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18/09/1990 | CJUE | N°C-47/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 septembre 1990., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark., 18/09/1990, C-47/88


Avis juridique important

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61988C0047

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 septembre 1990. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark. - Article 95 du traité CEE - Taxe d'immatriculation - Absence de production nationale. - Affaire C-47/88.
Recueil de jurisprudence

1990 page I-04509

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le...

Avis juridique important

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61988C0047

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 septembre 1990. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark. - Article 95 du traité CEE - Taxe d'immatriculation - Absence de production nationale. - Affaire C-47/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-04509

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . En vertu de l' article 1er de la loi danoise codifiée n° 13 du 16 janvier 1985 relative à la taxe d' immatriculation des véhicules automobiles, une taxe est perçue sur les véhicules automobiles lors de leur première immatriculation au Danemark .

2 . Le taux de la taxe est fonction de la valeur taxable du véhicule . Pour les voitures particulières, la taxe est de 105 % pour la tranche de cette valeur allant jusqu' à 19 750 DKR et de 180 % pour la tranche dépassant ce palier ( article 4 ). La valeur taxable d' un véhicule neuf est le prix courant, TVA comprise, auquel il est vendu à l' utilisateur au Danemark à la date de l' immatriculation ( article 8 ).

3 . Lorsqu' un véhicule déjà immatriculé au Danemark est revendu, la taxe n' est plus perçue . Par contre, lorsqu' un véhicule usagé est importé, la taxe s' applique . La valeur taxable est, dans ce cas, égale soit au prix initial du véhicule à l' état neuf, soit, si le véhicule a plus de six mois, à 90 % de ce prix ( article 11 ).

4 . La Commission estime que cette réglementation est contraire à l' article 95 du traité CEE . Pour ce qui concerne les voitures neuves, elle conteste le niveau du taux de la taxe, qui serait tellement élevé qu' il compromettrait la libre circulation des marchandises à l' intérieur de la Communauté et n' entrerait pas dans le cadre du système général d' imposition danois . Pour les voitures d' occasion, elle conteste le fait que la taxe est assise sur une valeur forfaitaire qui serait généralement
supérieure à la valeur réelle du véhicule .

I - La taxation des véhicules neufs

5 . Les parties s' accordent à voir dans la taxe d' immatriculation danoise une imposition intérieure relevant du champ d' application de l' article 95 . Rappelons que, selon les termes de l' article 95,

"aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d' impositions intérieures, de quelque nature qu' elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires .

En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d' impositions intérieures de nature à protéger indirectement d' autres productions ".

6 . Il est constant qu' il n' existe au Danemark non seulement aucune fabrication d' automobiles, c' est-à-dire aucun "produit national similaire", mais pas non plus une autre production susceptible d' être protégée indirectement par la taxe . Le gouvernement danois en tire la conclusion que la taxe d' immatriculation

"constitue une imposition interne qui n' a pas d' effet discriminatoire ni protectionniste . Elle n' est donc pas contraire à l' article 95 du traité" ( conclusion du mémoire en défense et de la duplique ).

7 . La Commission, de son côté ( 1 ), ne conteste pas non plus qu' en l' occurrence

"les prohibitions expresses de cet article ( article 95 ) - qui garantissent le jeu normal de la concurrence avec les produits nationaux - ne sont pas applicables ".

Par ailleurs, elle reconnaît, en accord avec la jurisprudence de la Cour ( 2 ), que,

"dans le système du traité, une même imposition ne saurait relever simultanément de l' article 95 et des articles 9 et 12 ou de l' article 30 ".

La Commission estime, toutefois, que

"l' article 95 comme l' article 30 ( de même que les articles 9 et 12 ) ont, en toutes circonstances ( 3 ), pour but d' assurer la libre circulation des marchandises à l' intérieur de la Communauté ".

Dès lors,

"les principes fondamentaux du traité ... doivent ... présider à l' interprétation de l' article 95, même lorsque les prohibitions expresses de cet article ... ne sont pas applicables ".

8 . Il est vrai que la Cour a déclaré dans son arrêt du 5 mai 1982, Schul I, point 33 ( 15/81, Rec . p . 1409, 1431 ), et rappelé dans son arrêt du 25 février 1988, Rainer Drexl, point 24 ( 299/86, Rec . p . 1213, 1235 ), que

"l' interprétation de l' article 95 doit tenir compte des finalités du traité telles qu' énoncées aux articles 2 et 3, parmi lesquelles figure, en premier lieu, l' établissement d' un marché commun dans lequel toutes les entraves aux échanges seront éliminées en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi proches que possible de celles d' un véritable marché intérieur ".

9 . Dans la jurisprudence de la Cour, on ne trouve cependant qu' une seule affaire dans laquelle était en cause le niveau du taux d' une imposition intérieure qui ne frappait que les produits importés, à défaut de produits nationaux similaires ou concurrents . Il s' agit de l' affaire Stier ( arrêt du 4 avril 1968, 31/67, Rec . p . 348, 356 ), dans le cadre de laquelle la Cour a déclaré que :

"- l' article 95 n' interdit pas aux États membres de frapper les produits importés d' une imposition intérieure lorsqu' il n' y a pas de produit national similaire ou d' autres productions nationales susceptibles d' être protégées;

- il ne leur serait cependant pas loisible de frapper les produits qui, à défaut de production intérieure comparable, échapperaient à l' application des prohibitions de l' article 95, de taxes d' un montant tel que la libre circulation des marchandises à l' intérieur du marché commun serait, en ce qui concerne ces produits, compromise;

- qu' une telle atteinte à la libre circulation des marchandises ne saurait toutefois être supposée exister lorsque le taux d' imposition reste dans le cadre général du système national d' imposition dont la taxe litigieuse fait partie intégrante ".

10 . Il n' est pas nécessaire de s' attarder sur le premier de ces trois points, développé plus en détail dans l' arrêt, étant donné que la Commission ne conteste pas - en principe - le droit du Danemark de taxer les véhicules automobiles .

11 . Il résulte du point 2 de l' arrêt Stier que la Cour considère comme non admissibles les

"taxes d' un montant tel que la libre circulation des marchandises à l' intérieur du marché commun serait, en ce qui concerne ces produits, compromise ".

12 . On peut certainement déduire de ce passage qu' une imposition intérieure d' un niveau tel qu' il rendrait, en fait, impossible toute importation tomberait sous le coup de l' article 95 . De tels cas ne risquent cependant guère de se produire, car les impôts indirects ont pour objet d' alimenter les budgets des États; aucun pays n' a donc un intérêt à fixer un tel impôt à un niveau prohibitif . L' agent du gouvernement danois a d' ailleurs signalé à l' audience, sans être contredit par l' agent
de la Commission, que la taxe d' immatriculation rapporte en moyenne 10 milliards de DKR par an, soit environ 4 % de l' ensemble des recettes de l' État . Elle n' a donc manifestement pas un caractère prohibitif .

13 . Reste à savoir si la libre circulation des voitures automobiles doit être considérée comme compromise par une taxe qui, comme la taxe danoise, ne rend pas les importations impossibles, mais qui exerce cependant à leur égard un certain effet restrictif . Le système de taxation danois aboutit en effet, à partir d' un certain seuil, à tripler le coût d' une voiture par rapport au prix hors taxes . Pour une même dépense, une famille danoise ne peut acheter qu' une seule voiture, alors qu' une
famille résidant dans certains autres États membres pourrait en acheter deux, voire même une troisième plus petite . Il y a donc des importations potentielles qui, à cause du niveau de la taxe danoise, n' ont pas lieu .

14 . La Commission produit d' ailleurs des tableaux qui montrent que la densité des véhicules est plus faible au Danemark que dans les autres États membres ayant un revenu par tête d' habitant comparable .

15 . D' un autre côté, cependant, le parc automobile danois est important, en chiffres absolus, et toutes ces voitures ont été importées . Constater, dans ces conditions, que les importations au Danemark sont compromises reviendrait à établir la thèse que l' article 95 a pour objet non seulement d' assurer l' élimination de tout effet discriminatoire ou protecteur des impôts indirects, mais aussi de garantir que les importations atteignent le plus haut niveau possible, compte tenu du pouvoir d'
achat disponible dans les différents États membres . Cela signifierait aussi que l' "optimisation" des flux de marchandises devrait l' emporter sur toutes autres considérations, notamment celles relatives à la redistribution des revenus ou à la protection de l' environnement .

16 . Si cette thèse était exacte, les impositions intérieures ne devraient nulle part dépasser le coût marginal que le consommateur est encore prêt à supporter sans renoncer à l' achat du bien convoité; en l' occurrence, il s' agirait, selon le revenu des personnes, de la première, de la deuxième ou de la troisième voiture .

17 . Mais s' il était possible de déduire de l' article 95 du traité l' obligation pour les États membres de ne rien faire qui puisse empêcher les importations d' atteindre leur "optimum économique", cette règle devrait également valoir en présence d' une production nationale du même bien .

18 . Or, lorsqu' il existe une production nationale, l' article 95 défend uniquement de taxer les biens importés plus lourdement que les biens similaires produits dans le pays . Du moment que la taxe n' est pas discriminatoire, son niveau ne peut pas être mis en cause . Ajoutons que, s' il existait au Danemark une production nationale de voitures frappée aux deux taux actuels, les importations seraient encore plus réduites, car les consommateurs auraient l' alternative de s' approvisionner auprès
des fabricants nationaux .

19 . Tout cela démontre, à mon avis, que les auteurs du traité n' ont pas conçu l' article 95 comme un instrument destiné à garantir que les échanges de marchandises soient aussi élevés que possible .

20 . Permettez-moi aussi de vous rappeler que dans votre arrêt du 14 janvier 1981, Chemial Farmaceutici/Daf ( 140/79, Rec . p . 1, 15 ), vous avez expressément admis un taux d' imposition qui empêchait pratiquement toute importation en Italie d' alcool synthétique en provenance des autres États membres en vous fondant sur le fait qu' à travers ce taux l' État membre poursuivait un objectif de politique économique compatible avec les exigences du traité et parce que ce taux avait un effet économique
équivalent sur le territoire national en ce qu' il freinait aussi la création d' une production rentable du même produit par l' industrie italienne .

21 . Par ailleurs, dans votre arrêt du 5 avril 1990, Commission/Grèce ( 132/88, Rec . p . I-1567 ), vous avez eu à vous prononcer au sujet d' un système de taxation des automobiles très rigoureux ( 4 ), qui comportait notamment une augmentation très forte de la taxe un peu au-dessus du niveau de cylindrée où il n' y avait plus de production nationale . Vous avez refusé de voir dans ce système un manquement à l' article 95, parce qu' il n' avait pas été démontré qu' il avait pour effet de favoriser
la vente des voitures de fabrication nationale, même s' il empêchait pratiquement l' importation des voitures de haute cylindrée fabriquées dans les autres États membres .

22 . De plus, et surtout, vous avez déclaré dans le même arrêt que

"l' article 95 du traité ne permet pas de censurer le caractère excessif du niveau de taxation que les États membres pourraient arrêter pour des produits donnés sur la base de considérations de politique sociale" ( point 17 ).

23 . Ce raisonnement me semble également applicable dans le cas d' espèce, car la taxe danoise ressemble beaucoup à la taxe hellénique . Alors que la taxe hellénique augmente fortement à partir d' un certain niveau de cylindrée de la voiture, la taxe danoise passe de 105 à 180 % pour la partie du prix qui dépasse 19 750 DKR . Il est donc possible de considérer qu' elle poursuit un but de redistribution des revenus, c' est-à-dire un objectif de politique sociale, surtout si l' on considère qu' au
Danemark la sécurité sociale est entièrement financée par l' impôt .

24 . Pour toutes ces raisons, je parviens à la conclusion que la taxe d' immatriculation danoise sur les voitures neuves n' est pas incompatible avec l' article 95 du traité .

25 . J' estime, dans ces conditions, qu' il n' y a pas lieu d' attacher beaucoup d' importance au troisième point de l' arrêt Stier, où la Cour a déclaré qu' une

"atteinte à la libre circulation des marchandises ne saurait toutefois être supposée exister lorsque le taux d' imposition reste dans le cadre général du système national d' imposition dont la taxe litigieuse fait partie intégrante ".

Ce passage signifie, à mon avis, que, dans tous les cas où une taxe n' a pas un niveau sensiblement plus élevé que les taxes frappant d' autres produits du même type ( par exemple, produits alimentaires, produits de consommation durable ), un problème ne saurait se poser en ce qui concerne sa compatibilité avec l' article 95 . C' est seulement lorsque la taxe a un niveau nettement plus élevé que toute autre imposition intérieure du même État membre qu' il faut la soumettre à un examen plus
approfondi, ce que je viens de faire à propos de la taxe d' immatriculation .

26 . Depuis l' arrêt Stier, la Cour a d' ailleurs eu l' occasion de se prononcer à plusieurs reprises au sujet de systèmes de taxation différenciée, et elle a établi une jurisprudence constante suivant laquelle

"le droit communautaire ne restreint pas, en l' état actuel de son évolution, la liberté de chaque État membre d' établir un système de taxation différenciée pour certains produits, en fonction de critères objectifs . De telles différenciations sont compatibles avec le droit communautaire si elles poursuivent des objectifs de politique économique compatibles, eux aussi, avec les exigences du traité et du droit dérivé et si leurs modalités sont de nature à éviter toute forme de discrimination,
directe ou indirecte, à l' égard des importations en provenance des autres États membres, ou de protection en faveur de productions nationales concurrentes ( arrêt du 27 mai 1981, Essevi et Salengo, affaires jointes 142/80 et 143/80, Rec . p . 1413 ). Il ne saurait, par ailleurs, être contesté que, dans le cadre des régimes harmonisés de taxe sur la valeur ajoutée, les États membres ont la faculté de frapper plus lourdement notamment certains biens de consommation considérés comme des produits de
luxe" ( 5 ).

27 . Par ailleurs, la Cour a expressément admis que les voitures automobiles peuvent faire l' objet d' un système de taxation distinct, venant s' ajouter à la TVA . Dans son arrêt du 13 juillet 1989, dans les affaires jointes 93/88, Wisselink, et 94/88, Abemij ( Rec . p . 2671 ), la Cour n' a en effet pas critiqué l' "impôt extraordinaire à la consommation sur les voitures de tourisme" qui est perçu, aux Pays-Bas, en sus de la TVA . Même si cet impôt est considérablement moins élevé que la taxe
danoise, il a une structure analogue à celle-ci ( 18 % jusqu' à une valeur de 10 000 HFL et 27,3 % pour le surplus ).

28 . Enfin et surtout, dans son arrêt du 5 avril 1990, Commission/Grèce, précité, la Cour n' a pas mis en cause le système de taxation qui s' applique en Grèce lors de l' achat et de l' importation des voitures automobiles . Établi par une loi spécifique, relative au régime fiscal des seules voitures particulières, ce système est tout à fait distinct des autres systèmes helléniques d' imposition indirecte . Il frappe les voitures particulières de taxes plus élevées que celles qui frappent les autres
produits de consommation durable . La plupart des taux de ce système sont, par ailleurs, plus élevés que ceux de la taxe d' immatriculation danoise .

29 . Dans le même arrêt, la Cour a rappelé un principe qu' elle avait établi une première fois à propos d' une taxe perçue annuellement ( arrêt du 9 mai 1985, Humblot, 112/84, Rec . p . 1367 ), à savoir que,

"en l' état actuel du droit communautaire, les États membres restent libres de soumettre des produits comme les voitures à un système de taxes dont le montant augmente progressivement en fonction d' un critère objectif, tel que la cylindrée, à condition toutefois que ce système d' imposition soit exempt de tout effet discriminatoire ou protecteur" ( point 17 de l' arrêt du 5 avril 1990 ).

Il me semble que la Cour a ainsi admis que l' échelle de taxation des voitures était "ouverte vers le haut", pour autant que les conditions indiquées soient remplies . Or, même si la taxe d' immatriculation danoise n' augmente pas en fonction de la cylindrée, mais en fonction de la valeur du produit et même si elle ne comporte que deux niveaux, il ne saurait cependant faire de doute qu' elle est fondée sur un critère objectif . D' autre part, comme nous l' avons vu tout au début, elle n' a aucun
effet discriminatoire ou protecteur .

30 . Dans ces conditions, je ne puis que vous proposer de rejeter le recours, pour autant qu' il concerne l' imposition des voitures neuves .

II - La taxation des véhicules d' occasion

31 . En ce qui concerne, par contre, la taxation des véhicules d' occasion, je partage entièrement l' avis de la Commission selon lequel le royaume de Danemark enfreint l' article 95 du traité "au motif que la taxe d' immatriculation des véhicules d' occasion importés est généralement assise sur une valeur forfaitaire supérieure à la valeur réelle du véhicule, avec pour conséquence que les véhicules d' occasion importés sont taxés plus lourdement que les véhicules automobiles d' occasion vendus au
Danemark après y avoir été préalablement immatriculés ".

32 . Certes, le gouvernement danois a probablement raison d' affirmer que, en raison du montant élevé de la taxe qui frappe les automobiles neuves, la valeur de ces automobiles s' amortit de manière beaucoup plus lente sur le marché danois que dans les pays qui ont une taxe sur les automobiles d' un montant moins élevé . Ainsi, il ne saurait guère être contesté que dans les pays où les voitures sont uniquement frappées d' une TVA de 12 ou de 14 % la part résiduelle de celle-ci dans la valeur d' un
véhicule d' occasion devient pratiquement négligeable au bout de deux ou trois ans, alors qu' il n' est pas concevable que tel soit le cas au Danemark .

33 . Mais il n' en est pas moins vrai que les véhicules achetés à l' état neuf au Danemark se dévaluent, eux aussi, progressivement et que la fixation forfaitaire de la valeur taxable des véhicules d' occasion importés à 100 ou à 90 % ( si le véhicule à plus de six mois ) du prix initial du véhicule à l' état neuf aboutit à une surtaxation manifeste desdits véhicules en ce qu' elle a pour conséquence qu' ils supportent une charge fiscale qui est généralement supérieure à la valeur résiduelle de la
taxe initialement payée lors de l' immatriculation du véhicule à l' état neuf, c' est-à-dire à la part de la taxe encore incorporée dans la valeur du véhicule sur le marché national d' occasion .

34 . Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour que,

"pour l' application de l' article 95 du traité, il y a lieu de prendre en considération non seulement le taux de l' imposition intérieure frappant directement ou indirectement les produits nationaux et importés, mais également l' assiette et les modalités de ladite taxe" ( 6 )

et que

"il y a violation de l' article 95, paragraphe 1, lorsque l' imposition frappant le produit importé et celle frappant le produit national similaire est calculée de façon différente et suivant des modalités différentes, aboutissant, ne fût-ce que dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé" ( 7 ).

35 . Par ailleurs, pour apprécier la compatibilité d' une charge fiscale déterminée avec le deuxième alinéa de l' article 95, il faut vérifier

"si cette charge est ou non de nature à influencer le marché en cause en diminuant la consommation potentielle des produits importés au profit des produits nationaux concurrents" ( 8 ).

Pour l' application de cette disposition, il n' est toutefois pas exigé que soit apportée la preuve statistique d' un effet protecteur, mais

"il suffit qu' il soit établi qu' un mécanisme fiscal déterminé, compte tenu de ses caractéristiques propres, est susceptible d' entraîner l' effet protecteur visé par le traité" ( 9 ).

36 . Quant à l' argument tiré de l' inapplicabilité au cas d' espèce de l' arrêt du 21 mai 1985, Schul II ( 47/84, Rec . p . 1491 ), il n' est pas de nature à mettre en cause la réalité du manquement . La Commission ne s' est pas fondée sur cet arrêt pour établir ce manquement . Elle s' est simplement référée à la méthode de calcul que la Cour y a prônée pour calculer le montant de la TVA acquittée dans l' État membre d' exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de
son importation dans un autre État membre, dans le but d' illustrer la surtaxation que subissent les véhicules d' occasion importés au Danemark : comme nous l' avons vu, ceux-ci sont, en effet, taxés sur la base d' une assiette fixée forfaitairement et généralement supérieure à leur valeur réelle . Par contre, si on appliquait la formule de l' arrêt Schul II, on prendrait comme point de référence la part résiduelle de la taxe d' immatriculation encore incorporée dans une voiture d' occasion danoise
. Celle-ci équivaudrait au montant de la taxe acquitté lors de l' immatriculation de la voiture à l' état neuf, diminué en proportion du pourcentage de la dépréciation réelle de la valeur de la voiture .

37 . Différentes méthodes sont possibles pour appliquer ce principe . Ainsi, on pourrait, par exemple, prévoir une réduction progressive de la valeur forfaitaire de ces véhicules ou bien négliger complètement la valeur du véhicule et percevoir une taxe d' immatriculation calculée en chiffres absolus, sur la base de la taxe résiduelle censée être encore comprise dans le prix d' une voiture du même type et du même âge mise en vente sur le marché danois des voitures d' occasion .

38 . J' estime, en effet, que la Commission a raison de considérer qu' il existe bien un tel marché et que les voitures d' occasion importées et les voitures d' occasion achetées au Danemark constituent des produits similaires ou concurrents . Il est vrai que les véhicules d' occasion que l' on peut acheter au Danemark même ont été produits à l' étranger et qu' ils ont donc été, à l' état neuf, des produits importés . Mais une fois importés et dédouanés, ils deviennent des produits nationaux et se
trouvent dorénavant, à tout le moins potentiellement, sur le marché national des voitures d' occasion .

39 . L' objection du gouvernement danois, selon lequel les rapports de concurrence réels joueraient entre les voitures neuves, toujours importées, et les voitures d' occasion importées n' est, à mon avis, pas convaincante . Le gouvernement affirme

"que pour qu' il puisse maintenir le rendement élevé de la taxe d' immatriculation sur les automobiles il est d' une importance fondamentale que les taxes frappant les automobiles neuves ne soient pas compromises en raison de l' importation de voitures d' occasion . Le gouvernement danois doit, pour cette raison, être en mesure de maintenir un système de perception des taxes d' immatriculation sur les automobiles d' occasion importées qui ne comporte pas sur le plan économique d' incitation - au
niveau de la taxe perçue - à importer les automobiles d' occasion plutôt qu' à les acheter au Danemark . Dans le cas contraire, l' importation d' automobiles neuves sera remplacée dans une large mesure par l' importation d' automobiles d' occasion" ( point 6 du mémoire en duplique ).

40 . Il est vrai que, si l' on voit la situation de cette façon-là, il existe un rapport de concurrence entre les voitures neuves et les voitures d' occasion importées . Mais, en même temps, le gouvernement danois reconnaît que son système de taxation a pour but d' inciter les acheteurs potentiels de voitures d' occasion à acheter une voiture qui a déjà circulé au Danemark pendant quelque temps, plutôt que d' importer un véhicule d' occasion acheté à l' étranger . Le système de taxation exerce donc
un effet protecteur en faveur du marché danois des véhicules d' occasion .

Conclusion

41 . Sur la base de toutes les considérations qui précèdent, je vous propose de déclarer ce qui suit :

"1 ) Le royaume de Danemark manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 95 du traité en utilisant comme assiette de la taxe d' immatriculation des véhicules d' occasion importés une valeur forfaitaire généralement supérieure à la valeur réelle du véhicule, avec comme conséquence que ces véhicules supportent une charge fiscale qui est généralement supérieure à la valeur résiduelle de la taxe encore incorporée dans la valeur d' un véhicule du même type et du même âge, vendu au
Danemark après y avoir été immatriculé à l' état neuf .

2 ) Le recours est rejeté pour le surplus .

3 ) Chaque partie supportera ses propres dépens ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Les citations qui suivent sont tirées de la page 14 du texte français de la réplique de la Commission .

( 2 ) Voir arrêts, du 22 mars 1977, Steinike ( 78/76, Rec . p . 595, 614 ), et du 4 avril 1968, Firma Fink-Frucht GmbH/HZA Muenchen Landsbergerstrasse ( 27/67, Rec . p . 327, 341 ).

( 3 ) Souligné dans l' original .

( 4 ) Voiture de 1000 cm3 : 88 %; voiture de 1600 cm3 : 166,4 %; voiture de 1800 cm3 : 187,2 %; voiture de 1900 cm3 : 288,8 %;

voiture de 2632 cm3 : 400 %.

( 5 ) Arrêt du 15 mars 1983, Commission/Italie ( 319/81, Rec . p . 601, 620 ).

( 6 ) Voir l' arrêt du 22 mars 1977, Iannelli/Meroni, point 21 ( 74/76, Rec . p . 557, 578 ).

( 7 ) Voir l' arrêt du 16 février 1977, Schoettle/Finanzamt Freudenstadt, point 20 ( 20/76, Rec . p . 247, 260 ).

( 8 ) Voir l' arrêt du 9 juillet 1987, Commission/Belgique, point 15 ( 356/85, Rec . p . 3299, 3325 ).

( 9 ) Voir l' arrêt du 27 février 1980, Commission/Royaume-Uni, point 10 ( 170/78, Rec . p . 417, 433 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-47/88
Date de la décision : 18/09/1990
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Article 95 du traité CEE - Taxe d'immatriculation - Absence de production nationale.

Impositions intérieures

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Danemark.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Díez de Velasco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:317

Source

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