013 (III SA/Wr 373/13), confirmé dans l’affaire II GSK 181/14 le 25 novembre 2015.

( 40 ) Voir point 47 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire Sapod Audic (C‑159/00, EU:C:2002:25).

( 41 ) Voir, également, arrêt du 6 juin 2002, Sapod Audic (C‑159/00, EU:C:2002:343), et arrêt du 26 septembre 2000, Unilever (C‑443/98, EU:C:2000:496).

( 42 ) Voir, notamment, arrêt du 16 juin 1998, Lemmens (C‑226/97, EU:C:1998:296). Dans cette affaire, le défaut de notification de règles techniques relatives aux éthylomètres a été invoqué pour rendre irrecevables des preuves dans une affaire pénale de conduite en état d’ivresse.

( 43 ) Arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34), et arrêt du 6 juin 2002, Sapod Audic (C‑159/00, EU:C:2002:343) ; Weatherill, S., « A Case Study in Judicial Activism in the 1990s : The Status before National Courts of Measures Wrongfully Un-notified to the Commission », in O’Keeffe, D., et Bavasso A., Judicial Review in EU Law, Kluwer Law International, Pays‑Bas, 2000, p. 481.

( 44 ) La fourniture de nombreux services peut être soumise à des exigences de lieu, par exemple, les services de taxi (qui peuvent inclure des limitations par zones ou par lieux spécifiques tels que les aéroports), les pharmacies et de nombreux autres.

( 45 ) Voir, notamment, arrêts du 23 novembre 1989, B & Q (C‑145/88, EU:C:1989:593) ; du 14 juillet 1981, Oebel (155/80, EU:C:1981:177), ainsi que du 11 juillet 1985, Cinéthèque e.a. (60/84 et 61/84, EU:C:1985:329).

( 46 ) Arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905).

( 47 ) Arrêts du 5 avril 1984, van de Haar et Kaveka de Meern (177/82 et 178/82, EU:C:1984:144, points 12 à 14), ainsi que du 14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz (C‑309/02, EU:C:2004:799). Bien que certains arrêts fassent allusion à un tel seuil introduit par une voie détournée, voir arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie (C‑518/06, EU:C:2009:270, points 66 à 70).

( 48 ) Par exemple, une réduction estimée du volume des ventes de 10 % serait-elle suffisante ? Telle était la réduction estimée résultant des règles du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sur l’ouverture des magasins le dimanche – voir arrêt du 23 novembre 1989, B & Q (C‑145/88, EU:C:1989:593, point 7).

( 49 ) Voir, pour des problèmes similaires relatifs à l’article 34 TFUE : Snell, J., « The notion of market access : a concept or a slogan ? », Common Market Law Review, 2010, p. 437 à 472, notamment p. 459.

( 50 ) En effet, c’est essentiellement l’impossibilité de proposer une justification ou d’équilibrer les intérêts en présence dans le cadre de la directive 98/34 (par opposition aux articles 34 et 36 TFUE) qui ont conduit à la présente procédure préjudicielle.

( 51 ) Par exemple, la Cour a estimé dans un certain nombre d’affaires que les restrictions concernant les lieux dans lesquels les produits pouvaient être vendus pouvaient être considérées comme ne relevant pas de l’article 34 TFUE [voir, notamment, arrêt du 29 juin 1995, Commission/Grèce (C‑391/92, EU:C:1995:199, points 11 à 15), dans lequel il a été considéré que l’interdiction de vendre du lait en poudre pour nourrissons en dehors des pharmacies restreignait le volume des ventes mais ne relevait
pas des règles du traité relatives à la liberté de circulation) ; arrêt du 14 décembre 1995, Banchero (C‑387/93, EU:C:1995:439, point 44), selon lequel le fait de réserver la vente au détail des tabacs manufacturés à des distributeurs autorisés n’entrave pas l’accès au marché national des produits en provenance d’autres États membres ou ne gêne pas cet accès davantage qu’il ne gêne l’accès des produits nationaux au réseau de distribution, et ne relève pas des règles sur la liberté de circulation du
traité, et arrêt du 13 janvier 2000, TK-Heimdienst (C‑254/98, EU:C:2000:12), dans lequel la Cour a considéré que la limitation des zones géographiques d’opération des bouchers, des boulangers et des commerçants en produits alimentaires était une simple modalité de vente mais qu’elle relevait des règles sur la liberté de circulation, en raison de ses conséquences importantes sur les importations).

( 52 ) Le texte original de la directive ne contenait aucune référence aux services à l’exception du considérant 2, qui précise également que la directive est centrée sur la libre circulation des marchandises (« [c]onsidérant que le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ; que, dès lors, l’interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d’effet
équivalant à des restrictions quantitatives aux échanges de marchandises est un des fondements de la Communauté »).

( 53 ) Voir points 54 à 59 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire Lindberg (C‑267/03, EU:C:2004:819).

( 54 ) Voir, par analogie, points 87 à 94 des conclusions que l’avocat général Campos Sánchez-Bordona a présentées dans l’affaire James Elliott Construction (C‑613/14, EU:C:2016:63), aux termes desquels une clause contractuelle implicite relative à la qualité marchande des produits ne correspond pas à la définition de la notion de « règle technique ». Voir, également, ci-dessus notes en bas de page 26 et 32 relatives aux restrictions sur la publicité.

( 55 ) Le point 18 de l’exposé des motifs accompagnant la proposition de directive du Conseil portant deuxième modification de la directive 83/189 a introduit la définition d’« autre exigence ». Voir directive 94/10/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 mars 1994, portant deuxième modification substantielle de la directive 83/189/CEE prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1994, L 100, p. 30).

( 56 ) Cela reflète l’exception d’autorisation de l’arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C‑194/94, EU:C:1996:172) (par exemple, le fait de délivrer des licences aux chauffeurs de taxi).

( 57 ) Ainsi que cela a été reconnu dans plusieurs arrêts de la Cour en ce qui concerne certaines modalités de vente (voir ci-dessus note en bas de page 51). Parmi ces exemples, on trouve la limitation de la vente de certains produits aux pharmacies ou la limitation de l’exploitation des activités de jeux aux casinos.

( 58 ) Voir arrêt du 8 mars 2001, van der Burg (C‑278/99, EU:C:2001:143), dans lequel des règles relatives à des modes de commercialisation ont été considérées comme n’étant pas des règles techniques.

( 59 ) Ces situations devraient, en tout état de cause, normalement relever de la notion d’interdiction totale au titre de l’article 1er, paragraphe 11, de la directive 98/34.

( 60 ) Je souligne que les types de mesures envisagées ici sont imposées à des services et non à des produits. Pour cette raison, ainsi que la Cour l’a déjà soutenu auparavant, elles ne relèveraient pas de la notion de « spécification technique » prévue à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 98/34 malgré leur impact sur les caractéristiques physiques des marchandises. Voir arrêt du 21 avril 2005, Lindberg (C‑267/03, EU:C:2005:246, notamment point 59).

( 61 ) Voir arrêt du 11 septembre 2003, Anomar e.a. (C‑6/01, EU:C:2003:446, point 55).

( 62 ) C’est-à-dire à moins que l’élément relatif aux marchandises ne soit purement secondaire par rapport à l’élément relatif aux services ou vice versa. Voir, à cet égard, arrêts du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, points 78 et suiv.) ; du 24 mars 1994, Schindler (C‑275/92, EU:C:1994:119, point 24), ainsi que du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34, points 29 à 32).

( 63 ) Et ce dans la mesure où elle impose des restrictions à l’organisation de jeux et non aux produits utilisés pour l’organisation de ces jeux.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-303/15
Date de la décision : 07/07/2016
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Okręgowy w Łodzi.

Renvoi préjudiciel – Règles techniques dans le secteur des jeux de hasard – Directive 98/34/CE – Notion de “règle technique” – Obligation des États membres de communiquer à la Commission européenne tout projet de règle technique – Inapplicabilité des règles ayant la qualité de règles techniques non notifiées à la Commission.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Naczelnik Urzędu Celnego I w Ł.
Défendeurs : G.M. et M.S.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bobek

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:531

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award