Avis juridique important
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61990C0376
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 30 juin 1992. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement - Directive 80/836/Euratom du Conseil - Protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants. - Affaire C-376/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-06153
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Dans la présente affaire, la Commission cherche à faire constater, au titre de l' article 141 du traité instituant la Communauté européenne de l' énergie atomique (ci-après "traité"), qu' en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 10, paragraphe 2, et 44 de la directive 80/836/Euratom, du 15 juillet 1980, portant modification des directives fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la
population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants (JO L 246, p. 1), le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ce traité. On peut relever qu' aussi bien l' avis motivé envoyé par la Commission que la réponse du gouvernement belge se réfèrent à l' article 169 du traité CEE, mais il s' agit manifestement là d' une erreur sans importance qui, à notre avis, n' a aucune conséquence quant à la recevabilité du recours.
2. A l' origine, le recours de la Commission portait sur l' article 45 de la directive. Le gouvernement belge avait même admis dans son mémoire en défense qu' il avait omis de transposer correctement à la fois cet article et l' article 44. Toutefois, la Commission a annoncé lors de l' audience que des mesures visant à donner effet à l' article 45 en Belgique avaient récemment été adoptées et qu' elle estimait que ces mesures étaient satisfaisantes. Elle a donc renoncé à sa demande concernant l'
article 45. De son côté, le gouvernement belge a annoncé que les mesures nécessaires pour donner effet à l' article 44 de la directive seraient adoptées prochainement. En conséquence, la Cour doit se prononcer contre la Belgique sur cette partie des conclusions de la Commission, puisque la Belgique n' a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la surveillance de la santé de la population, ni dans des circonstances normales ni en cas d' accident. Le seul point à trancher est donc celui de savoir
si la Belgique a correctement donné effet à l' article 10, paragraphe 2, de la directive.
La directive 80/836
3. La directive 80/836 vise à protéger la santé humaine en empêchant et en mesurant l' exposition aux radiations et en assurant la surveillance médicale des personnes exposées. Aux termes de l' article 2, la directive s' applique à la "production, au traitement, à la manipulation, à l' utilisation, à la détention, au stockage, au transport et à l' élimination de substances radioactives naturelles et artificielles et à toute autre activité qui implique un risque résultant des rayonnements ionisants".
4. Le titre III de la directive, qui se compose des articles 6 à 13, est intitulé "Limitation des doses dans le cas des expositions contrôlables". L' article 6 de la directive, tel qu' il a été modifié par la directive 84/467/Euratom du Conseil, du 3 septembre 1984 (JO L 265, p. 4), énonce:
"La limitation des doses individuelles et collectives résultant des expositions contrôlables doit être fondée sur les principes généraux suivants:
a) les différents types d' activités impliquant une exposition aux rayonnements ionisants doivent avoir été préalablement justifiés par les avantages qu' ils procurent (1);
b) toutes les expositions doivent être maintenues à un niveau aussi faible qu' il est raisonnablement possible;
c) sans préjudice de l' article 11, la somme des doses reçues et engagées ne doit pas dépasser les limites de doses fixées, dans le présent titre, pour les travailleurs exposés, les apprentis et les étudiants ainsi que les personnes du public.
Les principes définis sous a) et b) s' appliquent à toutes les expositions aux rayonnements ionisants, y compris les expositions médicales. Le principe défini sous c) ne s' applique pas à l' exposition subie par les individus du fait des examens ou traitements médicaux auxquels ils sont soumis."
5. Les autres dispositions du titre III sont divisées en quatre chapitres. Le premier chapitre (articles 7 à 9) est intitulé "Limitation des doses pour les travailleurs exposés". Aux termes de l' article 7, paragraphe 1, "aucun travailleur de moins de 18 ans révolus ne doit être affecté à un poste de travail qui ferait de lui un travailleur exposé". Conformément à l' article 8, paragraphe 1, "la limite de dose pour l' exposition globale de l' organisme est fixée pour les travailleurs exposés à 50
mSv (5 rems) par an". L' article 9 concerne l' "exposition partielle de l' organisme", c' est-à-dire l' exposition portant sur une partie de l' organisme ou sur un ou plusieurs organes ou tissus, ou l' exposition du corps entier considérée comme non homogène (voir l' article 1er, qui définit certains des termes utilisés dans la directive).
6. Le chapitre II, qui est formé uniquement de l' article 10, est intitulé "Limitation des doses pour les apprentis et les étudiants". L' article 10, paragraphe 2, prévoit:
"Les limites de dose pour les apprentis et les étudiants âgés de 16 à 18 ans, qui se destinent à une profession au cours de laquelle ils seront exposés aux rayonnements ionisants ou qui, du fait de leurs études, sont obligés d' utiliser des sources, sont égales aux trois dixièmes des limites de dose annuelle fixées aux articles 8 et 9 pour les travailleurs exposés."
7. Parmi les autres termes définis à l' article 1er de la directive, il convient de se référer aux suivants:
- L' expression "limites de dose" signifie les "limites fixées dans la présente directive pour les doses résultant de l' exposition des travailleurs exposés, des apprentis et des étudiants et des personnes du public, compte non tenu des doses résultant du fond naturel de rayonnements et de l' exposition subie par les individus du fait des examens et traitements médicaux auxquels ils sont soumis. Les limites de dose s' appliquent à la somme de la dose reçue par exposition externe pendant la période
considérée et de la dose engagée résultant de l' incorporation de radionucléides pendant la même période".
- "Exposition" signifie "toute exposition de personnes à des rayonnements ionisants", c' est-à-dire des "rayonnements composés de photons ou de particules capables de déterminer la formation d' ions directement ou indirectement".
- Une "source" est définie comme un "appareil ou substance capable d' émettre des rayonnements ionisants".
- Une "dose engagée" est la "dose qui sera reçue en cinquante ans au niveau d' un organe ou d' un tissu, par suite de l' incorporation d' un ou de plusieurs radionucléides".
- Des "travailleurs exposés" sont des "personnes soumises du fait de leur travail à une exposition susceptible d' entraîner des doses annuelles supérieures au dixième des limites de dose annuelle fixées pour les travailleurs".
8. On trouve dans une communication publiée par la Commission le 31 décembre 1985 (JO C 347, p. 9) des commentaires sur certains articles de la directive, telle qu' elle a été modifiée par la directive 84/467. On peut lire dans la communication que l' article 8 "fixe les limites de l' exposition corporelle totale des travailleurs ... Pour des expositions moins uniformes de l' organisme ou pour des rayonnements moins pénétrants, l' article 9 est d' application". Les limites de dose fixées aux
articles 8 et 9 semblent donc être les "limites de dose annuelle fixées pour les travailleurs" auxquels s' applique la définition de "travailleurs exposés" à l' article 1er, même si ni l' article 8 ni l' article 9 n' utilisent le terme de "travailleurs" sans plus. Il semble que c' est en ce sens que la directive est comprise par les parties.
Le litige entre les parties
9. Conformément à l' article 20.6.2 d' un arrêté royal belge du 28 février 1963, dans la version modifiée à l' article 9 d' un arrêté royal du 16 janvier 1987, les limites de dose fixées en Belgique pour les apprentis et étudiants de seize à 18 ans qui se destinent à une profession au cours de laquelle ils seront exposés aux rayonnements ionisants ou qui, du fait de leurs études, sont obligés d' utiliser des sources sont égales à un dixième, et non pas à trois dixièmes, des limites de dose pour les
travailleurs exposés. La Commission juge illicite la fixation de limites de dose plus strictes que celles prévues à l' article 10, paragraphe 2, de la directive.
10. Le gouvernement belge affirme que les limites de dose fixées dans la directive représentent le niveau minimal de protection que les États membres sont tenus de garantir et que ces derniers restent libres de fixer des niveaux plus stricts s' ils estiment que c' est souhaitable. De surcroît, il fait valoir que les limites de dose pour les apprentis et les étudiants âgés de seize à 18 ans devraient être fixées au même niveau que celles applicables aux travailleurs de moins de 18 ans. Nous rappelons
que l' article 7, paragraphe 1, interdit que des travailleurs de cette catégorie soient affectés à un poste de travail qui ferait d' eux des travailleurs exposés. Cette disposition, combinée à la définition des travailleurs exposés à l' article 1er de la directive, selon l' interprétation donnée ci-avant, a pour effet que, pour donner aux apprentis et étudiants âgés de seize à 18 ans la même protection que celle dont bénéficient les travailleurs de moins de 18 ans, les limites de dose pour le
premier groupe doivent être fixées à un dixième des limites de dose annuelle pour les travailleurs exposés.
11. La Commission conteste l' existence d' un lien obligatoire entre les limites de dose applicables aux apprentis et aux étudiants entre seize et 18 ans et celles applicables aux travailleurs de moins de 18 ans. Elle estime que, pour garantir que la formation reçue par les apprentis et les étudiants relevant de l' article 10, paragraphe 2, ait un effet utile, il est nécessaire de permettre qu' ils soient exposés à des doses de radiation plus élevées. Selon elle, l' article 10, paragraphe 2, doit
donc être regardé comme une dérogation ou lex specialis à la règle générale fixée pour les travailleurs de moins de 18 ans à l' article 7, paragraphe 1.
Les obligations imposées aux États membres par la directive 80/836
12. Pour établir la portée des obligations imposées aux États membres à l' article 10, paragraphe 2, de la directive, il convient de commencer par un examen des dispositions pertinentes du traité. Conformément à l' article 1er, deuxième alinéa, la mission de la Communauté européenne de l' énergie atomique, ou Euratom, est de "contribuer, par l' établissement des conditions nécessaires à la formation et à la croissance rapide des industries nucléaires, à l' élévation du niveau de vie dans les États
membres et au développement des échanges avec les autres pays". Pour l' accomplissement de cette mission, qui est décrite dans des termes quelque peu surannés, l' article 2 du traité impose certaines tâches plus spécifiques à la Communauté. En particulier, l' article 2, sous b), prévoit que la Communauté doit "établir des normes de sécurité uniformes pour la protection sanitaire de la population et des travailleurs et veiller à leur application".
13. Pour donner effet à la tâche générale fixée à l' article 2, sous b), le chapitre III du titre deuxième du traité, formé par les articles 30 à 39, contient des dispositions plus détaillées sur la santé et sur la sécurité. L' article 30 a la teneur suivante:
"Des normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des radiations ionisantes sont instituées dans la Communauté.
On entend par normes de base:
a) les doses maxima admissibles avec une sécurité suffisante;
b) les expositions et contaminations maxima admissibles;
c) les principes fondamentaux de surveillance médicale des travailleurs."
14. Conformément à l' article 31, les normes de base doivent être élaborées par la Commission et fixées par le Conseil agissant à la majorité qualifiée. L' article 32 prévoit que les normes de base peuvent être révisées ou complétées. C' est au titre des articles 31 et 32 que la directive 80/836 a été adoptée. Nous remarquerons qu' aucun de ces articles n' impose au Conseil l' utilisation d' un type déterminé d' instrument. Ainsi, la directive 80/836 aurait pu prendre la forme d' un règlement. Nous
ne pensons toutefois pas que le recours à une directive plutôt qu' à un règlement ait une conséquence quelconque sur le contenu des obligations de fond imposées aux États membres, car il est clair que les obligations fixées dans une directive peuvent être aussi strictes ou aussi souples que celles énoncées dans un règlement.
15. La Commission a admis lors de l' audience le paradoxe apparent qui réside dans le fait de suggérer qu' un État membre pourrait manquer aux obligations que lui impose le traité en adoptant des mesures qui offrent un degré de protection plus élevé que celui prévu dans une directive concernant la santé et la sécurité. En effet, à première vue, l' expression "normes de base" utilisée à l' article 30 du traité et la définition donnée à cette expression par le même article laissent supposer que les
limites de dose fixées par la directive constituent seulement les doses maximales de radiation autorisées, et non des normes absolues que tous les États membres sont tenus de respecter. Cette interprétation semble confirmée par l' article 6, sous c), de la directive, qui énonce que "... la somme des doses reçues et engagées ne doit pas dépasser les limites de dose fixées, dans le présent titre ..." (c' est nous qui soulignons). Pour établir si on peut se fier à l' impression donnée par ces articles,
il convient toutefois d' examiner les buts et objectifs de la directive.
16. Des orientations sur la politique qui sous-tend la directive figurent dans la communication de la Commission publiée en 1985, que nous avons déjà mentionnée. La communication explique que les directives 80/836 et 84/467 sont toutes deux fondées sur les publications n s 9 et 26 de la Commission internationale de protection radiologique (ci-après "CIPR"). Ces publications ont maintenant été remplacées par la publication n 60, intitulée "Recommandations de la Commission internationale de protection
radiologique pour 1990" et publiée en 1991. Des copies des trois publications ont été fournies par la Commission en réponse à une demande de la Cour.
17. Des informations quant au travail et à l' organisation de la CIPR figurent aux pages 21 à 25 de la publication n 9, aux pages 1 et 2 et 45 à 47 de la publication n 26 et aux pages 1 et 2 de la publication n 60. La CIPR est un organisme international créé en 1928 par le deuxième congrès international de radiologie. Elle donne des conseils d' ordre général sur l' utilisation des sources de radiation résultant des développements rapides dans le domaine de l' énergie nucléaire. La CIPR travaille en
relation étroite avec la Commission internationale sur les unités et les mesures de radiation et a des liens officiels avec l' Organisation mondiale de la santé et l' Agence internationale de l' énergie atomique. Elle a également des liens importants avec l' Organisation internationale du travail et d' autres organes des Nations unies, avec la Commission des Communautés européennes ainsi qu' avec l' Agence de l' énergie nucléaire de l' Organisation de coopération et de développement économiques.
Certains de ces organismes apportent leur soutien financier aux travaux de la CIPR. En outre, la CIPR tient compte des progrès qui lui sont communiqués par les organisations nationales importantes.
18. Les membres de la CIPR sont choisis par elle-même parmi des personnes désignées par les délégations nationales au congrès international de radiologie et par la CIPR elle-même. Les membres sont choisis en fonction de leur activité reconnue dans des domaines particuliers et en tenant compte d' un équilibre approprié de qualification plutôt que de nationalité. La CIPR a le pouvoir d' instituer tous les comités qu' elle estime nécessaires pour s' acquitter de sa tâche, mais la plus grande partie de
son travail est accomplie par des groupes de travail ad hoc, qui lui permettent de recourir aux services de personnes qui ne sont pas membres d' un comité.
19. La CIPR a publié un certain nombre de rapports et de recommandations sur le sujet de la protection radiologique. Ces recommandations ont été utilisées par de nombreuses autorités dotées du pouvoir règlementaire et maints organes de gestion et elles ont servi de base à la fixation de normes règlementaires nationales et régionales. Le but de ces rapports est de fixer les principes fondamentaux sur lesquels doit être fondée une protection radiologique appropriée. En raison des différences de
conditions selon les pays, on attend toutefois des autorités compétentes qu' elles mettent au point leurs propres législation et code de conduite adaptés à leurs conditions particulières.
20. Comme l' explique la publication n 60 de la CIPR (voir le point 99): "Chacun dans le monde est exposé à des radiations de sources naturelles et artificielles. Un système réaliste de protection radiologique doit donc avoir un objectif clairement défini si on ne veut pas qu' il s' applique à l' ensemble des activités humaines. Il doit également couvrir, de manière cohérente, un très large éventail de circonstances" (2). La CIPR utilise le terme anglais "practices" (pratiques) pour décrire des
activités humaines qui augmentent globalement les expositions aux radiations: voir le point 106 de la publication n 60.
21. Les principes généraux sur lesquels se fonde le système de protection radiologique recommandé par la CIPR sont exposés au point 112 de la publication n 60. Ces principes sont reflétés à l' article 6 de la directive, comme le montre la communication de la Commission. Le point 112 de la publication n 60 a la teneur suivante:
"a) Aucune pratique impliquant des expositions à des radiations ne devrait être acceptée, à moins qu' elle n' apporte aux individus exposés ou à la société un avantage suffisant pour contrebalancer le désavantage de la radiation qu' elle cause (la justification d' une pratique).
b) Pour chaque source particulière dans le cadre d' une pratique, il convient de maintenir au niveau le plus bas raisonnablement possible, compte tenu des facteurs économiques et sociaux, l' amplitude des doses individuelles, le nombre de personnes exposées et la vraisemblance de la survenance d' expositions lorsque ces dernières ne sont pas certaines. Cette procédure devrait être assortie de restrictions quant aux doses supportées par les individus (prescriptions en matière de dose) ou au risque
supporté par eux dans le cas d' expositions potentielles (prescriptions en matière de risque), de façon à limiter les injustices susceptibles de résulter des choix économiques et sociaux inhérents à la pratique (l' optimalisation de la protection).
c) L' exposition d' individus résultant de la combinaison de toutes les pratiques pertinentes devrait être soumise à des limites de dose, ou à certains contrôles du risque dans le cas d' expositions potentielles. Cela vise à assurer qu' aucun individu n' est exposé à des risques de radiation qui sont jugés inacceptables en raison de ces pratiques dans des circonstances normales. Toutes les sources ne sont pas susceptibles d' être contrôlées par action à la source et il est nécessaire de spécifier
les sources qui doivent être considérées comme pertinentes avant de sélectionner une limite de dose (limitation individuelle des doses et des risques)."
La publication n 60 poursuit en expliquant que "si les procédures de justification de pratiques et d' optimalisation de la protection ont été conduites efficacement, il y aura peu de cas où les limites des doses individuelles devront être appliquées. Toutefois, de telles limites créent une frontière clairement définie pour ces procédures plus subjectives et empêchent un préjudice excessif pour les individus ..." (point 122).
22. La publication n 60 explique en détail l' approche de la CIPR quant à la fixation des limites de dose. Comme cela est expliqué au point 150:
"La (CIPR) a jugé utile d' employer trois termes différents pour indiquer le degré de tolérance vis-à-vis d' une exposition (ou risque). Ils sont nécessairement de caractère subjectif et doivent être interprétés en relation avec le type et la source de l' exposition considérée. Le premier terme est 'inacceptable' , utilisé pour indiquer que, de l' avis de la (CIPR), l' exposition ne serait pas acceptable dans des circonstances raisonnables de mise en oeuvre normale d' une pratique dont l'
utilisation était une question de choix. De telles expositions peuvent devoir être acceptées dans des situations anormales, telles que des accidents. Les expositions qui ne sont pas inacceptables sont ensuite subdivisées entre celles qui sont 'tolérables' , ce qui signifie qu' elles ne sont pas les bienvenues mais qu' on peut raisonnablement les tolérer, et celles qui sont 'acceptables' , dans le sens qu' elles peuvent être acceptées sans amélioration supplémentaire, c' est-à-dire lorsque la
protection a été rendue optimale. Dans ce cadre, une limite de dose représente le choix d' une frontière entre ce qui est 'inacceptable' et ce qui est 'tolérable' pour la situation à laquelle la limite de dose doit s' appliquer ..."
Les limites de dose choisies par la CIPR représentent la valeur de dose qui "engendre une combinaison de conséquences jugée juste en deçà de ce qui est inacceptable, c' est-à-dire à la limite du tolérable" (ibidem, point 153).
23. La CIPR souligne toutefois que
"La limite de dose ne constitue qu' un élément du système de protection destiné à aboutir à des niveaux de dose aussi bas que cela est raisonnablement possible, compte tenu des facteurs économiques et sociaux. Elle ne doit pas être considérée comme un but. Pour la (CIPR), elle représente le point auquel une exposition professionnelle régulière, étendue et délibérée peut raisonnablement être considérée comme à la limite du tolérable.
L' approche, aux aspects multiples, de la (CIPR) en ce qui concerne le choix des limites de dose inclut nécessairement des appréciations sociales appliquées aux nombreux éléments du risque. Ces appréciations ne seront pas nécessairement les mêmes dans tous les contextes et, en particulier, ils peuvent être différents selon les sociétés. C' est pourquoi la (CIPR) conçoit son activité de conseil comme suffisamment souple pour permettre des variations nationales ou régionales. De l' avis de la (CIPR),
toutefois, de telles variations dans la protection des individus les plus exposés résultent dans de meilleures conditions de l' utilisation, par les agences qui adoptent les réglementations, de restrictions de doses liées à une certaine source et appliquées dans le processus d' optimalisation de la protection, plutôt que par l' utilisation de différentes limites de dose" (ibidem, points 169-170).
24. Nous avons cité d' assez longs extraits de la publication n 60, car ces extraits ont une importance considérable pour l' interprétation de la directive. Bien que cette publication ait été rédigée quelques années après l' adoption de la directive 80/836, la CIPR a régulièrement revu ses recommandations depuis 1977, année où elle a publié la publication n 26. Ainsi, bien que les recommandations contenues dans la publication n 60 soient nouvelles, la préface de ce document montre clairement que la
CIPR a essayé de maintenir autant de stabilité dans ces textes que cela était compatible avec les développements récents.
25. A notre avis, chaque fois que c' est possible, la directive devrait être interprétée d' une manière compatible avec les dernières recommandations de la CIPR, car il ne serait pas souhaitable de l' interpréter uniquement à la lumière de recommandations que l' organisme dont elles émanent juge à présent dépassées. D' ailleurs, aussi bien la Commission que le gouvernement belge ont cherché à se prévaloir de la publication n 60 à l' appui de leur positions respectives, la première dans sa réplique,
le dernier lors de l' audience. Nous estimons donc qu' on peut légitimement se référer à cette publication comme orientation pour interpréter la directive.
26. Il ressort de la publication n 60 que les limites de dose constituent la dernière ressource pour protéger les individus d' une exposition excessive aux radiations. Elles visent à protéger ceux pour lesquels les principes de justification et d' optimalisation peuvent ne pas être suffisants. Toutefois les niveaux précis auxquels sont fixées les limites de dose sont essentiellement subjectifs, et non pas fondés uniquement sur des considérations scientifiques. Comme l' explique la CIPR: "la
protection radiologique doit s' inscrire dans un cadre comprenant nécessairement des appréciations de caractère social aussi bien que scientifique, car le but principal de la protection radiologique est de fournir un niveau de protection approprié à l' être humain, sans limiter indûment les pratiques profitables qui engendrent des expositions aux radiations. De surcroît, il faut présumer que même des doses faibles de radiation peuvent produire certains effets nocifs sur la santé" (publication n 60,
point 100).
27. Dans sa réplique, la Commission fait référence au point 124 de la publication n 60, où on peut lire:
"Plusieurs malentendus sont survenus en pratique quant à la définition et à la fonction des limites de dose. En premier lieu, la limite de dose est largement, mais à tort, considérée comme une ligne de démarcation entre ce qui est 'sûr' et ce qui est 'dangereux' . En second lieu, elle est également largement, et toujours à tort, considérée comme le moyen le plus simple et le plus efficace de maintenir les expositions à un faible niveau et d' imposer des améliorations. En troisième lieu, on la
considère habituellement comme l' unique mesure de la rigueur d' un système de protection. Ces malentendus sont renforcés dans une certaine mesure par l' incorporation de limites de dose dans des textes de réglementation. Le fait d' engendrer un dépassement d' une limite de dose devient alors une infraction aux règles et parfois un délit pénal. Dans ce contexte, il n' est pas surprenant que les directions, les organismes de réglementation et les gouvernements cherchent tous, de manière inappropriée,
à appliquer des limites de dose dès que possible, même lorsque les sources échappent, partiellement ou même totalement, à leur contrôle et lorsque l' optimalisation de la protection est le moyen d' action le plus approprié."
Cet extrait ne signifie pas que l' application de limites de dose ne peut jamais constituer un moyen efficace d' augmenter la protection, mais simplement que le recours au principe d' optimalisation (voir le point 21 ci-avant) peut parfois être plus approprié, point qui n' est pas contesté par le gouvernement belge. En citant ce passage, la Commission semble sous-entendre que la Belgique a ignoré ou mal appliqué ce principe, mais, à notre avis, elle n' est pas parvenue à établir que le fait que la
Belgique ait imposé, pour les apprentis et les étudiants, des limites de dose plus strictes que celles fixées à l' article 10, paragraphe 2, de la directive constitue une mesure inappropriée pour des raisons de protection radiologique.
28. La publication n 60 indique donc clairement que les limites de dose fixées par la CIPR ne sont pas considérées comme des normes absolues, mais sont publiées à titre d' orientation seulement. Il est clair que la CIPR admet que, dans certaines circonstances, il peut être raisonnable d' imposer des limites de dose plus strictes que celles qu' elle recommande. Cette publication est ainsi parfaitement compatible avec le point de vue selon lequel les "normes de base", au sens de l' article 30 du
traité, ne représentent que des niveaux minimaux de protection, que les États membres ont le droit de renforcer lorsqu' ils estiment souhaitable de le faire.
29. On doit se demander alors s' il existe des raisons spécifiques à la Communauté qui rendent souhaitable une fixation des limites de dose au même niveau dans tous les États membres. A cet égard, la Commission souligne la référence à des "normes de sécurité uniformes" à l' article 2, sous b), du traité et elle prétend que le terme "uniformes" suppose plus que la simple harmonisation et impose des normes exactement identiques. Rien, dans le préambule de la directive, n' indique toutefois que l'
intention du Conseil était de fixer des normes uniformes dans ce sens du terme. Ce préambule contient un certain nombre de références aux normes de base prévues à l' article 30 du traité, mais, comme nous l' avons expliqué, ce sont là simplement des doses maximales admissibles. De surcroît, l' avant-dernier considérant de la directive indique que le Conseil est "conscient du rôle que doit jouer une harmonisation communautaire des normes de base". Cela laisse supposer que, même s' il est exact que l'
uniformité visée à l' article 2, sous b), du traité implique une uniformisation complète, le Conseil avait seulement l' intention de fixer un niveau minimal de protection à garantir dans tous les États membres, et non pas d' empêcher des États membres individuels d' appliquer des normes plus strictes.
30. En l' absence d' une indication claire dans la directive en ce sens que les limites de dose qui y sont prévues devaient constituer des normes absolues que tous les États membres sont tenus de respecter, l' article 10, paragraphe 2, doit à notre avis être interprété comme conférant seulement aux États membres une marge de manoeuvre, qu' ils sont libres d' exploiter ou non. Le gouvernement belge fait valoir qu' il est possible de préparer des étudiants et des apprentis à un emploi impliquant une
exposition à des rayonnements ionisants sans les exposer à des doses supérieures à celles auxquelles peuvent être soumis des travailleurs de moins de 18 ans. A notre avis, la Commission n' est pas parvenue à réfuter l' argument de ce gouvernement.
31. Lors de l' audience, la Commission a fait valoir que, si on acceptait le point de vue défendu par le gouvernement belge, un apprenti ou un étudiant ayant déjà reçu, dans un autre État membre, un dixième de la limite de dose des travailleurs exposés ne pourrait pas terminer sa formation en Belgique. Le gouvernement belge a rétorqué qu' il serait tout à fait possible de permettre à une telle personne de terminer sa formation sans l' exposer à une quelconque radiation supplémentaire. En fait, c'
est précisément parce que le gouvernement belge n' admet pas la nécessité d' exposer des apprentis et des étudiants au sens de l' article 10, paragraphe 2, à un taux de radiation plus élevé que les travailleurs du même âge qu' il a fixé des limites de dose équivalentes pour les deux catégories. Là non plus la Commission n' a pas réussi à réfuter l' allégation du gouvernement belge. Dans ces circonstances, nous ne voyons aucune raison d' exiger que la Belgique permette l' exposition d' apprentis et
d' étudiants au niveau maximal autorisé à l' article 10, paragraphe 2.
32. En conséquence, nous estimons que l' article 10, paragraphe 2, de la directive n' empêche pas les États membres d' imposer des limites de dose plus strictes lorsqu' ils le jugent approprié. Avant de décider d' agir ainsi, les États membres doivent se demander si les objectifs visés pourraient être atteints de manière plus appropriée en appliquant avec une plus grande rigueur les principes de justification et d' optimalisation. Mais, à notre avis, les États membres sont libres de conclure que la
protection des apprentis et des étudiants de seize à 18 ans qui se forment à un emploi qui implique l' exposition aux rayonnements ionisants ou qui, au cours de leurs études, sont obligés d' utiliser des sources ne peut être assurée que par l' utilisation de limites de dose plus strictes.
33. C' est pourquoi le recours de la Commission ne peut aboutir qu' en ce qui concerne l' infraction à l' article 44 de la directive, rappelée au point 2 ci-avant.
34. En conséquence nous pensons que la Cour devrait:
1) déclarer que, en omettant de prendre les mesures nécessaires pour donner effet à l' article 44 de la directive 80/836/Euratom du Conseil, la Belgique a manqué aux obligations que lui impose le traité CEEA;
2) rejeter le recours pour le surplus;
3) condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.
(*) Langue originale: l' anglais.
(1) L' article 6, sous a), de la directive est assorti d' une note de bas de page dont la teneur est la suivante: "Compte tenu, pour les activités médicales, de la directive 84/466/Euratom du Conseil, du 3 septembre 1984, fixant les mesures fondamentales relatives à la protection radiologique des personnes soumises à des examens et traitements médicaux (JO L 265, p. 1)".
(2) La traduction en français des extraits des publications de la CIPR cités ici n' est pas une version officielle.