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20/03/1990 | CJUE | N°C-62/89

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 20 mars 1990., Commission des Communautés européennes contre République française., 20/03/1990, C-62/89


Avis juridique important

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61989J0062

Arrêt de la Cour du 20 mars 1990. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Pêche - Gestion des quotas - Obligations à charge des Etats membres - Affaire C-62/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-00925

Sommaire
Parties

Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

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Avis juridique important

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61989J0062

Arrêt de la Cour du 20 mars 1990. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Pêche - Gestion des quotas - Obligations à charge des Etats membres - Affaire C-62/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-00925

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

Pêche - Conservation des ressources de la mer - Régime de quotas de pêche - Captures dans les eaux des îles Féroé - Répartition entre les États membres du volume des prises disponibles - Mesures de contrôle du respect des quotas - Applicabilité - Épuisement imminent du quota attribué à un État membre - Obligation de l' État membre concerné d' interdire provisoirement la pêche - Perspective de relèvement du quota par voie d' échange avec d' autres États membres - Absence d' incidence

( Règlements du Conseil n 2057/82, art . 10, § 2, et n 6/85 )

Sommaire

Dès lors que l' accord sur la pêche entre la Communauté, d' une part, et le gouvernement du Danemark et le gouvernement local des îlesFéroé, d' autre part, relatif à l' accès aux ressources halieutiques et à leur conservation, établit une limitation des captures pour les pêcheurs de la Communauté dans les eaux maritimes des îles Féroé et qu' en conséquence des quotas sont fixés pour les différents États membres, les règles pertinentes tendant à assurer le respect de ces quotas, tel l' article 10 du
règlement n 2057/82, établissant certaines mesures de contrôle, doivent s' appliquer même en l' absence de référence expresse dans le règlement répartissant les quotas de capture entre les États membres, sous peine de compromettre le respect de l' accord, et notamment le respect du plafond des captures à la disposition de la Communauté .

Un État membre ne saurait se dispenser de l' obligation, qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 dudit article 10, d' interdire provisoirement la pêche par les bateaux battant son pavillon à partir de la date à laquelle les captures soumises à quota, effectuées par ces bateaux ou enregistrées sur son territoire, sont réputées avoir épuisé le contingent national, en invoquant la simple perspective d' obtenir, au terme de négociations engagées avec un autre État membre, un relèvement de quota par
voie d' échange . En effet, tout retard dans l' interdiction provisoire de la pêche comporte un risque de dépassement du quota, dès lors que les négociations, au résultat toujours aléatoire, n' aboutiraient pas ou déboucheraient sur un relèvement de quota insuffisant pour couvrir les captures effectuées dans l' intervalle . Tout accord d' échanges de quotas conclu avec un autre État membre en vue du relèvement d' un quota doit donc intervenir soit avant l' épuisement du quota initial, soit après l'
interdiction provisoire de la pêche .

Parties

Dans l' affaire C-62/89,

Commission des Communautés européennes, représentée par M . Patrick Hetsch, membre du service juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par Mme Edwige Belliard, sous-directeur à la direction des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent, et par M . Marc Giacomini, secrétaire des affaires étrangères au même ministère, en qualité d' agent suppléant, ayant élu domicile au siège de l' ambassade de France, 9, boulevard du Prince-Henri,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que la République française, en n' assurant pas le respect des quotas qui lui avaient été attribués pour l' année 1985, pour les captures de rascasses et de poissons plats dans les eaux des îles Féroé, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l' article 5, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche ( JO L 24, p .
1 ), et des articles 1er, paragraphes 1 et 2, 6 à 9 et 10, paragraphes 1 et 2, du règlement ( CEE ) n° 2057/82 du Conseil, du 29 juin 1982, établissant certaines mesures de contrôle à l' égard des activités de pêche exercées par les bateaux des États membres ( JO L 220, p . 1 ), en liaison avec l' article 1er du règlement ( CEE ) n° 6/85 du Conseil, du 19 décembre 1984, répartissant les quotas de capture entre les États membres pour les navires pêchant dans les eaux des îles Féroé ( JO L 1, p . 62
),

LA COUR,

composée de MM . O . Due, président, F . A . Schockweiler et M . Zuleeg, présidents de chambre, G . F . Mancini, T . F . O' Higgins, J . C . Moitinho de Almeida et M . Díez de Velasco, juges

avocat général : M . F . G . Jacobs

greffier : M . J . A . Pompe, greffier adjoint

vu le rapport d' audience et à la suite de la procédure orale du 1er février 1990,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 20 février 1990,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 3 mars 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l' article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République française, en n' assurant pas le respect des quotas qui lui avaient été attribués pour l' année 1985, pour les captures de rascasses et de poissons plats dans les eaux des îles Féroé, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l' article 5, paragraphe 2, du
règlement ( CEE ) n° 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche ( JO L 24, p . 1 ), et des articles 1er, paragraphes 1 et 2, 6 à 9 et 10, paragraphes 1 et 2, du règlement ( CEE ) n° 2057/82 du Conseil, du 29 juin 1982, établissant certaines mesures de contrôle à l' égard des activités de pêche exercées par les bateaux des États membres ( JO L 220, p . 1 ), en liaison avec l' article 1er du règlement ( CEE ) n° 6/85
du Conseil, du 19 décembre 1984, répartissant les quotas de capture entre les États membres pour les navires pêchant dans les eaux des îles Féroé ( JO L 1, p . 62 ).

2 La pêche dans les eaux des îles Féroé se trouve régie par l' accord sur la pêche entre la CEE, d' une part, et le gouvernement du Danemark et le gouvernement local des îles Féroé, d' autre part, figurant en annexe au règlement ( CEE ) n° 2211/80 du Conseil, du 27 juin 1980 ( JO L 226, p . 11 ). Conformément aux arrangements conclus entre la Communauté et les îles Féroé dans le cadre de cet accord, le règlement n° 6/85, précité, dont l' applicabilité a été prorogée jusqu' au 31 décembre 1985 par le
règlement ( CEE ) n° 97/85 du Conseil, du 14 janvier 1985 ( JO L 13, p . 5 ), a prévu que, pour l' année 1985, les captures effectuées par les navires battant pavillon d' un État membre dans les eaux relevant de la juridiction en matière de pêche des îles Féroé étaient limitées aux quotas fixés à son annexe . Cette annexe a fixé les quotas de capture de la France à 450 tonnes pour la rascasse et à 160 tonnes pour les poissons plats .

3 Il résulte du tableau des débarquements que le secrétariat d' État français chargé de la mer a communiqué à la Commission le 6 février 1986 et qui a été produit en annexe à la requête que les quotas de capture alloués à la France dans les eaux des îles Féroé pour l' année 1985 étaient épuisés, en ce qui concerne les poissons plats, entre le 18 et le 21 juin 1985, et, en ce qui concerne la rascasse, entre le 7 et le 13 juillet 1985 .

4 A la suite d' échanges de quotas opérés par les autorités françaises avec d' autres États membres, conformément à l' article 5, paragraphe 1, du règlement n° 170/83, précité, le quota de capture de la France pour les rascasses a été porté à 970 tonnes . Toutefois, il résulte du tableau des débarquements que ce nouveau quota, négocié postérieurement à l' épuisement du quota initial et notifié à la Commission en novembre 1985, fut à nouveau dépassé entre le 2 et le 30 octobre 1985 . Pour l' année
1985, les captures totales de rascasses déclarées par la France dans les eaux des îles Féroé se sont élevées à 984,7 tonnes . Pour ce qui est des poissons plats, le total des captures de la France dans les eaux féringiennes a atteint, pour l' année 1985, 708,4 tonnes .

5 Il n' est, par ailleurs, pas contesté que ce n' est que le 8 novembre 1985 que les autorités françaises ont donné avis à leurs pêcheurs de cesser toute activité sur les stocks de rascasses et de poissons plats dans les eaux des îles Féroé .

6 Par règlement ( CEE ) n° 3220/85 ( JO L 303, p . 43 ), entré en vigueur le 16 novembre 1985, la Commission a, sur la base des informations qu' elle avait pu recueillir et agissant de sa propre initiative, conformément à l' article 10, paragraphe 3, du règlement n° 2057/82, précité, arrêté la pêche de la rascasse dans les eaux des îles Féroé par les navires battant pavillon de la France . De même, par règlement ( CEE ) n° 3448/85 ( JO L 328, p . 20 ), entré en vigueur le 7 décembre 1985, la
Commission a, de sa propre initiative, décidé l' arrêt de la pêche des poissons plats par les navires français dans les eaux féringiennes .

7 La Commission déduit des dépassements de quotas constatés que la République française a omis de prendre, pour l' année 1985, les mesures nécessaires pour assurer le respect des quotas qui lui avaient été alloués pour les captures de rascasses et de poissons plats dans les eaux des îles Féroé .

8 A l' appui de sa thèse, la Commission soutient essentiellement que les dépassements des quotas sont la conséquence d' un manquement de la République française aux obligations qui incomberaient aux États membres, en vertu de l' article 10, paragraphe 2, du règlement n° 2057/82, précité, de procéder en temps utile à la fermeture provisoire de la pêche .

9 Par ailleurs, la Commission fait valoir que les dépassements des quotas peuvent également résulter d' une mise en oeuvre incorrecte par la République française des obligations de contrôle et d' enregistrement des captures, énoncées par les articles 6 à 9 du règlement n° 2057/82, précité, de celles d' inspection des bateaux de pêche et de répression des infractions constatées, conformément à l' article 1er, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, ou encore de l' obligation d' imputation, sur le quota
applicable, de toutes les captures effectuées par les navires de pêche battant pavillon français, prévue par l' article 10, paragraphe 1, de ce même règlement . En outre, ces dépassements pourraient être la conséquence du défaut des autorités françaises d' avoir pris, conformément à l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 170/83, précité, les mesures nécessaires pour déterminer les modalités d' utilisation des quotas de pêche attribués à la France .

10 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

Sur le grief tiré de la fermeture tardive de la pêche

11 Par ce grief, la Commission reproche à la République française d' avoir manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l' article 10, paragraphe 2, du règlement n° 2057/82, précité, en omettant d' interdire provisoirement la pêche pour les stocks de poissons concernés dès que l' épuisement des quotas paraissait imminent . Selon la Commission, cette disposition imposerait à tous les États membres de fixer, sur la base des informations disponibles concernant le niveau des captures, la date
prévisible de l' épuisement des quotas et de prendre en temps utile les mesures appropriées visant à interdire la pêche à partir de cette date . Or, en l' espèce, l' avis de cessation de la pêche donné par les autorités françaises le 8 novembre 1985 aurait été manifestement inadéquat, puisqu' il serait intervenu près de quatre mois après l' épuisement des quotas en question et qu' en tout état de cause il ne serait pas juridiquement contraignant . La Commission ajoute que l' obligation des États
membres d' interdire provisoirement la pêche dès que l' épuisement des quotas est prévisible ne saurait être subordonnée aux aléas d' une simple perspective d' échanges de quotas qui devraient intervenir soit préalablement à la date à laquelle le quota initial est réputé épuisé, soit postérieurement à la fermeture provisoire de la pêche par les autorités nationales .

12 Afin d' apprécier le bien-fondé de la thèse de la Commission, il convient de rappeler d' abord qu' aux termes de l' article 10, paragraphe 2, du règlement n° 2057/82, précité, "chaque État membre fixe la date à laquelle les captures d' un stock ou d' un groupe de stocks soumises à quota, effectuées par les bateaux de pêche battant son propre pavillon ou enregistrées sur son territoire, sont réputées avoir épuisé le quota qui lui est applicable pour ce stock ou groupe de stocks . Il interdit
provisoirement, à compter de cette date, la pêche de poissons de ce stock ou de ce groupe de stocks par lesdits bateaux, aussi bien que la conservation à bord, le transbordement et le débarquement, pour autant que les captures aient été effectuées après cette date, et fixe une date jusqu' à laquelle les transbordements et les débarquements ou les dernières notifications sur les captures sont permis . Cette mesure est notifiée sans délai à la Commission qui en informe les autres États membres ".

13 Il y a lieu de relever ensuite que l' article 10 du règlement n° 2057/82, précité, n' est pas expressément mentionné parmi les dispositions à respecter lors de la gestion des quotas de capture répartis entre les États membres pour les navires pêchant dans les eaux des îles Féroé . En effet, l' article 2 du règlement n° 6/85, précité, prévoit seulement que les États membres et les capitaines des navires battant pavillon des États membres doivent se conformer, en ce qui concerne la pêche dans les
eaux des îles Féroé, aux dispositions des articles 3 à 9 du règlement n° 2057/82, précité .

14 A cet égard, il convient de constater que, même si le règlement n° 6/85, précité, ne fait pas expressément référence à l' article 10 du règlement n° 2057/82, précité, le respect de cette disposition, dont l' applicabilité en l' espèce n' a d' ailleurs pas été contestée par la République française, ne s' en impose pas moins aux États membres en tant que règle générale indispensable pour assurer l' efficacité de tout régime de conservation et de gestion des ressources de pêche fondé sur la
répartition, sous forme de quotas alloués aux États membres, du volume des prises disponibles pour la Communauté . En effet, dès lors que l' accord sur la pêche avec le gouvernement du Danemark et le gouvernement local des îles Féroé, relatif à l' accès et à la conservation des ressources halieutiques, établit une limitation des captures pour les pêcheurs de la Communauté dans les eaux maritimes des îles Féroé et qu' en conséquence des quotas sont fixés pour les différents États membres, les règles
pertinentes tendant à assurer le respect de ces quotas doivent s' appliquer même en l' absence de référence expresse dans le règlement répartissant les quotas de capture entre les États membres, sous peine de compromettre le respect de l' accord, et notamment le respect du plafond des captures à la disposition de la Communauté . Dans ces conditions, l' article 10 du règlement n° 2057/82, précité, est applicable en l' espèce .

15 La République française conteste le bien-fondé du grief formulé par la Commission en invoquant quatre séries d' arguments .

16 En premier lieu, la République française fait valoir qu' elle a agi en temps utile et de manière appropriée pour prévenir l' épuisement des quotas en cause, d' une part, en négociant un relèvement du quota pour la rascasse par voie d' échanges de quotas avec un autre État membre et, d' autre part, en donnant avis à ses pêcheurs d' arrêter toute activité sur les stocks de poissons plats et de rascasses à partir du 8 novembre 1985 . La République française souligne que cet avis de cessation d'
activité de la pêche a été une mesure efficace, puisque aucun débarquement de capture des espèces concernées n' aurait été effectué après le 30 octobre 1985 .

17 A propos de cet argument, il convient de constater que, conformément à l' article 10, paragraphe 2, du règlement n° 2057/82, précité, les États membres ont l' obligation d' interdire provisoirement la pêche à partir de la date à laquelle les captures soumises à quota, effectuées par les bateaux battant pavillon de ces États ou enregistrées sur leur territoire, sont réputées avoir épuisé le quota en question . Il résulte de cette disposition que les États membres sont tenus de prendre en temps
utile toutes mesures nécessaires pour prévenir le dépassement des quotas en cause, afin d' assurer le respect des quotas alloués aux États membres dans le but de la conservation des ressources de la pêche .

18 En conséquence, la République française avait en l' espèce l' obligation de prendre des mesures contraignantes pour interdire provisoirement toute activité de pêche avant même que les quotas ne soient épuisés . Dès lors, les autorités françaises devaient décider l' arrêt provisoire de la pêche des poissons plats au plus tard le 21 juin 1985 et celle de la rascasse au plus tard le 13 juillet 1985 .

19 Dans ces conditions, il apparaît que l' avis de cessation de toute activité sur les stocks concernés, donné le 8 novembre 1985, et dont la République française n' a d' ailleurs pas pu établir le caractère contraignant, est intervenu trop tard pour prévenir le dépassement des quotas en cause .

20 S' agissant, plus particulièrement, du fait que, pour la rascasse, la République française s' est bornée à engager des négociations en vue d' obtenir un relèvement du quota par voie d' échanges de quotas avec un autre État membre, c' est à juste titre que la Commission soutient que les États membres ne sauraient se fonder sur la simple perspective d' échanges de quotas pour se dispenser des obligations qui leur incombent en vertu de l' article 10, paragraphe 2, du règlement n° 2057/82, précité .
En effet, de telles négociations, dont le résultat est aléatoire, ne sauraient justifier la continuation de la pêche après l' épuisement du quota, étant donné que, en cas d' échec de la tentative de relèvement du quota par voie d' échange ou d' obtention de quantités insuffisantes pour couvrir les captures effectuées, tout retard dans la fermeture provisoire de la pêche est de nature à entraîner un risque d' aggravation du dépassement du quota . Il s' ensuit que tout accord d' échanges de quotas
conclu avec un autre État membre en vue du relèvement d' un quota doit intervenir, soit avant l' épuisement du quota initial, soit après l' interdiction provisoire de la pêche .

21 Le premier argument soulevé par la République française doit, dès lors, être rejeté .

22 Par son deuxième argument, la République française fait état de difficultés pratiques qui l' auraient empêchée de prévoir l' épuisement imminent des quotas en question . A cet égard, la République française soutient que le règlement ( CEE ) n° 2807/83 de la Commission, du 22 septembre 1983, définissant les modalités particulières de l' enregistrement des informations relatives aux captures de poissons par les États membres ( JO L 276, p . 1 ), qui prévoit la mise en place d' un journal de bord
communautaire, n' est entré en vigueur que le 1er avril 1985, de sorte qu' il aurait été difficile d' obtenir en temps utile des informations fiables sur la base desquelles une interdiction de la pêche aurait pu être décidée . Par ailleurs, il faudrait tenir compte du fait qu' en 1985 la réglementation communautaire relative à la conservation des ressources halieutiques était encore nouvelle et non éprouvée . La République française souligne, en outre, que le niveau erratique des captures a
constitué une source de difficultés, en particulier lorsque, comme dans le cas des poissons plats, le quota était de faible importance . Sur ce point, la République française fait valoir qu' une brusque augmentation du volume des poissons plats débarqués en juin et juillet 1985, faisant suite au faible niveau des captures antérieures, a abouti, en pratique, à l' imprévisibilité de la date d' épuisement du quota .

23 Cet argument de la République française ne saurait être retenu . En effet, il est de jurisprudence constante ( voir arrêt du 2 février 1989, Pays-Bas/Commission, point 15, 262/87, Rec . p . 0000 ) qu' un État membre ne saurait invoquer des difficultés pratiques pour justifier le défaut de mise en oeuvre de mesures de contrôle appropriées . Au contraire, en vertu de cette jurisprudence, il appartient aux États membres chargés de l' exécution des réglementations communautaires, dans le cadre de l'
organisation commune des marchés dans le secteur des produits de pêche, de surmonter ces difficultés en prenant les mesures appropriées .

24 La République française n' est, en particulier, pas fondée à invoquer la prétendue nouveauté du régime communautaire des quotas pour justifier sa carence . En effet, le règlement n° 170/83, précité, est entré en vigueur le 27 janvier 1983 et le règlement n° 2057/82, précité, le 1er août 1982, de sorte que les mesures de contrôle prévues par ces réglementations étaient applicables bien avant que les événements litigieux ne se produisent . Dans ces conditions, si en l' espèce les mesures de
contrôle avaient été respectées et mises en oeuvre correctement, elles auraient dû fournir aux autorités françaises suffisamment d' informations pour leur permettre de prévoir l' épuisement des quotas en question et d' agir en conséquence .

25 En ce qui concerne l' argument tiré de l' entrée en vigueur, au 1er avril 1985, du journal de bord communautaire, il importe de souligner que le règlement n° 2807/83, précité, a seulement introduit un modèle uniformisé pour le journal de bord que les capitaines des bateaux de pêche doivent tenir . Par contre, l' obligation de tenir un journal de bord, indiquant les quantités de chaque espèce capturées ainsi que la date et le lieu de ces captures, figure déjà à l' article 3 du règlement n°
2057/82, précité . En outre, s' il est vrai que le règlement n° 2807/83, précité, n' est entré en vigueur que le 1er avril 1985, il ressort cependant du tableau des débarquements, communiqué par les autorités françaises à la Commission, que les bateaux de pêche battant pavillon de la France n' ont pas mis à terre des rascasses ou des poissons plats capturés dans les eaux des îles Féroé avant le 14 mai 1985 .

26 Pour ce qui est du niveau prétendument erratique des captures de poissons plats, un examen du tableau des débarquements, notifié à la Commission, met en évidence que, si la quantité totale débarquée en juin ( 280,5 tonnes ) et en juillet 1985 ( 264,7 tonnes ) était largement supérieure à celle débarquée en mai 1985 ( 8,2 tonnes ), les débarquements effectués en juin ont cependant été réguliers du point de vue tant de leur rythme que des quantités mises à terre . Il s' ensuit que les autorités
françaises avaient la possibilité de prévoir l' épuisement du quota pour les poissons plats le 21 juin 1985 .

27 Troisièmement, la République française fait valoir qu' en l' espèce la réalité du dépassement des quotas en cause n' est pas établie avec certitude . En effet, les coefficients de conversion permettant de calculer le tonnage des captures en poids vif à partir des captures débarquées, constituées de poissons vidés, ne seraient pas harmonisés au niveau communautaire et comporteraient dès lors une importante marge d' incertitude . D' autre part, une partie considérable de la pêche en cause aurait
été effectuée dans les eaux qui feraient l' objet de contestations entre le Royaume-Uni et les îles Féroé, de sorte qu' il ne serait pas certain que les prises françaises en cause ont effectivement eu lieu dans les eaux féringiennes .

28 Quant à la prétendue marge d' incertitude résultant de l' application du coefficient de conversion, il convient de constater d' emblée que les autorités françaises elles-mêmes ont fait usage de ce coefficient pour déterminer les chiffres de capture communiqués à la Commission . Dans ces conditions, la République française n' est pas fondée à contester à présent la fiabilité de ce mode de calcul . De plus, même à supposer qu' une marge d' incertitude existe, elle est de toute façon limitée et ne
saurait certainement expliquer un dépassement de quota aussi considérable que celui constaté en l' espèce pour les poissons plats .

29 En ce qui concerne ensuite les prétendues contestations de juridiction entre le Royaume-Uni et les îles Féroé, il y a lieu de relever également que la République française s' est bornée à communiquer à la Commission les chiffres relatifs aux captures effectuées par les bateaux français "dans les eaux féringiennes", sans soulever de problèmes à propos de la délimitation des eaux communautaires et féringiennes .

30 Pour le surplus, il convient de rappeler que le préambule de l' accord sur la pêche entre la CEE, d' une part, et le gouvernement du Danemark et le gouvernement local des îles Féroé, d' autre part, énonce qu' "il a été décidé d' établir autour des îles Féroé, à compter du 1er janvier 1977, une zone de pêche s' étendant à 200 milles nautiques de la côte et dans laquelle les îles Féroé exerceront des droits souverains aux fins de l' exploration, de l' exploitation, de la conservation et de la
gestion des ressources biologiques de ladite zone ". En vertu de l' article 2, sous b ), de cet accord, les autorités féringiennes déterminent chaque année "les parts attribuées aux navires de pêche de la Communauté ainsi que les zones relevant de leur juridiction à l' intérieur desquelles ces parts peuvent être pêchées ". La liste des parts et des zones de pêche est transmise à la Commission, et cet élément d' information sert de base à la répartition des quotas entre les États membres . En l'
absence de toute réserve dans cet accord sur la pêche en ce qui concerne une prétendue contestation de juridiction entre le Royaume-Uni et les îles Féroé et à défaut de toute contestation à propos de la zone indiquée par les autorités féringiennes de la part de l' État membre prétendument intéressé, il faut constater que la République française n' a pas réussi à mettre en doute que l' ensemble des captures retenues par la Commission dans le cadre de la présente procédure a été pêché dans la zone
relevant de la juridiction en matière de pêche des îles Féroé . Dans ces conditions, la République française n' est pas fondée à invoquer cet argument pour justifier l' inobservation des quotas en l' espèce .

31 Enfin, par son quatrième argument, la République française soutient qu' en tout état de cause le quota global dont la Communauté bénéficiait dans les eaux féringiennes pour les stocks en question n' a pas été épuisé pour l' année 1985, de sorte que les dépassements des quotas français ne pouvaient ni léser d' autres États membres ni mettre en cause l' accord sur la pêche conclu avec le gouvernement du Danemark et le gouvernement local des îles Féroé .

32 A cet égard, il suffit de souligner que le total des quantités communautaires capturées dans les eaux féringiennes pour 1985, dont le chiffre n' est apparu qu' après la fin de l' année en cause, n' est pas de nature à affecter les obligations qu' avait un État membre de prendre en temps utile les mesures nécessaires pour prévenir l' épuisement du seul quota national dont cet État membre pouvait disposer à l' intérieur du total admissible des captures allouées à la Communauté .

33 Il s' ensuit que le quatrième argument invoqué par la République française doit également être rejeté .

34 Aucun argument avancé par la République française à l' encontre du grief formulé par la Commission n' ayant pu être retenu, il en résulte qu' il y a lieu de constater que la République française, en n' assurant pas le respect des quotas qui lui avaient été attribués, pour l' année 1985, pour les captures de rascasses et de poissons plats dans les eaux des îles Féroé, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l' article 10, paragraphe 2, du règlement n° 2057/82,
précité, en liaison avec l' article 1er du règlement n° 6/85, précité .

Sur les griefs accessoires

35 Dans sa requête, la Commission reproche également à la République française d' avoir manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 1er, paragraphes 1 et 2, 6 à 9 et 10, paragraphe 1, du règlement n° 2057/82, précité, ainsi que de l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 170/83, précité .

36 Sur ce point, il y a lieu de constater que la Commission s' est bornée à affirmer que le seul fait du dépassement des quotas démontrait que les dispositions précitées n' avaient pas été respectées . Par contre, la Commission n' a pas fourni, à l' appui de son recours, d' éléments de fait précis susceptibles d' établir que la République française ne s' est pas conformée aux obligations que lui imposaient les dispositions précitées .

37 Or, il est de jurisprudence constante ( voir arrêt du 5 octobre 1989, Commission/Pays-Bas, 290/87, Rec . p . 0000 ) que la Commission, dans le cadre d' une procédure engagée au titre de l' article 169 du traité CEE, a l' obligation d' établir l' existence du manquement allégué et ne saurait se fonder sur une présomption quelconque pour prouver l' existence du manquement d' un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire .

38 Dans ces conditions, les griefs accessoires invoqués par la Commission doivent être rejetés .

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

39 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens . La République française ayant succombé dans l' essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens .

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête :

1 ) La République française, en n' assurant pas le respect des quotas qui lui avaient été attribués, pour l' année 1985, pour les captures de rascasses et de poissons plats dans les eaux des îles Féroé, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l' article 10, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 2057/82 du Conseil, du 29 juin 1982, établissant certaines mesures de contrôle à l' égard des activités de pêche exercées par les bateaux des États membres, en liaison avec l'
article 1er du règlement ( CEE ) n° 6/85 du Conseil, du 19 décembre 1984, répartissant les quotas de capture entre les États membres pour les navires pêchant dans les eaux des îles Féroé .

2 ) Le recours est rejeté pour le surplus .

3 ) La République française est condamnée aux dépens .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-62/89
Date de la décision : 20/03/1990
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé, Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Pêche - Gestion des quotas - Obligations à charge des Etats membres

Agriculture et Pêche

Politique de la pêche


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:123

Source

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