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30/11/1993 | CJUE | N°T-549/93

CJUE | CJUE, Ordonnance du Président du Tribunal du 30 novembre 1993., D. contre Commission des Communautés européennes., 30/11/1993, T-549/93


Avis juridique important

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61993B0549

Ordonnance du Président du Tribunal du 30 novembre 1993. - D contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Procédure de référé - Sursis à exécution - Procédure disciplinaire - Révocation. - Affaire T-549/93 R
Recueil de jurisprudence 1993 page II-0

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Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés

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Réf...

Avis juridique important

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61993B0549

Ordonnance du Président du Tribunal du 30 novembre 1993. - D contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Procédure de référé - Sursis à exécution - Procédure disciplinaire - Révocation. - Affaire T-549/93 R
Recueil de jurisprudence 1993 page II-01347

Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés

++++

Référé - Sursis à exécution - Sursis à l' exécution d' une sanction disciplinaire - Conditions d' octroi - "Fumus boni juris" - Préjudice grave et irréparable - Préjudice non patrimonial - Mise en balance de l' ensemble des intérêts en cause - Préjudice pécuniaire

(Traité CEE, art. 185; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)

Parties

Dans l' affaire T-549/93 R,

D., fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, représenté par Me Eric Boigelot, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Louis Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Nicola Annecchino, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l' exécution de la décision du 30 septembre 1993, par laquelle l' autorité investie du pouvoir de nomination a infligé à la partie requérante la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression du droit à pension d' ancienneté prévue à l' article 86, paragraphe 2, sous f), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l'arrêt

Faits et procédure

1 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 octobre 1993, le requérant a introduit, en application de l' article 91, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après "statut"), un recours visant à l' annulation de la décision de l' autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après "AIPN") du 30 septembre 1993, qui lui a infligé la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression du droit à pension d' ancienneté prévue à l' article 86, paragraphe 2,
sous f), du statut.

2 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a également introduit, en application de l' article 91, paragraphe 4, du statut, une demande de mesures provisoires visant à obtenir le sursis à l' exécution de la décision attaquée.

3 La Commission a présenté ses observations écrites le 11 novembre 1993. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 17 novembre 1993.

4 Avant d' examiner le bien-fondé de la présente demande de mesures provisoires, il convient de rappeler brièvement les antécédents du litige, tels qu' ils résultent des mémoires déposés par les parties et des explications qu' elles ont fournies lors de l' audition.

5 Le 28 avril 1988, le requérant fut nommé chef de la délégation de la Commission en (omissis), où il exerça ses fonctions jusqu' au mois de novembre 1991. Depuis le 1er décembre 1991, le requérant a occupé le poste de chef de la délégation de la Commission en (omissis). Auparavant, il avait exercé successivement les fonctions de conseiller auprès des délégations de la Commission en (omissis), de 1981 à 1984, et en (omissis), de 1984 à 1987, et de chef de délégation en (omissis), de janvier à avril
1988.

6 Lors d' une enquête menée, en février 1993, par l' inspection générale des délégations de la Commission à la délégation en (omissis), un certain nombre d' accusations à l' encontre du requérant, relatives à la période pendant laquelle celui-ci avait exercé les fonctions de chef de la délégation, ont été portées à la connaissance des inspecteurs. Ces accusations concernaient, pour l' essentiel, des pratiques de harcèlement sexuel dont le personnel féminin de la délégation aurait fait l' objet,
ainsi que des irrégularités administratives, consistant notamment en des paiements injustifiés et discriminatoires à certains membres du personnel et, en général, en une gestion incorrecte et abusive du personnel et des biens de la Commission.

7 Le 4 mai 1993, l' AIPN a informé le requérant de l' ouverture d' une procédure disciplinaire à son encontre. Après avoir entendu le requérant, le 26 mai 1993, l' AIPN, par décision du 28 mai 1993, l' a suspendu de ses fonctions, en vertu de l' article 88 du statut, sans perte de rémunération.

8 Le 2 juin 1993, l' AIPN a chargé M. Petersen, conseiller à la direction générale du personnel et de l' administration, de "procéder en (ses) lieu et place à l' audition des témoins qui se sont manifestés et qui se trouvent en (omissis) ainsi qu' à l' inspection des lieux". Les plaignantes, ainsi que d' autres membres du personnel local ont été entendus entre le 7 et le 13 juin 1993. D' autres fonctionnaires et agents, qui avaient eu par le passé des rapports de travail avec le requérant, furent
également interrogés entre le 18 juin et le 2 juillet 1993.

9 Après en avoir informé le requérant, le 29 juin 1993, l' AIPN a saisi le conseil de discipline de la présente affaire, par rapport du 7 juillet 1993. Dans ce rapport, il était reproché au requérant d' avoir harcelé sexuellement des agents locaux féminins employés auprès de la délégation de la Commission en (omissis), pendant la période où cours de laquelle il avait été délégué de la Commission. Par contre, le rapport ne portait pas sur les "graves irrégularités administratives" alléguées
auparavant, l' AIPN faisant état que "in view of the nature of the allegations and of the evidence relating to them (it) does not consider it appropriate, at this stage, to seize de Disciplinary Board in respect of them" ["au vu de la nature des allégations et des preuves y afférentes, (elle) ne considère pas approprié, à ce stade, de saisir le conseil de discipline de cette matière"].

10 Par avis du 27 juillet 1993, le conseil de discipline, après avoir pris connaissance de l' ensemble des pièces jointes au dossier et entendu le requérant et M. Petersen, a recommandé à l' AIPN "d' infliger à M. (D.) la sanction disciplinaire visée à l' article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, à savoir la révocation, sans suppression de ses droits à pension". Lors de son audition devant le conseil de discipline, le requérant avait demandé que soit menée une enquête complémentaire et
contradictoire, comprenant notamment une confrontation et une expertise médicale. Cette demande a été refusée par le conseil de discipline.

11 Après avoir entendu à nouveau le requérant, le 29 juillet 1993, l' AIPN lui a fait savoir, par note du 30 juillet 1993, qu' elle avait "décidé de faire droit à (sa) demande à ce qu' une confrontation de chacune des plaignantes et de (lui)-même soit organisée avant toute prise de décision en rapport avec la procédure disciplinaire engagée contre (lui). Les résultats de ces confrontations, qui auront lieu dans les semaines à venir, compléteront l' avis du conseil de discipline du 27 juillet 1993 et
seront versés au dossier".

12 La confrontation entre le requérant et les trois plaignantes, assistés de leurs avocats respectifs, a eu lieu le 7 septembre 1993. Le 15 septembre 1993, l' AIPN a procédé à l' audition finale du requérant, conformément à l' article 7 de l' annexe IX du statut.

13 C' est dans ces conditions que, par décision du 30 septembre 1993, l' AIPN a infligé au requérant la sanction de la révocation sans suppression de ses droits à pension, à partir du 1er décembre 1993. Dans sa décision, l' AIPN considère, en substance, que les faits reprochés au requérant, tels qu' ils résultent des dépositions des plaignantes, constituent une faute très grave ainsi qu' un délit de droit commun que ni l' état de santé du requérant ni aucune autre circonstance ne permettent en aucun
cas d' excuser.

En droit

14 En application des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CEE, les recours formés devant le Tribunal n' ont pas d' effet suspensif. Toutefois, le Tribunal peut, s' il estime que les circonstances l' exigent, ordonner le sursis à l' exécution de l' acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

15 En application de l' article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, il incombe à la partie requérante de spécifier les circonstances établissant l' urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l' octroi de la mesure provisoire à laquelle elle conclut.

Arguments des parties

16 S' agissant de l' existence de moyens justifiant, à première vue, l' octroi du sursis à l' exécution de la décision attaquée, le requérant considère, en substance, que plusieurs circonstances de fait démontrent qu' à tout le moins le débat engagé présente un caractère sérieux et que sa thèse est étayée par des arguments solides.

17 A cet égard, le requérant fait valoir, en premier lieu, que l' AIPN a méconnu les règles de procédure applicables en matière disciplinaire, en ce qu' elle a adopté la décision définitive en dehors, respectivement, du délai d' un mois à compter de l' avis du conseil de discipline, prévu à l' article 7, troisième alinéa, de l' annexe IX du statut, et du délai de quatre mois à compter du jour où une décision de suspension a pris effet, prévu à l' article 88, troisième alinéa, du statut.

18 Le requérant relève, en second lieu, que, au moment de l' adoption de la décision attaquée, l' AIPN ne disposait pas d' un avis régulier du conseil de discipline, celui-ci ayant rendu son avis sans disposer de tous les éléments du dossier et, notamment, de l' enquête contradictoire qui est intervenue ultérieurement. Dans ces circonstances, le requérant estime que non seulement la procédure est entachée d' une irrégularité, mais également que ses droits de la défense ont été violés, dans la mesure
où il été placé dans l' impossibilité d' exposer la totalité de ses arguments devant l' organe chargé d' émettre un avis motivé préalablement à la décision de l' AIPN.

19 En troisième lieu, le requérant reproche à l' AIPN de s' être abstenue de rapporter la preuve des faits allégués, en ce qu' elle s' est contentée d' assimiler les dépositions des plaignantes à la preuve des faits litigieux, violant ainsi les droits de la défense et le principe général "in dubio pro reo", reconnu dans tous les systèmes juridiques des États membres. Le requérant estime, en particulier, que la décision attaquée ne comporte aucune motivation ni quant à la matérialité des faits ni
quant à leur qualification et qu' elle méconnait tant la résolution 90/C 157/02 du Conseil, du 29 mai 1990, concernant la protection de la dignité de la femme et de l' homme au travail (JO C 157, p. 3), que la recommandation 92/131/CEE, que la défenderesse, elle-même, a adoptée le 27 novembre 1991 sur la protection et la dignité des femmes et des hommes au travail, et, plus particulièrement, son annexe instituant un code de pratique visant à combattre le harcèlement sexuel (JO 1992, L 49, p. 1).

20 En quatrième lieu, le requérant souligne que les faits qui lui sont reprochés ont été dénoncés entre deux à cinq ans après leur prétendue réalisation et quinze mois après son départ de la délégation au sein de laquelle ces faits se seraient déroulés, ce qui serait incompatible avec la notion même de harcèlement sexuel. Le requérant considère, par ailleurs, qu' il y a une disproportion flagrante entre les faits reprochés et la sanction prononcée, alors que les faits n' ont pas été établis
clairement et de manière irréfutable par l' AIPN et que celle-ci a ignoré de nombreux témoignages et éléments du dossier qui tendraient à montrer que les comportements litigieux ne se sont pas déroulés. Il en résulte, selon le requérant, que, en adoptant la sanction qui, dans la pratique, est la plus grave, puisqu' il ne peut bénéficier d' aucune pension, l' AIPN aurait méconnu la recommandation précitée, laquelle prévoit le principe d' une échelle de peines.

21 Le requérant considère, enfin, que la décision attaquée viole le principe selon lequel un acte n' est punissable que s' il est commis par une personne reconnue responsable de ses actes. Il souligne, à cet égard, que l' expertise médicale qu' il avait sollicitée du conseil de discipline pour que soit établi son degré de responsabilité éventuelle lui a été refusée au motif qu' aucun trouble psychique n' était apparent. Or, la simple lecture des faits qui lui étaient reprochés, à les supposer vrais,
serait de nature à démontrer plutôt le contraire.

22 S' agissant de l' urgence, le requérant fait valoir que la décision attaquée entraîne dans son chef un préjudice grave et irréparable, tant sur le plan pécuniaire que sur le plan de sa réputation, son honneur et sa dignité.

23 En ce qui concerne le préjudice pécuniaire, le requérant souligne, tout d' abord, que, à partir du 1er décembre 1993, il se trouvera sans emploi et sans la moindre rémunération. En outre, dans la mesure où il est fonctionnaire de la Commission depuis moins de dix ans, il ne pourra percevoir aucune pension, mais simplement se faire rembourser ses cotisations personnelles au régime de pension. Selon les renseignements dont le requérant dispose, il s' agirait d' un montant de l' ordre de 1 000 000
BFR. Or, vu les nombreux frais qu' il doit supporter et en particulier ceux liés, d' une part, à sa défense dans la présente affaire et, d' autre part, aux études qu' un de ses fils effectue au Royaume-Uni, le requérant estime qu' il sera bientôt privé de toute ressource et sera donc contraint de réaliser, dans des conditions nécessairement mauvaises, des éléments de son patrimoine familial.

24 Le requérant relève, par ailleurs, que, si la décision dont le sursis est demandé devait sortir immédiatement ses effets au 1er décembre 1993, il ne serait virtuellement plus possible pour lui d' être réintégré, d' ici plusieurs mois, voire des années, dans la fonction qu' il occupe, tant dans la mesure où son poste sera nécessairement occupé par une autre personne qui y sera nommée, que par le fait qu' il ne serait plus crédible au regard des pays tiers ou de sa propre délégation.

25 S' agissant de l' atteinte à sa réputation, à son honneur et à sa dignité, le requérant fait valoir qu' il s' agit d' un préjudice totalement irréparable car, même si ultérieurement la décision attaquée est annulée, sa révocation et les motifs de celle-ci seront connus par l' ensemble des fonctionnaires des Communautés européennes et les chefs des autres délégations, voire par des personnes étrangères aux institutions communautaires.

26 La Commission considère, pour sa part, que les conditions justifiant en droit l' octroi des mesures provisoires demandées par le requérant ne se trouvent pas réunies en l' espèce.

27 En ce qui concerne le fumus boni juris, la Commission fait valoir que les moyens et arguments invoqués par le requérant ne paraissent pas, à première vue, fondés. Elle relève, en particulier, que, selon une jurisprudence établie de la Cour et du Tribunal, le délai d' un mois prévu à l' article 7 de l' annexe IX du statut n' est pas un délai péremptoire et que, au vu des circonstances de l' espèce, la décision finale de l' AIPN a été prise dans un délai raisonnable. S' agissant du moyen tiré de ce
que la décision finale a été adoptée plus de quatre mois après que le requérant a été suspendu, la Commission estime qu' il ne s' agit pas là d' une irrégularité substantielle susceptible d' entraîner l' annulation de la décision litigieuse. La défenderesse considère, à cet égard, que la seule "sanction" imposée par l' article 88, troisième et quatrième alinéas, du statut, en cas de dépassement du délai de quatre mois, est la perception, à nouveau, par l' intéressé de sa rémunération et des retenues
éventuellement opérées. Or, la décision de suspension du requérant prévoyait expressément que celui-ci continuerait à percevoir sa rémunération pendant sa suspension. La Commission souligne qu' en tout état de cause l' on ne saurait lui reprocher d' avoir trop tardé à adopter la décision finale, alors que, d' une part, le dépassement du délai de quatre mois n' a été que de trois jours et que, d' autre part, un tel dépassement serait la conséquence d' avoir voulu assurer une protection maximale des
droits de la défense, en organisant notamment la confrontation demandée par le requérant.

28 La Commission considère, également, que le fait pour le conseil de discipline de ne pas avoir pris en considération, lorsqu' il a émis son avis, l' ensemble des éléments du dossier, en particulier ceux résultant de la confrontation entre le requérant et les plaignantes, ne saurait constituer une illégalité susceptible d' entacher d' irrégularité la procédure et la décision finale. La défenderesse rappelle, à cet égard, que le conseil de discipline, s' estimant suffisamment renseigné, avait décidé
de ne pas procéder à une confrontation entre les parties et de ne pas ordonner une expertise médicale du requérant. Elle ajoute que l' AIPN n' était pas tenue d' organiser une telle confrontation et qu' en tout état de cause celle-ci n' a apporté aucun élément nouveau.

29 La défenderesse fait valoir également que le moyen tiré de la prétendue erreur de qualification, en tant qu' harcèlement sexuel, des comportements reprochés au requérant n' est pas fondé. Outre le fait qu' en tout état de cause la qualification juridique des comportements reprochés serait secondaire par rapport à la réalité des faits, la Commission avance que l' on ne saurait nier, en l' espèce, l' existence de contrainte hiérarchique.

30 S' agissant du moyen tiré de l' absence d' indication de l' échelle des peines susceptibles d' être appliquées dans de tels cas, la défenderesse, après avoir souligné que la recommandation de la Commission du 27 novembre 1991 est dépourvue de toute force contraignante, fait valoir, d' une part, que le statut ne prévoit pas une échelle de peines fixes par rapport à une infraction disciplinaire déterminée et, d' autre part, que, dans de telles circonstances, l' imposition d' une telle obligation à
l' AIPN reviendrait à nier le principe selon lequel il incombe à celle-ci de déterminer la sanction disciplinaire une fois établie la réalité des faits imputés au fonctionnaire.

31 En ce qui concerne l' urgence, la Commission est d' avis que le requérant n' a pas établi l' existence d' un risque de préjudice grave et irréparable dans son chef.

32 S' agissant, d' une part, du préjudice pécuniaire invoqué, la défenderesse relève que, en cas d' éventuelle annulation de la décision litigieuse par le Tribunal, le requérant aurait droit au versement de toutes les sommes qu' il aurait dû percevoir à partir du 1er décembre 1993 jusqu' à sa réintégration. La défenderesse ajoute qu' en tout état de cause le requérant recevra, dès maintenant, un montant de 1 300 000 BFR environ correspondant aux contributions qu' il a versées, pendant la période où
il a prêté service à la Commission en tant que fonctionnaire, pour la constitution de sa pension. En outre, il aura droit, selon la Commission, à une pension belge dès l' âge de 62 ans. La Commission considère, enfin, que le requérant n' a pas établi qu' il serait dans l' obligation de procéder à la vente de biens de son patrimoine familial en attente de l' arrêt quant au fond. En ce qui concerne, en particulier, les frais liés aux études que le fils du requérant poursuit au Royaume-Uni, la
défenderesse souligne qu' il perçoit une bourse du gouvernement du Royaume-Uni et qu' il est logé par l' université de Sussex moyennant un prix non élevé de 350 UKL. A l' audience, la Commission a encore ajouté que, outre la somme correspondant à sa contribution pour la pension, le requérant doit également percevoir une somme d' environ 1 000 000 BFR à titre de jours de congé non pris. Selon un document transmis par la Commission au Tribunal, en date du 19 novembre 1993, il s' agit d' une somme de 1
086 828 BFR, correspondant à 86 jours de congé non pris par le requérant au moment de sa cessation de fonctions.

33 S' agissant, d' autre part, du préjudice non patrimonial, la défenderesse fait valoir que, tant au niveau de l' administration qu' au niveau de sa hiérarchie, la présente affaire a été traitée soigneusement, afin d' éviter toute circonstance susceptible de porter atteinte à l' image, la réputation et la dignité professionnelles du requérant. En outre, la Commission souligne que la crédibilité même de l' institution, notamment auprès des pays tiers où le requérant a exercé ses fonctions, s'
opposerait à toute divulgation publique de cette affaire. La défenderesse considère, enfin, en ce qui concerne le grief tiré de l' impossibilité pour le requérant de réoccuper les fonctions de chef de délégation au cas où le Tribunal ferait droit à son recours, que, sans exclure que le requérant puisse être réintégré dans ses anciennes fonctions, il résulte d' une jurisprudence bien établie qu' un fonctionnaire ne saurait prétendre à se voir attribuer ou maintenir un poste déterminé, les
institutions disposant d' un large pouvoir d' appréciation dans l' organisation de leurs services et dans l' affectation du personnel qui se trouve à leur disposition.

Appréciation du juge des référés

Sur l' existence d' un fumus boni juris

34 Afin d' établir l' existence d' un fumus boni juris, il y a lieu pour le juge des référés de vérifier si, au vu des circonstances de fait et de droit de l' espèce, les moyens et arguments que le requérant invoque à l' appui de son recours en annulation devant le Tribunal présentent un caractère sérieux.

35 A cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que la décision attaquée se limite à déclarer qu' il est reproché au requérant "d' avoir harcelé sexuellement - pendant la période où il était délégué de la Commission en (omissis) - des agents locaux féminins", sans toutefois apporter une quelconque précision quant aux lieux, circonstances, durée et régularité des faits qui constituent la faute disciplinaire.

36 En second lieu, il y a lieu d' observer que, selon la décision attaquée, les faits litigieux ont été mis en évidence par les dépositions des plaignantes et ont été confirmés par ces mêmes plaignantes, tant lors de l' enquête menée dans le cadre de la procédure disciplinaire que lors de la confrontation avec le requérant. La décision, par contre, ne fait aucune référence aux témoignages recueillis au cours de la procédure disciplinaire, susceptibles de confirmer ou de démentir les dépositions des
plaignantes.

37 En troisième lieu, il convient de souligner que la décision attaquée est très sommaire en ce qui concerne les considérations qui ont conduit l' AIPN à adopter la sanction choisie, alors que, en l' espèce, il s' agit de l' une des sanctions disciplinaires les plus graves, à savoir la révocation sans suppression du droit à pension d' ancienneté. La décision se limite, en effet, d' une part, à qualifier les faits litigieux de "faute très grave" et de "délit de droit commun", sans toutefois préciser
lequel, et, d' autre part, à déclarer que la qualité du travail du requérant est "sans aucune influence par rapport aux faits qui lui sont reprochés" et que "ni son état de santé, ni aucune autre circonstance ne permettent, en aucun cas, de le disculper".

38 Or, selon une jurisprudence constante (voir notamment l' arrêt du Tribunal du 13 décembre 1990, González Holguera/Parlement, T-115/89, Rec. p. II-831, points 42 à 45), l' obligation de motivation de toute décision individuelle prise en application du statut a pour finalité, d' une part, de fournir à l' intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non fondée et, d' autre part, de rendre possible le contrôle juridictionnel. Pour que le Tribunal puisse exercer ce contrôle,
il est indispensable que les considérants d' une décision infligeant une sanction disciplinaire précisent les faits concrets retenus à la charge du fonctionnaire ainsi que les considérations qui ont amené l' AIPN à adopter la sanction choisie (voir l' arrêt de la Cour du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, Rec. p. 275).

39 Il faut relever, par ailleurs, que, postérieurement à l' avis motivé rendu par le conseil de discipline, l' AIPN a décidé d' organiser une confrontation entre le requérant et les plaignantes. Elle a, toutefois, décidé de ne pas saisir à nouveau le conseil de discipline, à la suite de cette confrontation. Il en résulte, d' une part, que le requérant n' a donc pas été en mesure de présenter, devant le conseil de discipline, ses observations écrites ou verbales sur une partie des résultats de l'
enquête à laquelle l' AIPN a procédé et, d' autre part, que le conseil de discipline ne disposait pas de l' ensemble des éléments du dossier disciplinaire lorsqu' il a émis son avis motivé.

40 Au vu des éléments qui précèdent, et sans que cela ne préjuge en rien de la légalité ou l' illégalité de l' acte litigieux, le juge des référés estime que, en ce qui concerne tant l' établissement et la qualification des faits effectuée par l' AIPN que le respect des droits de la défense au cours de la procédure disciplinaire, les éléments dont il dispose, dans la phase actuelle de la procédure, sont de nature à fournir une base sérieuse aux arguments présentés par le requérant à l' appui de son
recours en annulation de la décision attaquée.

41 Il convient, par conséquent, d' apprécier si la décision attaquée est susceptible d' entraîner un risque de préjudice grave et irréparable pour le requérant, justifiant qu' il soit sursis à l' exécution de l' acte attaqué ou que soient adoptées d' autres mesures provisoires.

Sur le risque de préjudice grave et irréparable

42 Il ressort d' une jurisprudence constante (voir l' ordonnance du président du Tribunal du 13 mai 1993, CMBT/Commission, T-24/93 R, non encore publiée au Recueil, point 31) que le caractère urgent d' une demande en référé doit s' apprécier par rapport à la nécessité qu' il y a de statuer provisoirement, afin d' éviter qu' un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C' est à la partie qui sollicite le sursis à l' exécution de la décision
attaquée qu' il appartient d' apporter la preuve qu' elle ne saurait attendre l' issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables.

43 S' agissant, d' une part, du préjudice résultant de l' atteinte à sa réputation, à son honneur et à sa dignité, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, s' agissant d' un préjudice d' ordre non patrimonial, il est difficile au juge des référés d' apprécier le caractère irréparable ou difficilement réparable de ce préjudice. Dans ces circonstances, le juge des référés se doit de procéder à une pondération soigneuse des intérêts des parties, aux fins d' établir s' il y a lieu d' adopter les
mesures provisoires requises. A cet égard, il incombe au juge des référés de mettre en balance, d' une part, le préjudice grave et irréparable allégué par le requérant et, d' autre part, l' intérêt de la Commission de ne pas se voir imposer le maintien d' une relation de travail dans une situation où un fonctionnaire a été révoqué, au terme d' une procédure disciplinaire, pour une faute qualifiée d' extrêmement grave.

44 En l' espèce, il convient de relever que le préjudice, allégué par le requérant, résultant de l' atteinte à sa réputation, à son honneur et à sa dignité, à le supposer établi, s' est déjà, pour l' essentiel, concrétisé. A cet égard, s' agissant en particulier de l' impossibilité, invoquée par le requérant, de reprendre ses fonctions au sein de la délégation de la Commission en (omissis), même en cas d' annulation ultérieure de la décision, du fait que sa révocation serait connue de tous, il
suffit de rappeler que le requérant a été suspendu de ses fonctions en tant que chef de la délégation de la Commission en (omissis) dès le 28 mai 1993 et a déjà effectué le déménagement de ses effets personnels de (omissis) en (omissis). En tout état de cause, l' éventuel sursis à l' exécution de la décision attaquée ne pourrait rétablir la réputation, l' honneur et la dignité du requérant, plus que ne le fera, à l' avenir, une éventuelle annulation de la décision au terme de la procédure au
principal.

45 S' agissant, d' autre part, du préjudice pécuniaire invoqué par le requérant, il convient de relever que, selon une jurisprudence établie (voir en dernier lieu l' ordonnance du président du Tribunal du 29 septembre 1993, Hogan/Cour de justice, T-497/93 R II, non encore publiée au Recueil), un préjudice d' ordre purement pécuniaire ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu' il peut faire l' objet d' une compensation financière ultérieure.

46 En l' espèce, il faut observer que, en cas d' éventuelle annulation de la décision attaquée par le Tribunal, le requérant aura droit au versement de toutes les sommes qu' il aurait dû percevoir à partir du 1er décembre 1993 jusqu' à sa réintégration.

47 Il appartient toutefois au juge des référés d' apprécier, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, si l' exécution immédiate de la décision peut causer au requérant un préjudice grave et imminent, que même l' annulation de la décision au terme de la procédure au principal ne pourrait plus réparer.

48 A cet égard, il convient de souligner que, dès la prise d' effet de la décision attaquée, le requérant percevra la somme de 1 326 536 BFR à titre de remboursement des contributions qu' il a versées pour la constitution de sa pension d' ancienneté, à laquelle s' ajoutera la somme de 1 086 828 BFR correspondant au solde des jours de congé non pris, soit un montant total de 2 400 000 BFR environ.

49 Cette somme, qui correspond à environ huit traitements de base d' un fonctionnaire classé au grade et échelon du requérant (A 4, échelon 5, 308 681 BFR), doit normalement lui permettre de faire face à l' ensemble des dépenses nécessaires pour assurer la satisfaction de ses besoins et ceux de sa famille jusqu' à ce que le Tribunal statue sur le recours au principal. Il en résulte que, à la différence de ce que la Cour a constaté dans ses ordonnances du 3 juillet 1984 (ordonnance du président de la
troisième chambre, De Compte/Parlement, 141/84 R, Rec. p. 2575) et du 13 avril 1987 (ordonnance du président de la quatrième chambre, C. W./Cour des comptes, 90/87 R, Rec. p. 1801), l' exécution de la décision attaquée ne saurait entraîner, à première vue, dans le chef du requérant, un préjudice pécuniaire grave et imminent.

50 En tout état de cause, il faut observer que, en vertu de l' article 108 du règlement de procédure, une ordonnance de référé peut à tout moment, à la demande d' une partie, être modifiée ou rapportée par suite d' un changement de circonstances. Il appartiendra, le cas échéant, au requérant de s' adresser au Tribunal au cas où il se trouverait, du fait d' un éventuel allongement de la procédure, dans une situation financière susceptible d' entraîner, pour lui, un préjudice imminent qui ne saurait
attendre l' issue de la procédure au principal.

51 Dans ces conditions, il convient de rejeter, à ce stade, la demande de sursis à l' exécution de la décision attaquée.

Dispositif

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 novembre 1993.


Synthèse
Numéro d'arrêt : T-549/93
Date de la décision : 30/11/1993
Type d'affaire : Demande en référé - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Fonctionnaires - Procédure de référé - Sursis à exécution - Procédure disciplinaire - Révocation.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : D.
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1993:109

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