Avis juridique important
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61986C0298
Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 19 mai 1988. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Régime des prix de vente au détail du tabac manufacturé. - Affaire 298/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 04343
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Aux termes de l' article 2 de la directive du Conseil 72/464/CEE, du 19 décembre 1972, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d' affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés ( 1 ), les États membres s' abstiennent de soumettre les tabacs manufacturés à une imposition autre que l' accise - dont les principes généraux d' harmonisation sont fixés dans la directive - et la taxe sur la valeur ajoutée .
2 . Il en est ainsi en Belgique où, comme dans d' autres États membres, la perception des taxes précitées est effectuée en recourant au système des bandelettes fiscales . Les bandelettes sont acquises par le fabricant ou l' importateur et apposées sur les produits de tabac manufacturés . Elles indiquent le prix de vente au détail et elles diffèrent selon le type de produit concerné .
3 . Afin de faciliter le paiement des taxes, un barème des prix de vente au détail et par conséquent un barème de bandelettes fiscales est prévu pour chaque catégorie de produits : chaque barème est valable pour tous les produits de sa catégorie, sans distinction fondée sur la qualité, la présentation, l' origine des produits ou sur tout autre critère .
4 . Le prix de vente au détail apposé à l' aide des bandelettes, sur chacun des produits, par les fabricants ou importateurs constitue un prix maximal . Comme il est impossible de pratiquer un prix supérieur à celui qui est indiqué sur la bandelette, l' évasion fiscale qui résulterait de l' apposition d' un prix de vente au détail inférieur pour des produits qui appartiennent en réalité à des catégories plus chères est ainsi évitée .
5 . Les dispositions applicables de la législation belge sont constituées, en ce qui concerne le droit d' accise spécifique, par le règlement annexé à l' arrêté ministériel du 22 janvier 1948, notamment ses articles 12 et 15, et, en ce qui concerne la TVA, par l' article 58 de la loi du 3 juillet 1969 .
6 . La Commission a constaté que l' administration fiscale belge interprétait cette législation en ce sens qu' elle avait le droit de fixer pour elle-même un prix unique de vente au détail par produit de même catégorie et de même marque . Ce prix, qui servirait de base au calcul de la TVA et du droit d' accise spécifique, serait le plus élevé de ceux présentés par les fabricants ou par les importateurs . Dès lors, les opérateurs économiques souhaitant fixer leur prix de vente au détail à un niveau
inférieur à celui de leurs concurrents se verraient néanmoins obligés de régler leurs taxes sur la base du prix unique, plus élevé .
7 . Estimant que, de cette manière, le royaume de Belgique avait manqué aux obligations lui incombant en vertu du droit communautaire, la Commission a engagé la procédure prévue à l' article 169 du traité . Les explications fournies au cours de la phase précontentieuse ne lui ayant pas semblé satisfaisantes, la Commission demande maintenant qu' il plaise à la Cour déclarer qu' en fixant les prix de vente au détail de certaines catégories de tabacs manufacturés à un niveau différent de celui
déterminé librement par les fabricants et importateurs, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 30, ainsi qu' aux dispositions de l' article 5, paragraphe 1, de la directive 72/464 .
8 . Conformément à cette dernière disposition, "les fabricants et importateurs déterminent librement les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits", sans préjudice de l' application des législations nationales sur le contrôle des prix ou sur le respect des prix imposés .
9 . Les positions exprimées par la Commission au cours de la phase écrite de la procédure n' ont cependant pas été de nature à éclaircir entièrement quel était l' objet de son action; c' est pourquoi la Cour l' a invitée à préciser les griefs contenus dans le recours .
10 . Comme le mentionne le rapport d' audience, la Commission a relevé dans sa réponse à la Cour que, en critiquant - à titre de grief principal - le fait que les autorités belges ne permettent pas aux fabricants et importateurs de tabacs manufacturés de déterminer librement les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits, elle visait les comportements ci-après :
a ) le refus de délivrer à des importateurs parallèles des bandelettes fiscales correspondant à des prix de vente au détail inférieurs à ceux fixés par l' importateur exclusif;
b ) le refus de délivrer des bandelettes fiscales correspondant à des prix de vente au détail supérieurs à celui fixé lors de la première mise sur le marché, quand un importateur ou un fabricant se propose d' augmenter le prix de ses produits;
c ) le refus de délivrer des bandelettes fiscales correspondant à des prix de vente au détail inférieurs à ceux prévus dans le barème correspondant .
11 . La Commission a ajouté qu' elle considérait également comme une violation du droit communautaire le fait que la législation belge n' informe pas les destinataires que la directive 72/464, et notamment son article 5, paragraphe 1, assure aux fabricants nationaux et aux importateurs le droit de déterminer les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits de tabac manufacturé .
12 . La recevabilité de certains de ces griefs a été contestée par la partie défenderesse . Nous commencerons donc par analyser cette question .
I - La question de la recevabilité
13 . Dans son mémoire en défense, le royaume de Belgique a invoqué une exception d' irrecevabilité contre le dernier des griefs précités, celui qui se réfère à l' absence d' information sur les dispositions de la directive .
14 . Selon le gouvernement belge, ce grief aurait été formulé pour la première fois dans le recours, et il n' aurait pas été invoqué dans la phase précontentieuse .
15 . A la vérité, on ne trouve de trace directe ou indirecte, explicite ou implicite de ce grief - qui est visé aux points 6 et 11 du recours, sans même être repris dans le dispositif - ni dans la lettre de mise en demeure, ni dans l' avis motivé .
16 . Or, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il faut que l' objet de la procédure administrative et celui de la procédure contentieuse coïncident, et les griefs qui ne ressortent pas de l' avis motivé sont irrecevables ( 2 ).
17 . En outre, le grief est formulé en termes confus et imprécis, dans lesquels sont entremêlées l' obligation d' informer les opérateurs économiques sur les dispositions applicables et celle d' informer la Commission sur le respect de la directive, sans qu' on sache de façon certaine si l' objet de cette obligation d' informer concerne le dispositif de la directive, les normes de la législation belge ou l' interprétation qu' en font les autorités nationales .
18 . Le grief auquel nous venons de nous référer doit donc, selon nous, être considéré comme manifestement irrecevable .
19 . En effet, "la possibilité pour l' État concerné de présenter ses observations constituant - même s' il estime ne pas devoir en faire usage - une garantie essentielle voulue par le traité, son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d' un État membre" ( 3 ).
20 . Il n' y a pas non plus lieu de beaucoup douter, selon nous, de l' irrecevabilité d' un autre grief, celui relatif à l' amplitude du barème des bandelettes fiscales découlant de la législation belge (( grief identifié ci-dessus sous c ) et visé dans le rapport d' audience au point 1, sous c ) )).
21 . En effet, dans ce cas, il n' est même pas possible de considérer que le grief se trouverait exprimé dans le recours en termes suffisamment intelligibles pour que la partie défenderesse puisse le comprendre et s' en défendre .
22 . En ce qui concerne le dispositif de la requête, les termes vagues et génériques dans lesquels il est formulé - "en fixant les prix de vente au détail de certaines catégories de tabacs manufacturés à un niveau différent de celui déterminé librement par les fabricants et importateurs ..." - ne permettent pas de conclure que le grief visé y soit inclus .
23 . Dans tout le texte de la requête, seule la plainte mentionnée, à titre d' exemple, à la page 2 bis pourrait, avec beaucoup de bonne volonté, être considérée comme une référence implicite à ce grief, puisque, comme cela a été précisé à un stade ultérieur ( dans la réplique ), cette plainte se rapportait à un cas de refus de délivrance d' une bandelette fiscale, pour un prix inférieur à ceux prévus dans le barème, à une entreprise importatrice de tabacs en Belgique et filiale d' un fabricant
établi aux Pays-Bas, la "Cigaretten - en Tabakfabriek Bene BV" ( ci-après "affaire Bene ").
24 . Mais, même ainsi, ce serait aller trop loin dans les concessions susceptibles d' être faites à la bonne volonté .
25 . En effet, l' exemple donné dans le recours a été expressément rattaché par la Commission à l' hypothèse de la fixation, par l' administration belge, d' un prix unique de vente par produit de même catégorie et de même marque, de manière à obliger les opérateurs économiques qui auraient décidé de fixer un prix de vente inférieur à celui de leurs concurrents à payer la taxe sur un prix qui n' aurait pas été librement établi par eux-mêmes . Il n' y a pas la plus minime référence pour donner à
entendre que, en citant l' affaire Bene dans la requête, la Commission prétendait critiquer l' extension de la gamme des bandelettes fiscales prévue par la législation belge .
26 . Il n' est donc pas étonnant que le gouvernement belge n' ait soulevé une exception d' irrecevabilité à ce propos que dans la duplique . La raison est la même que celle qui explique que, en dépit de l' excellent effort de systématisation réalisé dans le mémoire en défense, ce grief n' est pas parmi ceux que ce gouvernement y a énumérés comme constituant la position assumée par la Commission au cours de la procédure administrative : c' est que, à ce stade, ce grief n' existait tout simplement pas
.
27 . Suscité par des références "spontanées" faites par la Belgique à l' extension du barème, le grief commence à poindre dans la réplique . La Commission a même, apparemment, esquissé alors une nouvelle formulation de son grand grief initial : ce n' est déjà plus la liberté de fixation des prix à un niveau inférieur à ceux des concurrents qui est en cause, mais le fait que cette liberté doive se conformer aux limites du barème qui serait, paraît-il, excessivement étroit, et ce en violation de l'
article 5, paragraphe 2, de la directive . Autrement dit, selon la Commission, le gouvernement belge laisserait sortir par la porte du paragraphe 2 ce qu' il avait fait entrer par celle du paragraphe 1 .
28 . Mais le grief n' a en fait été précisé que dans la réponse aux questions écrites posées par la Cour .
29 . Dans ces conditions - et à moins de vouloir transformer le recours en une espèce de charade - il est impossible d' admettre que le grief litigieux ait été formulé dans cette pièce de la procédure, ainsi que l' exige l' article 38 du règlement de procédure . Il doit donc être considéré comme irrecevable .
30 . Mais, même si nos conclusions étaient différentes, il faudrait encore, ainsi qu' il découle de la jurisprudence précitée de la Cour, que le grief ait été formulé au cours de la procédure administrative . Interrogée à ce propos lors de l' audience, la Commission a répondu que, compte tenu du système des bandelettes fiscales, ce grief serait inclus dans celui relatif "au refus des autorités belges de délivrer à des importateurs parallèles des bandelettes fiscales correspondant à des prix de vente
au détail inférieurs à ceux fixés par l' importateur exclusif du produit en question", tel qu' il apparaissait à la page 4 de la lettre de mise en demeure et au point 5, in fine, de l' avis motivé .
31 . Or, il se trouve que l' affaire visée à la page 2 bis de la requête se réfère à la fixation du prix de vente au détail d' un produit qui n' était pas encore commercialisé sur le marché belge; autrement dit, il se rapporte à la première commercialisation du produit en question, alors que tant la lettre de mise en demeure que l' avis motivé se rapportent à la question de la fixation, par différents opérateurs économiques, du prix d' un même produit déjà commercialisé sur le marché belge .
32 . Il faut ajouter que la disposition de la directive 72/464 dont la violation serait en cause dans le grief d' extension et de diversification insuffisantes de la gamme belge de bandelettes fiscales par rapport à la diversité des produits communautaires est l' article 5, paragraphe 2 . Or, il n' y a aucune référence à une violation de cette disposition ni dans la lettre de mise en demeure, ni dans l' avis motivé .
33 . Partant, un tel grief ne constitue pas, selon nous, une simple précision ou concrétisation d' un grief qui aurait été formulé de façon générique ou globale dans la phase précontentieuse . Le royaume de Belgique ne pouvait donc entrevoir la substance du grief litigieux dans ceux qui avaient été formulés expressément au cours de la procédure administrative et il a ainsi été privé d' une garantie essentielle, exigée par le traité . En ce qui concerne ce grief, la phase précontentieuse n' a pas
rempli sa mission qui consiste à donner à l' État membre concerné la possibilité, d' une part, de mettre un terme au manquement avant que la Cour ne soit saisie et, d' autre part, de faire valoir ses moyens de défense à l' encontre des griefs retenus ( 4 ). L' imprécision du recours ne peut servir à en élargir l' objet à un grief qui n' a pas été débattu lors de la procédure administrative ( 5 ).
34 . Nous estimons donc qu' en l' espèce l' objet de la procédure administrative et celui de la procédure contentieuse ne présentent pas les caractéristiques de "similitude et précision suffisante" que la jurisprudence de la Cour considère comme nécessaires à la recevabilité de tout recours en manquement ( 6 ).
35 . Ce sont là les raisons pour lesquelles nous vous proposons de considérer également comme irrecevable le grief relatif à l' amplitude du barème des bandelettes fiscales, tel que la Commission l' a pour ainsi dire tiré de son chapeau à un moment où la procédure était déjà très avancée .
II - Quant au fond
36 . Il nous reste à nous prononcer sur le bien-fondé de ce grief pour l' hypothèse où prévaudrait une conception différente de celle que nous avons retenue et, partant, où ce grief serait considéré comme recevable, parce que contenu dans d' autres éléments fournis par la Commission en temps et lieu opportuns .
37 . La question qui se pose alors est celle de savoir si, dans une telle hypothèse, la procédure nous a apporté des éléments suffisants pour considérer le grief comme établi et fondé .
38 . Or, de ce point de vue, il est indiscutable que les documents produits par la Commission en annexe à la réplique démontrent que, dans l' affaire Bene précitée, les autorités belges ont été confrontées à une demande de délivrance de bandelettes fiscales pour des prix inférieurs à ceux résultant du barème et que cette demande a été rejetée .
39 . En l' occurrence, avant le rejet définitif de la demande, le gouvernement belge a demandé à l' entreprise intéressée divers éléments sur sa structure de coûts, en exigeant que ces éléments soient soumis à un examen du point de vue de leur conformité avec la législation sur les pratiques commerciales .
40 . Finalement, le gouvernement belge a rejeté la demande au motif que la gamme des bandelettes fiscales était suffisamment diversifiée pour permettre une saine concurrence entre fabricants et importateurs .
41 . Il a repris cet argument au cours de la procédure en ajoutant que le barème des bandelettes fiscales n' avait jusqu' alors posé aucun autre problème, ce qui serait confirmé par la très faible demande de bandelettes pour des tabacs relevant de catégories de prix moins élevés .
42 . L' affaire Bene serait dans ce contexte parfaitement exceptionnelle, puisqu' elle se rapportait à un prix très clairement inférieur à la classe des prix les moins élevés du barème .
43 . Le gouvernement belge a encore expliqué que rabaisser le plancher du barème impliquerait, si l' on voulait maintenir le niveau des recettes fiscales, que l' on augmente l' élément proportionnel du droit d' accise, ce qui conduirait, compte tenu de l' accentuation des différences de prix, à défavoriser les produits de qualité supérieure; d' autre part, l' augmentation de l' élément spécifique du droit d' accise serait en contradiction avec l' objectif du législateur ( article 4, paragraphe 3, de
la directive 72/464 ) de faire en sorte qu' au stade final de l' harmonisation, l' éventail des prix de vente au détail reflète de manière équitable l' écart des prix de cession des fabricants, ce qui ne pourrait être réalisé que par une imposition essentiellement ad valorem .
44 . Dans le cadre général de son premier grief (" grief essentiel", comme elle l' a appelé ), la Commission a invoqué la jurisprudence Tasca ( 7 ), selon laquelle, si les régimes de réglementation des prix indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés ne constituent pas en eux-mêmes des mesures d' effet équivalant à une restriction quantitative, ils "peuvent produire un tel effet lorsque les prix se situent à un niveau tel que l' écoulement des produits importés
devient soit impossible soit plus difficile que celui des produits nationaux ".
45 . La Commission a encore cité, dans le même contexte, l' arrêt Van Tiggele ( 8 ), selon lequel la fixation d' un prix minimal, "à un montant déterminé qui, tout en s' appliquant indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, est susceptible de défavoriser l' écoulement de ces derniers dans la mesure où il empêche que leur prix de revient inférieur se répercute sur le prix de vente au consommateur", constitue une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative à l'
importation, interdite par l' article 30 du traité .
46 . Or, dans la présente affaire, notre attention est attirée sur le cas déjà mentionné de l' entreprise "Cigaretten - en Tabakfabriek Bene BV", à laquelle on a refusé de délivrer des bandelettes fiscales pour un prix inférieur à ceux découlant du barème . L' entreprise en question a allégué, dans la correspondance échangée avec l' administration belge, que la voie de la concurrence par les prix était pratiquement la seule qui lui permettrait d' acquérir ou de conserver une part de marché et que,
dans ces conditions, l' écoulement de ses produits devenait pratiquement impossible .
47 . D' autre part, on a mentionné à l' audience l' existence d' affaires similaires où le rejet de demandes de délivrance de bandelettes pour des prix inférieurs au barème aurait été discuté devant les juridictions belges .
48 . La Commission nous a invité - il est vrai dans le contexte d' un autre grief ( celui relatif à la fixation des prix par les importateurs parallèles ) - à interpréter l' article 5 de la directive dans le cadre défini à l' article 30 du traité .
49 . A ce propos, il faudrait rappeler que, comme il est de jurisprudence constante ( 9 ), il faut considérer comme mesures d' effet équivalant à des restrictions quantitatives dans le commerce entre États membres, interdites par l' article 30 du traité, "toutes les mesures qui sont susceptibles d' entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les échanges entre États membres ".
50 . Il se trouve cependant que, comme la Cour l' a mis en évidence dans l' arrêt Inno/ATAB ( 10 ), les mesures susceptibles d' affecter le commerce intracommunautaire, mais qui sont visées par le traité sous une dénomination propre, notamment en tant que mesures fiscales, doivent être traitées dans le cadre des dispositions correspondantes . Ainsi la Cour a-t-elle rappelé ( arrêt Inno/ATAB, attendu 50 ) que "les entraves résultant des impôts indirects sont visées par l' article 99 du traité, qui
impose à la Commission l' obligation de rechercher les moyens d' harmoniser dans l' intérêt du marché commun les législations nationales en la matière, en liaison avec l' article 100, relatif au rapprochement des législations ".
51 . C' est précisément sur la base de ces articles que le Conseil a adopté la directive 72/464, en vue, dans l' intérêt du marché commun, d' harmoniser les règles d' imposition frappant la consommation des tabacs manufacturés, afin d' éliminer progressivement des régimes nationaux les facteurs susceptibles d' entraver la libre circulation et de fausser les conditions de concurrence ( Inno/ATAB, attendu 51 ).
52 . C' est donc dans le contexte de l' article 5, paragraphe 2, de la directive qu' il convient d' apprécier le grief de la Commission relatif à l' amplitude du barême de bandelettes fiscales .
53 . A ce propos, il faut tenir compte du fait que la Commission s' est abstenue au cours de toute la procédure d' apprécier concrètement le barême en vigueur en Belgique et son rapport tant avec les prix et coûts réels des produits qu' avec la "diversité des produits communautaires", à laquelle se réfère l' article 5, paragraphe 2, de la directive 72/464 .
54 . Par ailleurs, les autres cas de refus de délivrance de bandelettes pour des prix inférieurs à ceux du barême ( en dehors du cas Bene ) n' ont été ni analysés ni correctement décrits par la Commission; en pratique, leur existence n' a été mentionnée qu' au cours de l' audience, sans qu' elle ait jamais été invoquée auparavant contre le gouvernement défendeur .
55 . Dans ce contexte, la conclusion qui, selon nous, peut être tirée à propos de ce grief, tel que la Commission l' a présenté et motivé, est que, si les éléments découlant de la procédure n' excluent pas l' existence de l' infraction, ils ne permettent pas non plus de la considérer comme clairement établie, de manière à justifier la constatation, dans cet état des choses, d' un manquement de la part du royaume de Belgique, et ce dans des conditions qui sont en plus susceptibles d' affecter
sérieusement les droits de la défense .
56 . Analysons enfin le bien-fondé des deux griefs dont la recevabilité n' a pas été contestée .
57 . Nous commencerons par relever que c' est la Commission elle-même qui reconnaît, dans la réponse aux questions posées par la Cour, que tant l' article 58 de la loi belge du 3 juillet 1969 relative à la TVA que l' article 12 du règlement annexé à l' arrêté ministériel du 22 janvier 1948 n' excluent pas l' application des dispositions de la directive 72/464 . Du reste, la Cour a déjà eu l' occasion de préciser, en se référant à l' article 58, paragraphe 1, de la loi du 3 juillet 1969, que "le
régime fiscal en cause laisse au fabricant ou importateur la liberté de fixer un prix de vente au détail de ses produits inférieur au prix de vente des produits concurrents de même espèce, de même qualité et de mêmes caractéristiques" ( arrêt Inno/ATAB, attendu 40 ).
58 . Toutefois, selon la Commission, la pratique administrative ou l' interprétation faite par l' administration belge de ces dispositions serait contraire au droit communautaire . La formulation employée par la Commission illustre bien les ambiguïtés dont sa position est marquée dans cette affaire : "Le recours introduit par la Commission devant la Cour de justice a pour objet de faire constater que la législation belge fixant le régime de prix de vente au détail de certaines catégories de tabacs
manufacturés est contraire au droit communautaire, puisque l' administration fiscale de la Belgique en déduit qu' elle a le droit de fixer un prix imposé unique de vente par produit de même catégorie et de même marque" ( c' est nous qui soulignons ).
59 . C' est donc la pratique de l' administration belge que la Commission met en cause dans ce grief .
60 . Quant à la législation, la Commission n' ayant pas précisé sur quels points elle était incompatible avec le droit communautaire et ayant finalement, comme on a vu, reconnu que les textes n' étaient pas contraires à ce dernier, la critique n' a, en dernière analyse, porté que sur son prétendu manque de clarté au motif qu' elle n' informerait pas de façon appropriée les destinataires des droits qui leur sont reconnus par la directive 72/464 . Mais, comme nous l' avons vu, ce grief doit être
considéré comme manifestement irrecevable .
61 . En ce qui concerne la pratique de l' administration, il faut distinguer entre les deux griefs .
62 . Quant au prétendu refus des autorités belges de délivrer à des importateurs parallèles des bandelettes fiscales correspondant à des prix de vente au détail inférieurs à ceux fixés par l' importateur exclusif, le gouvernement belge avait déjà informé la Commission, par lettre du 13 décembre 1984 ( annexe 3 au recours ), que, si l' importation parallèle devait devenir une réalité, il serait disposé à permettre aux importateurs en cause de fixer des prix de vente au détail inférieurs à ceux de
leurs concurrents et à accepter ainsi l' existence sur le marché de prix maximaux différents pour des produits identiques importés par des importateurs différents .
63 . Or, la Commission n' a apporté aucun élément qui fût susceptible de démontrer, même à un très faible degré, l' existence d' une pratique contraire à cette déclaration .
64 . Il faut ajouter que la directive 72/464 n' exige rien de plus que la reconnaissance aux fabricants et importateurs de la liberté de fixer les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits, sans que ce processus mette en cause les éventuels effets sur les échanges intracommunautaires d' une mesure législative nationale qui convertirait un régime de prix librement choisis par le fabricant ou par l' importateur en un régime de prix imposés aux consommateurs, lequel a normalement des
effets exclusivement internes, puisqu' il ne fait pas de distinction entre produits nationaux et produits importés ( 11 ). En ce qui concerne en particulier l' article 5, paragraphe 1, de la directive, la Cour a déjà considéré, par ailleurs, que celui-ci n' empêche pas les États membres d' introduire ou de maintenir en vigueur "une mesure législative qui, pour la vente aux consommateurs de tabacs manufacturés importés ou fabriqués dans le pays, impose un prix de vente, à savoir le prix inscrit sur
la bandelette fiscale, à condition toujours que ce prix ait été fixé librement par le fabricant ou l' importateur" ( 12 ).
65 . Quant au grief relatif au prétendu refus de délivrer des bandelettes fiscales correspondant à des prix de vente au détail supérieurs à ceux fixés à compter de la première commercialisation, dans le cas où un importateur ou un fabricant souhaite augmenter les prix de ses produits, le gouvernement belge a souligné qu' il avait déjà informé la Commission par lettre du 23 mai 1979 que tant l' importateur que le fabricant peuvent modifier le prix fixé lors de la première mise sur le marché, en
augmentation comme en diminution .
66 . Or, là encore, la Commission n' a pas prouvé, ni dans la phase écrite ni au cours de l' audience, que la pratique suivie par les autorités belges serait contraire à celle alléguée par ces dernières .
67 . Dans ces conditions, il nous semble que les deux derniers griefs ne peuvent être considérés comme fondés .
III -Conclusion
68 . Pour l' ensemble de ces motifs, nous vous proposons :
1 ) de déclarer irrecevables les griefs visés dans le rapport d' audience aux points 1, sous c ), et 2;
2 ) de considérer comme sans fondement les griefs visés au point 1, sous a ) et b );
3 ) à titre subsidiaire et au cas où vous considéreriez le grief du point 1, sous c ), comme recevable, de le rejeter comme non fondé, au motif que la procédure n' a pas apporté d' éléments suffisants pour justifier une déclaration que le royaume de Belgique aurait manqué à ses obligations communautaires .
Les dépens doivent rester à la charge de la partie requérante .
(*) Traduit du portugais .
( 1 ) JO L 303 du 31.12.1972, p . 1 .
( 2 ) Voir par exemple, l' arrêt du 9 décembre 1981 dans l' affaire 193/80, Commission/Italie, Rec . p . 3019, 3032 .
( 3 ) Arrêt du 17 février 1970, Commission/Italie, affaire 31/69, Rec . p . 34 . Voir également l' arrêt du 11 juillet 1984 dans l' affaire 51/83, Commission/Italie, Rec . p . 2793, et l' arrêt du 28 mars 1985 dans l' affaire 274/83, Commission/Italie, Rec . p . 1077 .
( 4 ) Arrêt du 31 janvier 1984 dans l' affaire 74/82, Commission/Irlande, Rec . p . 317 .
( 5 ) Voir l' arrêt du 9 décembre 1981 dans l' affaire 193/80, Commission/Italie, Rec . p . 3019 et 3032 .
( 6 ) Voir l' arrêt du 15 décembre 1982 dans l' affaire 211/81, Commission/Danemark, Rec . p . 4547 . L' arrêt du 20 février 1986 dans l' affaire 309/84, Commission/Italie, Rec . p . 599 ( voir les conclusions en sens contraire de l' avocat général M . VerLoren van Themaat ) a apporté des éclaircissements sur l' interprétation stricte faite par la Cour de l' exigence d' identité entre l' objet de la procédure administrative et celui de la procédure contentieuse .
( 7 ) Arrêt du 26 février 1976 dans l' affaire 65/75, Tasca, Rec . p . 291, 309 . Voir, plus récemment, l' arrêt du 29 novembre 1983 dans l' affaire 181/82, Roussel Laboratoria, Rec . p . 3849, 3869, point 17 des motifs .
( 8 ) Arrêt du 24 janvier 1978 dans l' affaire 82/77, Van Tiggele, Rec . 1978 p . 25 et 40, au point 18 des motifs .
( 9 ) Depuis l' arrêt Dassonville du 11 juillet 1974 dans l' affaire 8/74, Recueil 1974, p . 837, 851 .
( 10 ) Arrêt du 16 novembre 1977 dans l' affaire 13/77, Inno/ATAB, Rec . p . 2115, 2147, attendus 49 à 51 .
( 11 ) Voir l' arrêt Inno/ATAB, attendus 53 à 56; voir également l' arrêt du 5 avril 1984 dans les affaires jointes 177 et 178/82, Van de Haar et Kaveka de Meern, Rec . 1984, p . 1797, 1814, points 20 à 22 des motifs .
( 12 ) Inno/ATAB, attendu 64 . Voir également l' arrêt du 21 juin 1983 dans l' affaire 90/82, Commission/France, Rec . p . 2011, 2030, aux points 23 à 25 des motifs .