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18/11/1988 | CJUE | N°C-216/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 novembre 1988., The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Jaderow Ltd., 18/11/1988, C-216/87


Avis juridique important

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61987C0216

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 novembre 1988. - The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Jaderow Ltd. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Pêche - Licences - Co

nditions. - Affaire C-216/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 0450...

Avis juridique important

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61987C0216

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 novembre 1988. - The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Jaderow Ltd. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Pêche - Licences - Conditions. - Affaire C-216/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 04509

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Alors que dans les conclusions que nous venons de vous présenter dans le cadre de l' affaire C-3/87, Agegate Ltd, nous avons eu à examiner les conditions relatives à la composition de l' équipage auxquelles est subordonné au Royaume-Uni l' octroi d' une licence de pêche, nous devons maintenant prendre position au sujet des conditions d' exploitation que doivent respecter les bateaux de pêche britanniques puisant dans les quotas de pêche alloués au Royaume-Uni .

Quant à la première question

2 . La première question posée par la Divisional Court de la Queen' s Bench Division de la High Court of Justice d' Angleterre et du pays de Galles est, en effet, libellée de la manière suivante :

"Lorsqu' un État membre accorde une licence de pêche à une société enregistrée dans cet État membre en ce qui concerne un bateau de pêche propriété de cette société et battant pavillon de cet État membre et dûment enregistré dans cet État membre et lorsque la licence prévoit des conditions ( dont toutes doivent être satisfaites en permanence ) visant expressément à veiller à ce que le bateau ait un 'lien économique véritable' avec l' État membre en cause, une condition d' octroi de la licence
formulée comme suit :

' le bateau doit exercer ses activités à partir du Royaume-Uni, de l' île de Man ou des îles Anglo-Normandes; sans préjudice du caractère général de cette condition, un bateau sera censé y avoir satisfait dans l' exercice de ses activités si, pour chaque semestre de chaque année civile ( par exemple, de janvier à juin et de juillet à décembre ), soit :

a ) au moins 50 % en poids du poisson auquel la présente licence ou toute autre licence en vigueur au cours de la période en cause se rapporte, débarqué ou transbordé par le bateau, ont été débarqués et vendus au Royaume-Uni, dans l' île de Man ou dans les îles Anglo-Normandes ou transbordés dans le cadre d' une vente à l' intérieur des zones de pêche britanniques ( British Fisheries Limits ), soit :

b ) la preuve est apportée d' une autre façon que le bateau a été présent dans un port du Royaume-Uni, de l' île de Man ou des îles Anglo-Normandes à quatre reprises au moins et à des intervalles d' au moins quinze jours' ,

est-elle incompatible avec le droit communautaire soit en raison de sa formulation, soit en raison de son rapport avec les deux autres conditions prévues pour l' octroi de la licence ( qui font l' objet de l' affaire C-3/87 ) et, en particulier, pareille condition est-elle

a ) incompatible avec la politique structurelle commune de l' industrie de la pêche telle qu' elle est exposée notamment dans le règlement ( CEE ) n° 101/76 du Conseil;

b ) incompatible avec l' organisation commune du marché des produits de la pêche, telle qu' elle est exposée notamment dans le règlement ( CEE ) n° 3796/81 du Conseil;

c ) interdite par les articles 7, 34, 40, 48 à 51, 52 à 58 ou 59 à 66 du traité CEE ou par une de ces dispositions, quelle qu' elle soit;

d ) invalide dans la mesure où elle est disproportionnée, arbitraire et va-t-elle à l' encontre de la confiance légitime des requérants;

e ) une mesure ne relevant pas de la compétence du Royaume-Uni ou illégale au regard de l' article 5, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 170/83 du Conseil, en ce qu' elle est, eu égard aux éléments susvisés, contraire aux dispositions communautaires en vigueur?"

3 . Il apparaît que par sa première phrase la disposition en cause établit une condition générale ( le bateau doit exercer ses activités à partir du Royaume-Uni, de l' île de Man ou des îles Anglo-Normandes ) qui est censée être remplie lorsque l' une des hypothèses décrites aux points a ) ( ci-après "critère du débarquement ") ou b ) ( ci-après "critère de la présence ") se trouve réalisée .

4 . Il importe donc d' examiner d' abord si la condition générale susmentionnée est compatible avec le droit communautaire . Comme le critère de la présence périodique du bateau dans un port du Royaume-Uni est très intimement liée à cette condition générale, nous allons l' examiner en même temps .

A - Sur la condition générale et le critère relatif à la présence périodique de chaque bateau dans un port du pays d' immatriculation

5 . Au point a ) de la deuxième partie de sa question, la Haute Juridiction britannique se demande si les dispositions en cause sont compatibles avec le règlement n° 101/76 du Conseil, du 19 janvier 1976, portant établissement d' une politique commune des structures dans le secteur de la pêche ( JO L 20, p . 19 ) et, au point e ), si elles relèvent encore de la compétence des États membres .

6 . Or, dans votre arrêt du 19 janvier 1988, Pesca Valentia Limited/Ministre de la Pêche et des Forêts d' Irlande et Attorney général ( 223/86, Rec . p . 83 ), vous avez déclaré que, dans l' attente de l' entrée en vigueur de certaines mesures communautaires prévues par le règlement n° 101/76,

"les États membres peuvent appliquer leur propre régime d' exercice de la pêche dans les eaux maritimes relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction ( article 2 ) et définir leur politique de structure dans ce secteur ( article 1er ). Il y a lieu d' observer, en outre, que les dispositions du règlement se réfèrent à des navires de pêche 'battant pavillon' d' un des États membres ou y 'immatriculés' tout en laissant la définition de ces notions aux législations des États membres .

Par conséquent, en l' état actuel du droit communautaire, les États membres sont compétents, dans le cadre des règles du régime commun établies par ce règlement ou en application de ses dispositions, pour prendre des mesures réglementant l' exercice de la pêche maritime dans les eaux maritimes de leur juridiction par les bateaux battant leur pavillon ." ( Points 13 et 14 de l' arrêt .)

7 . Le droit communautaire ne limite donc pas la compétence que le droit international public reconnaît à chaque État de déterminer les conditions auxquelles il accorde son pavillon à un bateau . De plus, le règlement n° 101/76 permet aux États membres de prendre des mesures réglementant l' exercice de la pêche dans les eaux maritimes de leur juridiction par les bateaux battant leur pavillon . Nous estimons qu' une règle qui vaut pour les eaux relevant de la juridiction d' un État membre doit,
logiquement, aussi valoir en ce qui concerne les activités de pêche effectuées par les mêmes bateaux dans les eaux des autres États membres, dans celles des pays tiers et dans les eaux internationales, pour autant qu' il s' agit de captures de poissons destinées à être imputées sur les quotas qui ont été attribués dans les eaux en question, à cet État, par un règlement de la Communauté .

8 . D' autre part, le droit de chaque État de définir les conditions auxquelles il subordonne l' octroi de son pavillon à un navire implique, à notre avis, le droit d' exiger que le bateau en question opère à partir de ses ports .

9 . L' existence d' un tel droit ne saurait, en particulier, être mis en doute si l' on considère les dispositions de la convention de Genève du 29 avril 1958 sur la haute mer . Celle-ci est entrée en vigueur le 30 septembre 1962 et huit États membres, dont le Royaume-Uni et l' Espagne, l' ont ratifiée ou y ont adhéré . L' article 5 de cette convention est rédigé de la manière suivante :

"1 . Chaque État fixe les conditions auxquelles il accorde sa nationalité aux navires ainsi que les conditions d' immatriculation et du droit de battre son pavillon . Les navires possèdent la nationalité de l' État dont ils sont autorisés à battre pavillon . Il doit exister un lien substantiel entre l' État et le navire; l' État doit notamment exercer effectivement sa juridiction et son contrôle, dans les domaines technique, administratif et social, sur les navires battant son pavillon .

2 . Chaque État délivre aux navires auxquels il a accordé le droit de battre son pavillon des documents à cet effet ." ( C' est nous qui soulignons .)

10 . L' article 10 de la même convention prévoit encore ce qui suit :

"1 . Tout État est tenu de prendre à l' égard des navires arborant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer, notamment en ce qui concerne :

a ) l' emploi des signaux, l' entretien des communications et la prévention des abordages;

b ) la composition et les conditions de travail des équipages en tenant compte des instruments internationaux applicables en matière de travail;

c ) la construction et l' armement du navire et son aptitude à tenir la mer .

2 . En prescrivant ces mesures, chaque État membre est tenu de se conformer aux normes internationales généralement acceptées et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour en assurer le respect ."

11 . Il apparaît, à la lumière de ces textes, qu' on ne saurait critiquer un État membre qui estime qu' il ne serait pas à même d' effectuer les contrôles prescrits si chaque bateau n' est pas, périodiquement, présent dans un de ses ports .

12 . On pourrait, certes, objecter que les conditions d' immatriculation n' ont rien à voir avec les conditions d' octroi des licences . Mais on ne voit pas pourquoi un État membre ne pourrait pas prescrire, au moment de l' octroi des licences, une condition dont il aurait déjà pu faire dépendre l' immatriculation du bateau .

13 . La fréquence ( quatre fois par semestre ) et l' intervalle auquel doivent avoir lieu les visites prescrites ( au moins quinze jours ) sont-ils de nature à empêcher un tel navire à se livrer à des prestations de services dans d' autres États membres et notamment à vendre les poissons capturés dans un port espagnol? Cela pourrait être le cas s' il était matériellement impossible ou économiquement trop onéreux pour un bateau de faire les visites prescrites dans un port britannique, de pêcher dans
des eaux assez éloignées de ces ports, telles que celles situées à l' ouest de l' Irlande et de vendre le poisson capturé dans des ports relativement éloignés, tels que ceux de l' Espagne . Si tel était le cas, on pourrait se trouver en face d' une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative à l' exportation . Il s' agit là d' une question de fait que seule la juridiction nationale peut trancher . En effectuant cette appréciation, la juridiction britannique est pleinement en droit de
partir du principe qu' il est normal pour un navire britannique de commencer et de finir ses expéditions de pêche dans un port du Royaume-Uni . Nous ne partageons pas l' opinion de la Commission selon laquelle demander à un navire britannique de visiter un port du Royaume-Uni serait la même chose que de lui demander de faire un détour par le Danemark .

14 . Dans le même contexte, il y a lieu de se rappeler que le régime instauré par le règlement n° 101/76 portant établissement d' une politique commune des structures dans le secteur de la pêche a pour objet d' assurer un niveau de vie équitable aux personnes qui tirent leurs ressources de la pêche ( cinquième considérant ). On peut considérer que tombent également dans cette catégorie les personnes qui, à terre, dans les ports, assurent les services dont les bateaux et les pêcheurs ont besoin, tels
que la vente de nourriture et de carburant, la fabrication et la vente de glace, l' entretien et la réparation des bateaux, la transformation et l' expédition des poissons .

15 . La société Agegate Ltd a d' ailleurs annexé aux observations qu' elle a présentées dans le cadre de l' affaire C-3/87 des pièces volumineuses ( affidavits, études d' experts ) montrant à quel point certains ports britanniques, et notamment Milford Haven, pourraient se développer si les bateaux de pêche anciennement espagnols y faisaient régulièrement escale . La société Jaderow Ltd a, elle aussi, joint à ses observations des coupures de presse allant dans le même sens . Ces sociétés ne semblent
donc pas considérer que la condition relative à leur présence périodique dans un port britannique les mettrait dans l' impossibilité, du point de vue économique, de poursuivre leurs opérations . Elles indiquent seulement que la règle qui leur impose de ne pas avoir plus de 25 % de marins espagnols à leur bord, en les exposant à des sanctions, les empêche de faire de telles escales, et que l' intervalle de quinze jours qui doit s' écouler entre chaque visite est trop long .

16 . Constatons ensuite que le règlement n° 3796/81 du Conseil, du 29 décembre 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la pêche ( JO L 379, p . 1 ) ne comporte aucune règle dont on pourrait dire qu' elle serait violée par les mesures britanniques .

17 . Il est vrai que, même si le règlement ne les énonce pas expressément, les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises y sont incorporées de plein droit au plus tard depuis l' expiration de la période de transition ( 1 ), comme le souligne d' ailleurs le trentième considérant du règlement . Nous venons toutefois de voir que ce n' est qu' au cas où la juridiction nationale parviendrait à la conclusion que le critère de la présence empêche effectivement les bateaux
britanniques de vendre leurs captures dans les ports d' autres États membres, qu' il pourrait être considéré comme contraire à l' article 34 du traité .

18 . D' autre part, l' article 27, paragraphe 2, du règlement n° 3796/81, mentionné par la Commission et prévoyant que,

"sans préjudice d' autres dispositions communautaires, les États membres prennent les dispositions nécessaires en vue d' assurer entre tous les navires de pêche battant pavillon d' un des États membres l' égalité des conditions d' accès aux ports et aux installations de première mise sur le marché, ainsi qu' à tous les équipements et à toutes les installations techniques qui en dépendent",

n' interdit pas à un État membre d' obliger ses propres bateaux à être régulièrement présents dans ses propres ports .

19 . La condition générale et le moyen de preuve relatif à la présence périodique des bateaux dans un port britannique ne sauraient pas non plus être considérés comme contraires aux articles du traité qui interdisent toute discrimination à l' égard des personnes physiques ou morales des autres États membres ( articles 7, 48 à 51, 52 à 58 ou 59 à 66 ), puisque ces règles ne concernent que des bateaux immatriculés au Royaume-Uni et appartenant à des sociétés de droit britannique .

20 . Quant à l' article 40, paragraphe 3, du traité, il ne saurait être applicable s' agissant d' une mesure nationale s' appliquant à tous les bateaux et à toutes les sociétés s' occupant de pêche maritime dans l' État en question .

21 . En ce qui concerne les principes généraux du droit communautaire évoqués au point d ) de la deuxième partie de la question de la High Court, nous voudrions faire observer ce qui suit .

22 . La Cour a reconnu que le respect des principes généraux du droit communautaire s' impose à toute autorité nationale chargée d' appliquer le droit communautaire ( voir arrêt du 27 septembre 1979, Eridania, 230/78, Rec . p . 2749 ). Même si l' on considère comme acquis, ce qui pourrait cependant être contesté, que la condition générale et le critère relatif à la présence des bateaux dans les ports constituent des mesures adoptées uniquement en vue de la mise en oeuvre du régime communautaire des
quotas, force est de constater que selon la jurisprudence constante de la Cour

"le champ d' application du principe de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu' à empêcher, d' une façon générale, une réglementation nouvelle de s' appliquer aux effets futurs de situations nées sous l' empire de la réglementation antérieure et cela notamment dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés dont l' objet comporte précisément une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique dans les différents secteurs agricoles ".

Cette règle a été rappelée en dernier lieu au point 19 de l' arrêt du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil ( 203/86 ), à propos d' une réglementation nationale, antérieure à l' adhésion de l' Espagne, favorisant l' expansion de la production laitière de ce pays alors que les quotas laitiers décidés par le Conseil bloquaient désormais cette expansion . Nous estimons que ces principes valent aussi à l' égard d' une mesure adoptée dans le cadre d' une réglementation connexe à une organisation commune des
marchés et fondée, elle aussi, sur l' article 43 du traité .

23 . En outre, la Cour a déclaré à propos d' un recours de fonctionnaires ( arrêt du 14 juin 1988, Christianos/Cour, 33/87 ) que

"le requérant ne peut se prévaloir du principe de la confiance légitime pour obtenir le maintien d' avantages dont il bénéficiait dans le cadre d' une réglementation antérieure" ( point 17 )

et

"qu' un fonctionnaire ne peut se prévaloir du principe de la confiance légitime pour s' opposer à l' application régulière d' une disposition réglementaire nouvelle" ( point 23 ).

24 . Les requérants ne sauraient donc valablement invoquer le principe de la confiance légitime .

25 . Il résulte, par ailleurs, de ce qui précède que, loin d' être arbitraires, la condition générale et le critère de la présence ont été adoptés dans un but légitime, à savoir celui d' assurer que les bateaux puissent être soumis aux contrôles technique, administratif et social indispensables et que le secteur de la pêche de l' État dont ils battent pavillon soit le bénéficiaire des retombées économiques de leurs activités de pêche . Dans la mesure où le critère de la présence n' empêche pas que
les captures de poissons effectuées puissent être vendues dans des ports non britanniques même éloignés, il ne saurait pas non plus être considéré comme disproportionné par rapport à l' objectif recherché .

26 . Au point e ) de sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi nous demande aussi d' examiner le problème de la compétence d' un État membre pour adopter une mesure telle que celle en cause par rapport à l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 170/83, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche ( JO L 24, p . 1 ).

27 . Or, dans le cadre de nos conclusions dans l' affaire C-3/87, nous venons de voir qu' en vertu de cet article les États membres ont été précisément chargés de déterminer les modalités d' utilisation des quotas qui leur ont été attribués . Pour les motifs que nous y avons développés, nous estimons qu' une réglementation subordonnant la capture des espèces sous quota à la condition que cette activité soit exercée à partir d' un port du pays d' immatriculation relève de la gestion des quotas au
même titre qu' une réglementation portant sur la composition de leurs équipages, en ce qu' elle permet de contrôler le nombre des bateaux qui pourraient partir à la pêche des espèces de poissons soumises à quota .

28 . Si les modalités pratiques d' une telle réglementation ne constituent pas une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative à l' exportation, ce qu' il appartient à la juridiction nationale de vérifier, elle doit être considérée comme compatible avec le droit communautaire et elle peut, dès lors, aussi trouver une base juridique adéquate dans l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 170/83, même si l' État membre en question aurait, de toute façon, pu l' adopter sur la base de
son pouvoir de définir les conditions auxquelles il accorde son pavillon à un navire .

29 . Nous pouvons donc conclure qu' une disposition nationale subordonnant l' octroi d' une licence de pêche en faveur d' un bateau de pêche battant pavillon d' un État membre à la condition que ce bateau, pour pouvoir pêcher des espèces sous quota, exerce ses activités à partir de ce pays et admettant comme preuve de l' observation de cette condition la présence périodique du bateau dans un port de ce pays n' est pas incompatible avec le droit communautaire . Une telle condition n' est pas non plus
illégale si elle est vue en rapport avec les deux autres conditions dont il est question dans l' affaire C-3/87, Agegate, que nous avons considérées comme licites .

B - Sur le critère relatif au débarquement et à la vente des captures

30 . Un bateau est également censé avoir exercé ses activités à partir du Royaume-Uni, de l' île de Man ou des îles Anglo-Normandes si, pour chaque semestre de l' année civile, au moins 50 % en poids du poisson auquel une licence se rapporte ont été débarqués et vendus dans un de ces territoires ou transbordés dans le cadre d' une vente à l' intérieur des zones de pêche britanniques .

31 . Disons tout de suite que ce moyen de preuve est, à notre avis, incompatible avec l' article 34 du traité, relatif aux restrictions quantitatives à l' exportation et aux mesures d' effet équivalent .

32 . Selon une jurisprudence constante de la Cour, en effet,

"l' article 34 du traité vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d' exportation et d' établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d' un État membre et son commerce d' exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l' État intéressé" ( 2 ).

33 . Or, en vertu de l' article 4, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 802/68 du Conseil, du 27 février 1968, relatif à la définition commune de la notion d' origine des marchandises ( JO L 148, p . 1 ), "sont originaires d' un pays les marchandises entièrement obtenues dans ce pays ". Pour ce qui concerne les produits de la pêche maritime, le paragraphe 2, sous f ), du même article dispose qu' il y a lieu de les considérer comme étant entièrement obtenus dans un pays dès lors qu' ils ont été
"extraits de la mer à partir de bateaux immatriculés ou enregistrés dans ce pays et battant pavillon de ce même pays ".

34 . L' origine du poisson est ainsi déterminée à partir du pavillon ou de l' immatriculation du bateau qui procède à sa capture ( 3 ). En conséquence, les prises des bateaux battant pavillon du Royaume-Uni constituent des marchandises d' origine britannique, et leur débarquement et leur vente directe dans un autre État membre, sans passer par le sol britannique, constituent une exportation .

35 . Il en résulte que toute entrave à une telle exportation est interdite par l' article 34 du traité . Nous estimons que le critère du débarquement tel que prescrit en l' occurrence par la réglementation britannique constitue une telle entrave . L' obligation de débarquer et de vendre 50 % au moins des prises effectuées par un bateau britannique pendant une période donnée au Royaume-Uni, dans l' île de Man et dans les îles Anglo-Normandes revient, en fait, à interdire, pour cette quantité, toute
exportation directe, à partir du Royaume-Uni, vers d' autres États membres . Même si l' on veut considérer qu' elle ne constitue pas une véritable restriction quantitative à l' exportation, parce qu' en dernière analyse elle n' empêche pas l' exportation, elle constitue, à tout le moins, une mesure d' effet équivalent étant donné qu' elle rend l' exportation plus difficile, plus longue à réaliser et plus coûteuse .

36 . Nous ne partageons pas l' opinion du Royaume-Uni selon laquelle la condition d' exploitation n' aurait ni pour objet ni pour effet spécifique de restreindre les courants d' exportation, et n' établirait pas non plus une différence de traitement entre le commerce national et le commerce d' exportation . En effet, même si l' objectif poursuivi par le Royaume-Uni est de s' assurer que les quotas attribués au Royaume-Uni ne sont pas contournés, la mesure incriminée a un effet réel et spécifique sur
les exportations qu' elle atteint directement et de façon discriminatoire .

37 . Cela distingue le présent cas notamment des affaires Groenveld ( 4 ), Oebel ( 5 ) et Jongeneel Kaas ( 6 ), où la Cour n' a pas retenu une violation de l' article 34 bien qu' il y fût allégué que les réglementations nationales en cause auraient pour effet de freiner les exportations . D' une part, dans chacune de ces affaires était en cause une réglementation portant sur les conditions de fabrication de certaines marchandises et non directement sur leur exportation . D' autre part, à chaque
fois, la Cour a pu constater que ces réglementations s' appliquaient objectivement à la production des marchandises en cause, sans faire de distinction selon qu' elles étaient destinées au marché national ou à l' exportation .

38 . Pour ce qui concerne l' autre possibilité de satisfaire au critère de débarquement, à savoir le transbordement dans le cadre d' une vente à l' intérieur des zones de pêche britanniques, elle est également de nature à entraver, par les retards et les coûts supplémentaires qu' elle est susceptible d' entraîner, les exportations directes vers d' autres États membres et constitue donc également une mesure d' effet équivalent interdite au titre de l' article 34 du traité .

39 . Il nous reste donc à voir si, comme pour la condition de résidence dans l' affaire C-3/87, Agegate, la nécessité de réserver l' accès aux quotas de pêche d' un État membre aux populations de cet État membre qui tirent leurs ressources des activités de pêche ne constitue pas un objectif légitime de nature à justifier une éventuelle dérogation à l' une des règles fondamentales de la Communauté, en l' occurrence celle interdisant, dans le commerce intracommunautaire, toutes restrictions
quantitatives à l' exportation ainsi que toutes mesures d' effet équivalent .

40 . Nous optons clairement pour une réponse négative à cette question, et ce pour les raisons suivantes .

41 . D' une part, la condition suivant laquelle 75 % des pêcheurs puisant sur les quotas d' un État membre doivent résider ordinairement dans cet État membre et la règle de la présence périodique du bateau dans un port de ce pays nous semblent suffisantes pour garantir que le bénéfice du quota de cet État membre revient effectivement à ceux qui font réellement partie de la Communauté des pêcheurs du même État membre . Exiger en plus qu' une proportion déterminée des prises effectuées par ces
pêcheurs soit débarquée et vendue dans cet État membre va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l' objectif poursuivi . Le fait qu' en dernier ressort le Royaume-Uni n' interdit pas les exportations et que le critère du débarquement ne porte que sur la moitié des captures effectuées en fournit la preuve a contrario .

42 . D' autre part, le règlement ( CEE ) n° 2241/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, établissant certaines mesures de contrôle à l' égard des activités de pêche ( JO L 207, p . 1 ), qui a abrogé et remplacé le règlement ( CEE ) n° 2057/82, du 29 juin 1982 ( JO L 220, p . 1 ), et qui est basé sur l' article 11 du règlement n° 170/83, précité, dispose en son article 6, paragraphe 1, que "le capitaine de chaque bateau de pêche dont la longueur hors tout est supérieure à 10 m, battant pavillon d' un État
membre ou enregistré dans un État membre, ou son mandataire, soumet lors de la mise à terre, après chaque voyage, aux autorités de l' État membre dont il utilise les lieux de débarquement, une déclaration, dont le capitaine en premier lieu répond de l' exactitude, faisant état, au minimum, en regard de chaque stock ou groupe de stocks soumis à un TAC ou un quota, des quantités débarquées et indiquant le lieu de capture par référence à la plus petite zone pour laquelle un TAC ou un quota a été fixé
et géré ".

43 . L' article 7 du même règlement oblige, par ailleurs, le capitaine d' un bateau de pêche battant pavillon d' un État membre d' informer les autorités de cet État membre des opérations de transbordement ou de débarquement entreprises, quel que soit le lieu de débarquement et même s' il est situé hors du territoire de la Communauté . Dans le cas d' un transbordement ayant lieu dans un port ou dans les eaux maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction d' un État membre, le capitaine
du bateau receveur doit également en informer les autorités compétentes de l' État membre en question .

44 . Il découle de ces dispositions que le système des quotas prévoit lui-même expressément le droit pour un bateau de pêche, d' une part, de débarquer ses captures dans des États membres autres que celui dont il arbore le pavillon, ainsi que directement dans des pays tiers, et, d' autre part, de les transborder dans un port ou dans les eaux maritimes relevant de la juridiction d' un tel autre État membre .

45 . Aussi estimons-nous qu' un État membre n' est pas en droit de se fonder sur la nécessité de réserver "ses" quotas à "ses" pêcheurs pour empêcher les bateaux battant son pavillon de débarquer leurs prises dans d' autres États membres ou de les transborder dans les ports et eaux maritimes relevant de la juridiction d' autres États membres .

46 . Pour être complet, précisons encore que le renvoi fait par le Royaume-Uni dans ce contexte à l' arrêt du 14 juillet 1976, Kramer ( 3, 4 et 6/76, Rec . p . 1279 ), dans lequel la Cour a justifié la diminution des échanges intracommunautaires que la fixation de quotas de capture est susceptible d' entraîner à bref délai, par les effets à long terme que de telles mesures ont précisément sur les échanges ( 7 ), ne nous semble pas pertinent . En effet, tandis que dans l' arrêt Kramer les quotas de
pêche eux-mêmes étaient en cause, en ce qu' ils font, par la limitation de l' effort de pêche qu' ils impliquent, diminuer les quantités de poissons disponibles et pouvant dès lors être échangées, en l' occurrence, la réglementation britannique vient se greffer pour ainsi dire sur cette diminution de la "production" du poisson pour restreindre les échanges des quantités de poissons effectivement pêchés .

47 . Pour toutes les considérations qui précèdent, nous proposons la réponse suivante à la première question préjudicielle :

"Le droit communautaire n' interdit pas à un État membre de subordonner l' octroi d' une licence de pêche aux bateaux immatriculés dans ses registres et dont les prises sont imputées sur les quotas qui lui ont été alloués, à la condition que ces bateaux exercent leurs activités à partir de l' État en question et qu' ils soient, dès lors, périodiquement présents dans un port de cet État .

Par contre, l' article 34 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à ce qu' un État membre subordonne l' octroi d' une licence de pêche à la condition de débarquer et de vendre au moins 50 % en poids du poisson pour la capture duquel la licence est accordée dans un port de l' État membre dont le bateau arbore le pavillon, ou de transborder le même pourcentage des captures dans le cadre d' une vente à l' intérieur des zones de pêche de cet État membre ."

Quant à la seconde question

48 . Par sa seconde question, la juridiction nationale voudrait savoir, en substance, si les autorités compétentes de l' État membre en question sont en droit de négliger, en ce qui concerne le respect de la condition d' exploitation, tout examen d' autres éléments témoignant de l' existence de liens de nature économique, financière et fiscale entre le bateau, ses propriétaires et les responsables de l' État membre en cause .

49 . Cette question a été posée parce que la société Jaderow, requérante au principal, estime que l' existence d' un lien substantiel ( genuine link ) ou d' un lien économique réel entre le bateau et l' État membre d' immatriculation est prouvée de manière suffisante par la domiciliation de la société propriétaire du ou des bateaux au Royaume-Uni ainsi que par le paiement, dans ce pays, de l' impôt sur les bénéfices et de la taxe sur la valeur ajoutée .

50 . Il est certain que tous ces éléments témoignent de l' existence de liens économiques entre le Royaume-Uni et les bateaux en question, mais il apparaît à la simple lecture de l' article 5 de la convention sur la haute mer qu' on ne saurait reprocher à l' État membre en question d' estimer que ces éléments à eux seuls ne le mettent pas en mesure d' exercer effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines technique, administratif et social sur les navires battant son pavillon .

51 . Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que les pays qui accordent des pavillons dits de complaisance exigent, eux aussi, que les sociétés propriétaires des navires immatriculés chez eux aient leur siège dans ces pays et qu' elles y paient les impôts prévus par la loi .

Nous vous proposons, dès lors, de répondre à la seconde question de la manière suivante :

"Le fait que les autorités d' un État membre appliquent la condition d' exploitation de manière à exclure la prise en considération d' autres éléments qui peuvent témoigner de l' existence de liens de nature économique, financière et fiscal entre le bateau, ses propriétaires et l' État membre en cause n' a pas d' influence sur la compatibilité de la condition en question avec le droit communautaire ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Voir, en ce sens, l' arrêt du 14 juillet 1976, Kramer e.a ., point 54 ( 3, 4 et 6/76, Rec . p . 1279 ).

( 2 ) Voir l' arrêt du 7 février 1984, Jongeneel Kaas/Pays-Bas, point 22 ( 237/83, Rec . p . 483 ).

( 3 ) Arrêt du 28 mars 1985, Commission/Royaume-Uni, point 18 ( 100/84, Rec . p . 1169 ).

( 4 ) Arrêt du 8 novembre 1979, Groenveld/Produktschap voor Vee en Vlees ( 15/79, Rec . p . 3409 ).

( 5 ) Arrêt du 14 juillet 1981, Oebel ( 155/80, Rec . p . 1993 ).

( 6 ) Arrêt du 7 février 1984, Jongeneel Kaas/Pays-Bas ( 237/83, Rec . p . 483 ).

( 7 ) Voir, à cet égard, également l' arrêt du 16 juin 1987, Romkes, point 24 ( 46/86, Rec . p . 2671 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-216/87
Date de la décision : 18/11/1988
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.

Pêche - Licences - Conditions.

Agriculture et Pêche

Politique de la pêche

Libre prestation des services

Adhésion

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : The Queen
Défendeurs : Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Jaderow Ltd.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:504

Source

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