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30/01/2003 | CJUE | N°C-393/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 30 janvier 2003., République française contre Commission des Communautés européennes., 30/01/2003, C-393/01


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 30 janvier 2003 ( 1 )

I — Introduction et cadre réglementaire

1. Une fois de plus, la Cour est appelée à statuer sur un problème lié à l'encéphalopathie spongiforme bovine (ci-après l'«ESB») et aux dispositions prises par la Communauté pour faire face aux graves problèmes pour la santé humaine et pour la santé animale engendrés par cette maladie. Nous avons déjà eu l'occasion de vous en exposer le cadre factuel et scientifique ( 2 ), qui vous est

à présent certainement bien connu.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 30 janvier 2003 ( 1 )

I — Introduction et cadre réglementaire

1. Une fois de plus, la Cour est appelée à statuer sur un problème lié à l'encéphalopathie spongiforme bovine (ci-après l'«ESB») et aux dispositions prises par la Communauté pour faire face aux graves problèmes pour la santé humaine et pour la santé animale engendrés par cette maladie. Nous avons déjà eu l'occasion de vous en exposer le cadre factuel et scientifique ( 2 ), qui vous est à présent certainement bien connu.

2. En l'espèce, nous sommes en présence d'un recours en annulation introduit par la République française contre la décision 2001/577/CE de la Commission, du 25 juillet 2001, fixant la date à laquelle l'expédition à partir du Portugal de produits bovins dans le cadre du régime d'exportation fondé sur la date peut commencer au titre de l'article 22, paragraphe 2, de la décision 2001/376/CE ( 3 ) (ci-après la «décision attaquée»).

3. Selon les critères de l'OIE (Organisation internationale des épizooties), critères repris par la réglementation communautaire, le Portugal connaît une haute densité d'ESB. C'est la raison pour laquelle la Commission a adopté, le 18 novembre 1998, la décision 98/653/CE concernant certaines mesures d'urgence rendues nécessaires par les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine apparus au Portugal ( 4 ), qui prévoit, notamment, en son article 4:

«Jusqu'au 1er août 1999, le Portugal veille à ce que ne soient pas expédiés à partir de son territoire vers les autres États membres ou vers les pays tiers, quand ils sont obtenus à partir de bovins abattus au Portugal:

a) des viandes;

b) des produits susceptibles d'entrer dans la chaîne alimentaire humaine ou animale;

c) des matériels destinés à être utilisés dans des produits cosmétiques, des médicaments ou des dispositifs médicaux.»

4. En vertu de l'article 14 de cette décision, la République portugaise était tenue de transmettre à la Commission, toutes les quatre semaines, un rapport sur l'application des mesures de protection prises contre les EST (encephalopathies spongiformes transmissibles), conformément aux dispositions communautaires et nationales ainsi que sur le résultat des programmes visés à l'article 13.

5. L'article 15 prévoyait que «la Commission effectue des inspections communautaires sur place au Portugal:

a) pour vérifier l'application des dispositions de la présente décision, en particulier en ce qui concerne les contrôles officiels;

b) pour examiner l'évolution de l'incidence de la maladie et la mise en œuvre effective de toutes les mesures nationales pertinentes, et pour procéder à une évaluation des risques, visant à démontrer que les mesures appropriées ont été prises pour gérer tout risque.»

6. L'embargo a été prorogé jusqu'au 1er février 2000 par la décision 1999/517/CE de la Commission, du 28 juillet 1999, modifiant la décision 98/653 ( 5 ). Cette décision a fait l'objet d'un recours en annulation introduit par la République portugaise, qui a été rejeté par la Cour ( 6 ).

7. L'embargo a ensuite été prorogé pour une durée indéterminée, par la décision 2000/104/CE de la Commission, du 31 janvier 2000, modifiant la décision 98/653 ( 7 ).

8. Les conditions de la levée de l'embargo ont été établies par la décision 2001/376/CE de la Commission, du 18 avril 2001, concernant certaines mesures rendues nécessaires par les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine apparus au Portugal et mettant en œuvre un régime d'exportation fondé sur la date ( 8 ).

9. L'historique de cette décision et le mécanisme qu'elle met en œuvre sont largement explicités dans ses considérants. Ceux-ci exposent, entre autres, ce qui suit:

«(6) Une mission effectuée au Portugal par l'Office alimentaire et vétérinaire du 14 au 18 juin 1999 est parvenue à la conclusion que le rappel des stocks existants était achevé et que les contrôles de l'efficacité de l'interdiction relative à l'alimentation animale étaient correctement effectués.

(7) L'interdiction d'utiliser les matériels à risques spécifiés dans l'alimentation humaine ou animale a été introduite au Portugal le 4 décembre 1998. Cette interdiction a été prorogée conformément à la décision 2000/418/CE de la Commission du 29 juin 2000 réglementant l'utilisation des matériels présentant des risques au regard des encephalopathies transmissibles ( 9 ), telle que modifiée par la décision 2001/2/CE ( 10 ).

(8) Selon le plan national d'éradication de l'ESB mis en place au Portugal, les cohortes de naissance et la descendance des animaux atteints d'ESB doivent être abattus et détruits.

(9) Un nouveau système national centralisé d'identification et d'enregistrement des bovins (SNIRB) a été adopté au Portugal, le 1er juillet 1999.

(10) Le Portugal a présenté à la Commission le 3 décembre 1999 une première proposition de régime d'exportation fondé sur la date visant à autoriser, dans certaines conditions, l'expédition de produits provenant d'animaux nés après une certaine date. Cette proposition technique a été ensuite amendée et complétée le 18 février, le 24 mars, le 27 juillet et le 22 septembre. Cette proposition amendée et complétée fournit un cadre adéquat pour l'autorisation d'expédier et d'exporter des produits
issus de bovins abattus au Portugal.

(11) Avant que les expéditions de viandes et produits à base de viande ne puissent commencer, les mesures de mise en œuvre du régime d'exportation et d'abattage de la descendance ( 11 ) devront être examinées par l'Office alimentaire et vétérinaire de la Commission. Si cet examen s'avère satisfaisant, la Commission fixera la date à laquelle les expéditions pourront commencer.»

10. L'article 6 de la décision 2001/376 renouvelle l'interdiction d'exporter des viandes fraîches désossées, des produits susceptibles d'entrer dans la chaîne alimentaire ou animale, ainsi que des matériels destinés à être utilisés dans des produits cosmétiques, des médicaments ou des dispositifs médicaux.

11. L'article 7 de la décision 2001/376 prévoit, cependant, que le Portugal peut autoriser l'expédition, à partir de son territoire vers d'autres États membres ou des pays tiers, d'aminoacides, de peptides et de suif produits dans des établissements placés sous surveillance vétérinaire.

12. L'article 11, paragraphe 1, de la décision 2001/376 prévoit également que, par dérogation à l'article 6, le Portugal peut autoriser l'expédition de viandes et de produits vers d'autres États membres ou vers des pays tiers dans les conditions visées à différents articles de la décision ainsi qu'à son annexe IV, intitulée «Régime d'exportation fondé sur la date (DBES)».

13. L'article 11, paragraphes 1 à 4, de la décision 2001/376 prévoit des conditions particulières relatives aux abattoirs, aux établissements de découpe, au stockage et au transport des viandes.

14. L'article 12 de la décision 2001/376 prévoit que les viandes et produits exportés dans le cadre du régime DBES doivent être identifiés au moyen d'une marque distincte supplémentaire.

15. L'annexe IV de la décision 2001/376 établit les conditions générales du régime DBES et détermine les animaux éligibles au titre de ce régime. Elle impose diverses mesures spécifiques tels des contrôles avant l'abattage, l'abattage des animaux éligibles uniquement dans des abattoirs qui ne sont pas utilisés pour l'abattage de bovins inéligibles, le contrôle de la découpe des viandes, des conditions de traçabilité ainsi que d'identification des carcasses éligibles.

16. L'article 20 de la décision 2001/376 reprend l'obligation, pour les autorités portugaises, de soumettre régulièrement des rapports à la Commission, qui figurait déjà dans la décision 98/653.

17. L'article 21 de la décision 2001/376 prévoit notamment:

«La Commission effectue des inspections communautaires sur place:

a) au Portugal, pour vérifier l'exécution des contrôles officiels concernant chacun des produits visés aux articles 7 et 8 avant que l'expédition desdits produits puisse commencer ou reprendre;

b) au Portugal, pour vérifier l'application des dispositions des articles 11 et 12 et de l'annexe IV avant que l'expédition desdits produits puisse commencer ou reprendre;

c) au Portugal, pour vérifier l'application des dispositions de la présente décision, en particulier en ce qui concerne l'exécution des contrôles officiels;

d) au Portugal, pour examiner l'évolution de l'incidence de la maladie et la mise en œuvre effective des dispositions nationales pertinentes, et pour procéder à une évaluation des risques visant à démontrer que des mesures appropriées ont été prises pour gérer tout risque;

e) dans l'État membre de destination, pour vérifier l'application, le cas échéant, des dispositions de l'article 5 et de l'annexe II avant que l'expédition des matériels visés à l'article 5 puisse commencer.»

18. L'article 22, paragraphe 2, de la décision 2001/376 est rédigé comme suit:

«La Commission, tenant compte des inspections visées à l'article 21, et après avoir informé les États membres, fixe les dates auxquelles l'expédition des matériels et des produits peut commencer ou reprendre en application des articles 5, 7 et 11.»

II — La décision attaquée

19. C'est le 25 juillet 2001 que la Commission a adopté la décision attaquée, qui fixe au 1er août 2001 la date à laquelle l'expédition à partir du Portugal de produits bovins peut commencer.

20. Cette décision faisait suite à un certain nombre d'inspections communautaires jugées positives par la Commission. C'est ainsi que les deuxième et troisième considérants de la décision attaquée énoncent:

«(2) Les inspections réalisées au Portugal par les services de la Commission du 14 au 18 mai 2001 et du 25 au 27 juin 2001, notamment en vue d'évaluer le régime des contrôles vétérinaires conformément aux articles 11 et 12 et à l'annexe IV de la décision 2001/376/CE, ont révélé que les conditions étaient dûment remplies.

(3) La Commission a présenté aux États membres réunis au sein du comité vétérinaire permanent les résultats des inspections et les conséquences qu'elle en a tirées. La Commission a reçu du Portugal des garanties quant à l'application intégrale et à la mise en œuvre effective de la législation communautaire relative à la surveillance et à l'éradication des EST, en plus de celles requises par le rapport de l'Office alimentaire et vétérinaire.»

III — Conclusions des parties et interventions

21. Estimant que les conditions de levée de l'embargo sur la viande bovine portugaise n'étaient pas réunies, la République française a introduit un recours en annulation de la décision attaquée.

22. La partie requérante conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

— annuler la décision attaquée;

— condamner la Commission aux dépens.

23. La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

— rejeter le recours comme non fondé;

— condamner la requérante aux dépens.

24. Par ordonnance du président de la Cour du 1er mars 2002, la République portugaise a été admise à intervenir dans l'affaire à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.

25. Par ordonnance du président de la Cour du 8 mars 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a été admis à intervenir dans l'affaire à l'appui des conclusions de la Commission. Toutefois, au vu des mémoires déposés par les parties, le gouvernement du Royaume-Uni a fait savoir qu'il n'avait rien à ajouter aux arguments présentés par la Commission et qu'il renonçait à déposer lui-même un mémoire.

IV — Arguments des parties et appréciation

A — Sur la charge de la preuve

26. Le gouvernement français précise qu'il ne conteste pas le principe de la levée de l'embargo, mais la date fixée pour celle-ci. Il rappelle que la levée de l'embargo est une dérogation à cet embargo pour certains produits et soutient que c'est à la Commission, qui a estimé remplies les conditions de cette dérogation, de démontrer qu'elles l'étaient effectivement.

27. Pour sa part, la Commission soutient que l'adoption d'une telle décision nécessite une mise en balance du principe de précaution et du principe de proportionnalité. Il conviendrait, dès lors, de nuancer l'affirmation selon laquelle ce serait à la Commission d'établir que les conditions de la levée de l'embargo étaient effectivement remplies. Par ailleurs, la décision attaquée bénéficierait, comme tout autre acte communautaire, de la présomption de légalité. Il y aurait, dès lors, lieu de faire
application du principe procédural selon lequel la charge de la preuve appartient à la partie demanderesse, en l'espèce le gouvernement français.

28. À cet égard, il suffit de constater que le gouvernement français s'est employé à démontrer, dans le présent recours, que la mise en conformité de la République portugaise avec les conditions posées par la décision 2001/376 n'était pas réalisée à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée. Ce gouvernement ne conteste donc pas l'applicabilité du principe actori incumbit probado. Il nous appartient dès lors d'analyser les moyens invoqués par le gouvernement français afin de déterminer
s'il est parvenu à prouver sa thèse.

B — Premier moyen: violation des articles 21 et 22 de la décision 2001/376 et erreur manifeste d'appréciation

1) Les arguments des parties

a) Les arguments du gouvernement français

29. Le gouvernement français soutient que la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que les inspections réalisées au Portugal avaient démontré que les conditions de la décision 2001/376 étaient remplies.

30. Pour le gouvernement français, il convient d'interpréter les termes «tenant compte des inspections visées à l'article 21», figurant à l'article 22, paragraphe 2, de la décision 2001/376, en ce sens qu'ils font dépendre la sortie de l'embargo de la réalisation et des résultats des inspections énumérées à l'article 21.

31. Or, estime le gouvernement français, la Commission aurait adopté la décision attaquée sans avoir procédé à l'ensemble des inspections prévues à l'article 21 de la décision 2001/376.

32. En effet, conformément audit article 21, ces inspections étaient appelées à vérifier:

— l'application des dispositions des articles 11 et 12 et de l'annexe IV de la décision 2001/376;

— l'application des dispositions de la décision 2001/376, notamment en ce qui concerne l'exécution des contrôles officiels, ainsi que

— l'évolution de l'incidence de la maladie et la mise en œuvre effective des dispositions nationales pertinentes et à procéder à une évaluation des risques visant à démontrer que des mesures appropriées ont été prises pour gérer tout risque.

33. Selon le gouvernement français, le dernier rapport d'inspection de l'Office alimentaire et vétérinaire (ci-après l'«OAV») dont il a eu communication avant la décision attaquée est le rapport du 25 au 27 juin 2001, qui porte sur les conditions générales d'exportation du régime DBES et, notamment, l'agrément des établissements, les troupeaux éligibles, les animaux éligibles, les contrôles dans les abattoirs et les ateliers de découpe ainsi que la certification et le transport. En revanche, ce
rapport ne comporterait pas d'examen de l'incidence de la maladie et de la mise en œuvre des dispositions nationales pertinentes et ne procéderait pas à une évaluation des risques visant à démontrer que des mesures appropriées ont été prises pour gérer tout risque.

34. Or, de l'avis du gouvernement français, les inspections portant sur l'exécution des contrôles officiels [article 21, sous c)] ainsi que celles portant sur l'évolution de la maladie et l'évaluation des risques et des mesures prises [article 21, sous d)], à effectuer au Portugal, se cumulent avec les inspections spécifiques au régime DBES. Ceci serait confirmé par l'article 22, paragraphe 2, qui n'opère pas de distinction selon les catégories d'inspections dont la Commission doit tenir compte,
ainsi que par le contenu et l'enchaînement des considérants de la décision 2001/376. Les huitième et neuvième considérants rappelleraient deux conditions préalables au régime DBES: le plan national portugais d'éradication de l'ESB et le nouveau système d'identification et d'enregistrement des bovins. Le onzième considérant imposerait à l'OAV d'examiner tant les mesures de mise en œuvre du régime d'exportation que les mesures d'abattage de la descendance. Ce ne serait que dans le cas où tous ces
examens s'avéreraient satisfaisants que la Commission serait en droit de fixer la date à laquelle les expéditions pourront commencer.

35. Par ailleurs, à l'audience, l'agent du gouvernement français a relevé qu'il est souhaitable que, en l'occurrence, le contrôle du régime DBES aille de pair avec une évaluation plus générale de la situation, permettant, notamment, de déterminer si, de bonne foi, un animal suspect n'aurait pas pu bénéficier de l'élection au titre du régime DBES.

36. Pour le gouvernement français, au moment où le rapport d'inspection a été déposé, la réglementation et la circulaire relative au manuel d'application du régime DBES n'étaient pas en vigueur, certaines inspections de l'OAV étaient encore attendues et donc les dispositions de l'article 21, sous c), de la décision 2001/376 n'avaient pas été respectées en ce qui concerne «l'exécution des contrôles officiels».

37. Le gouvernement français ajoute que le délai entre l'adoption de la législation portugaise et la levée de l'embargo n'a pas laissé aux opérateurs économiques le temps matériel de se familiariser avec les procédures et les pratiques du régime DBES.L'efficacité de la procédure mise en place ne pouvait donc être vérifiée au moment de l'adoption de la décision attaquée ni à la date fixée pour la levée de l'embargo.

38. S'agissant des constatations effectuées par la Commission relatives à l'article 21, sous b), de la décision 2001/376, à savoir, la vérification de l'application des dispositions des articles 11 et 12 et de l'annexe IV de la même décision, le gouvernement français relève notamment les éléments suivants:

— une lettre envoyée le 11 juin 2001 par la Commission aux autorités portugaises montre clairement que le régime DBES n'était pas encore appliqué à cette date et révèle de nombreuses faiblesses dans le dispositif de traçabilité en amont et en aval de l'abattage, dans le dispositif d'étanchéité des filières entre produits éligibles et produits inéligibles, ainsi que l'absence de tout plan d'alerte en cas d'identification d'un animal à risque;

— le rapport de la mission de l'OAV du 25 au 27 juin 2001 se borne à rappeler les conditions du régime DBES qui doivent être formalisées dans le projet de décret et le manuel du régime DBES, mais ne contient aucun élément permettant de s'assurer que les points de non-conformité relevés dans la lettre du11 juin 2001 ont donné lieu à des mesures correctives concrètes (notamment les règles de traçabilité en amont et en aval).

39. Le gouvernement français souligne encore que la Commission n'a pas communiqué les textes réglementaires adoptés par les autorités portugaises permettant de vérifier les dates de publication et de diffusion. En outre, en l'absence de rapport d'inspection ultérieur ou de rapport mensuel communiqué par la Commission, il n'était pas possible d'évaluer la connaissance de la réglementation par les autorités portugaises chargées des contrôles.

40. Le même gouvernement soutient que la décision attaquée est également invalide dans la mesure où la Commission n'a pas pris en compte l'existence ou l'absence de mesures de traçabilité dans les autres États membres préalablement à la fixation de la date de la sortie d'embargo.

41. Examinant les constatations effectuées par la Commission relatives à l'article 21, sous c), de la décision 2001/376 et, plus particulièrement, l'exécution des contrôles officiels, le gouvernement français rappelle l'importance de ces contrôles dès lors que seul un respect strict du régime DBES permet d'éliminer les risques.

42. Il relève notamment que le rapport de l'inspection du 14 au 18 mai 2001 émettait des critiques en ce qui concerne les farines animales et les matériels à risques spécifiés et énonçait des recommandations. Le rapport fait état d'engagements à cet égard de la part des autorités portugaises, mais il ne résulterait d'aucun autre document que des mesures auraient été effectivement prises pour remédier aux non-conformités signalées.

43. S'agissant de l'article 21, sous d), de la décision 2001/376, c'est-à-dire de la question des tests et du suivi épidémiologique, le gouvernement français constate que le rapport de l'inspection du 15 au 18 mai 2001 contenait de nombreuses critiques à cet égard. La Commission n'aurait, cependant, pas vérifié les suites qui ont été données aux recommandations formulées par les experts, violant ainsi l'article 21, sous d), de la décision 2001/376.

44. Par ailleurs, observe le gouvernement français, en raison du faible nombre de tests pratiqués et du manque de recul quant aux procédures mises en place en la matière (stratégie d'élimination de la cohorte du bovin atteint d'ESB et de sa descendance directe, procédure de retrait-destruction des bovins âgés de plus de 30 mois), l'efficacité du programme de tests des bovins au Portugal ne pouvait avoir été vérifiée avant que ne soit prise et mise en vigueur la décision attaquée. La Commission
n'aurait donc pas pu procéder à une évaluation des risques conforme à l'article 21, sous d), de la décision 2001/376, puisque l'efficacité de la traçabilité n'était pas verifiable et que la qualité du programme de tests pouvait être mise en cause.

45. Le gouvernement français conclut que la Commission a adopté la décision attaquée en violation des dispositions combinées des articles 21 et 22 de la décision 2001/376 en ne s'assurant pas, préalablement à la fixation de la date de levée de l'embargo, de la mise en œuvre effective du système de prévention contre l'ESB au Portugal prévue par la décision 2001/376.

b) La réponse de la Commission

46. Que répond la Commission à cette analyse?

47. La Commission rappelle que les diverses décisions sont fondées sur les directives 89/662/CEE du Conseil, du 11 décembre 1989, relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur ( 12 ), et 90/425/CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la
réalisation du marché intérieur ( 13 ), et qu'elles nécessitent des vérifications de nature complexe, compte tenu des situations et mécanismes factuels et juridiques eux-mêmes complexes. Elle bénéficie donc d'un large pouvoir d'appréciation pour les constatations à faire.

48. La Commission reproche au gouvernement français d'opérer une interprétation littérale de l'article 22, paragraphe 2, de la décision 2001/376. Il interpréterait ce paragraphe 2, qui renvoie à l'article 21, sans spécifier à chaque fois lequel des points de cet article est applicable à chacun des trois régimes visés à l'article 22, paragraphe 2, à savoir celui de l'article 5 (expédition aux fins d'incinération), de l'article 7 (suif et produits dérivés), et de l'article 11 (DBES).

49. Or, estime la Commission, les éléments visés à l'article 21 de la décision 2001/376 devaient être pris en compte par elle avec une intensité différente. Elle devait tenir compte de l'ensemble des inspections menées depuis la décision 98/653 et contrôler strictement que les inspections mentionnées à l'article 21, sous b), avaient été effectuées et avaient permis de conclure que la République portugaise apportait toutes les garanties requises. Elle considère avoir rempli ces deux exigences, qui ne
la lient pas avec la même force, lorsqu'elle a décidé de fixer une date pour la reprise des expéditions au titre du régime DBES.

50. Pour la Commission, lier la détermination de la date de reprise des exportations des matériels et produits visés aux articles 5, 7 et 11 de la décision 2001/376 à la réalisation cumulative de toutes les inspections visées à l'article 21 aboutit à confondre trois régimes d'exportation pourtant distincts et indépendants, auxquels correspondent trois régimes de contrôle préalables. Le texte de l'article 22, paragraphe 2, conforterait cette interprétation puisqu'il indiquerait le mot «dates» (de
reprise des exportations) au pluriel.

51. L'interprétation littérale soutenue par le gouvernement français risquerait, estime la Commission, de déboucher sur une violation du principe de proportionnalité en raison de î'étanchéité des trois filières. Par exemple, on ne saurait justifier un refus pour les expéditions des matériels à risques aux fins d'incinération dans un autre État membre au motif qu'il y aurait des insuffisances dans la filière du régime DBES. On concevrait aisément que les inspections visées à l'article 21, sous d),
dépassent largement le cadre de la reprise des exportations et doivent se faire indépendamment de celle-ci.

52. La Commission conteste enfin l'utilisation, par le gouvernement français, des considérants de la décision 2001/376 au soutien de l'interprétation littérale de l'article 22, paragraphe 2. Selon elle, ces considérants s'inscrivent dans le cadre des articles 11 et 12 et de l'annexe IV, qui sont les dispositions touchant directement au régime DBES et entrant, par conséquent, pleinement dans le cadre des inspections visées à l'article 21, sous b).

53. Pour la Commission, seul le point b) de l'article 21 est véritablement en relation avec le régime DBES. En effet, cette disposition porte sur la vérification des conditions énoncées aux points 11 (mise en place d'un système d'enregistrement des contrôles de conformité) et 12 (agrément des établissements ayant mis en œuvre un système de traçage intégral) de l'annexe IV.

54. Les points c) et d), estime la Commission, ont une formulation très générale et ne contiennent aucune référence spécifique au régime DBES et sont à mettre en corrélation avec l'article 9, paragraphe 4, de la directive 89/662 et l'article 10, paragraphe 4, de la directive 90/425, qui imposent à la Commission de suivre l'évolution de la situation dans le cadre de la clause de sauvegarde et d'adapter, s'il y a lieu, les mesures prises. Ces points sont littéralement repris de l'article 15 de la
décision 98/653 qui instaurait l'embargo et il y a continuité entre cet article 15 et les points c) et d) de l'article 21 de la décision 2001/376. La Commission en conclut qu'une mission d'inspection ou une évaluation au titre de l'article 15 de la décision 98/653 vaut mission d'inspection au titre de la décision 2001/376, à moins, bien sûr, que les conclusions en cause soient dépassées par l'évolution des faits.

55. Certes, reconnaît la Commission, cela ne signifie pas qu'il ne faudrait pas tenir compte des inspections préconisées aux points c) et d) de l'article 21 pour décider de fixer une date pour la reprise partielle des exportations, car ces missions d'inspection s'appliquent à l'ensemble de la décision. Toutefois, estime la Commission, leur champ d'application n'a pas directement pour objectif la mise en place du régime d'exportation fondé sur la date.

56. Résumons maintenant les observations plus spécifiques présentées par la Commission au sujet des différents types d'inspection.

i) Observations de la Commission quant aux inspections requises au titre de l'article 21, sous b), de la décision 2001/376

57. S'agissant de l'article 21, sous b), de la décision 2001/376, la Commission estime qu'il ressort du point 6-1 des conclusions du rapport de la mission du 25 au 27 juin 2001 que la mise en œuvre du régime DBES au Portugal était conforme aux exigences de la décision 2001/376. L'OAV ne mentionnait que l'absence de dispositions légales et d'instructions écrites. Or, le décret-loi du 31 juillet 2001 (date de sa publication) a été approuvé par le Conseil des ministres portugais le 12 juillet 2001,
promulgué le 29 juillet 2001 par le président de la République et contresigné le 23 juillet 2001 par le Premier ministre; il est entré en vigueur le 1er août 2001. Le manuel DBES a été approuvé par le secrétaire d'État à l'Agriculture le 13 juillet 2001. Le mécanisme portugais était donc en place, quoique non entièrement formalisé, à la date d'adoption de la décision attaquée et la Commission estime avoir rempli toutes les obligations de contrôle que le droit communautaire lui impose.

58. Pour remettre les choses dans leur contexte, la Commission signale qu'aucune expédition de viande DBES n'a été effectuée depuis la date indiquée dans la décision attaquée.

59. La lettre du 11 juin 2001 ne faisait que signaler certains problèmes résiduels. La mission de juin confirme que, sur la base de cette lettre, les autorités portugaises ont apporté des solutions à chacun des points mentionnés. Le gouvernement portugais a notamment fourni une réponse aux problèmes soulevés par la Commission en matière de traçabilité et cette réponse a fait l'objet d'une évaluation par l'OAV bien avant que soit fixée la date de reprise des exportations.

60. La Commission expose que le rapport sur la mission de l'OAV qui s'est déroulée du 25 au 27 juin 2001 contient des conclusions globalement favorables à la levée de l'embargo, notamment en ce qui concerne l'efficacité de la mise en œuvre des procédures.

61. Ce rapport comportait, à l'égard de la Commission, seulement les recommandations suivantes:

«The Commission services should set the date on which dispatch under DBES may commence, on the basis of the action taken by the Portuguese Authorities, addressing the recommendations and, in any case after written confirmation by the Portuguese Authorities has been received that:

— Legislation has come into effect and staff instructions have been issued officially; and

— No establishment of a category other than slaughterhouses and cutting plants processing only DBES beef will be approved before inspection by the FVO of the proposed arrangements.»

(Les services de la Commission devraient fixer la date à laquelle les exportations respectant le régime DBES peuvent débuter sur la base des mesures prises par les autorités portugaises à la suite des recommandations et, surtout, lorsqu'ils seront en possession de la confirmation écrite des autorités portugaises concernant les points suivants:

— l'entrée en vigueur de la législation et la communication d'instructions officielles au personnel; et

— le non-agrément, avant l'inspection par l'OAV des installations et dispositions proposées, des établissements appartenant à une autre catégorie que les abattoirs et les ateliers de découpe qui transforment uniquement du bœuf relevant du régime DBES.)

62. La Commission a alors entamé un échange de correspondance avec les autorités portugaises et s'est ainsi assurée, affirme-telle, que le manuel a été amendé conformément aux observations des inspecteurs de la Commission. Les efforts de la Commission ont été concentrés sur cet élément et, dès le lendemain de la mission, une copie du nouveau manuel DBES a été envoyé à l'OAV. Comme le rapport ne fait apparaître aucun problème concernant les contrôles dans l'abattoir et l'atelier de découpe, c'est en
toute conscience que la Commission a décidé de fixer la date de levée de l'embargo au 1er août 2001. Pour ce qui est de l'avenir, l'addendum du rapport de mission 3345/2001 précise que:

«The Manual has been changed as follows: any new plants intending to operate under the scheme have to be visited by the FVO. After a favourable outcome of such a visit, the Minister of Agriculture will decide on the approval.»

(Le manuel a été modifié comme suit: toute nouvelle exploitation qui envisage de respecter le régime doit au préalable recevoir la visite de l'OAV. Le ministre de l'Agriculture décidera d'accorder l'agrément à l'exploitation considérée si les résultats de l'inspection sont positifs.)

63. La Commission admet que l'OAV n'a pas observé les conditions concrètes du fonctionnement du régime DBES, mais elle relève qu'une telle vérification était pratiquement impossible à un moment où l'autorisation de reprise des exportations n'avait pas encore été donnée et où le système ne pouvait pas être en phase de fonctionnement correct.

64. S'agissant des rapports mensuels visés à l'article 20 de la décision 2001/376, la Commission signale qu'elle n'est pas tenue par cette disposition de les transmettre aux autres États membres.

65. Concernant le contrôle de l'étiquetage et de la traçabilité dans les autres États membres, la Commission rappelle que les directives applicables en la matière assuraient déjà une traçabilité fondée sur les numéros d'identification des établissements où les produits sont traités et que le règlement (CE) n° 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juillet 2000, établissant un système d'identification et d'enregistrement des bovins et concernant l'étiquetage de la viande bovine et des
produits à base de viande bovine, et abrogeant le règlement (CE) n° 820/97 du Conseil ( 14 ), et son règlement d'application, applicables à partir du 1er août 2000, soit avant l'institution du régime DBES portugais, assurent un système de traçabilité de la viande bovine sur tout le territoire de la Communauté.

66. La Commission en conclut qu'elle a scrupuleusement respecté la condition relative à l'inspection requise au titre de l'article 21, sous b), de la décision 2001/376.

67. Elle conteste l'argument du gouvernement français selon lequel les services portugais n'auraient pas eu le temps de se familiariser avec les procédures du régime DBES. Elle reconnaît que, sur le plan formel, le délai était bref, mais souligne que le régime DBES avait fait l'objet de discussions intenses avec les autorités portugaises, que des inspections communautaires avaient permis d'affiner l'approche et que le régime DBES était déjà connu en raison du précédent britannique.

68. S'agissant du contrôle de l'éligibilité des animaux et de la traçabilité des produits, la Commission renvoie au rapport sur l'inspection, effectuée par l'OAV du 25 au 27 juin 2001. Elle observe par ailleurs que la mise en place du régime DBES n'a jamais été conditionnée à la mise en place de tests rapides. Ceux-ci font partie de la panoplie du système de surveillance des EST. Elle ajoute que, si le nombre de tests rapides au Portugal était plutôt faible, il fallait tenir compte de la politique
d'abattage systématique pratiquée par les autorités et du fait que celles-ci avaient donné des garanties concernant l'accomplissement de ces tests. Enfin, dès lors que les animaux eligibles pour le régime DBES doivent être nés après le 1er juillet 1999, date de mise en œuvre effective de l'interdiction des farines animales, et vu le temps d'incubation très long de la maladie, il est fortement improbable que des tests effectués sur des animaux éligibles, même infectés, aient pu donner des
résultats positifs à l'époque où l'embargo a été levé.

i) Observations de la Commission quant aux inspections et évaluations requises au titre de l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376 (identiques à celles requises par l'article 15 de la décision 98/653)

69. La Commission souligne que la décision fixant la date de levée de l'embargo est l'aboutissement d'une coopération intense entre ses services et la République portugaise, dans le cadre de laquelle ont eu lieu un grand nombre de missions dont les rapports se trouvent sur son site Internet et auxquels elle renvoie. Elle estime que les contrôles visés à l'article 21, sous c) et d), ont bien été réalisés tout au long de la durée de l'embargo et qu'ils ont bien été pris en compte pour décider de la
date de levée de l'embargo.

70. La Commission estime, en outre, que c'est à tort que le gouvernement français soutient que toutes ces inspections et évaluations auraient nécessairement dû être opérées après l'entrée en vigueur de la décision 2001/376.

71. La Commission renvoie à différents points du rapport de mission de l'OAV de juin 2001 pour ce qui concerne les contrôles relatifs à la traçabilité des produits. Elle précise que le contrôle du régime DBES n'était pas le seul objectif de la mission de mai 2001, ce qui explique que le rapport mentionne des carences dans la mise en œuvre d'autres décisions communautaires indépendantes de la mise en œuvre du régime DBES. S'agissant du retrait des matériels à risques spécifiés, le rapport de mai ne
ferait état que de problèmes mineurs et conclurait que ce retrait était globalement satisfaisant.

72. La Commission en conclut que les dispositions combinées des articles 21 et 22 de la décision 2001/376 n'ont pas été violées par la décision attaquée.

c) Les arguments du gouvernement portugais

73. Pour sa part, le gouvernement portugais souligne que la mise en œuvre d'un régime d'exportation fondé sur la date est étudiée depuis 1999. Des examens d'éligibilité des bovins au titre du régime DBES ont été réalisés (mission ESB de mars 2000). Par la suite, les principes de sélection des exploitations et des animaux ont été harmonisés. La mission communautaire de mai 2001 était essentiellement destinée à évaluer toutes les procédures d'éligibilité des exploitations et des animaux au titre du
régime DBES. Ces procédures ont été jugées satisfaisantes et, pour certaines, améliorées.

74. À cet égard, le gouvernement portugais souligne que les remarques du gouvernement français relatives aux problèmes de traçabilité relevés dans ce rapport sont dépourvues de sens puisque ces problèmes sont relatifs à des animaux nés avant 1998, alors que seuls les bovins nés après juillet 1999 sont éligibles au régime DBES.

75. Le gouvernement portugais a ensuite demandé l'agrément d'un établissement d'abattage aux fins de l'application du régime DBES et une nouvelle mission a été organisée afin de contrôler le processus DBES en fonctionnement. Le gouvernement portugais s'est engagé à mettre en œuvre le régime DBES dans un établissement d'abattage et de destruction de carcasses, et à garantir d'autres aspects abordés lors de la réunion de l'OAV. La mission du 25 au 27 juin 2001 a ainsi été réalisée seulement pour
évaluer la mise en œuvre du régime DBES. Les recommandations exposées à la réunion de l'OAV ont été prises en compte. Le régime a été analysé en plein fonctionnement dans l'unique abattoir sélectionné et agréé par les autorités portugaises pour l'application du régime DBES.

76. Le rapport de la mission a conclu que le manuel de procédures du régime DBES remplissait les exigences de la décision 2001/376 applicable en l'espèce. Il a également conclu que le programme de traçabilité et de destruction des descendants de cas d'ESB était respecté. La fixation de la date de levée de l'embargo par la Commission dépendait cependant de la confirmation écrite, par les autorités portugaises, à la fois du lancement de la version finale du manuel de procédures (qui, à ce stade,
tenait compte de toutes les recommandations faites) et de la publication de la législation applicable. Le rapport en question recommandait en outre qu'aucun établissement d'abattage et de destruction relevant du régime DBES ne soit approuvé par les autorités portugaises sans que l'OAV ait procédé au contrôle des conditions respectives d'éligibilité à l'exportation.

77. Les conclusions du rapport de mission précité ont été présentées le 11 juillet 2001 par la Commission et par l'OAV devant le comité vétérinaire permanent. Les inspecteurs ont présenté en détail les mesures adoptées par les autorités portugaises sans qu'il y ait la moindre réaction de la part des États membres. La date concrète de l'entrée en vigueur de la décision n'a pas été présentée à ce comité, la Commission n'ayant pas encore terminé la procédure interne d'adoption de la décision.
Toutefois, l'accord du comité étant acquis, la date du 1er août 2001 a, d'emblée, été indiquée. Le gouvernement portugais précise que toutes les garanties exigées ont été données, tant par le représentant national à la Représentation permanente que par la direction générale vétérinaire, et que les données et le contenu des documents exigés étaient connus de toutes les parties. Le processus qui a conduit à la décision attaquée s'est déroulé en étroite collaboration avec les organes compétents,
avec la Commission et avec le seul établissement agréé pour pratiquer le régime DBES.

78. Le gouvernement portugais expose, dès lors, ne pas comprendre la position défendue par le gouvernement français. Il considère, notamment, que la thèse selon laquelle il fallait produire une copie de la publication de la législation n'est pas fondée.

d) La réponse du gouvernement français

79. Dans sa réponse au mémoire en intervention du gouvernement portugais, le gouvernement français exprime l'avis que les observations déposées par le gouvernement portugais ne sont convaincantes ni en ce qui concerne le respect des conditions du régime DBES stricto sensu ni en ce qui concerne la bonne application des diverses mesures de lutte contre l'ESB distinctes du régime DBES mais expressément visées ou rappelées par la décision 2001/376.

80. Le gouvernement français estime que le dispositif de contrôle portugais n'était ni juridiquement effectif ni pratiquement mis en œuvre par les administrations portugaises à la date à laquelle la Commission a pris sa décision. Dès lors, et a fortiori, le gouvernement portugais ne saurait soutenir que ce dispositif était en vigueur au moment où s'est réuni le comité vétérinaire permanent, à savoir le 11 juillet 2001.

81. Il n'est dès lors pas possible d'affirmer que, lors de cette réunion, les inspecteurs de l'OAV aient présenté en détail les mesures adoptées par les autorités portugaises, alors qu'il s'agissait, en fait, de projets de mesures.

82. Le gouvernement français fait valoir également que le gouvernement portugais a eu tort d'indiquer que cette présentation a été faite «sans qu'il y ait la moindre réaction des États membres» et que «la France était représentée», alors que, au sein du comité vétérinaire permanent, la France a émis un vote défavorable.

83. Comme la publication du décret-loi portugais était postérieure à la date de la décision de la Commission, il aurait été approprié que la Commission s'assure rapidement, par une nouvelle inspection de l'OAV, de la conformité effective aux conditions prévues par le régime DBES des expéditions ayant ainsi été reprises.

84. Or, force est de constater que la première mission d'inspection de l'OAV au Portugal, postérieurement au 25 juillet 2001, n'a été effectuée que du 28 janvier au 8 février 2002. Elle a porté sur «la traçabilité des viandes fraîches et des produits bovins depuis l'élevage jusqu'à la mise sur le marché» et la décision 2001/376 ne figure pas dans la liste de la législation dont l'application devait être vérifiée par cette mission.

85. Le gouvernement français fait référence aux rapports des missions d'inspection de 1999 et aux carences graves relevées devant la Cour dans le cadre de l'affaire Portugal/Commission ( 15 ) en ce qui concerne le respect de la réglementation communautaire relative à l'ESB et aux viandes fraîches. Il rappelle en outre que, par sa décision 2000/104, la Commission avait supprimé la limitation de l'interdiction d'exporter au 1er février 2000. Il conclut que, dans la période antérieure à celle à
laquelle se réfère le mémoire en intervention du gouvernement portugais, la Commission a fondé ses décisions sur le contrôle de l'effectivité de toutes les mesures de lutte contre l'ESB, notamment en ce qui concerne la traçabilité des animaux et des viandes et les mesures d'hygiène, d'abattage et de découpe.

86. S'agissant plus particulièrement de la période allant de septembre 2000 à juillet 2001, le gouvernement français relève que, ainsi qu'il ressortirait du mémoire en intervention du gouvernement portugais (points 18 et 19), ce gouvernement reconnaîtrait que la mise en conformité des procédures ne concernait que le régime DBES, qu'elle aurait été progressive et postérieure à la réunion du comité vétérinaire permanent et à la décision attaquée.

87. Le gouvernement français analyse également le 43e rapport établi par les autorités portugaises conformément à la décision 98/653. Il ressortirait notamment de ce rapport:

— un cas d'animal à risque de plus de 24 mois n'entrant pas dans le cadre du régime DBES, ce qui justifierait que des tests soient envisagés entre 24 et 30 mois pour les animaux qui satisfont aux conditions du DBES;

— les cas NAIF (nés après l'interdiction des farines animales) seraient la majorité, ce qui laisserait planer un doute sur l'application effective de l'interdiction des farines;

— un retard pour la reconstitution de la traçabilité d'un grand nombre d'animaux de fermes d'élevage où des cas d'ESB ont été confirmés;

— des cas de non-conformité à la réglementation relative aux protéines d'origine animale et aux aliments pour animaux.

88. Le gouvernement français conclut que ces rapports mensuels montrent que c'est la totalité des règles de lutte contre l'ESB qui auraient dû être respectées par les autorités portugaises avant l'adoption de la décision attaquée.

2) Appréciation

89. Nous examinerons successivement:

— le rôle qui revient, dans le cadre de la décision de la Commission de lever l'embargo, aux inspections prévues à l'article 21 de la décision 2001/376;

— les conclusions qu'il était possible de tirer de l'inspection effectuée au titre de l'article 21, sous b), de la décision 2001/376 en juin 2001;

— l'importance qu'il convient d'attacher aux inspections prévues à l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376.

a) Le rôle des inspections auxquelles se réfèrent les articles 21 et 22 de la décision 2001/376

90. Selon l'article 22, paragraphe 2, «la Commission, tenant compte des inspections visées à l'article 21, et après avoir informé les États membres, fixe les dates auxquelles l'expédition des matériels et des produits peut commencer ou reprendre en application des articles 5, 7 et 11».

91. Il ne saurait faire de doute, à nos yeux, que la Commission ne peut fixer les dates en question que lorsque l'ensemble des conditions fixées par la décision 2001/376 pour la levée de l'embargo sur une catégorie donnée de produits sont remplies.

92. Outre les garanties écrites qui semblent avoir été fournies à la Commission par la République portugaise (voir troisième considérant de la décision attaquée), la Commission doit donc prendre sa décision «en tenant compte» des inspections.

93. Il ne saurait évidemment suffire, pour la Commission, de constater que les inspections ont eu lieu: elle doit se livrer à une évaluation des constatations faites au cours de celles-ci afin de déterminer si les expéditions peuvent commencer ou recommencer sans que cela entraîne un danger pour la santé humaine dans les pays de destination.

94. À ce propos, elle devra partir de l'objet des inspections tel qu'il est défini à l'article 21.

95. Or, force est de constater que cette disposition lui prescrit:

«a) de vérifier l'exécution des contrôles

b) de vérifier l'application des dispositions des articles [...];

c) de vérifier l'application des dispositions

d) d'examiner l'évolution de l'incidence de la maladie et la mise en œuvre effective des dispositions nationales pertinentes [...];

e) de vérifier l'application des dispositions [...]»

96. Nous constatons donc, avec une légère nuance en ce qui concerne le point d), que ces inspections n'ont pas seulement pour objet de vérifier si les textes législatifs ou réglementaires nécessaires ont été adoptés ou s'ils sont suffisants, mais qu'elles doivent aussi toutes porter sur la façon dont les dispositions pertinentes ont été appliquées ou mises en œuvre.

97. Ceci est parfaitement compréhensible puisque nous avons affaire à une épidémie extrêmement grave qui est probablement de nature à mettre en danger la vie des êtres humains.

98. Etant donné que les inspections des types a), b) et e) doivent avoir lieu avant que l'expédition des produits ne puisse commencer, l'expression «tenant compte» doit, dès lors, être interprétée en ce sens que la Commission ne saurait autoriser l'expédition des produits concernés si l'une des inspections prévues fait apparaître qu'un élément du dispositif de la lutte contre l'ESB n'est pas appliqué avec la rigueur nécessaire.

99. Soulignons, toutefois, dès à présent, que la décision attaquée ne concerne que les produits visés à l'article 11 de la décision 2001/376, c'est-à-dire les viandes fraîches, les viandes hachées et préparations de viande, les produits à base de viande et les aliments pour carnivores domestiques. Nous n'avons, dès lors, pas à examiner la question de savoir si les inspections à l'article 21, sous a), qui concernent les aminoacides, les peptides, le suif, les produits contenant du suif et les dérivés
du suif, ou celles visées sous e), qui concernent les farines de viande, les farines d'os, les farines de viande et d'os, etc., expédiées dans un autre État membre aux fins d'incinération, ont été correctement exécutées et si leurs résultats ont été probants.

100. Notre examen portera uniquement sur les résultats de l'inspection du type b) qui a été effectuée et qui a trait aux viandes fraîches, aux viandes hachées, aux préparations de viande ainsi qu'aux produits à base de viande.

101. Nous ne risquerons dès lors pas de créer, entre les trois filières, la confusion contre laquelle la Commission a mis en garde.

102. Il nous incombera, cependant, de nous pencher, dans une deuxième partie, sur la portée que peuvent ou doivent revêtir, au moment où la Commission adopte sa décision de levée de l'embargo, les inspections des catégories c) et d) par rapport à celles de la catégorie b), car elles ne visent pas une catégorie de produits précise.

b) L'inspection prévue à l'article 21, sous b), de la décision 2001/376 a-telle été valablement effectuée?

103. La question qui se pose est celle de savoir si la Commission a effectivement «vérifié l'application» des dispositions des articles 11 et 12 et de l'annexe IV de la décision 2001/376 avant d'autoriser la reprise des expéditions de viandes bovines.

104. Or, ceci est a priori extrêmement douteux étant donné que les règles internes destinées à obliger ou à aider tous les organismes et toutes les personnes concernés à respecter les dispositions du régime DBES n'ont été mises au point, avec l'aide des experts de l'OAV, qu'au cours de la mission d'inspection qui a eu lieu du 25 au 27 juin 2001, soit un mois avant la décision de la Commission de lever l'embargo.

105. Le rapport relatif à cette mission comportait la «recommandation» suivante à l'intention de la Commission:

«The Commission services should set the date on which dispatch under DBES may commence on the basis of the action taken by the Portuguese Authorities addressing the recommendations and in any case after written confirmation by the Portuguese Authorities has been received that:

— legislation has come into effect and staff instructions have been issued ( 16 ) officially, and [...]»

(Les services de la Commission devraient fixer la date à laquelle les exportations respectant le régime DBES peuvent débuter sur la base des mesures prises par les autorités portugaises à la suite des recommandations et, surtout, lorsqu'ils seront en possession de la confirmation écrite des autorités portugaises concernant les points suivants:

— l'entrée en vigueur de la législation et la communication d'instructions officielles au personnel; et [...])

106. Or, le décret-loi incorporant ces règles n'a été publié que le 31 juillet 2001, soit après la décision attaquée et à la veille de la levée de l'embargo. Le «manuel» semble bien avoir été approuvé par le secrétaire d'État portugais et les instances à l'Agriculture le 13 juillet 2001, mais nous n'avons pas d'informations au sujet de sa diffusion effective. Même lors de l'audience de plaidoiries, la Commission ne semblait pas être en possession de la version définitive de ce «manuel».

107. Ces seules constatations nous amènent déjà à conclure que les experts de la Commission n'ont pas vraiment été en mesure, au cours de la dernière mission d'inspection ayant précédé la levée de l'embargo, de «vérifier l'application», c'est-à-dire l'observation, dans la pratique, des dispositions régissant le régime DBES.

108. La Commission l'a elle-même confirmé puisqu'elle a déclaré, en substance, aussi bien dans un de ses mémoires qu'à l'audience de plaidoiries, que la vérification du fonctionnement du régime DBES était pratiquement impossible à un moment où l'autorisation de reprise des exportations n'avait pas encore été donnée et où le système ne pouvait être en phase de fonctionnement correct.

109. Si nous avons correctement compris la Commission, cela signifie donc que celle-ci conteste la possibilité même de «vérifier l'application» des dispositions constituant le régime DBES avant la reprise des exportations.

110. Or, cette interprétation est contraire à la lettre de l'article 21, sous b), de la décision 2001/376.

111. Par ailleurs, il aurait, à notre avis, été possible de faire fonctionner le système sans procéder à des exportations, c'est-à-dire en vendant provisoirement les viandes sur le marché portugais.

112. Nous estimons, dès lors, que la déclaration susmentionnée de la Commission suffirait, à elle seule, pour constater une violation par celle-ci des articles 21 et 22 de sa décision 2001/376 et pour justifier, par conséquent, l'annulation de la décision attaquée.

113. Certes, la Commission a raison de rappeler que les inspections successives se sont déroulées sur plusieurs années et que les contacts suivis entre la Commission et les autorités portugaises ont permis d'améliorer progressivement le système de surveillance des troupeaux, d'identification et de traçabilité des animaux ainsi que le fonctionnement de l'abattoir finalement agréé, des ateliers de découpe, des entrepôts frigorifiques, etc.

114. Il n'en reste pas moins que les «règles du jeu» n'ont été mises par écrit que très peu de temps avant la levée de l'embargo de sorte que, comme le souligne le gouvernement français, les opérateurs économiques n'ont pas eu le temps matériel de se familiariser avec la version finale des procédures du régime DBES.

115. Nous ne pouvons pas suivre le gouvernement portugais lorsqu'il déclare que «le régime a été analysé en plein fonctionnement dans l'abattoir agréé».

116. La mission de juin 2001 a, certes, visité l'abattoir et l'atelier de découpe, candidats à l'agrément au titre du régime DBES.

117. Nous estimons, cependant, qu'il n'est pas possible de conclure que les inspecteurs aient pu assister au fonctionnement du régime DBES dans sa version définitive.

118. En effet, ainsi que le gouvernement français l'a signalé, le rapport relatif à cette mission se borne, pour une bonne part, à décrire les instructions figurant au «manuel» ou devant y figurer et il fait fréquemment usage du futur.

119. On peut citer, à titre d'exemple, les passages suivants:

Point 5.1.3.3 «Each holding applying for the scheme will be subject to two sets of controls prior to approval: [...]

After approval, the holding will be subject to further on farm inspections once every four months.»

(Toute exploitation introduisant une demande d'agrément au titre du régime sera soumise à deux séries de contrôle préalables à l'agrément.

Après l'agrément, l'exploitation fera l'objet, tous les quatre mois, d'inspections complémentaires effectuées à la ferme.)

Point 5.1.4.3 «[...] animals on the list will be subject to a set of pre-slaughter checks.»

(les animaux figurant sur la liste seront soumis à une série de tests avant abattage.)

Point 5.1.5.6 «[...] Once the animal has passed the 24-hour post-slaughter-check, the carcass will be labelled [...]»

(une fois que l'animal aura subi le test prévu 24 heures après l'abattage, la carcasse sera estampillée.)

120. Ces termes paraissent donc impliquer que toutes ces règles n'étaient pas encore appliquées au moment de l'inspection.

121. Il en résulte que cette dernière inspection avant la levée de l'embargo n'a pas vraiment pu atteindre son objectif qui, selon le point 2 du rapport, était «d'évaluer l'application (implementation) du régime DBES, en particulier l'application des contrôles officiels relatifs au système dans le cadre de l'article 11 de la décision de la Commission 2001/376/CE» ( 17 ).

122. Force est ainsi de conclure que l'inspection effectuée au titre de l'article 21, sous b), de la décision 2001/376 n'a pas fourni des justifications suffisantes à la levée de l'embargo.

123. Il nous reste à examiner maintenant l'argument du gouvernement français selon lequel il n'a pas été procédé, comme il se devait, aux inspections prévues à l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376.

c) La portée qu'il convient d'attribuer aux résultats des inspections effectuées au titre de l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376

124. Le gouvernement français estime que les inspections prévues à l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376 doivent se cumuler avec celles prévues sous le point b). Or, la Commission n'aurait pas suffisamment tenu compte des constatations négatives faites dans le cadre des premières.

125. La Commission ne conteste pas qu'elle est tenue de tenir compte également des inspections prévues à l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376. Toutefois, comme le champ d'application de celles-ci n'a pas directement pour objectif la mise en place du régime DBES, leurs résultats ne la lient pas avec la même force lorsqu'elle décide de fixer la date de reprise des exportations. La Commission ajoute que ces contrôles ont bien été réalisés tout au long de la durée de l'embargo et qu'ils
ont été pris en compte pour décider la levée de celui-ci.

126. À cet égard, nous rappellerons en premier lieu que les inspections visées à l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376 sont identiques à celles qui avaient déjà été instaurées par l'article 15 de la décision 98/653.

127. Selon le dix-huitième considérant de cette décision, ces inspections visent à «contrôler l'application des mesures prévues par la présente décision». La décision 98/653 avait, tout comme la décision 2001/376, pour objet «certaines mesures d'urgence rendues nécessaires pour les cas d'encéphalopathie spongiforme apparus au Portugal», étant entendu que la nouvelle décision a, en plus, pour objet de mettre en œuvre un régime d'exportation fondé sur la date.

128. Il est, toutefois, intéressant de noter que l'article 5 de la décision 98/653 avait déjà autorisé la République portugaise à produire et à exporter à certaines conditions:

a) des aminoacides, des peptides et des suifs fabriqués dans des établissements placés sous surveillance vétérinaire officielle qui se sont avérés fonctionner conformément aux conditions prévues à l'annexe;

b) des produits de suif et des produits dérivés du suif obtenus par saponification, transestérification ou hydrolyse.

129. La décision 2001/376, en son article 21, sous a), charge la Commission de «vérifier l'exécution des contrôles officiels concernant chacun des produits visés aux articles 7 et 8 avant que l'expédition desdits produits puisse commencer ou reprendre».

130. Or, les articles 7 et 8 visent plus ou moins les mêmes produits dont il vient d'être question.

131. L'expédition de ces produits ne semble donc pas avoir commencé à la suite de la décision 98/653. La décision 2001/376, en ses articles 7, 8 et 21, sous a), et son annexe II, a subordonné ces expéditions à des conditions plus sévères que la décision précédente.

132. Le fait que les contrôles d'un type plus général qui figuraient déjà dans la décision 98/653 aient été maintenus dans la décision 2001/376, alors que simultanément des inspections plus spécifiques «avant reprise des expéditions» ont été introduites, donne à penser que toutes ces inspections doivent avoir lieu de manière cumulative.

133. Il en découle que des déficiences constatées à l'occasion des vérifications plus générales, effectuées au titre de l'article 21, sous c) et d), de la décision 2001/376, doivent être prises en considération par la Commission en même temps que les constatations faites dans le cadre des inspections spécifiques effectuées au titre de l'article 21, sous a) et b).

134. Il est vrai que les règles qui s'appliquent dans le cadre des inspections du type b), c'est-à-dire principalement celles figurant à l'annexe IV de la décision 2001/376, sont tellement exigeantes en ce qui concerne l'abattage des descendants d'animaux malades, le contrôle des troupeaux et l'identification et la traçabilité des animaux destinés à l'exportation que toutes les défaillances dans les systèmes devraient normalement être découvertes dans le cadre de ces inspections-là.

135. Il n'en reste pas moins qu'une même mission d'inspection ne peut pas se rendre partout et que d'autres contrôles peuvent déceler des déficiences du système revêtant de l'importance dans le cadre du régime DBES.

136. Ainsi, le point 13 de l'annexe IV exige la traçabilité en aval et en amont. Or, que signifie la traçabilité en amont sinon l'assurance maximale, ou, à tout le moins, tout à fait raisonnable, en fonction de garanties scientifiques découlant d'un système fiable de contrôle du cheptel, de l'absence de suspicion quant à la morbidité de l'animal? Certes, les contrôles généraux ne nous intéressent pas, en l'espèce, en tant qu'ils portent sur les produits hors régime DBES ou sur les abattoirs et
ateliers de découpe hors régime DBES, mais ils nous intéressent en tant qu'ils portent sur l'état du cheptel dont est issu l'animal entrant dans l'abattoir agréé DBES. À ce moment-là, il y aura un contrôle effectué dans les bases de données nationales. Or, les inspections précédentes (notamment celles de mai 2001) ont révélé que le degré de fiabilité de ces bases était pour le moins faible et les inspections de juin n'ont pas apporté d'élément positif en sens contraire.

137. Notons aussi que, contrairement à ce qui avait été le cas lors de la fixation de la date de levée de l'embargo sur les viandes britanniques (voir le deuxième considérant de la décision 1999/514/CE de la Commission, du 23 juillet 1999, fixant la date à laquelle l'expédition à partir du Royaume-Uni de produits bovins dans le cadre du régime d'exportation sur la base de la date peut commencer au titre de l'article 6, paragraphe 5, de la décision 98/256/CE du Conseil ( 18 )), une inspection du
suivi n'a même pas été annoncée dans la décision attaquée.

138. En revanche, lors d'une inspection qui n'était pas consacrée à l'analyse du fonctionnement du régime DBES mais à l'évaluation de la mise en œuvre de l'ensemble des règlements et directives de la Communauté relatives à l'identification et à l'enregistrement des bovins et à l'échange intracommunautaire d'animaux et de viandes, qui a eu lieu du 28 janvier au 28 février 2002, les inspecteurs ont constaté ce qui suit dans le résumé de leur rapport final:

«Les contrôles mis en place par l'autorité compétente offraient une image contrastée selon les parties de la chaîne de production concernées; les mesures en place concernant l'enregistrement des exploitations, l'identification des animaux et le contrôle de leurs mouvements n'étaient pas satisfaisantes, ni en qualité, ni en quantité, notamment parce que tous les facteurs de risques n'étaient pas correctement pris en compte, mais aussi parce que, à plusieurs reprises, les effectifs pour effectuer
des contrôles adéquats faisaient défaut. Pour ce qui est des abattoirs, la situation était en général satisfaisante, hormis dans un abattoir où les contrôles de l'identification des animaux à l'ante mortem n'étaient pas réalisés. Pour ce qui est des ateliers de découpe, et/ou de production de viandes hachées, la situation, hormis dans un grand établissement de viandes hachées, n'était pas satisfaisante: le fait que la traçabilité des viandes ait été partiellement ou totalement perdue à de
nombreuses reprises n'avait pas été identifié par l'autorité compétente. Pour ce qui est du contrôle du secteur de la distribution et du commerce de détail, la situation était satisfaisante, hormis dans le cas d'un hypermarché.

L'évaluation du système en place pour ce qui est de l'enregistrement des exploitations, l'identification des animaux et le contrôle des mouvements a révélé toute une série de déficiences — certaines importantes — conduisant à une perte partielle ou totale de la traçabilité de la production.»

139. Même au début de l'année 2002, il subsistait donc des problèmes au sujet de la traçabilité des animaux et des viandes.

140. Ceci vient confirmer que toutes les conditions pour une levée de l'embargo n'étaient pas remplies à la date où la Commission a pris sa décision.

141. Le premier moyen de la République française, tiré d'une violation des articles 21 et 22 de la décision 2001/376, doit, dès lors, être accueilli.

C — Second moyen: violation du principe de précaution

1) Les arguments des parties

142. Le gouvernement français considère que, en ne s'assurant pas, avant d'adopter la décision attaquée, que les conditions strictes et précises fixées par la décision 2001/376 étaient remplies, la Commission a violé le principe de précaution dont une manifestation se trouve à l'article 174 CE.

143. À titre principal, la Commission conclut au rejet de ce moyen comme étant non fondé, car, dès lors que la décision 2001/376 s'inscrit dans le cadre du principe de précaution et l'intègre, les griefs avancés par le gouvernement français se confondent nécessairement avec les griefs relatifs à la violation de la décision 2001/376, qui font l'objet du premier moyen.

144. À titre subsidiaire, elle conteste toute violation du principe de précaution.

145. Elle relève que le principe de précaution n'est pas un objectif absolu qui exclurait toute possibilité d'appréciation dans le chef de l'autorité devant mettre la politique en œuvre. Tant l'article 174 CE, cité par la requérante et relatif à l'environnement, que l'article 152 CE, relatif à la santé publique, visent en effet un niveau élevé de protection. Elle renvoie à la communication COM (2000) 1 final qu'elle a adoptée sur le recours au principe de précaution, dans laquelle elle s'est
efforcée de définir un certain nombre de critères, ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour.

146. Selon la Commission, le principe de précaution n'aurait pas pour effet de l'obliger à suivre toute opinion scientifique sans faculté d'appréciation aucune. Il en irait de même de l'avis d'une agence nationale telle l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, dont la Commission relève qu'il est postérieur à la décision attaquée.

147. La Commission rappelle qu'elle était compétente pour adopter la décision attaquée au titre de l'article 9 de la directive 89/662 et que c'était donc à elle de déterminer le niveau de protection de la santé qu'elle estimait approprié.

148. Selon elle, les décisions 98/653 et 2001/376 se fondaient sur une logique de précaution. La décision 98/653 imposant l'embargo n'a jamais été conçue comme une mesure définitive. Une fois les mesures appropriées prises par la République portugaise et dûment évaluées et vérifiées par la Commission, cette mesure transitoire devait être abrogée.

149. La Commission soutient enfin que le principe de précaution n'est pas une logique fondée sur la recherche de l'absence totale de risque, ce qui paralyserait complètement les échanges, mais sur une recherche constante de proportionnalité. Dans ce cadre, elle rappelle qu'elle dispose de pouvoirs discrétionnaires au titre de l'article 9, paragraphe 4, de la directive 89/662 et de l'article 10, paragraphe 4, de la directive 90/425 et que le contrôle du juge est limité à la vérification de
l'existence d'une erreur manifeste dans l'exercice de ces pouvoirs.

150. La Commission considère que la décision attaquée respecte le principe de proportionnalité. L'objectif principal des directives 89/662 et 90/425 est la poursuite des objectifs de la politique agricole commune auxquels la protection de la santé contribue. La mesure visant à protéger la santé doit être prise en compte, mais elle ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif sans mettre en péril les autres objectifs de la politique agricole commune. La République portugaise
ayant présenté toutes les garanties requises, il était normal, vu le haut niveau de protection assuré, de remplacer le régime d'interdiction par un régime d'encadrement et de surveillance moins contraignant vis-à-vis du principe de la libre circulation des marchandises.

151. La Commission relève que, si le principe de précaution implique une logique d'appréciation en termes d'avantages et de charges, il est impossible d'arriver à un niveau de risque égal à zéro. Elle souligne, à cet égard, que les décisions adoptées ont suivi les avis des différents comités scientifiques et qu'elle suit avec attention les évolutions de la recherche scientifique.

152. Dans son mémoire en réplique, le gouvernement français conteste la thèse formulée à titre principal par la Commission et soutient que le moyen tiré du principe de précaution est un moyen autonome. Il considère que, en adoptant la décision attaquée sans contrôler le respect des conditions posées par la décision 2001/376, la Commission n'assure pas le niveau de protection de la santé publique qu'elle est censée assurer et viole le principe de précaution.

153. Il rappelle l'incertitude sur les risques et le fait que le régime DBES est fondé sur des présomptions scientifiques.

154. Il considère que la décision attaquée viole le principe de précaution, car elle a été adoptée sans aucune garantie sur les résultats des contrôles concernant l'application du dispositif portugais du régime DBES et les règles de traçabilité y afférentes et, en l'absence de résultats des contrôles sur les autres mesures de lutte contre l'ESB (farines, MRS, tests...), censées être mises en place au Portugal.

155. Dans son mémoire en intervention, le gouvernement portugais soutient que le principe de précaution a été pleinement respecté. Il reconnaît que ce principe s'applique dans des domaines comme la santé humaine, animale ou végétale et relève, parmi les conditions de son application, la perception ou l'identification d'un risque potentiel et la réalisation d'une étude scientifique dont les résultats sont incertains ou douteux.

156. Il rappelle que c'est à la suite de nouvelles données scientifiques qu'a été envisagée la possibilité d'autoriser les exportations sous certaines conditions permettant de continuer à maintenir un degré élevé de protection de la santé. Il rappelle la collaboration des autorités portugaises avec les experts et les efforts entrepris depuis 2000.

157. Il estime que les conditions imposées par la décision 2001/376 ont été rigoureusement respectées par la République portugaise et par la Commission et que la décision attaquée non seulement en apporte confirmation, mais respecte entièrement le niveau de protection établi par la Commission comme base du principe de précaution.

158. Dans son mémoire en réponse au mémoire en intervention du gouvernement portugais, le gouvernement français soutient que le gouvernement portugais a une conception restrictive du principe de précaution en ce qu'il ne s'appliquerait qu'au stade de l'évaluation du risque. Selon le gouvernement français, le principe de précaution s'impose également au stade de la gestion du risque, dans la détermination et la mise en œuvre des mesures de gestion, au moins autant que le principe de proportionnalité.
Ainsi, les autorités qui prennent une mesure de gestion du risque devraient se préoccuper autant de son efficacité que de sa proportionnalité.

159. Le gouvernement français conteste, en l'espèce, l'efficacité des contrôles des mesures prévues et donc leur conformité au principe de précaution sous l'angle de la gestion du risque. Il renvoie, à cet égard, au dernier rapport de l'OAV reçu, relatif à une mission effectuée au Portugal entre le 28 janvier et le 2 février 2002. Il ressortirait de ce rapport que l'identification et le suivi des animaux et la traçabilité des viandes n'étaient pas assurés, alors que tout le dispositif du régime DBES
repose sur ces éléments.

2. Appréciation

160. À cet égard, il suffit de constater que le gouvernement français, comme il l'admet lui-même ( 19 ), se borne à faire grief à la Commission de ne pas avoir suffisamment contrôlé le respect des conditions pour la levée de l'embargo fixées par la décision 2001/376 et d'avoir ainsi violé le principe de précaution.

161. Or, en ce sens, ainsi que l'observe à juste titre la Commission, le second moyen soulevé par le gouvernement français se confond avec le premier moyen invoqué par celui-ci, qui avait précisément pour objet la question de savoir si, au moment de l'adoption de la décision attaquée, les conditions pour la levée de l'embargo, telles que fixées par la décision 2001/376, étaient remplies.

162. Dès lors, puisque le gouvernement français ne démontre pas l'existence d'une violation du principe de précaution indépendamment d'une violation de la décision 2001/376, ce second moyen doit être considéré comme inopérant.

V — Conclusion

163. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, nous vous proposons:

— d'annuler la décision 2001/577/CE de la Commission, du 25 juillet 2001, fixant la date à laquelle l'expédition à partir du Portugal de produits bovins dans le cadre du régime d'exportation fondé sur la date peut commencer au titre de l'article 22, paragraphe 2, de la décision 2001/376/CE;

— de condamner la Commission aux dépens.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Voir les conclusions que nous avons présentées dans l'affaire Commission/France (arrêt du 13 décembre 2001, C-1/00, Rec. p. I-9989, points 1 à 4).

( 3 ) JO L 203, p. 27.

( 4 ) JO L 311, p. 23.

( 5 ) JO L 197, p. 45.

( 6 ) Arrêt du 12 juillet 2001, Portugal/Commission (C-365/99, Rec. p. I-5645).

( 7 ) JO L 29, p. 36.

( 8 ) JO L 132, p. 17.

( 9 ) JO L 158, p. 76.

( 10 ) JO L 1, p. 21.

( 11 ) Souligne par I auteur.

( 12 ) JO L 395, p. 13.

( 13 ) JO L 224, p. 29.

( 14 ) JO L 204, p. 1.

( 15 ) Précitée.

( 16 ) Souligné par l'auteur.

( 17 ) Traduction de l'auteur.

( 18 ) JO L 195, p. 42.

( 19 ) Voir, ci-dessus, point 151.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-393/01
Date de la décision : 30/01/2003
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Agriculture - Police sanitaire - Mesures d'urgence contre l'encéphalopathie spongiforme bovine - Maladie dite 'de la vache folle' - Décision de levée de l'embargo sur les produits bovins originaires du Portugal.

Viande bovine

Législation vétérinaire

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : République française
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Rosas

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:63

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