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19/03/1996 | CJUE | N°C-25/94

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 19 mars 1996., Commission des Communautés européennes contre Conseil de l'Union européenne., 19/03/1996, C-25/94


Affaire C-25/94

Commission des Communautés européennes
contre

...

Affaire C-25/94

Commission des Communautés européennes
contre
Conseil de l'Union européenne

«OAA – Convention en matière de pêche – Droit de vote – États membres – Communauté»

Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 26 octobre 1995

Arrêt de la Cour du 19 mars 1996

Sommaire de l'arrêt

1..
Conseil – Comité des représentants permanents – Compétences propres – Absence – Compétences d'exécution – Portée
(Traite CE, art. 145 et 151, § 1)

2..
Recours en annulation – Actes susceptibles de recours – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Attribution par le Conseil aux États membres du droit de vote pour l'adoption, dans le cadre de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture, d'un accord international
(Traité CE, art. 173)

3..
Droit communautaire – Interprétation – Actes des institutions – Déclaration du Conseil inscrite au procès-verbal – Prise en considération – Inadmissibilité en l'absence de support dans l'acte lui-même

4..
Accords internationaux – Accord relevant pour partie de la compétence de la Communauté et pour partie de celle des États membres – Nécessité d'une coopération étroite entre États membres et institutions communautaires – Arrangement relatif à l'exercice du droit de vote au sein d'une organisation internationale intervenu entre le Conseil et la Commission – Arrangement prévoyant l'attribution du droit de vote à la Commission dans les matières relevant essentiellement de la compétence exclusive
de la Communauté – Décision du Conseil attribuant le droit de vote aux États membres pour l'adoption d'un accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion – Violation de l'arrangement – Illégalité

1.
Le comité des représentants permanents n'est pas une institution des Communautés investie par le traité de compétences propres, mais constitue un organe auxiliaire du Conseil assurant, pour ce dernier, des tâches de préparation et d'exécution, ainsi qu'il ressort de l'article 145 du traité, qui prévoit que le Conseil dispose d'un pouvoir de décision, et de l'article 151, paragraphe 1, du même traité, qui dispose que le Coreper a pour tâche de préparer les travaux du Conseil et d'exécuter les
mandats qui lui sont confiés par celui-ci. La fonction d'exécution des mandats confiés par le Conseil n'habilitant pas le Coreper à exercer le pouvoir décisionnel qui revient, d'après le traité, au Conseil, une décision attribuant aux États membres le droit de vote au sein d'une organisation internationale pour adopter un accord ne saurait être ni imputée au Coreper, ni considérée comme une confirmation d'une décision antérieure de celui-ci.

2.
Constitue un acte produisant des effets de droit et, comme tel, susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation en application de l'article 173 du traité, la décision par laquelle le Conseil a attribué, aux fins de l'adoption au sein de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture d'un accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion, le droit de vote aux États membres. En
effet, cette attribution a produit dans les relations entre la Communauté et les États membres, dans celles entre les institutions, ainsi que dans celles entre la Communauté et ses États membres, d'une part, et d'autres sujets de droit international, notamment l'organisation précitée et ses États membres, d'autre part, des conséquences juridiques qui interdisent de considérer qu'elle ne revêt qu'un caractère procédural ou protocolaire.

3.
Une déclaration, inscrite au procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle a été arrêtée une décision, ne saurait être retenue pour déterminer la portée de celle-ci lorsque le contenu de cette déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la décision en cause et n'a dès lors pas de portée juridique.

4.
Dès lors que, pour mettre en oeuvre l'obligation de coopération étroite entre États membres et institutions communautaires résultant de l'exigence de l'unité de représentation internationale de la Communauté, le Conseil et la Commission ont conclu un arrangement, par lequel ils ont entendu se lier l'un vis-à-vis de l'autre, aux termes duquel, s'agissant des votes au sein de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, ce serait la Commission qui, une fois adoptée
une position commune, exercerait le droit de vote au sein de cette organisation lorsqu'il s'agirait de se prononcer sur une question relevant pour l'essentiel de la compétence exclusive de la Communauté, il y a lieu d'annuler, pour violation de cet arrangement, la décision par laquelle le Conseil a décidé d'attribuer aux États membres le droit de vote pour l'adoption de l'accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et
de gestion. L'objet de cet accord relève, en effet, pour l'essentiel, de la compétence exclusive de la Communauté en matière de conservation des ressources biologiques de la mer.

ARRÊT DE LA COUR
19 mars 1996 (1)

«OAA – Convention en matière de pêche – Droit de vote – États membres – Communauté»

Dans l'affaire C-25/94,

Commission des Communautés européennes , représentée par M. Jörn Sack, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne , représenté par MM. Rüdiger Bandilla, directeur au service juridique, et Felix van Craeyenest, conseiller juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Bruno Eynard, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenu par Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord , représenté par M. John E. Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assisté de M. Richard Plender, QC, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

partie intervenante,

ayant pour objet l'annulation de la décision du Conseil Pêche du 22 novembre 1993 attribuant aux États membres le droit de vote au sein de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture pour adopter l'accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion,

LA COUR,,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J.-P. Puissochet et G. Hirsch, présidents de chambres, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, J. L. Murray, H. Ragnemalm et L. Sevón, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 27 juin 1995,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 octobre 1995,

rend le présent

Arrêt

1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 janvier 1994, la Commission des Communautés Européennes a, en vertu de l'article 173 du traité CE, demandé l'annulation de la décision du Conseil Pêche du 22 novembre 1993 attribuant aux États membres le droit de vote au sein de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (ci-après l' OAA) pour adopter l'accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de
conservation et de gestion (ci-après l' accord).

2
Par décision du 26 novembre 1991, prise conformément à l'article II, paragraphes 3 et 5, de son acte constitutif, relatif à l'adhésion d'une organisation d'intégration économique régionale, l'OAA a admis la Communauté économique européenne comme membre, aux côtés de ses États membres.

3
En application de l'article II, paragraphe 5, de l'acte constitutif et de l'article XLIV correspondant du règlement général de l'OAA, la Communauté a fait une déclaration par laquelle elle a précisé qu'elle avait compétence exclusive, entre autres, dans toutes les matières concernant la pêche ayant pour but d'assurer la protection des fonds de pêche et la conservation des ressources biologiques de la mer.

4
Pour les droits attachés à la qualité de membre, le règlement général de l'OAA prévoit, à l'article XLI, paragraphes 2 et 3, un système d'exercice alternatif entre l'organisation membre et ses propres États membres dans les termes suivants:

2.
Avant toute réunion de l'Organisation, l'Organisation Membre ou ses États Membres indiquent qui, de l'Organisation Membre ou de ses États Membres, a compétence ... et qui, de l'Organisation Membre ou de ses États Membres, exercera le droit de vote en ce qui concerne ce point particulier de l'ordre du jour.

3.
Dans les cas où un point de l'ordre du jour couvre à la fois des questions transférées dans la sphère de compétence de l'Organisation Membre et des questions de la compétence de ses États Membres, tant l'Organisation Membre que ses États Membres peuvent participer aux débats. Dans de tels cas, lors de la prise de décisions, la réunion ne tiendra compte que des interventions de la partie disposant du droit de vote.

5
Le Conseil et la Commission ont conclu, le 19 décembre 1991, un arrangement concernant la préparation des réunions de l'OAA ainsi que les interventions et les votes (ci-après l' arrangement).

6
L'arrangement institue une procédure de coordination entre la Commission et les États membres pour l'exercice des responsabilités ou les interventions sur un point particulier. D'après les sous-points 1.12. et 1.13. de l'arrangement:

1.12.
A défaut d'accord entre la Commission et les États membres ... la question est tranchée conformément à la procédure prévue par le Traité et à la pratique convenue. A défaut d'accord sur cette base, la question est soumise au Comité des Représentants permanents (ci-après le Coreper).

1.13.
Les décisions visées au point 1.12. ne portent pas atteinte aux compétences respectives de la Communauté et de ses États membres.

7
Les dispositions pertinentes du régime des interventions et des votes lors des réunions de l'OAA font l'objet du point 2 qui stipule aux sous-points 2.1. à 2.3.:

2.1.
Lorsqu'un point de l'ordre du jour concerne des questions relevant de la compétence exclusive de la Communauté, la Commission intervient et vote pour le compte de la Communauté.

2.2.
Lorsqu'un point de l'ordre du jour concerne des questions relevant de la compétence nationale, les États membres interviennent et votent.

2.3.
Lorsqu'un point de l'ordre du jour concerne des questions relevant à la fois de la compétence nationale et de celle de la Communauté, on s'efforcera de dégager une position commune par voie de consensus. Si une position commune peut être dégagée:


la Présidence expose la position commune lorsqu'il s'agit pour l'essentiel d'un sujet qui ne relève pas de la compétence exclusive de la Communauté. Les États membres et la Commission peuvent intervenir pour soutenir et/ou compléter la déclaration de la Présidence. Les États membres voteront conformément à la position commune;


la Commission expose la position commune lorsqu'il s'agit pour l'essentiel d'un sujet qui relève de la compétence exclusive de la Communauté. Les États membres peuvent intervenir pour soutenir et/ou compléter la déclaration de la Commission. La Commission votera conformément à la position commune.

8
Au sein de l'OAA a été élaboré un projet d' accord sur l'attribution de pavillons aux navires pêchant en haute mer en vue de favoriser le respect des mesures internationales de conservation et de gestion.

9
En raison de la compétence des États membres en matière d'enregistrement des navires, la Commission a proposé au Conseil, pour adopter ce projet d'accord, la formule de la compétence mixte. Elle a toutefois proposé un vote par la Communauté, l'essentiel de l'accord relevant de la compétence communautaire au titre de la conservation et de la gestion des ressources halieutiques.

10
Alors que la Commission et les États membres étaient d'accord sur la reconnaissance d'une compétence mixte, ils se sont opposés sur la question du droit de vote.

11
Conformément à l'arrangement, le Coreper a adopté, le 16 mars 1993, la formule du vote par les États membres. Une indication correspondante a été transmise par le secrétariat général du Conseil à l'OAA en vue de la 103 ^ e session de son Conseil au mois de juin 1993.

12
Au cours de cette session, les négociations ont abouti à l'élimination du projet d'accord des clauses relatives à l'enregistrement et à l'attribution du pavillon.

13
Un nouveau projet intitulé par la suite Accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion a été élaboré. Ce projet instaure un régime d'autorisation de pêcher en haute mer, octroyée par l'État du pavillon et visant à faire respecter les règles internationales de conservation et de gestion.

14
Le 24 septembre 1993, la Commission a proposé une nouvelle fois aux États membres, pour l'adoption de ce projet d'accord, la formule de la compétence mixte avec droit de vote pour la Communauté.

15
Faute d'un accord, le Coreper a estimé, le 21 octobre 1993, que l'indication à transmettre à l'OAA devait comporter la mention compétence mixte─vote États membres.

16
Cette indication a été transmise par la Commission à l'OAA avant le début de la 104 ^ e session du Conseil de l'OAA, du 2 au 5 novembre 1993, et de la 27 ^ e session de la Conférence de l'OAA, du 6 au 25 novembre 1993, au cours de laquelle devait être adopté le projet d'accord.

17
Lors de la session du Conseil Pêche du 22 novembre 1993, la Commission a demandé au Conseil d'approuver la déclaration suivante: Le Conseil constate que le projet d'accord soumis à la Conférence pour adoption concerne la conservation et la gestion des ressources de pêche en haute mer, au moyen d'un régime de licences et non plus d'une réglementation d'attribution ou de changement de pavillon, comme initialement envisagé.Dans ces conditions, ce projet d'accord qui comporte aussi certaines
dispositions d'assistance aux pays en voie de développement relève pour l'essentiel, sinon dans sa totalité, de la compétence exclusive de la Communauté et aurait dû normalement être approuvé au nom de celle-ci par un vote de la Commission.Il convient qu'à l'avenir des dossiers de cette nature seront traités selon le cas, conformément au point 2.1. ou au point 2.3., deuxième tiret, de l'Arrangement...

18
D'après le procès-verbal de la session du Conseil, ce dernier a confirmé le contenu de la décision prise par le Coreper et a refusé de marquer son accord sur la suggestion de déclaration faite par la Commission.

19
Le Conseil a également constaté que les questions de fond concernant la compétence et l'exercice du droit de vote pour les matières faisant l'objet du futur accord n'étaient pas tranchées. Il a invité le Coreper à réexaminer cette dernière question le moment venu.

20
Le texte du projet d'accord a été adopté, le 24 novembre 1993, par la Conférence de l'OAA, avec les votes positifs des États membres de la Communauté.

Sur la recevabilité

21
Le Conseil, soutenu par le Royaume-Uni, soulève une exception d'irrecevabilité.

22
Le Conseil fait valoir que la question du droit de vote a été tranchée définitivement par le Coreper, le 21 octobre 1993, conformément à l'arrangement. Lors de sa session du 22 novembre 1993, le Conseil se serait limité à refuser d'infirmer la décision du Coreper sans adopter un acte au sens de l'article 173 du traité. A supposer même que le Conseil ait adopté une décision formelle, celle-ci serait confirmative de la décision antérieure du Coreper.

23
La Commission réplique que le Coreper a pour tâche de préparer les travaux du Conseil et que ses décisions ne deviennent définitives qu'après approbation par le Conseil. L'arrangement n'exclurait pas une saisine du Conseil en cas de désaccord entre la Commission et les États membres.

24
A cet égard, il convient de relever que l'article 145 du traité prévoit que le Conseil dispose d'un pouvoir de décision.

25
L'article 151, paragraphe 1, du traité, figurant dans la section consacrée au Conseil, dispose que le Coreper a pour tâche de préparer les travaux du Conseil et d'exécuter les mandats qui lui sont confiés par celui-ci.

26
Il ressort de ces dispositions que le Coreper n'est pas une institution des Communautés investie par le traité de compétences propres, mais qu'il constitue un organe auxiliaire du Conseil assurant, pour ce dernier, des tâches de préparation et d'exécution.

27
La fonction d'exécution des mandats confiés par le Conseil n'habilite pas le Coreper à exercer le pouvoir décisionnel qui revient, d'après le traité, au Conseil.

28
Il résulte des considérations qui précèdent que le Coreper n'a pas pu adopter, le 21 octobre 1993, une décision sur la question du droit de vote et que le vote du Conseil du 22 novembre 1993 ne saurait, dans ces circonstances, être considéré comme une confirmation d'une décision antérieure du Coreper. En ce qui concerne l'argument du Conseil selon lequel il n'aurait pas adopté un acte au sens de l'article 173 du traité, il y a lieu de rappeler que le recours en annulation doit être ouvert à
l'égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu'en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (voir, notamment, à propos de la conclusion d'un traité international, arrêt du 31 mars 1971, dit AETR, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 263, point 42).

30
Le Conseil soutient, à cet égard, que, si décision il y a, elle ne revêt qu'une nature purement procédurale ou protocolaire qui n'a pas pu affecter les droits de la Commission ou la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres.

31
La Commission réplique que la décision du Conseil prive définitivement la Communauté de son droit de vote pour adopter le projet d'accord. A la date de la décision, la Conférence de l'OAA n'aurait pas encore terminé ses travaux, de sorte que cette décision aurait eu un effet sur l'exercice des compétences de la Communauté au sein de l'OAA. Enfin, la décision du Conseil et le vote exprimé par les États membres auraient induit les États tiers en erreur sur la compétence de la Communauté.

32
A cet égard, il y a lieu de constater que le vote du Conseil produit des effets juridiques sur plusieurs plans.

33
En premier lieu, il a reconnu aux États membres le droit de participer, à l'exclusion de la Communauté, à l'adoption définitive de l'accord, laquelle constitue une étape essentielle de la procédure de conclusion d'un traité international négocié dans le cadre d'une organisation internationale, conformément à l'article 9 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. En reconnaissant aux États membres le pouvoir de décision finale sur le contenu de l'accord, le vote du
Conseil a affecté les droits de la Communauté qui sont attachés à sa qualité de membre de l'OAA.

34
En deuxième lieu, en application du point 2.3. de l'arrangement, ce vote a interdit à la Commission d'exposer la position commune, ne lui permettant d'intervenir que pour soutenir et/ou compléter la déclaration de la présidence. Étant donné que le contenu de l'accord pouvait encore être modifié jusqu'à l'adoption du texte, l'attribution du droit de vote aux États membres a empêché la Communauté d'intervenir utilement dans les débats qui allaient éventuellement précéder l'arrêt définitif du
texte de l'accord.

35
En troisième lieu, en vertu de l'arrangement, le vote par les États membres, conformément à la position commune, a créé l'apparence, vis-à-vis des États tiers et de l'OAA, que, pour l'essentiel, l'objet de l'accord ne relevait pas de la compétence exclusive de la Communauté.

36
Ainsi qu'il résulte de l'article XLI, paragraphe 2, du règlement général de l'OAA, l'exercice du droit de vote, en ce qui concerne un point de l'ordre du jour, indique qui de l'organisation membre ou de ses États membres a compétence pour la question concernée. L'exercice du droit de vote par les États membres a dès lors des effets sur la compétence d'exécuter l'accord et de conclure des accords ultérieurs concernant la même question.

37
Le vote du Conseil a dès lors entraîné des effets juridiques dans les relations entre la Communauté et les États membres, entre les institutions et, enfin, entre la Communauté et ses États membres, d'une part, et d'autres sujets de droit international, notamment l'OAA et ses États membres, d'autre part. Il constitue par conséquent un acte au sens de l'article 173 du traité.

38
Cette constatation n'est pas infirmée par la déclaration, inscrite au procès-verbal de la session du Conseil, selon laquelle les questions de fond concernant la compétence et l'exercice du droit de vote pour les matières faisant l'objet du futur accord n'ont pas été tranchées. En effet, une telle déclaration ne saurait être retenue pour déterminer la portée de la décision du Conseil lorsque le contenu de cette déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la décision en cause et
n'a dès lors pas de portée juridique (voir arrêt du 26 février 1991, Antonissen, C-292/89, Rec. p. I-745, point 18).

39
Il résulte de ce qui précède que l'exception d'irrecevabilité doit être rejetée.

Sur le fond

40
Il convient de relever, à titre liminaire, que les parties au présent litige ne contestent pas l'existence d'une compétence mixte ni celle d'un accord sur une position commune, mais s'opposent sur la question de savoir si l'accord soumis pour adoption à la Conférence de l'OAA concerne un sujet qui relève pour l'essentiel de la compétence exclusive de la Communauté.

41
A cet égard, il convient de rappeler que la Communauté dispose, sur le plan interne, du pouvoir de prendre toute mesure tendant à la conservation des ressources biologiques de la mer (arrêt du 14 juillet 1976, Kramer e.a., 3/76, 4/76 et 6/76, Rec. p. 1279).

42
Selon une jurisprudence bien établie, il résulte des obligations et des pouvoirs mêmes que le droit communautaire a établis, sur le plan interne, dans le chef des institutions de la Communauté que celle-ci a compétence pour prendre des engagements internationaux tendant à la conservation des ressources de la mer (arrêt Kramer e.a., précité, point 33).

43
Dans la déclaration de compétence que la Communauté a transmise à l'OAA, au moment de son adhésion, elle a, en conséquence, précisé qu'elle disposait d'une compétence exclusive dans toutes les matières concernant la pêche ayant pour but d'assurer la protection des fonds de pêche et la conservation des ressources biologiques de la mer.

44
Il résulte en outre d'une jurisprudence constante que, pour ce qui concerne la haute mer, la Communauté a, dans les matières relevant de ses attributions, la même compétence réglementaire que celle qui est reconnue par le droit international à l'État du pavillon ou d'enregistrement du bateau (arrêt du 24 novembre 1993, Mondiet, C-405/92, Rec. p. I-6133, point 12).

45
En l'occurrence, force est de constater que, au moment où le Conseil a adopté la décision attaquée, le projet d'accord soumis pour adoption à la Conférence de l'OAA avait pour objet essentiel le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion et qu'il ne contenait plus les dispositions relatives à l'attribution du pavillon sur lesquelles le Conseil s'est fondé pour conclure que l'accord ne relevait pas, pour l'essentiel, de la
compétence exclusive de la Communauté.

46
A cet égard, le Conseil soutient à tort que l'autorisation de pêche en haute mer, délivrée par les États membres, sous la condition du respect des mesures de conservation et de gestion, remplit des fonctions comparables à l'octroi du pavillon. En effet, ainsi que la Commission l'a souligné, l'autorisation de pêcher constitue un moyen traditionnel de gestion des ressources halieutiques qui notamment donne aux navires de pêche accès aux eaux et aux ressources et qui se distingue donc
fondamentalement des conditions générales que les États membres peuvent définir, conformément aux dispositions du droit international, pour conférer à tous types de navires le droit de battre leur pavillon.

47
Quant aux dispositions relatives à l'adoption de sanctions éventuellement pénales ou à l'assistance aux pays en voie de développement qui, selon le Conseil, relèvent de la compétence des États membres, il apparaît qu'en tout état de cause elles n'occupent pas une place de premier plan dans le projet d'accord.

48
Il convient à ce propos de rappeler que, lorsqu'il apparaît que la matière d'un accord ou d'une convention relève pour partie de la compétence de la Communauté et pour partie de celle de ses États membres, il importe d'assurer une coopération étroite entre ces derniers et les institutions communautaires tant dans le processus de négociation et de conclusion que dans l'exécution des engagements assumés. Cette obligation de coopération découle de l'exigence d'une unité de représentation
internationale de la Communauté (délibération 1/78 du 14 novembre 1978, Rec. p. 2151, points 34 à 36; avis 2/91, du 19 mars 1993, Rec. p. I-1061, point 36, et avis 1/94, du 15 novembre 1994, Rec. p. I-5267, point 108). Il appartient aux institutions communautaires et aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer au mieux une telle coopération (avis 2/91, précité, point 38).

49
Il y a lieu de considérer, en l'espèce, que le point 2.3 de l'arrangement conclu entre le Conseil et la Commission constitue la mise en oeuvre, au sein de l'OAA, de cette obligation de coopération entre la Communauté et ses États membres. Il ressort par ailleurs des termes de l'arrangement que les deux institutions ont entendu se lier l'une vis-à-vis de l'autre. Le Conseil n'en a d'ailleurs à aucun moment de la procédure contesté la portée.

50
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en concluant que le projet d'accord concernait pour l'essentiel un sujet qui ne relevait pas de la compétence exclusive de la Communauté et en attribuant, en conséquence, le droit de vote pour adopter ce projet aux États membres, le Conseil a violé le point 2.3 de l'arrangement qu'il était tenu de respecter.

51
Il y a lieu dès lors d'annuler la décision du Conseil du 22 novembre 1993.

Sur les dépens

52
Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Royaume-Uni qui est intervenu au litige supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1)
La décision du Conseil Pêche du 22 novembre 1993 attribuant aux États membres le droit de vote au sein de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture pour adopter l'accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion est annulée.

2)
Le Conseil est condamné aux dépens.

3)
Le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Rodríguez Iglesias Puissochet Hirsch
Mancini Schockweiler Moitinho de Almeida
Kapteyn Gulmann Murray
Ragnemalm Sevón

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mars 1996.

Le greffier Le président

R. Grass G. C. Rodríguez Iglesias

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1 –
Langue de procédure: le français.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-25/94
Date de la décision : 19/03/1996
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

OAA - Convention en matière de pêche - Droit de vote - Etats membres - Communauté.

Agriculture et Pêche

Politique de la pêche

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:114

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