La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/06/2016 | CJUE | N°C-277/15

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 16 juin 2016., Servoprax GmbH contre Roche Diagnostics Deutschland GmbH., 16/06/2016, C-277/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 16 juin 2016 ( 1 )

Affaire C‑277/15

Servoprax GmbH

contre

Roche Diagnostics Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle

formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

«Directive 98/79/CE relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro — Distribution parallèle au sein du marché intérieur — Ajout, sur l’emballage extérieur de dispositifs médicaux destinés à l’autodiag

nostic pour la mesure du glucose sanguin, d’une autre version linguistique des indications fournies par le fabricant sur l’étiquette ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 16 juin 2016 ( 1 )

Affaire C‑277/15

Servoprax GmbH

contre

Roche Diagnostics Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle

formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

«Directive 98/79/CE relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro — Distribution parallèle au sein du marché intérieur — Ajout, sur l’emballage extérieur de dispositifs médicaux destinés à l’autodiagnostic pour la mesure du glucose sanguin, d’une autre version linguistique des indications fournies par le fabricant sur l’étiquette et la notice d’utilisation — Nouvelle procédure, ou procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité»

1.  Un fabricant soumet à une évaluation de la conformité dans un État membre des bandes-tests destinées à être utilisées avec un dispositif médical de diagnostic in vitro. L’étiquetage et la notice d’utilisation sont rédigés dans la langue de cet État membre. Les bandes-tests sont autorisées et obtiennent un marquage CE. Sa société de distribution dans un autre État membre y commercialise les mêmes bandes‑tests en ajoutant une étiquette et une notice d’utilisation dans la langue de ce deuxième État
membre. Un distributeur parallèle achète les bandes-tests dans le premier État membre, étant précisé que l’étiquetage et la notice d’utilisation sont rédigés dans la langue de cet État membre, mais il ajoute des informations concernant le produit sur l’emballage extérieur et joint une notice d’utilisation qui correspond mot pour mot à la notice jointe aux bandes-tests distribuées par la société de distribution du fabricant dans ce deuxième État membre. Il distribue ensuite les bandes-tests sur
le marché de ce deuxième État membre. La société de distribution conteste la légalité de l’activité de son concurrent au motif que le distributeur parallèle agit comme un « fabricant » au sens de l’article 9 de la directive 98/79/CE relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (ci-après la « directive ») ( 2 ) et qu’une nouvelle procédure, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité est donc nécessaire pour cette activité de distribution. Cette demande de décision
préjudicielle du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) offre pour la première fois à la Cour l’occasion d’interpréter cette directive, qui vise à la fois à éliminer les obstacles à la libre circulation au sein du marché unique de dispositifs portant le marquage CE et à garantir un niveau élevé de protection de la santé.

Cadre juridique

Droit de l’Union

2. La directive harmonise les règles nationales en matière de sécurité, de protection de la santé, de performances, de caractéristiques et de procédures d’agrément applicables aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, et fixe les exigences nécessaires et suffisantes pour assurer, dans les meilleures conditions de sécurité, la libre circulation des produits auxquels elle s’applique ( 3 ). Un des principaux objectifs de la directive est de garantir que les dispositifs médicaux de diagnostic in
vitro fournissent aux patients, aux utilisateurs et aux tiers un degré élevé de protection sanitaire, et atteignent les niveaux de performance que leur ont initialement attribués les fabricants ( 4 ).

3. L’article 1er de la directive prévoit ce qui suit :

« 1.   La présente directive s’applique aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro […]

2.   Aux fins de la présente directive, on entend par :

[…]

b) “dispositif médical de diagnostic in vitro” : tout dispositif médical qui consiste en un réactif, un produit réactif, un matériau d’étalonnage, un matériau de contrôle, une trousse, un instrument, un appareil, un équipement ou un système, utilisé seul ou en combinaison, destiné par le fabricant à être utilisé in vitro dans l’examen d’échantillons provenant du corps humain, y compris les dons de sang et de tissus, uniquement ou principalement dans le but de fournir une information :

— concernant un état physiologique ou pathologique

[…]

d) “dispositif destiné à des autodiagnostics” : tout dispositif destiné par le fabricant à pouvoir être utilisé par des profanes dans un environnement domestique ;

[…]

f) “fabricant” : la personne physique ou morale responsable de la conception, de la fabrication, du conditionnement et de l’étiquetage d’un dispositif en vue de sa mise sur le marché en son nom propre, que ces opérations soient effectuées par cette même personne ou pour son compte par une tierce personne.

Les obligations de la présente directive qui s’imposent aux fabricants s’appliquent également à la personne physique ou morale qui assemble, conditionne, traite, remet à neuf et/ou étiquette un ou plusieurs produits préfabriqués et/ou leur assigne la destination d’un dispositif en vue de sa mise sur le marché en son nom propre ( 5 ). Cela ne s’applique pas à la personne qui, sans être fabricant aux termes du premier alinéa, assemble ou adapte conformément à leur destination, des dispositifs
déjà mis sur le marché pour un patient individuel ;

i) “mise sur le marché” : la première mise à disposition à titre onéreux ou gratuit d’un dispositif autre qu’un dispositif destiné à l’évaluation des performances, en vue de sa distribution et/ou de son utilisation sur le marché communautaire, qu’il s’agisse d’un dispositif neuf ou remis à neuf ;

j) “mise en service” : le stade auquel un dispositif est mis à la disposition de l’utilisateur final, étant prêt à être utilisé pour la première fois sur le marché communautaire conformément à sa destination.

[…] »

4. Conformément à l’article 2 de la directive, les États membres doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les dispositifs ne puissent être mis sur le marché et/ou mis en service que s’ils satisfont aux exigences énoncées dans la présente directive lorsqu’ils sont dûment fournis et sont correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination. À cette fin, les États membres doivent contrôler la sécurité et la qualité de ces dispositifs.

5. Conformément à l’article 3 de la directive, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à l’annexe I qui leur sont applicables compte tenu de leur destination.

6. En vertu de l’annexe I (« Exigences essentielles »), partie A, point 1, de la directive, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro doivent être conçus et fabriqués de telle manière que leur utilisation ne compromette pas, directement ou indirectement, l’état clinique et la sécurité des patients, la sécurité et la santé des utilisateurs ou, le cas échéant, d’autres personnes ni la sécurité des biens, lorsqu’ils sont utilisés dans les conditions et aux fins prévues. Les risques éventuels liés
à leur utilisation doivent être acceptables au regard du bienfait apporté au patient et compatibles avec un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité.

7. Conformément à l’annexe I, partie B, point 8.1, de la directive, chaque dispositif doit être accompagné des informations nécessaires pour pouvoir être utilisé correctement et en toute sécurité, en tenant compte de la formation et des connaissances des utilisateurs potentiels, et permettre d’identifier le fabricant ( 6 ). Ces informations sont constituées des indications figurant sur l’étiquetage et dans la notice d’utilisation ( 7 ). Pour les dispositifs destinés à un autodiagnostic, l’étiquetage
et la notice d’utilisation comportent une traduction dans la ou les langue(s) officielle(s) de l’État membre dans lequel le dispositif destiné à un autodiagnostic est remis à l’utilisateur final ( 8 ).

8. L’article 4 de la directive prévoit ce qui suit :

« 1.   Les États membres ne font pas obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché ou à la mise en service des dispositifs portant le marquage CE […] lorsque ces dispositifs ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à l’article 9.

[…]

4.   Les États membres peuvent exiger que, lors de la remise à l’utilisateur final, les indications à fournir, conformément à l’annexe I, partie B, point 8, soient rédigées dans leur(s) langue(s) officielle(s).

[…] »

9. Il ressort de l’article 9, paragraphe 3, lu en combinaison avec l’annexe II, liste B, neuvième tiret, de la directive, que le fabricant de dispositifs destinés aux autodiagnostics pour la mesure du glucose sanguin doit, aux fins de l’apposition du marquage CE, soit suivre la procédure relative à la déclaration CE de conformité (système complet d’assurance de la qualité) visée à l’annexe IV, soit suivre la procédure relative à l’examen CE de type visée à l’annexe V, en liaison avec la procédure
relative à la vérification CE visée à l’annexe VI ou la procédure relative à la déclaration CE de conformité (assurance de la qualité de la production) visée à l’annexe VII.

10. L’article 9, paragraphe 11, de la directive exige que les dossiers et la correspondance se rapportant aux procédures d’évaluation de la conformité soient rédigés dans une langue officielle de l’État membre où se déroulent ces procédures et/ou dans une autre langue de l’Union européenne acceptée par l’organisme notifié.

11. L’article 11 (« Procédure de vigilance ») de la directive prévoit notamment ce qui suit :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que toute information portée à leur connaissance conformément aux dispositions de la présente directive, relative aux incidents mentionnés ci-après qui concernent des dispositifs portant le marquage CE, fasse l’objet d’un enregistrement et d’une évaluation centralisés :

a) […] toute inadéquation dans l’étiquetage ou les instructions d’utilisation susceptibles d’entraîner ou d’avoir entraîné, directement ou indirectement, la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’autres personnes ;

[…]

3.   Après avoir procédé à une évaluation, autant que possible en association avec le fabricant, les États membres informent […] immédiatement la Commission et les autres États membres des incidents visés au paragraphe 1 pour lesquels des mesures appropriées pouvant aller jusqu’au retrait ont été prises ou sont envisagées ».

12. L’article 15, paragraphe 1, de la directive exige des États membres qu’ils notifient à la Commission et aux autres États membres les organismes qu’ils ont désignés pour effectuer les tâches se rapportant aux procédures visées à l’article 9 ainsi que les tâches spécifiques pour lesquelles ces organismes ont été désignés.

13. L’article 16, paragraphe 1, de la directive prévoit que les dispositifs, autres que ceux destinés à l’évaluation des performances, qui sont réputés satisfaire aux exigences essentielles visées à l’annexe I de la directive, doivent porter le marquage CE de conformité lors de leur mise sur le marché.

Droit allemand

14. Le Medizinproduktegesetz (loi sur les produits médicaux) et la Medizinprodukte-Verordnung (règlement sur les produits médicaux) sont une transposition, notamment, des articles 2, 3 et 16 de la directive. Ainsi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur les produits médicaux, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ne peuvent être mis sur le marché en Allemagne que s’ils sont pourvus d’un marquage CE. D’après l’article 6, paragraphe 2, de ladite loi, les
produits médicaux ne peuvent être pourvus du marquage CE que s’ils satisfont aux exigences essentielles qui leur sont applicables. L’article 5, paragraphe 2, du règlement sur les produits médicaux exige que les produits destinés à la mesure du glucose sanguin soient soumis à l’une des procédures d’évaluation de la conformité visées à l’article 9, paragraphe 3, de la directive.

Le cadre factuel, la procédure et les questions préjudicielles soumises à la Cour

15. Roche Diagnostics GmbH (ci-après « Roche »), une filiale de la société Hoffmann‑La Roche AG, fabrique pour les diabétiques des bandes-tests destinées à être utilisées avec ses appareils électroniques de mesure du glucose sanguin, afin de leur permettre d’autodiagnostiquer leur taux de glucose sanguin. Avant la mise sur le marché des bandes‑tests, sous les dénominations « Accu-Chek Aviva » et « Accu‑Chek Compact », Roche a soumis ces produits à une évaluation de conformité par un organisme
notifié sis au Royaume-Uni, conformément à l’article 9 de la directive. L’étiquette et la notice d’utilisation étaient donc rédigées en anglais. Les bandes-tests ont obtenu un marquage CE et pouvaient donc librement circuler au sein de l’Union. Rien dans les documents présentés à la Cour ne permet de penser que le marquage CE a été (pour quelque raison que ce soit) apposé à tort sur les produits ou que l’évaluation de la conformité a été insuffisante ou faussée.

16. Roche Diagnostics Deutschland GmbH (ci-après « Roche Deutschland »), une société de distribution de Roche, commercialise en Allemagne les bandes‑tests Accu-Chek Aviva et Accu-Chek Compact, après avoir ajouté une étiquette et une notice d’utilisation en allemand. Ainsi, lorsqu’elles sont commercialisées en Allemagne, les bandes-tests ont des indications en allemand sur l’emballage extérieur et la notice d’utilisation jointe dans l’emballage de vente est en allemand. Dans les boîtes contenant les
bandes-tests se trouve également une solution de contrôle qui permet de vérifier l’exactitude des mesures effectuées par l’appareil de mesure du glucose sanguin. Ainsi, avant de mesurer son taux de glucose sanguin, le patient verse une goutte de la solution de contrôle sur une bande-test et l’introduit dans l’appareil de mesure. La valeur mesurée est comparée aux valeurs indiquées sur la boîte contenant les bandes-tests. Si la valeur mesurée s’écarte des valeurs limites, cela indique que
l’appareil de mesure est insuffisamment précis. Les appareils de mesure du glucose sanguin que Roche Deutschland commercialise en Allemagne utilisent comme unité de mesure soit le « mmol/l » (millimoles par litre), soit le « mg/dl » (milligrammes par décilitre) ( 9 ). Les valeurs limites indiquées sur les boîtes de bandes-tests qu’elle commercialise dans cet État membre sont donc exprimées dans les deux unités de mesure. En revanche, Roche Deutschland vend les mêmes appareils de mesure du
glucose et les mêmes bandes-tests au Royaume-Uni mais avec comme seule unité de mesure le « mmol/l ».

17. Servoprax GmbH a commercialisé en Allemagne des bandes-tests Accu-Chek Aviva et Accu-Chek Compact qui avaient été fabriquées pour le marché du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Sur les nouvelles étiquettes en allemand qu’elle a apposées sur l’emballage extérieur de ces produits, Servoprax s’est identifiée comme leur « importateur et distributeur » en Allemagne. Les étiquettes apposées sur l’emballage extérieur des bandes-tests Accu-Chek Aviva contenaient également des
informations en allemand décrivant le produit, sa destination et son mode d’utilisation. Servoprax joignait à tous ces produits un document en allemand correspondant mot pour mot à la notice d’utilisation que Roche Deutschland fournit avec les bandes-tests destinées à être commercialisées en Allemagne. Entre le mois de juin 2010 et l’automne de cette année-là, les bandes-tests Accu-Chek Aviva distribuées par Servoprax en Allemagne ne mentionnaient comme unité de mesure que le « mmol/l ».

18. Roche Deutschland a contesté l’activité de distribution de Servoprax. Elle a soutenu que Servoprax ne pouvait pas vendre sur le marché allemand les bandes‑tests Accu-Chek Aviva et Accu-Chek Compact qu’elle avait achetées au Royaume-Uni sans une nouvelle procédure, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité, conformément à l’article 9 de la directive. Elle a donc mis en garde Servoprax contre cette distribution parallèle. Sans préjudice de ses droits, Servoprax a soumis ces
produits à une nouvelle procédure d’évaluation de la conformité effectuée par un organisme notifié sis aux Pays-Bas et a obtenu la certification demandée le 13 décembre 2010.

19. Roche Deutschland a entamé une procédure judiciaire en Allemagne à l’encontre de Servoprax visant à la communication d’informations, à la réparation d’un préjudice ainsi qu’au remboursement des frais de justice. Le jugement rejetant cette action en première instance a été infirmé en appel s’agissant de la commercialisation intervenue avant le 13 décembre 2010. Servoprax a introduit un pourvoi devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice).

20. Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) estime que le résultat de ce pourvoi dépend de l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), des articles 2, 3, 4, paragraphe 1, de l’article 9, paragraphe 3, et de l’article 16 ainsi que des annexes I et IV à VII de la directive. Il a donc décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle sur les questions suivantes :

« Un tiers a-t-il l’obligation de soumettre un dispositif médical de diagnostic in vitro destiné à l’autodiagnostic (mesure du glucose sanguin), que le fabricant, dans un État membre A (en l’espèce : le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), a soumis à une évaluation de la conformité en vertu de l’article 9 de la directive […] qui est revêtu du marquage CE en application de l’article 16 de la directive et qui remplit les exigences essentielles de l’article 3 et de l’annexe I de la
directive, à une évaluation de la conformité nouvelle ou complémentaire en vertu de l’article 9 de la directive, avant de mettre le produit sur le marché dans un État membre B (en l’espèce : la République fédérale d’Allemagne) dans des conditionnements sur lesquels il a apposé des indications dans la langue officielle de l’État membre B, qui est différente de celle de l’État membre A (en l’espèce, en employant la langue allemande au lieu de la langue anglaise) et auxquels il a joint des notices
d’utilisation rédigées dans la langue officielle de l’État membre B au lieu de celle de l’État membre A ?

Le fait que les notices d’utilisation jointes par le tiers correspondent mot pour mot aux informations que le fabricant utilise dans le cadre de la commercialisation du produit dans l’État membre B fait-il en l’occurrence une différence ? »

21. Des observations écrites ont été déposées par Servoprax, Roche Deutschland, les gouvernements allemand et lituanien ainsi que par la Commission. À l’exception du gouvernement lituanien, les mêmes parties ont été entendues en leurs observations orales lors de l’audience du 6 avril 2016.

Analyse

Observations préliminaires

22. Il n’est pas contesté que les bandes-tests pour l’autodiagnostic du glucose sanguin sont des dispositifs destinés à des autodiagnostics au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous d), de la directive et doivent donc faire l’objet d’une évaluation de la conformité en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de cette directive ( 10 ).

23. La directive poursuit un double objectif dans la mesure où elle vise à la fois à garantir la libre circulation des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro au sein du marché intérieur et à garantir que ces dispositifs fournissent aux patients, aux utilisateurs et aux tiers un niveau élevé de protection de la santé ( 11 ).

24. Le système de marquage de conformité CE prévu à l’article 16 de la directive reflète ces deux objectifs. D’une part, les dispositifs qui sont réputés satisfaire aux exigences essentielles visées à l’annexe I de la directive doivent porter le marquage CE de conformité lors de leur mise sur le marché. Les deux procédures d’évaluation de la conformité auxquelles cette disposition se réfère impliquent l’intervention d’un organisme notifié. Elles supposent également un examen de l’étiquette ainsi que
de la notice d’utilisation ( 12 ).

25. D’autre part, le fait de remplir ces formalités entraîne une contrepartie. Une fois que les dispositifs ont subi l’évaluation de la conformité et qu’ils portent donc le marquage CE ( 13 ), les États membres ne peuvent pas faire obstacle à leur mise sur le marché et à leur mise en service sur leur territoire ( 14 ), sous réserve uniquement de la clause de sauvegarde de l’article 8 et de la procédure de vigilance de l’article 11 de la directive ( 15 ).

26. Les questions posées à la Cour l’invitent en substance à préciser le point suivant. Lorsqu’un distributeur parallèle a acheté des produits couverts par la directive qui ont déjà fait l’objet d’une évaluation de la conformité et qui portent le marquage de conformité CE et, afin de les commercialiser dans un autre État membre, appose une nouvelle étiquette et joint une notice d’utilisation dans la langue officielle de cet État membre qui sont matériellement identiques à ce que fournit le fabricant
lorsqu’il distribue ses propres produits par l’intermédiaire de son distributeur, le distributeur parallèle est-il tenu de soumettre les produits marqués CE qu’il souhaite vendre à une nouvelle procédure, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité avant de pouvoir légalement les commercialiser ?

27. L’exigence prévue à l’article 9 de la directive de soumettre tout dispositif couvert par cette directive à une procédure d’évaluation de la conformité ne s’applique qu’au « fabricant » de ce dispositif. La signification de ce concept est donc cruciale pour répondre à cette question.

Circulation interétatique, au sein de l’Union, des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro portant le marquage CE

28. L’article 9, paragraphe 11, de la directive exige que les dossiers et la correspondance se rapportant aux procédures d’évaluation de la conformité soient rédigés « dans une langue officielle de l’État membre où se déroulent ces procédures et/ou dans une autre langue [de l’Union] acceptée par l’organisme notifié » (mise en italique par mes soins). Par conséquent, et comme l’illustre d’ailleurs le litige au principal, une procédure d’évaluation de la conformité ne porte pas sur différentes
versions linguistiques de l’étiquette et de la notice d’utilisation d’un dispositif en vue de sa commercialisation dans différents États membres. Exiger de chaque organisme notifié d’être en mesure d’effectuer les procédures d’évaluation de la conformité dans les différentes langues officielles de tous les États membres dans lesquels le fabricant a souhaité commercialiser un nouveau dispositif serait contraire au libellé clair de l’article 9, paragraphe 11. Cela serait également pratiquement
impossible à mettre en œuvre.

29. En outre, la directive n’exige pas qu’un fabricant dont le dispositif a déjà subi une évaluation de la conformité par un organisme notifié dans un État membre soumette ce dispositif à une nouvelle procédure, ou une procédure supplémentaire, d’évaluation de la conformité dans un autre État membre où il souhaite également le commercialiser, même lorsque la langue officielle de cet État membre est différente. Il ressort de l’article 4, paragraphe 1, qu’à partir du moment où un dispositif a fait
l’objet d’une évaluation de la conformité et porte le marquage CE, les États membres ne peuvent pas faire obstacle à sa mise sur le marché ou à sa mise en service sur leur territoire, sous réserve uniquement de la clause de sauvegarde de l’article 8 et de la procédure de vigilance de l’article 11. Il serait à l’évidence incompatible avec cet objectif de libre circulation d’interpréter l’article 9 de la directive comme exigeant que le fabricant soumette un dispositif portant le marquage CE à une
nouvelle procédure, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité à chaque fois qu’il souhaite le commercialiser dans un État membre ayant une langue officielle différente de celle dans laquelle l’évaluation originale de la conformité avait été effectuée.

30. Toutefois, la directive établit un équilibre prudent entre l’objectif de libre circulation et l’objectif de protection de la santé. Ainsi, il ressort de l’article 4, paragraphe 4, de la directive que la règle de la libre circulation prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive est sans préjudice de la possibilité pour les États membres d’exiger, notamment, que les informations nécessaires pour que le dispositif puisse être utilisé correctement et en toute sécurité ou les informations
obligatoires sur l’étiquette ( 16 ) soient rédigées dans leur(s) langue(s) officielle(s) lors de la remise dudit dispositif à l’utilisateur final. La directive elle-même transforme cette option en obligation pour les dispositifs destinés à des autodiagnostics. Conformément à l’article 3, de la directive, lu en combinaison avec l’annexe I, partie B, point 8.1, sixième alinéa, de la directive, un fabricant qui commercialise un dispositif destiné à l’autodiagnostic est tenu de fournir avec celui-ci
une traduction de l’étiquette et de la notice d’utilisation dans la ou les langue(s) officielle(s) de l’État membre (ou des États membres) dans le(s)quel(s) le dispositif en question est remis à l’utilisateur final ( 17 ). Ici encore, cela n’implique pas une procédure nouvelle, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité.

31. Les mêmes principes s’appliquent-ils lorsqu’un distributeur indépendant commercialise dans un État membre des dispositifs ayant obtenu le marquage CE à la suite d’une procédure d’évaluation de la conformité dans un autre État membre et fournit une traduction de l’étiquette et de la notice d’utilisation dans la langue officielle du second État membre ?

32. À mon sens, la réponse est affirmative. Cela résulte d’abord de la lecture combinée de différentes dispositions de la directive.

33. Il ressort de la définition figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), premier alinéa, de la directive que le fait de mettre un produit sur le marché en son nom propre sert à identifier qui est un « fabricant» ( 18 ). Il en va de même pour l’article 1er, paragraphe 2, sous f), second alinéa, de la directive qui impose aux personnes physiques ou morales qui assemblent, conditionnent, traitent, remettent à neuf et/ou étiquettent un ou plusieurs produits préfabriqués et/ou leur assignent la
destination d’un dispositif les mêmes obligations que celles applicables aux « fabricants », mais seulement dans la mesure où ces personnes physiques ou morales mettent des produits sur le marché en leur nom propre.

34. Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous i), de la directive, un dispositif est mis sur le marché lorsqu’il est pour la première fois mis à disposition en vue de sa distribution et/ou de son utilisation sur le marché intérieur. Lorsqu’un fabricant vend en son nom propre des dispositifs à un opérateur économique indépendant qui a l’intention de les distribuer dans un autre État membre, les dispositifs sont mis pour la première fois sur le marché par le fabricant, et non par l’opérateur
économique indépendant.

35. Je rejette, dès lors, l’argument de Roche Deutschland selon lequel, lorsque Servoprax a ajouté une étiquette et une notice d’utilisation en allemand aux dispositifs destinés à des autodiagnostics qu’elle a distribués en Allemagne, Servoprax a agi comme un « fabricant » mettant ces dispositifs sur le marché allemand. Il ressort clairement des éléments à la disposition de la Cour que Servoprax n’a pas mis ces dispositifs sur le marché en son nom propre mais les a plutôt vendus en Allemagne alors
qu’ils avaient déjà été « mis sur le marché » dans un autre État membre. Il est, certes, vrai que Servoprax s’est clairement identifié comme l’importateur et le distributeur des dispositifs en question en Allemagne. Cela n’implique cependant pas qu’il les ait commercialisés dans cet État membre « en son nom propre », ce qui aurait supposé que Servoprax se présentât aux acheteurs comme le fabricant des dispositifs ( 19 ).

36. Par conséquent, dans des circonstances telles que celles de la procédure au principal, le distributeur ne saurait être considéré ni comme un « fabricant » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), premier alinéa, de la directive, ni comme une personne soumise aux mêmes obligations que les fabricants conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), second alinéa, de cette directive ( 20 ). Par conséquent, un tel distributeur n’est pas tenu de soumettre les dispositifs qu’il
commercialise dans l’Union à une nouvelle procédure, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité, conformément à l’article 9 de la directive.

37. Cela correspond en substance à la recommandation faite par la Commission dans sa proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (ci-après la « proposition de nouveau règlement ») ( 21 ). La Commission y suggère qu’un distributeur devrait être soumis aux obligations pesant sur les fabricants (y compris celles relatives à l’évaluation de la conformité) ( 22 ) s’il modifie un dispositif déjà mis sur le marché ou mis en service
d’une manière telle que cette dernière peut influer sur la conformité de celui-ci avec les exigences applicables ( 23 ). Toutefois, cette règle ne s’applique pas lorsque le distributeur fournit simplement une traduction de l’étiquette et de la notice d’utilisation fournies par le fabricant concernant un dispositif déjà mis sur le marché et des informations complémentaires nécessaires à la commercialisation du produit dans l’État membre concerné ( 24 ).

38. Selon moi, il est sans importance que la notice d’utilisation que le distributeur ajoute aux dispositifs commercialisés dans l’État membre de distribution corresponde ou non mot pour mot à la notice d’utilisation fournie par le fabricant avec ces dispositifs dans cet État membre. Cela n’a pas d’incidence sur le point de savoir si le distributeur met le dispositif sur le marché en son nom propre et est donc dépourvu de pertinence afin de déterminer s’il est tenu ou pas de soumettre celui‑ci à une
nouvelle évaluation de la conformité conformément à l’article 9 de la directive.

39. Par ailleurs, la conclusion à laquelle je suis parvenue ne compromet pas l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé.

40. Conformément à l’article 3 de la directive, les dispositifs doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à l’annexe I de la directive qui leur sont applicables compte tenu de leur destination ( 25 ). Par conséquent, dans une situation telle que celle faisant l’objet de la procédure au principal, le distributeur est tenu de s’assurer que la notice d’utilisation et l’étiquette du dispositif destiné à des autodiagnostics qu’il vend dans un État membre contiennent toutes les informations
nécessaires pour utiliser le dispositif correctement et en toute sécurité, et qu’elles comportent une traduction dans la ou les langue(s) officielle(s) de cet État membre ( 26 ). Cela reflète les exigences applicables aux fabricants eux-mêmes lorsqu’ils étendent leur commercialisation d’un dispositif d’autodiagnostic à d’autres États membres de l’Union ( 27 ).

41. Les divers mécanismes de mise en œuvre sont de nature à inciter le respect de ces exigences.

42. Ainsi, un distributeur violant lesdites exigences pourrait être tenu responsable de tout préjudice causé par sa négligence et, partant, être tenu d’indemniser les victimes (mise en œuvre du droit par la sphère privée).

43. De surcroît, l’article 2 de la directive impose aux États membres de garantir que les dispositifs satisfont aux exigences de sécurité et de qualité qu’elle énonce lorsque lesdits dispositifs sont « mis sur le marché ». Selon moi, eu égard à l’objectif de la directive d’assurer un niveau élevé de protection de la santé, cela implique de contrôler la sécurité et la qualité des dispositifs que les distributeurs indépendants (comme Servoprax) commercialisent sur leur territoire, y compris en ce qui
concerne la qualité et l’accessibilité des informations nécessaires pour utiliser les dispositifs correctement et en toute sécurité (mise en œuvre du droit par la sphère publique) ( 28 ).

44. Cette obligation de contrôle est complétée par la procédure de vigilance énoncée à l’article 11 de la directive, qui impose aux États membres de procéder à un enregistrement et à une évaluation centralisés de toute information portée à leur connaissance relative notamment à « toute inadéquation dans l’étiquetage ou les instructions d’utilisation » d’un dispositif portant le marquage CE susceptible de menacer la vie d’un patient, d’un utilisateur ou d’autres personnes, ou d’entraîner la
dégradation grave de leur état de santé, et d’informer immédiatement la Commission (et les autres États membres) sur la question de savoir si des mesures appropriées (pouvant aller jusqu’à retirer le dispositif du marché) ont été prises ou sont envisagées. À mes yeux, cette procédure de vigilance devrait être activée si un État membre découvrait qu’un distributeur a commercialisé un dispositif médical de diagnostic in vitro sur son territoire avec une étiquette et/ou une notice d’utilisation
susceptibles d’entraîner un risque grave pour la santé et la sécurité humaines.

45. Cela étant dit, je ne suis pas d’accord avec la Commission lorsqu’elle soutient que, dans une situation telle que celle faisant l’objet de la procédure au principal, le distributeur, avant de reconditionner et de mettre en vente un dispositif médical de diagnostic in vitro, est tenu de procéder à une notification préalable au fabricant dudit dispositif, afin de permettre à celui-ci de vérifier si l’étiquetage et les informations fournies avec le dispositif respectent toutes les exigences
applicables ( 29 ). La Commission a cherché ici à établir une analogie entre le marquage de conformité CE et la protection due aux propriétaires de marque lorsque leurs produits pharmaceutiques couverts par une marque donnent lieu à une distribution parallèle au sein du marché intérieur ( 30 ). La Commission a également soutenu que cela correspond, en substance, à ce qui est envisagé dans la proposition de nouveau règlement.

46. Une procédure de notification préalable telle qu’exposée au point 45 des présentes conclusions ne trouve selon moi aucun fondement dans le droit de l’Union actuellement en vigueur.

47. La jurisprudence en matière de marques à laquelle renvoie la Commission ne saurait conduire à un tel résultat par analogie. La procédure de notification et d’autorisation préalables développée par cette jurisprudence vise à réconcilier la libre circulation des produits pharmaceutiques avec l’intérêt légitime des titulaires de marques d’être protégés, en particulier, contre des reconditionnements opérés par des distributeurs parallèles et qui seraient de nature soit à affecter l’état originaire
du produit, soit à nuire à la réputation de la marque ( 31 ). Cet intérêt légitime résulte de l’objet spécifique du droit de marque, qui est notamment d’assurer au titulaire qu’il a le droit exclusif d’utiliser cette marque aux fins de mettre un produit sur le marché pour la première fois et donc de le protéger contre des concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de celle-ci ( 32 ). Si la Cour a conclu que, en
raison de la libre circulation des biens, le titulaire de la marque ne pourrait pas s’appuyer sur ses droits en tant que titulaire afin de s’opposer à la commercialisation sous sa marque de produits reconditionnés par un importateur parallèle, elle a également estimé nécessaire de protéger le titulaire contre tout abus de sa marque ( 33 ).

48. Le marquage CE apposé sur un produit ne confère pas un tel droit exclusif au fabricant du produit. L’objet du marquage CE est différent. Comme il ressort clairement de l’article 30, paragraphe 3, du règlement (CE) no 765/2008 ( 34 ), le fait d’apposer un marquage CE sur un produit indique seulement que le fabricant « assume la responsabilité de la conformité du produit avec toutes les exigences applicables définies dans la législation communautaire d’harmonisation pertinente qui prévoit son
apposition », y compris donc, le cas échéant, avec les exigences prévues par la directive ( 35 ). Cet engagement ne confère pas au fabricant un droit exclusif qui justifierait d’obliger un distributeur indépendant, dans une situation telle que celle faisant l’objet de la procédure au principal, à obtenir l’autorisation du fabricant avant de commercialiser le dispositif dans l’État membre de distribution. Cette conclusion est évidemment sans préjudice des obligations que j’ai identifiées au
point 40 des présentes conclusions et qui (conformément au droit déjà en vigueur) pèsent sur le distributeur dans de telles circonstances.

49. Enfin, les parties se sont penchées sur la différence d’unités de mesure relatives aux valeurs limites pour la solution de contrôle figurant sur les bandes‑tests Accu-Chek Aviva commercialisées par Roche Deutschland sur le marché allemand (c’est-à-dire à la fois mmol/l et mg/dl) et sur le même produit vendu par Servoprax dans cet État membre à partir du mois de juin 2010 et jusqu’à l’automne de cette année-là (mmol/l uniquement). Lors de l’audience, Roche Deutschland a en substance confirmé
qu’elle avait décidé d’ajouter l’unité de mesure « mg/dl » sur les bandes-tests qu’elle vendait en Allemagne afin de tenir compte des usages et des exigences légales dans cet État membre. Elle a également indiqué que cette unité de mesure faisait partie de l’évaluation de la conformité réalisée par l’organisme notifié sis au Royaume-Uni, en plus du « mmol/l ». Sur cette base, Roche Deutschland a soutenu que la sécurité des patients pourrait être compromise par les activités de Servoprax et que,
pour cette raison, une évaluation complémentaire de la conformité était nécessaire.

50. Je ne partage pas cet avis.

51. Tout d’abord, j’observe que l’affirmation de Roche Deutschland selon laquelle il n’était pas légal de commercialiser les bandes-tests Accu-Chek Aviva et Accu-Chek Compact en Allemagne uniquement avec le « mmol/l » comme unité de mesure a été catégoriquement contredite lors de l’audience par le gouvernement allemand. De plus, rien dans les éléments dont dispose la Cour ne suggère qu’une telle interdiction existerait en Allemagne.

52. Ensuite, et en tout état de cause, les dispositifs que Servoprax a distribués sur le marché allemand portaient le marquage CE et avaient fait l’objet d’une évaluation de la conformité en application de l’article 9 de la directive. Le fabricant de ces dispositifs a ainsi assumé la responsabilité de leur conformité avec toutes les exigences applicables prévues par la directive ( 36 ). Par conséquent, les dispositifs pouvaient être commercialisés partout dans l’Union sans une nouvelle évaluation,
ou une évaluation complémentaire, de la conformité, sous réserve (notamment) du respect des exigences prévues à l’annexe I, partie B, point 8.1, premier, deuxième et sixième alinéas, de la directive. Comme je l’ai expliqué, un distributeur agissant en méconnaissance de ces exigences prendrait le risque d’une action civile et pourrait également être soumis à des mesures de mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ( 37 ).

53. Lors de l’audience, Roche Deutschland a également essayé de s’appuyer sur l’arrêt Laboratoires Lyocentre ( 38 ). La Cour a examiné dans cette affaire le point de savoir si la classification d’un produit dans un État membre en tant que dispositif médical portant le marquage CE, conformément à la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux ( 39 ), interdisait aux autorités compétentes d’un autre État membre de classer le même produit, sur la base d’une action
pharmacologique, immunologique ou métabolique, en médicament au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ( 40 ). Tout en répondant par la négative à cette question, la Cour a souligné que, avant de reclasser le produit, les autorités nationales compétentes devaient d’abord appliquer la procédure prévue à l’article 18 de la directive
93/42 pour les marquages CE indûment apposés. Par contraste, la présente affaire ne concerne pas une situation dans laquelle les autorités d’un État membre estiment qu’un marquage CE a été indûment apposé sur un dispositif commercialisé sur le territoire de cet État membre, ou qu’il a été apposé, conformément à la directive, sur un produit qui n’est en réalité pas couvert par la directive ( 41 ). Au contraire, rien ne suggère que le marquage CE a été apposé indûment ou de manière inopportune sur
les bandes-tests en question dans la procédure au principal ( 42 ).

Conclusion

54. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit en réponse aux questions posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) :

1) La directive 98/79/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 octobre 1998, relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, telle que modifiée en dernier lieu par la directive 2011/100/UE de la Commission, du 20 décembre 2011, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’exige pas d’un distributeur parallèle qu’il soumette des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro à une nouvelle procédure, ou une procédure complémentaire, d’évaluation de la conformité dans la ou les langue(s)
officielle(s) de l’État membre dans lequel ce distributeur parallèle a l’intention de les commercialiser lorsque les dispositifs en question ont déjà fait l’objet, conformément à l’article 9 de la directive 98/79, d’une évaluation de la conformité dans un autre État membre et dans une autre langue, et qu’ils portent dès lors le marquage CE de conformité, et lorsque le distributeur parallèle joint une nouvelle étiquette et une nouvelle notice d’utilisation dans cette(ces) langue(s)
officielle(s).

2) Il est sans importance que la notice d’utilisation que le distributeur parallèle joint aux dispositifs commercialisés dans l’État membre de distribution corresponde ou non mot pour mot à la notice d’utilisation fournie par le fabricant avec ces dispositifs lorsqu’il les commercialise dans cet État membre.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998 (JO 1998, L 331, p. 1). La version de cette directive applicable aux faits dans le litige au principal est celle qui a été modifiée, en dernier lieu, par la directive 2011/100/UE de la Commission du 20 décembre 2011 (JO 2011, L 341, p. 50)

( 3 ) Considérants 2 et 3.

( 4 ) Considérant 5.

( 5 ) Voir, également, considérant 19 indiquant que « l’activité de fabrication […] comporte également le conditionnement des dispositifs dans la mesure où ce conditionnement est lié aux aspects de sécurité et de performance du dispositif ».

( 6 ) Annexe I, partie B, point 8.1, premier alinéa, de la directive.

( 7 ) Annexe I, partie B, point 8.1, deuxième alinéa, de la directive.

( 8 ) Annexe I, partie B, point 8.1, sixième alinéa, de la directive.

( 9 ) 1 mmol/l équivaut environ à 18 mg/dl.

( 10 ) Annexe II, liste B, neuvième tiret, de la directive.

( 11 ) Considérants 2, 3 et 5 de la directive.

( 12 ) Voir annexe IV, point 3.2, sous c), et annexe V, point 3, lus en combinaison avec l’annexe III, point 3, douzième tiret, de la directive.

( 13 ) Il ressort des éléments dont dispose la Cour que les bandes-tests Accu-Chek Aviva et Accu‑Chek Compact que Servoprax a achetées aux fins d’une distribution parallèle en Allemagne remplissaient ces conditions.

( 14 ) Article 4, paragraphe 1, de la directive.

( 15 ) Voir, concernant cette dernière procédure, point 44 des présentes conclusions.

( 16 ) Annexe I, partie B, points 8.1 et 8.4, de la directive.

( 17 ) Le contrôle du respect de cette exigence fait partie des obligations des États membres aux termes de l’article 2 de la directive. Voir point 43 des présentes conclusions.

( 18 ) Ce dernier élément fait également en substance partie de la définition du « fabricant » figurant à l’annexe I, article R1, paragraphe 3, de la décision no 768/2008/CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 juillet 2008, relative à un cadre commun pour la commercialisation des produits et abrogeant la décision 93/465/CEE (JO 2008, L 218, p. 82), laquelle mentionne la commercialisation d’un produit par une personne physique ou morale « sous son propre nom ou sa propre marque ».

( 19 ) Si cela avait été le cas, Servoprax aurait en effet été tenue de respecter les mêmes obligations que le fabricant dans les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), de la directive.

( 20 ) Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’exception contenue à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), second alinéa, seconde phrase, de la directive, qui concerne les personnes qui, tout en n’étant pas des fabricants, assemblent ou adaptent, conformément à leur destination, des dispositifs déjà mis sur le marché pour un patient individuel.

( 21 ) COM(2012) 541 final. Le 24 mai 2016, la présidence néerlandaise du Conseil de l’Union européenne ainsi que des représentants du Parlement européen sont parvenus à un accord politique sur un nouveau règlement relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (http://www.consilium.europa.eu/en/policies/new-rules-medical-in-vitro-diagnostic-devices/). Au moment d’écrire ces lignes, toutefois, cet accord devait encore être approuvé par le Comité des représentants permanents du Conseil de
même que par la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement.

( 22 ) Article 40 du projet de règlement.

( 23 ) Voir article 14, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du projet de règlement.

( 24 ) Article 14, paragraphe 2, sous a), de la proposition de nouveau règlement. Cependant, en vertu de la proposition de nouveau règlement, le distributeur est tenu d’indiquer l’activité effectuée, ainsi que son nom, sa raison sociale ou sa marque déposée et l’adresse à laquelle il peut être joint, et son lieu d’établissement sur le dispositif ou, si c’est impossible, sur son emballage ou dans un document accompagnant le dispositif (article 14, paragraphe 3, premier alinéa). En outre, le
distributeur doit disposer d’un système de gestion de la qualité prévoyant des procédures qui garantissent notamment que la traduction des informations est fidèle et à jour (article 14, paragraphe 3, second alinéa).

( 25 ) Cette règle s’applique indépendamment du point de savoir si les dispositifs sont « mis sur le marché » ou simplement « mis en service ».

( 26 ) Annexe I, partie B, point 8.1, premier et sixième alinéas, de la directive. Voir, par analogie, l’arrêt du 8 septembre 2005, Yonemoto (C‑40/04, EU:C:2005:519, points 47 et 48). Dans certains cas (contrairement à la procédure au principal), le fabricant ne commercialise pas le dispositif dans l’État membre au sein duquel un distributeur indépendant le distribue. Il se peut dans ce cas que les informations du fabricant sur l’étiquette et la notice d’utilisation ne soient pas disponibles dans la
ou les langue(s) officielle(s) de cet État membre. Le distributeur est alors tenu de produire ces informations en traduisant les informations disponibles avec le dispositif dans une autre langue.

( 27 ) Voir point 30 des présentes conclusions. Cela fait également écho à la décision no 768/2008, qui impose notamment aux distributeurs d’agir « avec la diligence requise en ce qui concerne les exigences applicables » et, avant de mettre un produit à disposition sur le marché, de vérifier « qu’il porte le ou les marquages de conformité requis » et « qu’il est accompagné des documents requis ainsi que d’instructions et d’informations de sécurité fournies dans une langue aisément compréhensible par
les consommateurs et autres utilisateurs finals de l’État membre dans lequel le produit doit être mis à disposition sur le marché » (annexe I, article R5, paragraphes 1 et 2, de la décision no 768/2008). Toutefois, la décision no 768/2008 se limite à énoncer le cadre commun des principes généraux et les dispositions de référence pour la future législation de l’Union visant à harmoniser les conditions de commercialisation des produits. Elle ne crée pas en elle-même d’obligations à charge des
distributeurs dans une situation telle que celle faisant l’objet de la procédure au principal.

( 28 ) Annexe I, partie B, point 8.1, de la directive.

( 29 ) Les arguments de la Commission lors de l’audience n’ont pas fait ressortir clairement si celle-ci soutenait cette thèse sur la base du droit actuellement en vigueur ou de la proposition de nouveau règlement.

( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, EU:C:1978:108); du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93, EU:C:1996:282), et du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a. (C‑143/00, EU:C:2002:246).

( 31 ) Arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, EU:C:1978:108, points 7 à 12), et du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a. (C‑143/00, EU:C:2002:246, points 61 et 62).

( 32 ) Arrêt du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93, EU:C:1996:282, point 44).

( 33 ) Arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, EU:C:1978:108, points 11 et 12), et du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93, EU:C:1996:282, points 68 et 69).

( 34 ) Du Parlement européen et du Conseil, du 9 juillet 2008, fixant les prescriptions relatives à l’accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits et abrogeant le règlement (CEE) no 339/93 du Conseil (JO 2008, L 218, p. 30). Le règlement no 765/2008 pose les principes généraux du marquage CE (article 1er, paragraphe 4).

( 35 ) Cela est conforme à la définition du « marquage CE » comme un « marquage par lequel le fabricant indique que le produit est conforme aux exigences applicables de la législation communautaire d’harmonisation prévoyant son apposition » (article 2, paragraphe 20, du règlement no 765/2008).

( 36 ) Voir point 48 des présentes conclusions.

( 37 ) Voir points 42 et 43 des présentes conclusions.

( 38 ) Arrêt du 3 octobre 2013 (C‑109/12, EU:C:2013:626).

( 39 ) JO 1993, L 169, p. 1.

( 40 ) JO 2001, L 311, p. 67.

( 41 ) L’article 17 de la directive régit spécifiquement la question du marquage CE indûment apposé.

( 42 ) Voir point 15 des présentes conclusions.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-277/15
Date de la décision : 16/06/2016
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Dispositifs médicaux de diagnostic in vitro – Directive 98/79/CE – Importation parallèle – Traduction par l’importateur des indications et de la notice d’utilisation fournies par le fabricant – Procédure d’évaluation complémentaire de conformité.

Rapprochement des législations

Santé publique


Parties
Demandeurs : Servoprax GmbH
Défendeurs : Roche Diagnostics Deutschland GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:457

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award