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11/03/1996 | CJUE | N°T-195/95

CJUE | CJUE, Ordonnance du Tribunal de première instance, Guérin Automobiles contre Commission des Communautés européennes., 11/03/1996, T-195/95


Avis juridique important

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61995B0195

Ordonnance du Tribunal de première instance (deuxième chambre élargie) du 11 mars 1996. - Guérin Automobiles contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Recours en carence et en indemnité - Exception d'irrecevabilité. - Affaire T-195/95.
Recueil de jur

isprudence 1996 page II-00171

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
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Avis juridique important

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61995B0195

Ordonnance du Tribunal de première instance (deuxième chambre élargie) du 11 mars 1996. - Guérin Automobiles contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Recours en carence et en indemnité - Exception d'irrecevabilité. - Affaire T-195/95.
Recueil de jurisprudence 1996 page II-00171

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés

++++

Recours en carence ° Délais ° Forclusion ° Possibilité d' invoquer le principe de protection de la confiance légitime ° Condition

(Traité CE, art. 175)

Sommaire

Pour pouvoir invoquer le principe de protection de la confiance légitime afin d' échapper à la forclusion résultant du dépassement du délai d' introduction d' un recours en carence fixé par l' article 175 du traité, un requérant doit pouvoir faire état d' espérances fondées sur des assurances précises fournies par l' administration communautaire, ce que ne constituent ni des déclarations publiques à caractère général prononcées par un membre de la Commission ni des contacts répétés entre l'
intéressé et la Commission postérieurs à une mise en demeure de celle-ci.

Parties

Dans l' affaire T-195/95,

Guérin automobiles, société de droit français en liquidation, établie à Alençon (France), représentée par Me Jean-Claude Fourgoux, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Pierrot Schiltz, 4, rue Béatrix de Bourbon,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Francisco Enrique González Díaz, membre du service juridique, et Guy Charrier, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que la Commission a omis de procéder à la notification de griefs à l' encontre de Nissan France SA et, subsidiairement, l' octroi de dommages-intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMI RE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. H. Kirschner, président, B. Vesterdorf, C. W. Bellamy, A. Kalogeropoulos et A. Potocki, juges,

greffier: M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l'arrêt

Faits à l' origine du litige

1 La requérante ° dont l' activité consistait en l' achat et la vente de véhicules automobiles et qui, par jugement rendu le 22 mai 1995, a été déclarée en liquidation judiciaire ° a déposé devant la Commission une plainte, enregistrée le 6 juin 1994, dirigée contre Nissan France SA, importateur des véhicules Nissan et filiale du constructeur japonais.

2 Dans cette plainte, la requérante relevait qu' elle avait été concessionnaire de Nissan France, qui, au début de 1991, a résilié unilatéralement le contrat de concession, avec effet au début de 1992. Postérieurement à cette résiliation, Nissan France aurait "continué à se prévaloir de son système de distribution exclusive pour refuser à M. Guérin toute indemnisation, pour avantager de façon discriminatoire un autre concessionnaire et lui opposer plusieurs refus de vente". La requérante a ensuite
contesté la compatibilité du contrat type de concession, pratiqué par Nissan France, avec le règlement (CEE) n 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l' application de l' article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d' accords de distribution et de service de vente et d' après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16). Faisant valoir que les effets du contrat excluent celui-ci du bénéfice de l' article 85, paragraphe 3, du traité, la requérante a déclaré qu'
elle "s' en remet à la Commission, qui a compétence pour se prononcer sur les pratiques de Nissan, puisque l' article 10 du règlement n 123/85 lui permet de retirer le bénéfice de l' exemption". A cet effet, elle a dénoncé plusieurs clauses du contrat type de concession, ou pratiques en découlant, mises en oeuvre par Nissan France, et a déclaré qu' elle fondait sa plainte sur l' infraction à l' article 85, paragraphe 1, du traité.

3 Par lettre du 30 juin 1994, la Commission a transmis une copie de la plainte susmentionnée à Nissan France en priant celle-ci de prendre position sur les faits allégués; le même jour, la Commission a informé la requérante de cette transmission. Deux mois plus tard, Nissan France a envoyé sa réponse à la Commission, qui l' a communiquée à la requérante en septembre 1994.

4 Par lettre du 21 février 1995, la requérante a fait part à la Commission de ses observations sur les réponses de Nissan France. Elle a notamment estimé que "le rapprochement entre les éléments de preuve ... à l' appui de sa plainte, l' analyse des deux versions du contrat et la réponse présentée par Nissan auraient déjà permis à la Commission de notifier des griefs". Après avoir commenté en détail les réponses de Nissan France, la requérante a déclaré qu' elle "demande à nouveau à la Commission de
notifier à Nissan les griefs qui apparaissent clairement de l' étude du dossier", pour conclure par la formule "restant à votre disposition".

5 Cette lettre est restée sans réponse de la part de la Commission.

Procédure et conclusions des parties

6 C' est dans ces conditions que la requérante a introduit le présent recours, qui a été enregistré au greffe du Tribunal le 17 octobre 1995.

7 Par acte séparé, déposé le 4 décembre 1995 au greffe du Tribunal, la Commission a soulevé une exception d' irrecevabilité, sur le fondement de l' article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 8 janvier 1996.

8 Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

° constater la carence de la Commission;

° subsidiairement, sur le fondement de l' article 215 du traité CE, dire que la Commission a ainsi engagé sa responsabilité extra-contractuelle vis-à-vis de la requérante et lui doit réparation du dommage évalué à 1 577 188,53 FF;

° condamner la Commission aux dépens.

9 La Commission, dans son exception d' irrecevabilité, conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

° rejeter le recours comme irrecevable;

° condamner la partie requérante aux dépens.

10 La requérante, dans ses observations sur l' exception d' irrecevabilité, estime que, après avoir rejeté l' exception, le Tribunal peut statuer sur les conclusions en carence et aux fins d' indemnité du recours.

Sur la recevabilité du recours

Arguments des parties

Quant aux conclusions en carence

11 La Commission considère que le recours est irrecevable dès lors qu' il a été introduit hors des conditions et des délais prévus par l' article 175 du traité CE. En effet, la lettre de la requérante du 21 février 1995 ne saurait être considérée comme "une invitation à agir" au sens de cette disposition, étant donné qu' elle avait essentiellement pour but de répliquer aux arguments de réponse que Nissan France avait adressés à la Commission. La lettre aurait même contenu une formule ° "restant à
votre disposition" ° qui démontre que, dans l' esprit de la requérante, une coopération avec les services de la Commission était appelée à se poursuivre. La Commission en déduit que la lettre du 21 février 1995 ne faisait pas clairement apparaître que, à défaut d' action dans le délai prévu, un recours en carence serait formé contre elle.

12 La Commission ajoute que, en tout état de cause, à supposer que ladite lettre puisse être considérée comme une mise en demeure, le présent recours en carence n' a été introduit que près de huit mois plus tard. Or, il découlerait de l' article 175 du traité que, dans l' hypothèse où l' institution visée n' a pas pris position dans un délai de deux mois à compter de la mise en demeure ° ce que la Commission ne conteste pas en l' espèce °, un recours en carence ne peut être formé à l' encontre de
ladite institution que dans un nouveau délai de deux mois. En l' espèce, ce nouveau délai aurait expiré en avril 1995, et la requérante n' aurait pas établi l' existence d' un cas fortuit ou de force majeure au sens des dispositions combinées des articles 42, deuxième alinéa, et 46, premier alinéa, du statut (CE) de la Cour.

13 La requérante rétorque que l' article 175 du traité n' impose aucune forme particulière pour l' invitation à agir. Il suffirait que cette invitation, à laquelle il ne pourrait être reproché d' être formulée avec courtoisie, soit suffisamment nette pour que la Commission ne puisse se méprendre sur sa portée. Or, en l' espèce, la Commission n' aurait pu douter que le défaut d' adopter une décision serait considéré par la requérante comme une carence et pourrait aboutir à la formation d' un recours.

14 En ce qui concerne l' allégation d' irrecevabilité fondée sur la date d' introduction du recours, la requérante relève que des contacts fréquents avec la Commission, postérieurement à la mise en demeure, permettent d' écarter toute exception de tardiveté dans la mesure où la requérante était fondée à penser que le problème qu' elle avait soumis à la Commission allait recevoir une solution favorable (voir l' arrêt de la Cour du 16 février 1993, ENU/Commission, C-107/91, Rec. p. I-599). Elle estime
que, en vertu du principe de la confiance légitime, un plaignant peut être amené à retarder la mise en oeuvre d' un recours s' il lui est donné à croire que son dossier va finir par être traité en raison d' une intention ou d' une volonté exprimée au nom de la Commission. Dans ce contexte, elle renvoie aux déclarations publiques répétées de M. Van Miert, membre de la Commission responsable des affaires de concurrence, notamment au Journal de l' automobile du 13 janvier 1995 ("je suis déterminé à
agir avec rapidité et avec détermination sans faille. Il n' y aura pas de mansuétude...") ou à sa position en réponse à la résolution du Parlement du 16 mars 1995 sur le Vingt-troisième Rapport de la Commission sur la politique de concurrence ["la consolidation du marché intérieur suppose que la Commission, comme tous les États membres eux-mêmes, prête une attention toute particulière au respect rigoureux des règles existantes (en matière de concurrence)]". En l' espèce, la Commission aurait
reconnu, dans son exception d' irrecevabilité, que la requérante avait fait preuve d' esprit de coopération et que cette dernière pouvait estimer que la coopération se poursuivrait de manière à faire avancer son dossier, ce qui justifiait son attente.

15 La requérante soutient en outre que le Tribunal peut retenir, en tout état de cause, que la communication du recours par son greffe à la Commission constitue la transmission d' une invitation à agir sans ambiguïté à laquelle l' acte introductif doit être assimilé. Elle signale enfin que, la Commission ne manifestant nullement l' intention de mettre fin à sa carence, elle lui a adressé, à toutes fins utiles, par lettre du 2 janvier 1996, une nouvelle mise en demeure destinée à déboucher sur un
nouveau recours en carence.

Quant aux conclusions aux fins d' indemnité

16 La Commission ne se prononce pas sur ce point. La requérante souligne que son recours en responsabilité est une action autonome par rapport au recours fondé sur la carence. Or, la mise en oeuvre de la responsabilité d' une institution, spécialement de la Commission, permettrait directement au Tribunal, en procédant à une qualification juridique des faits, d' estimer qu' ils sont constitutifs d' une faute suffisamment caractérisée pour engager cette responsabilité. La Commission ne contestant pas
avoir omis de prendre position dans le délai imparti, elle aurait manifestement manqué à son obligation d' examiner la plainte de façon complète et cohérente en motivant son absence de traitement du dossier de façon rigoureuse.

Appréciation du Tribunal

17 Le Tribunal rappelle liminairement que, en vertu de l' article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsqu' il est saisi d' une exception d' irrecevabilité soulevée par la partie défenderesse, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l' espèce, s' agissant du recours en carence, le Tribunal s' estime suffisamment éclairé par l' examen des pièces du dossier. Il n' y a donc pas lieu d' ouvrir la procédure orale à cet égard.

18 Quant aux délais prescrits par l' article 175, deuxième alinéa, du traité, il y a lieu de constater que l' envoi, par la requérante, de sa lettre du 21 février 1995 ° à supposer même que celle-ci puisse être considérée comme une invitation à agir au sens de l' article 175, deuxième alinéa, du traité ° a été suivi par l' abstention, de la part de la Commission, de prendre position vis-à-vis de la requérante, et cela jusqu' à l' introduction du présent recours, le 17 octobre 1995. Or, le recours en
carence aurait dû être introduit, en vertu de l' article 175, deuxième alinéa, du traité, dans un délai de quatre mois à compter de l' envoi de ladite lettre, c' est-à-dire, au plus tard, à la fin du mois de juin 1995. Il s' ensuit que ce délai de recours a été manifestement dépassé.

19 Bien que la Commission, dans son exception d' irrecevabilité, en ait expressément soulevé l' éventualité, la requérante s' est abstenue d' invoquer, dans ses observations sur l' exception, la présence d' un cas fortuit, d' une force majeure ou d' une erreur excusable qui auraient pu expliquer ce dépassement de délai.

20 Dans la mesure où la requérante se réfère à des déclarations publiques de M. Van Miert ou à des contacts fréquents avec la Commission, postérieurs à la mise en demeure, qui auraient fondé sa confiance légitime de sorte qu' elle aurait pu se croire autorisée à retarder l' introduction de son recours, il convient de rappeler que le concept de confiance légitime présuppose, dans le chef de l' intéressé, la présence d' espérances fondées sur des assurances précises fournies par l' administration
communautaire (arrêt du Tribunal du 19 mai 1994, Consorzio gruppo di azione locale "Murgia Messapica"/Commission, T-465/93, Rec. p. II-361, point 67). Or, vu le caractère général des déclarations publiques en cause, il ne saurait être question, en l' espèce, d' assurances précises fournies par la Commission au sujet du dossier spécifique de la requérante, lesquelles auraient pu justifier le dépassement du délai constaté ci-dessus. En outre, des contacts éventuels postérieurs à une mise en demeure de
la Commission entre celle-ci et la requérante n' excluent pas le respect des délais de l' article 175 du traité.

21 En ce qui concerne le renvoi, par la requérante, à l' arrêt ENU/Commission, précité (points 23 et 24), il suffit de rappeler que le "délai raisonnable" qui était en cause dans cette affaire n' était pas le délai de recours prévu par l' article 175, deuxième alinéa, du traité, ce dernier délai de quatre mois ayant été pleinement respecté dans cette affaire. Il s' agissait plutôt du délai dans lequel l' institution communautaire concernée doit être saisie pour pouvoir être valablement mise en
demeure. Ceci étant constaté, l' argument que le requérant tente de tirer de l' arrêt ENU/Commission doit être considéré comme inopérant.

22 Dans la mesure où la requérante fait enfin valoir que la communication du recours même constitue une invitation à agir de sorte que les conditions d' application de l' article 175 du traité seraient remplies en l' espèce, il convient de relever que tant la lettre que l' économie de cette disposition s' opposent à un tel raisonnement. Les conditions de recevabilité d' un recours étant d' ordre public, le juge communautaire ne saurait procéder à une interprétation extensive dans le sens voulu par
la requérante et recevoir un recours prématuré.

23 Il résulte de ce qui précède que les conclusions en carence doivent être rejetées comme irrecevables.

24 En revanche, il y a lieu de joindre au fond la décision sur l' exception d' irrecevabilité en tant qu' elle concerne les conclusions aux fins d' indemnité du recours.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable en ce qu' il vise à faire constater une carence de la Commission.

2) En ce qui concerne les conclusions aux fins d' indemnité, l' exception d' irrecevabilité soulevée par la partie défenderesse est jointe au fond.

3) Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 11 mars 1996.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-195/95
Date de la décision : 11/03/1996
Type de recours : Recours en carence - irrecevable, Recours en responsabilité - décision interlocutoire

Analyses

Concurrence - Recours en carence et en indemnité - Exception d'irrecevabilité.

Concurrence

Ententes

Contrats d'exclusivité


Parties
Demandeurs : Guérin Automobiles
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1996:36

Source

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