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05/05/1988 | CJUE | N°246/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 5 mai 1988., SC Belasco et autres contre Commission des Communautés européennes., 05/05/1988, 246/86


Avis juridique important

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61986C0246

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 5 mai 1988. - SC Belasco et autres contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Application de l'article 85 du traité CEE à une entente concernant des revêtements bitumés. - Affaire 246/86.
Recueil

de jurisprudence 1989 page 02117

Conclusions de l'avocat général

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Avis juridique important

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61986C0246

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 5 mai 1988. - SC Belasco et autres contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Application de l'article 85 du traité CEE à une entente concernant des revêtements bitumés. - Affaire 246/86.
Recueil de jurisprudence 1989 page 02117

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La Société coopérative des asphalteurs belges, ci-après BELASCO, ainsi que les sept entreprises membres de cette association, demandent, à titre principal, l' annulation de la décision de la Commission, du 10 juillet 1986, relative à une procédure d' application de l' article 85 du traité CEE ( IV/31.371 - Revêtements bitumés ) ( 1 ), et, à titre subsidiaire, la suppression ou, à tout le moins, la réduction des amendes qui leur ont été infligées .

2 . Dans la décision attaquée la Commission a, en substance, retenu que les sept sociétés membres de BELASCO ont enfreint l' article 85, paragraphe 1 du traité CEE en adoptant une convention ayant pris effet le 1er janvier 1978, restée en application au moins jusqu' au 9 avril 1984, ainsi que des mesures collectives destinées à mettre en oeuvre et à compléter la convention, y compris leur participation commune à des accords avec des entreprises non-membres relatifs à des remises sur les prix de
vente des produits concernés . BELASCO elle-même s' est vu reprocher d' avoir participé à la mise en oeuvre de la convention en question .

3 . A l' appui de leur recours, les parties requérantes font valoir, en premier lieu, toute une série d' arguments de fait tendant à prouver que, dans sa décision, la Commission aurait donné une image incorrecte du marché et des produits en cause ainsi que de la mise en oeuvre de la convention incriminée et de ses effets . En droit, elles soulèvent plus particulièrement trois erreurs que la Commission aurait commises dans l' appréciation des faits, et qui porteraient sur le marché en cause, l'
impact de la réglementation belge en matière de prix et leur propre rôle dans les négociations relatives au rachat d' une entreprise concurrente, UPM, ancien membre de BELASCO, qui a été à l' origine de la procédure d' infraction en déposant plainte auprès de la Commission .

4 . En second lieu, elles invoquent une violation des formes substantielles pour motivation erronée, contradictoire et insuffisante . La plupart des passages de la décision de la Commission que les parties requérantes critiquent portent sur les mêmes éléments contestés par ailleurs, et notamment sur les effets pratiques des mesures de mise en oeuvre de la convention .

5 . Il en va de même du grief tiré de la violation de l' article 85 du traité CEE, par lequel les requérantes visent, à côté de l' inexistence d' une affectation sensible du commerce entre États membres, l' absence de toute preuve des éléments de fait et de droit constitutifs d' une infraction au sens dudit article .

6 . Enfin, à titre subsidiaire, au cas où la Cour devrait estimer que les conditions d' application de l' article 85, paragraphe 1, étaient réunies dans leur chef, les requérantes font valoir une violation de l' article 15, paragraphe 2 du règlement n° 17 ( 2 ) et du principe d' égalité qui justifierait la suppression ou, en tout cas, la réduction des amendes infligées .

7 . Il apparaît de ce bref résumé des moyens invoqués, pour le détail desquels je renvoie au rapport d' audience, que les mêmes éléments de fait et les mêmes argumentations se retrouvent à la base de plusieurs d' entre-eux . Aussi, pour éviter trop de répétitions et renvois, je ne vais pas les examiner dans l' ordre dans lequel ils ont été présentés, mais j' essaierai de les regrouper dans quatre principaux chapitres calqués sur les conditions d' application de l' article 85, paragraphe 1 du traité
CEE .

8 . Dans deux chapitres successifs j' examinerai si l' accord litigieux avait pour objet ou pour effet d' empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l' intérieur du marché commun et s' il était susceptible d' affecter le commerce entre États membres . Cet examen sera toutefois précédé d' un chapitre destiné à cerner de façon précise les produits visés par la décision de la Commission et à définir la place qu' occupent les parties requérantes sur le marché desdits produits,
tant il est vrai que pour apprécier correctement s' il y a eu et altération des conditions de concurrence au sens de l' article 85, paragraphe 1, et affectation des échanges intra-communautaires, il y a lieu de tenir compte du contexte économique dans lequel la convention et les mesures de mise en oeuvre ont été appliquées et du cadre réel dans lequel le jeu de la concurrence se serait déroulé en leur absence .

9 . Un dernier chapitre sera consacré aux griefs invoqués à l' encontre de l' imposition des amendes infligées .

10 . Le plan des présentes conclusions sera donc le suivant :

A . Le marché et les produits en cause

B . Les altérations du jeu de la concurrence

C . L' affectation du commerce entre États membres

D . L' application de l' article 15 du règlement n° 17

1 . Le caractère intentionnel des infractions

2 . Leur durée

3 . Leur gravité

4 . Le respect du principe d' égalité

A . Le marché et les produits en cause

11 . Les parties requérantes estiment que le marché des revêtements bitumés, tel que la Commission l' a retenu dans sa décision, ne serait qu' un sous-segment du marché plus large des produits souples d' étanchéité pour toitures, qui comprendrait encore les produits dits "synthétiques", à base principalement de polymères et ne contenant pas ou très peu de bitume . C' est ce marché que la Commission aurait dû prendre en considération pour apprécier correctement la situation concurrentielle ainsi que
la part de marché que les requérantes auraient détenue .

12 . La Commission conteste qu' elle aurait commis une erreur d' appréciation en n' incluant pas les produits synthétiques dans la définition du marché en cause et affirme qu' à supposer même qu' elle aurait dû en tenir compte, les parts de marché détenues par les entreprises requérantes auraient été inchangées de 1978 à 1980 et n' auraient connu que des variations d' importance mineure entre 1981 et 1984, de sorte qu' elles se seraient toujours situées clairement au-dessus de 50 %.

13 . A l' égard de cette controverse il y a d' abord lieu d' observer, comme la Commission l' a relevé à juste titre, que dans le cadre de l' article 85, la définition des produits en cause ne revêt pas exactement la même signification que dans le cadre de l' article 86 . Dans ce dernier cas, elle sert à déterminer si une entreprise jouit sur le marché "relevant" constitué par des produits donnés d' une place telle qu' elle doit être considérée comme se trouvant en position dominante sur le marché
commun ou dans une partie substantielle de celui-ci . La position dominante, condition essentielle de l' application de l' article 86, ne se conçoit que par référence à un marché donné .

14 . Dans le cadre de l' article 85, il s' agit avant tout de décrire les produits sur lesquels une entente a effectivement porté et sur le marché desquels elle avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence . La position et l' importance des entreprises concernées sur ce marché ne seront prises en considération qu' ensuite afin de déterminer si les restrictions de la concurrence qui sont l' objet ou l' effet de l' entente, ainsi que l' affectation des échanges qu' elle est susceptible
d' entraîner doivent être considérées comme peu ou non "sensibles ".

15 . Quant aux "produits en cause", les revêtements bitumés, sur lesquels ont porté la convention BELASCO et les mesures prises pour sa mise en oeuvre, la Commission a distingué aux points 3 et 4 de sa décision entre :

- les feutres bitumés et d' autres produits similaires, appelés produits "BELASCO";

- les produits à base de bitumes "améliorés" par l' adjonction de matières plastiques, appelés "produits nouveaux", et

- les feutres goudronnés .

16 . Au point 5 elle a ajouté que les membres de BELASCO mettent également sur le marché des produits dits "annexes" qui sont vendus aux mêmes clients et utilisés généralement en association avec les revêtements bitumés .

17 . L' affirmation des parties requérantes selon laquelle la convention ne s' appliquait qu' aux seuls produits de type ancien dénommés "BELASCO" et non aux produits "nouveaux" ou "améliorés" qui n' ont fait leur apparition sur le marché qu' à la fin des années 1970 me semble contredite par le libellé même du point 1b du chapitre "Objet de la convention", aux termes duquel il faut entendre par produits "les feutres de tous genres (...) imprégnés de bitume, tant ceux que l' on connaît actuellement
dans le commerce sous le nom de "feutres bitumés" ... que les matériaux du même genre qui seraient fabriqués à l' avenir pour satisfaire aux mêmes besoins ".

18 . Dans ce contexte, le fait que la décision de la Commission n' a pas été adressée à la société Derbit, qui produit exclusivement des produits nouveaux ( point 30 de la décision ), ne signifie pas, comme le prétendent les parties requérantes, que la décision ne s' applique pas à ces produits ni, a fortiori, que la convention incriminée ne porte pas sur eux, mais trouve son explication dans la constatation que la société Derbit, qui n' est pas membre de BELASCO, n' a pas non plus participé, en
tant que non-membre, aux accords conclus avec les membres . Il n' y a donc pas là de contradiction dans la motivation de la décision de la Commission, qui a correctement défini les produits en cause .

19 . Ceci ne signifie pas que l' ensemble des mesures prises en application de la convention aient nécessairement été étendues aux produits nouveaux . Cette extension ne s' est faite que de manière "limitée" et "progressive" comme la Commission l' a précisé expressément ( point 74 xi ) de la décision ).

20 . Quant à la question de savoir si les produits ainsi définis forment un marché à part ou font partie d' un marché plus large sur lequel ils se trouvaient en concurrence directe avec d' autres produits ayant les mêmes fonctions ou servant aux mêmes usages, je voudrais faire observer d' abord que les parties requérantes elles-mêmes acceptent qu' il n' y a pas un seul marché de l' étanchéité et de la couverture des toitures, mais qu' elles distinguent entre le marché des tuiles et ardoises et celui
des produits souples d' étanchéité pour toitures .

21 . La fonction ou l' usage ne sont pas les seuls critères de l' interchangeabilité qui fait que des produits en soi différents appartiennent généralement à un même marché . D' autres critères à prendre en considération sont les propriétés et les prix des produits concernés, en ce sens qu' en principe seuls les produits qui, en raison notamment de ces différents éléments, sont considérés comme similaires par l' utilisateur font partie d' un même marché .

22 . Il se peut, en effet, que des produits en principe utilisables à des fins identiques, ne puissent, en pratique, en raison d' autres éléments, être employés indifféremment par les utilisateurs .

23 . A cet égard les parties requérantes reconnaissent elles-mêmes que les produits synthétiques présentent des caractéristiques propres et diffèrent parfois fondamentalement des matériaux bitumeux traditionnels, notamment en ce qui concerne leur composition et de leurs techniques de pose .

24 . Pour la Commission le mode de placement particulier requiert un personnel hautement qualifié et spécialement formé, de sorte que le passage pour un utilisateur ( entrepreneurs généraux ou de toiture ) des revêtements bitumés aux produits synthétiques ne peut pas se faire du jour au lendemain et implique notamment un recyclage important de son personnel . Le document du Centre scientifique et technique de la construction ( CSTC ) que les parties requérantes ont produit en annexe C de leur
requête et en annexe 1 de leur mémoire en réplique confirme expressément cette affirmation du moins pour une catégorie substantielle des produits en question, à savoir ceux à base d' élastomères ou de plastomères ( voir point 3.21, page 12 ).

25 . La Commission fait encore valoir - et la partie requérante l' a reconnu lors de la procédure orale - que les prix des produits synthétiques se situent à un niveau nettement supérieur, de sorte qu' ils ne constituent pas de véritables alternatives en termes économiques pour les travaux d' étanchéité normalement réalisés en revêtements bitumés .

26 . Dans ces conditions je ne crois pas qu' il ait été erroné de considérer que les produits synthétiques sont utilisés pour des applications spécifiques et ne constituent pas vraiment une concurrence de substitution pour les revêtements bitumés .

27 . En pratique d' ailleurs, les parties requérantes ne semblaient pas se sentir en concurrence avec les producteurs des produits synthétiques, comme en témoignent, d' une part, le fait que lors des fréquentes réunions de l' Assemblée des contractants, les membres de BELASCO, pourtant très pointilleux sur ce qui se passait sur le marché, ne s' en souciaient guère, et d' autre part, le fait qu' elles n' en ont tiré aucun argument au niveau de la procédure administrative précédant l' adoption de la
décision incriminée de la Commission .

28 . Il n' est donc pas surprenant qu' elles n' ont essayé qu' au niveau du mémoire en réplique ( page 46 ) de chiffrer l' impact que l' inclusion des produits synthétiques dans le marché en cause aurait eu sur leur part de marché telle que la Commission l' avait définie au point 8 de sa décision .

29 . Après avoir reconnu qu' il est bien difficile de faire une évaluation à cet égard, elles affirment que, de 1981 à 1983, leur part de marché devrait être amputée de 10 à 15% si on tenait compte de l' ensemble des produits substituables, ce qui aurait eu pour conséquence qu' en 1981 elle ne se serait plus située qu' entre 47 et 50% et en 1983 entre 42 et 45%, au lieu de 58,7% respectivement 59,6 %.

30 . Cette affirmation appelle les observations suivantes :

1 . Elle ne concerne que les années 1981 à 1983, de sorte qu' on peut en déduire que la part de marché des parties requérantes aurait effectivement été inchangée de 1978 à 1980;

2 . Même réduite à une telle proportion, leur part de marché ne pourrait être qualifiée de "minime" ( voir page 36 de la requête );

3 . Pour qu' ils eussent entraîné une réduction de 10 à 15% dans la part de marché des parties requérantes, les produits synthétiques auraient dû représenter entre 20 et 30% du marché ainsi redéfini; or, tandis que les parties requérantes n' ont aucunément étayé les chiffres avancés, la Commission a démontré, sur base d' une étude de marché d' une firme allemande, qu' à la fin de 1981 la part des produits synthétiques n' a pas dépassé 10%; le représentant des parties requérantes a d' ailleurs admis
à l' audience qu' à l' époque en cause, les produits synthétiques ne représentaient effectivement qu' entre 8 et 10% dudit marché;

4 . De surcroît, il résulte du rapport Buytaert, produit par les parties requérantes elles-mêmes, que la Commission a, en fait, sous-estimé la part des membres sur le marché qu' elle a pris en compte ( voir annexe III au mémoire en défense ).

31 . Sur la base de ces considérations je parviens à la conclusion que la Commission a raison lorsqu' elle soutient qu' à supposer même qu' elle aurait dû tenir compte des produits synthétiques dans la définition du marché en cause, les parts de marché des membres de BELASCO, de 1981 à 1984, n' auraient été inférieures que de 5 à 7% aux chiffres figurant dans la décision attaquée et qu' elles seraient toujours demeurées clairement au-dessus de 50 %.

32 . Compte tenu de l' importance des parts de marché même ainsi rectifiées, de telles variations relativement minimes n' auraient certainement pas requis une appréciation juridique différente des faits et situations de l' espèce . Si erreur il y a eu - quod non - quant à la définition du marché en cause et de la délimitation des parts qu' y détenaient les parties requérantes, elle ne saurait suffire à justifier à elle seule l' annulation de la décision attaquée .

B . Les altérations du jeu de la concurrence

33 . En vertu de la jurisprudence de la Cour,

"pour apprécier si un accord doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l' objet ou l' effet, il y a lieu d' examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l' accord litigieux . A cet effet il y a lieu de prendre en considération notamment la nature et la quantité limitée ou non des produits faisant l' objet de l' accord, la position et l' importance des parties sur le marché des produits concernés, le
caractère isolé de l' accord litigieux ou, au contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d' accords" ( 3 ).

Ces derniers éléments doivent permettre de vérifier si les entraves à la concurrence revêtent un caractère sensible, car les ententes n' entraînant que des restrictions de concurrence insignifiantes échappent à l' interdiction de l' article 85, paragraphe 1 .

34 . L' article 85, paragraphe 1 vise les accords qui ont pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence . Dans son arrêt L.T.M . ( 4 ), la Cour avait déjà précisé que le caractère non cumulatif, mais alternatif de cette condition,

"marqué par la conjonction 'ou' , conduit d' abord à la nécessité de considérer l' objet même de l' accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué" ( Rec . 1966, p . 359 ).

35 . La description que la Commission a donnée, aux points 12 à 21 de sa décision, de la convention conclue par les membres de BELASCO correspond fidèlement au contenu de celle-ci ( tel qu' il est reproduit en annexe 3 à la communication des griefs qui est jointe en annexe I au mémoire en défense ).

36 . L' objet de la convention a été défini comme suit par les parties contractantes :

1 . Établir les tarifs et les conditions de vente minima applicables pour toute livraison en Belgique sans aucune exception, des produits spécifiés ci-dessous ainsi que pour l' exécution de tous travaux des contractants à l' aide de produits régis par la présente convention .

2 . Établir les tarifs et conditions minima d' exécution et de garantie de tous travaux de toiture en chapes telles que décrites dans la présente convention .

3 . Établir les quotas de répartition entre les contractants .

4 . Edicter les sanctions en cas de manquements aux obligations contractées en vertu du présent accord ou en vertu de résolutions adoptées valablement .

5 . Constituer un fonds destiné à servir de garantie pour l' obtention des engagements .

6 . Défendre et promouvoir les intérêts des contractants collectivement dans toute la mesure du possible; notamment dans les négociations avec les pays étrangers et par une propagande collective en faveur des produits fabriqués par eux et en faveur des travaux d' asphaltages exécutés à l' aide de ces mêmes produits .

7 . Étudier et promouvoir toutes mesures de standardisation et de rationalisation de la production et de la distribution des feutres goudronnés et bitumés .

37 . Les autres clauses visées plus particulièrement par la Commission se trouvent à l' article 1er, paragraphe 8, de la convention qui définit les attributions de l' assemblée des contractants chargée notamment de l' exécution de la convention, à l' article 2 qui prévoit qu' un "accountant" aura pour mission le contrôle du respect des quotas et des prix, à l' article 3 qui fixe lui-même les quotas de répartition des livraisons attribuées à chacun des membres et instaure un système de péréquation, à
l' article 5 qui décrit certains "devoirs" des contractants et prévoit notamment, à son alinéa 4, que l' assemblée des contractants se réserve le droit de fixer le prix de vente des produits annexes, ainsi qu' à l' article 6 qui règle le comportement des membres en cas de faillite de l' un d' entre-eux .

38 . Il ne saurait y avoir de doutes que cette convention dans son ensemble et la plupart sinon la totalité des clauses mentionnées ont ainsi effectivement eu pour objet de restreindre la concurrence, et, compte tenu de la position qu' occupaient les membres de BELASCO sur le marché belge des produits en cause, qu' elles ont présenté selon la formule utilisée par la Cour dans l' arrêt L.T.M . précité,

"un degré suffisant de nocivité à l' égard de la concurrence"

pour qu' on puisse leur reconnaître une influence sensible sur le jeu normal de la concurrence .

39 . Ainsi la détermination en commun de tarifs et de conditions de vente et la répartition du marché par la fixation de quotas de livraison sont-elles expressément visées aux lettres a ) et c ) de l' article 85, paragraphe 1 du traité .

40 . Les requérantes soutiennent cependant ( page 15 de la réplique ) que "le tarif commun (...) a servi (...) à des demandes collectives de hausse de prix permettant, par la connaissance qu' en avaient les non-membres, à ceux-ci de se positionner, de façon concurrentielle, par rapport à ces prix ". En d' autres termes, le tarif commun n' aurait été qu' un instrument destiné à rendre possible les demandes collectives de hausse et n' aurait pas eu pour objet d' éliminer la concurrence entre les
membres de la coopérative . Ceux-ci auraient d' ailleurs fait, à chaque fois, un cadeau de tout premier ordre aux entreprises non-membres en les informant des prix communs afin de leur permettre d' offrir leurs produits à des prix inférieurs à ceux-ci et de leur faire ainsi concurrence .

41 . Vous ne serez pas étonnés d' apprendre, Messieurs, que je ne suis pas convaincu par cette argumentation .

42 . Si le tarif commun n' avait servi qu' au but indiqué, il n' aurait pas été nécessaire de l' assortir de règles communes concernant les remises . Il avait bien pour objet d' éviter une concurrence en matière de prix entre les membres .

43 . Par ailleurs la Commission a raison de souligner que si les autorités belges recommandaient effectivement aux associations professionnelles de présenter des demandes collectives au nom de leurs membres, elles n' en faisaient pas une obligation incontournable et n' exigeaient pas que les augmentations maximales qu' elles autorisaient soient nécessairement appliquées pleinement ou immédiatement .

44 . Il n' y a pas de contradiction entre cette constatation et le fait que la Commission a démontré à l' annexe II de son mémoire en défense ainsi qu' à l' annexe III de son mémoire en duplique qu' en réalité les délais de mise en application des hausses autorisées étaient très variables et que les hausses n' ont pas été appliquées uniformément et pleinement à tous les produits . En effet, comme tant les délais que les taux d' augmentation par produits ont été identiques pour tous les membres de
BELASCO, ceci est précisément de nature à prouver que ceux-ci ont effectivement dû se concerter à chaque fois sur la répartition des hausses autorisées entre les différents produits et sur le moment le plus opportun de leur mise en application .

45 . A la lumière de ce qui précède on ne peut donc pas prétendre que l' alignement des tarifs des membres de BELASCO serait la conséquence de la législation belge sur les prix ni que la Commission, qui a expressément pris position sur cette allégation au point 74 i ) de sa décision, aurait commis une erreur d' appréciation à cet égard .

46 . Quant à la communication des intentions communes en matière de prix aux entreprises qui n' étaient pas membres de BELASCO, elle avait bien entendu pour objet de les inciter à pratiquer également ces prix .

47 . Pour le reste il n' y a que trois autres clauses dont les parties requérantes contestent vraiment le caractère restrictif ( voir pages 8 et 9 de la requête ) et qui sont relatives à

1 ) l' interdiction de faire des cadeaux et de vendre à perte;

2 ) l' organisation d' une publicité collective pour les produits de la marque BELASCO;

3 ) l' adoption de mesures de standardisation et de rationalisation .

48 . Quant à la première de ces clauses elle a pour objet, comme la Commission l' a souligné à juste titre ( point 73 ii ) de la décision ) d' éviter que soient tournée la discipline convenue en matière de prix et n' est donc nullement la simple transposition dans la convention d' une disposition de la législation belge en matière de concurrence déloyale ( 5 ) dont l' objectif est la protection des consommateurs .

49 . Si les deux autres clauses n' ont peut-être pas en elles-mêmes un caractère restrictif, comme le reconnaît la Commission ( pages 27 et 28 du mémoire en défense ), du fait toutefois qu' elles s' insèrent dans une convention du type de celle en cause, elles contribuent à en renforcer l' objet restrictif, en limitant notamment la liberté des participants de pouvoir se faire concurrence par la différenciation de leurs produits ( point 73 v ) et vi ) de la décision ).

50 . Ainsi comprise, l' appréciation que la Commission a portée notamment sur la dernière de ces clauses ne me semble en rien contradictoire avec le fait que la principale activité de BELASCO est l' élaboration de normes IBN octroyées sous l' égide de l' Institut Belge de Normalisation . Elle a d' ailleurs pris soin de préciser elle-même, dans sa décision ( point 73 vi ), 2e alinéa ), qu' elle ne visait pas la participation des membres de BELASCO à cette activité . A cet égard, le grief d' une
motivation erronée et contradictoire ne saurait donc être retenu .

51 . Il en va de même pour ce qui concerne les produits nouveaux . Il n' y a pas de contradiction entre la reconnaissance qu' ils "ont été développés de manière autonome par chaque producteur" ( point 74 xi ), 3e alinéa de la décision ) et la constatation que dans le contexte d' une entente telle celle en cause, la détermination en commun de certaines de leurs caractéristiques revêt un caractère restrictif de la concurrence, ceci d' autant plus qu' en l' absence d' une normalisation, une telle
coordination constitue le préalable indispensable à toute fixation de prix communs .

52 . Pour ce qui concerne les autres clauses, c' est plutôt leur mise en pratique et leurs effets concrets que contestent les parties requérantes .

53 . Or, il y a lieu de constater, d' une part, qu' en vertu de l' article 10 de la convention même, les décisions de l' assemblée des contractants en font partie intégrante . On pourrait donc tout simplement considérer que celles prises pour l' exécution des clauses incriminées participent à leur caractère restrictif .

54 . D' autre part, il résulte des points 154 et 155 de l' arrêt Van Landewyck du 29 octobre 1980 ( 6 ) que, lorsque des entreprises ont adopté des dispositions ayant pour objet de restreindre sensiblement la concurrence, il n' y a pas lieu d' examiner la question de savoir dans quelle mesure elles les ont effectivement mises en vigueur .

55 . Aussi pourrait-il être tentant d' arrêter ici l' examen du caractère restrictif de l' objet de l' entente incriminée .

56 . Mais en l' occurrence "l' entente", telle que la Commission l' a définie au point 72 de sa décision, n' est pas seulement constituée par un accord entre entreprises, à savoir la convention BELASCO, mais également par toute une série d' autres accords conclus et de mesures et décisions adoptées en vue de la mettre en oeuvre et de la compléter . Par ailleurs, la décision de la Commission ne vise pas seulement cette "entente", mais également des accords entre membres et non-membres sur les remises
de prix, datant de mai et d' octobre 1978 ( articles 2 et 3 de la décision ).

57 . La Commission a consacré les points 22 à 68 de sa décision à la description factuelle des décisions prises et des accords conclus par les membres de BELASCO, y compris avec les non-membres, en vue de l' application de la convention . Pour ce faire elle s' est très largement basée sur des documents internes de BELASCO, comptes-rendus des réunions de l' assemblée des contractants et rapports de l' "accountant ". Au point 74 elle a donné son appréciation juridique de ces décisions et de ces
accords au regard des exigences de l' article 85, paragraphe 1 .

58 . L' existence de ces documents et la véracité des citations y empruntées ne sont pas contestables . Aussi les parties requérantes reconnaissent-elles

- que des tarifs communs pour les produits BELASCO ont effectivement été adoptés,

- qu' elles ont communiqué à l' avance leurs intentions en la matière à d' autres producteurs belges,

- qu' elles se sont également concertées à de nombreuses reprises sur les prix des produits nouveaux et produits annexes,

- qu' elles ont établi le principe dit de la "cristallisation de la clientèle" selon lequel chaque membre doit rester dans sa propre clientèle et ne pas solliciter celle des autres,

- qu' il y avait un accord ainsi que des tentatives d' accords entre les membres d' une part, et les membres et non-membres d' autre part, sur les remises à pratiquer par rapport au tarif commun,

- qu' un système des quotas soumis au contrôle de l' "accountant" a effectivement été mis en place .

59 . La ligne de défense générale des requérantes à l' égard de la plupart de ces faits consiste à affirmer que les décisions prises n' ont pas été suivies d' effets ou qu' elles n' ont pas été respectées en pratique et que les systèmes mis en place n' ont pas fonctionné conformément à leurs voeux .

60 . Dans un certain nombre de cas la Commission le reconnaît d' ailleurs elle-même, notamment en ce qui concerne le respect des prix communs pour les produits annexes ( point 74 v ), du principe de la cristallisation de la clientèle ( point 74 vi ) et des prix de vente des produits nouveaux ( point 74 xi ).

61 . Pour ce qui concerne le système des quotas, la Commission a constaté que les ventes de deux membres sur sept de BELASCO dépassaient largement les quotas qui leur avaient été attribués ( point 26 ). Ceci ne signifie cependant pas que, dans son ensemble, ce système n' aurait pas fonctionné ni que ces deux membres auraient pu le violer impunément et sans devoir payer des compensations aux autres membres .

62 . Les requérantes soutiennent que les chiffres figurant à l' annexe 4 à la communication des griefs sous la rubrique "comptes à régulariser" ne se rapportent pas à de quelconques pénalités, dues à d' éventuels dépassements de quotas, mais traduiraient des ajustements de la quote-part de participation de chacun des membres aux frais de fonctionnement de la société coopérative BELASCO ( page 28 de la réplique ). La Commission a cependant démontré de façon convaincante ( page 17 de la réplique et
ses annexes VI et VII ) que s' il en avait été ainsi une société membre n' aurait pas du tout participé aux frais de fonctionnement mais aurait été bénéficiaire d' une somme de 119.858 FB, alors qu' une autre société aurait supporté presque le tiers des frais de fonctionnement en 1983 .

63 . Les membres de BELASCO font également valoir que les mesures de défense contre la concurrence de IKO, discutées au sein des assemblées générales, seraient restées au stade de déclarations et que les propositions n' auraient pas été suivies d' effet . La Commission a cependant réussi à prouver par des citations des procès-verbaux nombreux des assemblées générales que "l' action décidée" respectivement "l' action menée" contre cette firme avait permis à trois membres de l' entente d' enlever des
clients à cette firme ( points 60 et 74 vii ) de la décision, point 36 de la communication des griefs et procès-verbaux de l' assemblée générale reproduits en annexe VIII à la duplique ).

64 . En ce qui concerne la discipline convenue en matière de remises, la Commission a démontré que l' accord intervenu au plus tard le 30 octobre 1978 a été appliqué jusqu' à son effondrement en juillet/août 1980, provoqué par la faillite d' UPM le 4 juillet 1980 . Le fait que deux clients de ATAB et un client de Asphaltco ont reçu au cours de cette période des remises dépassant le plafond fixé par l' accord, ainsi que le fait que d' une façon générale la discipline en matière de remises a été
nettement moins respectée à partir de 1981 ( point 74 iii )) et que le premier accord avec des non-membres, de mai 1978, s' est soldé par un échec ( point 54 ) ne permet pas de nier la réalité de l' instauration d' une telle discipline . Les plaintes de ceux qui l' ont respectée sont là pour le prouver .

65 . Or, est-il besoin de rappeler qu'

"aux fins de l' application de l' article 85, paragraphe 1, la prise en considération des effets concrets d' un accord est superflue, dès lors que celui-ci a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence" ( 7 ).

66 . Les différentes décisions de mise en oeuvre de la convention ont indéniablement eu des objets restrictifs . Quant à leurs effets, il n' y a lieu d' en tenir compte, comme la Commission le note elle-même au point 76 de sa décision, qu' au moment d' apprécier la gravité des infractions commises, afin de déterminer le montant des amendes à infliger .

C . L' affectation du commerce entre États membres

67 . Selon une jurisprudence constante de la Cour, rappelée notamment dans l' arrêt Remia du 11 juillet 1985 ( 8 ),

"un accord entre entreprises, pour être susceptible d' affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d' un ensemble d' éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d' envisager avec un degré de probabilité suffisant qu' il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d' échange entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d' un marché unique entre États ."

68 . A cet égard, force est de constater que la convention incriminée prévoyait expressément des actions collectives contre des concurrents étrangers puisqu' elle confiait à l' assemblée des contractants la tâche de prendre "les mesures de protection et de défense (...) si pour une cause quelconque extérieure au cercle des contractants, le but poursuivi par le présent contrat (...) se trouvait menacé, par exemple dans le cas d' un renforcement de la concurrence de la part d' entreprises de l'
étranger (...)" ( article 1, paragraphe 8, point b ). Or, s' efforcer d' éviter par des actions concertées que la concurrence en provenance des autres États membres ne s' accroisse revient à vouloir "geler" les courants d' échanges et à s' opposer à la réalisation d' un marché unique . De même, les membres de BELASCO s' interdisaient, sauf autorisation préalable de l' Assemblée des contractants, d' utiliser leurs installations ou équipements pour le compte de tiers ( milieu du point 1 du chapitre
introductif de la convention ) ainsi que de les leur vendre ou louer et, en cas de remplacement, de les leur prêter ou céder ( article 5, alinéa 3 ). Ces dispositions étaient notamment destinées à empêcher que des sociétés étrangères puissent venir s' installer en Belgique en utilisant des capacités de production existantes .

69 . On pourrait être tenté d' objecter que les producteurs étrangers ou les importateurs auraient pu profiter du fait que des prix relativement élevés étaient maintenus sur le marché belge par les membres de BELASCO, grâce à leur entente, pour enlever à ceux-ci des parts de marché en vendant moins cher . Il existe cependant une probabilité suffisante pour que de tels concurrents étrangers se soient heurtés, auprès des clients qu' ils approchaient, à des contre-offres particulièrement attractives de
la part des membres de BELASCO . Grâce aux prix rémunérateurs que ceux-ci avaient réussi, au moins en partie, à s' assurer vis-à-vis de leurs clients habituels, ils devaient en effet être en mesure de consentir momentanément à des sacrifices pour éviter la pénétration d' un concurrent étranger sur le marché belge .

70 . Le fait que les importations en Belgique aient néanmoins augmenté laisse, certes, supposer que l' action des membres de BELASCO n' a pas été tout à fait efficace . Il n' en reste pas moins que l' intention d' éviter une augmentation des importations existait bien, et qu' en l' absence de l' entente elles auraient peut-être augmenté beaucoup plus .

71 . Aux points 61 et 62 de sa décision la Commission a d' ailleurs démontré que des "attaques" concertées contre des importateurs et des producteurs étrangers ont effectivement été proposées ou décidées . Il est vrai qu' elle n' a pas pu fournir des indications sur les suites concrètes qu' ont connues ces propositions et décisions .

72 . Cette circonstance n' est toutefois pas déterminante pour faire échapper les mesures en question à l' interdiction de l' article 85, paragraphe 1, étant donné qu' une affectation "potentielle" des échanges établie avec "un degré de probabilité suffisant" satisfait déjà, à elle seule, au critère .

73 . Aussi n' y a-t-il pas de contradiction entre la reconnaissance de la part de la Commission qu' elle ne dispose d' aucune indication quant aux suites réservées à ces décisions et propositions et l' affirmation, faite au point 88 de sa décision, qu' "il a été démontré déjà que de telles actions collectives n' étaient nullement théoriques", qui signifie simplement que les dispositions pertinentes de la convention ne sont pas restées lettre morte mais ont été appliquées, ceci indépendamment de la
question de savoir si elles ont abouti à des résultats .

74 . Lors de la faillite de la société UPM, en 1980, les parties requérantes se sont montrées extrêmement soucieuses de contribuer à faire en sorte que cette firme ne soit pas reprise par des entreprises concurrentes, notamment étrangères . Ici encore il ne saurait y avoir une contradiction entre cette constatation de la Commission ( points 63, 64 et 74 viii ) de la décision ) et l' affirmation des parties requérantes - non contestée par la Commission - qu' elles n' ont aucune responsabilité dans la
faillite d' UPM : ce que la Commission a mis en cause ce ne sont pas les raisons de cette faillite ni celles de l' échec des tentatives de sauvetage d' UPM, mais le fait que dès lors qu' il a été question de son rachat par des tiers concurrents, les membres de BELASCO ont agi conjointement dans le droit fil de la lettre et de l' esprit des dispositions précitées de leur convention . Seul leur propre comportement concerté face à une éventuelle reprise d' UPM par un industriel étranger étant en cause,
on ne saurait par ailleurs reprocher à la Commission d' avoir négligé le rôle joué par les autorités économiques régionales dans le même contexte .

75 . Les parties requérantes font encore valoir que leurs décisions en matière de prix et de quotas ne viseraient que les produits fabriqués par eux à l' exclusion de tout produit importé .

76 . Ceci est exact et en ce sens la présente affaire se distingue assez nettement du cas de l' association des négociants en ciment néerlandais ( Vereeniging van Cementhandelaren c / Commission, affaire 8/72, arrêt du 17 octobre 1972, Rec . p . 977 ) cité dans la décision de la Commission .

77 . En effet, ainsi que M . l' avocat général Mayras l' avait souligné dans ses conclusions ( page 1002 ), les négociants en ciment affiliés à l' association en question vendaient également les deux tiers du ciment importé ( la production nationale ne couvrant que les 2/3 des besoins en ciment des Pays-Bas ) et appliquaient à ces ventes leur système de prix indicatifs et leurs conditions générales de vente .

78 . Il n' en reste pas moins que selon une jurisprudence constante de la Cour

"le fait qu' une entente (...) n' ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres peut être affecté" ( 9 )

notamment lorsque cette entente s' étend à l' ensemble du territoire d' un État membre .

79 . Or, la convention BELASCO s' appliquait bien à l' ensemble du territoire belge . Le point 1 du chapitre "Objet de la convention" dispose expressément que les tarifs et conditions de vente minima à arrêter sont applicables "pour toute livraison en Belgique sans aucune exception ".

80 . De plus nous sommes ici en présence d' une convention qui prévoit expressément l' adoption de mesures de protection et de défense contre un renforcement de la concurrence de la part d' entreprises étrangères . L' accord était donc susceptible d' affecter le commerce entre États membres . Reste à savoir si cette affectation pouvait être qualifiée de sensible . C' est à mon sens le point le plus délicat de ce dossier . Dans un cas comme celui de l' espèce, ceci dépend avant tout de la position
qu' occupent les membres de l' entente sur le marché en cause ( voir notamment le point 27 de l' arrêt Papiers peints ) et de leur capacité collective de réagir aux tentatives de pénétration de concurrents étrangers sur le marché .

81 . En outre, comme la Cour l' a souligné dans son arrêt Miller du 1er février 1978 ( 10 ),

"en interdisant les accords ayant pour objet ou effet de restreindre la concurrence, qui sont susceptibles d' affecter les échanges entre les États membres, l' article 85, paragraphe 1, du traité n' exige pas qu' il soit établi que de tels accords ont, en effet, sensiblement affecté ces échanges, preuve qui dans la plupart des cas ne saurait d' ailleurs que difficilement être administrée à suffisance de droit, mais demande qu' il soit établi que ces accords sont de nature à avoir un tel effet" (
point 15 ).

82 . Dans cette affaire Miller, la Cour avait jugé suffisant le fait que la Commission avait établi, sur base de certains éléments de fait, que le danger d' une affectation sensible existait . Tel me semble également avoir été le cas en l' occurrence .

83 . En effet, comme il a été indiqué ci-devant, l' entente s' appliquait à l' ensemble du territoire belge et les livraisons des membres de BELASCO ont représenté en mètres carrés près de 60% de la consommation apparente de revêtements bitumés en Belgique en 1983, et leur production environ 70% de la production belge . Même si la Commission avait dû comprendre les produits synthétiques dans la définition du marché en cause, les ventes des membres de BELASCO auraient continué à représenter plus de
50% du marché .

84 . Il est donc indéniable que les producteurs étrangers désireux d' exporter sur le marché belge, trouvaient en face d' eux un bloc très impressionnant de producteurs nationaux s' étant engagés à lutter de façon concertée contre un accroissement des importations . Même si l' action menée avec succès contre IKO concernait un concurrent belge, elle prouve que les membres de BELASCO étaient parfaitement capables d' agir efficacement à l' encontre d' un concurrent .

85 . Tous comptes faits j' estime dès lors qu' il est légitime de conclure que l' entente était susceptible d' affecter de manière sensible le commerce entre États membres .

D . L' application de l' article 15, paragraphe 2 du règlement n° 17

86 . Aux termes de l' article 15, paragraphe 2 du règlement n° 17, la Commission peut infliger aux entreprises et associations d' entreprises des amendes pouvant aller jusqu' à dix pour cent de leur chiffre d' affaires réalisé au cours de l' exercice social précédent, à condition que l' infraction à l' article 85, paragraphe 1 ait été commise "de propos délibéré ou par négligence ". Pour déterminer le montant de l' amende, elle doit "prendre en considération, outre la gravité de l' infraction, la
durée de celle-ci ".

87 . A l' appui de leur demande subsidiaire de suppression ou de réduction des amendes infligées, les parties requérantes allèguent que la Commission n' aurait pas pris position à l' égard des arguments relatifs au caractère intentionnel et à la durée des infractions prétendument commises qu' elles avaient développés dans leurs réponses à la communication des griefs .

88 . Elles ajoutent également que la Commission n' aurait pas apprécié la gravité des infractions en fonction de leurs effets sur le marché et qu' elle les aurait discriminées par rapport aux entreprises non membres de BELASCO auxquelles elle n' aurait pas infligé d' amendes .

89 . La première affirmation ne résiste pas à une simple lecture rapide de la décision même . En effet, au point 109 la Commission fait expressément référence aux arguments soulevés au cours de la procédure au sujet de la prétendue bonne foi des membres de BELASCO, pour les réfuter aussitôt . Au point 106 elle s' est exprimée clairement sur la durée de l' infraction telle qu' elle la conçoit .

90 . D' une façon générale, d' ailleurs, la Cour a toujours souligné que l' obligation de motivation telle qu' elle résulte de l' article 190 du traité,

"n' exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative" ( 11 ).

91 . Il ne reste donc, en réalité, qu' à examiner si l' appréciation que la Commission a portée sur ces deux points est correcte quant au fond .

1 . Le caractère intentionnel des infractions

92 . Il y a lieu tout d' abord de rappeler que selon l' article 15, paragraphe 2, il suffit que l' infraction à l' article 85 ait été commise "par négligence ". Cette condition minimale est en tout cas remplie dans le cas d' espèce .

93 . En second lieu il résulte de la jurisprudence de la Cour, et notamment de l' arrêt Miller précité ( 12 ) et de l' arrêt BMW du 12 juillet 1979 ( 13 ), que pourqu' on puisse considérer qu' une infraction a été commise "de propos délibéré", il importe peu de savoir si les intéressés avaient ou non conscience d' enfreindre l' interdiction de l' article 85, dès lors qu' ils n' ont pu ignorer que les mesures et actes incriminés, qu' ils avaient adoptés ou acceptés, avaient pour objet de restreindre
la concurrence .

94 . Or, tel a été assurément le cas, car l' objet de l' entente tel qu' il est défini dans la convention même témoigne à suffisance que les membres avaient pour but aussi bien de restreindre la concurrence entre eux que de combattre toute concurrence de la part de non-membres, y compris d' entreprises établies à l' étranger .

2 . La durée des infractions

95 . Sous le chapitre "Durée de la validité et expiration du contrat" de la convention nous lisons :

"Le présent contrat est conclu pour une durée de six ans qui a pris cours le 1er janvier 1978 pour se terminer le 31 décembre 1983 . En cas de non résiliation, il sera prorogé tacitement pour une durée de cinq ans à chaque expiration ."

96 . En dépit de leurs affirmations selon lesquelles la convention n' aurait jamais été renouvelée, même tacitement, les parties requérantes sont restées en défaut de produire un quelconque avis de résiliation . Aussi la Commission a-t-elle pu, à bon droit, estimer qu' elle a continué à être valable au moins jusqu' au 9 avril 1984, date de sa première mesure de vérification, ceci d' autant plus que des discussions sur les "modifications à apporter à la Convention en cours" se poursuivaient au-delà
du 1er janvier 1984, l' assemblée des contractants s' étant encore réunie quatre fois après cette date ( voir point 53 de la communication des griefs et point 120 de la duplique ).

97 . J' ajoute que même si la Commission avait tort d' estimer que l' entente avait duré jusqu' au 9 avril 1984, une réduction des amendes ne devrait pas nécessairement s' ensuivre, car l' erreur d' appréciation n' aurait porté que sur moins de 100 jours d' une durée totale de 6 ans . D' une part, en effet, la durée des infractions ne constitue qu' un des éléments entrant en ligne de compte dans la détermination du montant des amendes . D' autre part, il n' est pas à exclure a priori que même en cas
de cessation formelle de l' entente à la date du 31 décembre 1983, ses effets se soient prolongés au-delà de cette date . Dans un tel cas l' article 85 aurait continué à être applicable ( 14 ).

3 . La gravité des infractions

98 . Les critiques des parties requérantes que la Commission n' aurait pas apprécié la gravité des infractions en fonction des effets sur le marché ne sont pas fondées .

99 . D' une part, la Commission a consacré un chapitre entier de sa décision, à savoir les points 76 à 82, à l' examen des effets concrets de l' entente, expressément dans l' optique de l' appréciation de la gravité des infractions . A la simple lecture de cette partie de la décision, il saute aux yeux que la Commission n' a pas tenu compte dans ce contexte des mesures de mise en oeuvre de la convention BELASCO dont elle a reconnu ne pas avoir pu établir qu' elles avaient effectivement été suivies
d' effets .

100 . D' autre part, dans la partie de sa décision consacrée à l' appréciation des éléments concourant à la détermination du montant de l' amende, la Commission indique d' abord que certaines des mesures incriminées "constituent des atteintes parmi les plus graves à la libre concurrence" ( point 105 ), avant de renvoyer aux effets de l' entente "évoqués ci-avant" ( point 106 ) et de préciser qu' "il est tenu compte, dans l' appréciation de la gravité des infractions, du régime moins rigoureux à
plusieurs égards appliqué par les membres aux produits nouveaux ..." ( point 107 ).

101 . Ces constatations permettent également de rejeter le moyen tiré d' une insuffisance de motivation qui résulterait de ce que la Commission n' aurait pas répondu à l' argumentation relative aux effets de l' entente sur le marché que les parties requérantes avaient développée dans leur réponse à la communication des griefs .

102 . Il reste toutefois à savoir si ces constatations ont effectivement trouvé leur juste reflet dans le montant des amendes que la Commission a prononcées .

103 . A cet égard, il faut tout d' abord constater que la gravité des infractions n' est qu' un des éléments dont il y a lieu de tenir compte lors de la détermination du montant des amendes . Il ressort du point 104 de la décision incriminée que la Commission a également tenu compte, à côté de la durée de l' infraction, "du chiffre d' affaires global de chacune des entreprises visées ainsi que de son chiffre d' affaires réalisé dans la fourniture de revêtements bitumés en Belgique et, dans le cas de
BELASCO, de ses dépenses annuelles ".

104 . D' autre part, la Commission - tout comme la Cour dans l' exercice de la compétence de pleine juridiction que l' article 17 du règlement n° 17 lui confère en application de l' article 172 du traité CEE - dispose d' un large pouvoir d' appréciation pour évaluer l' impact exact que l' un ou l' autre de ces éléments peut avoir sur le montant qu' elle est finalement amenée à retenir . Ceci est également vrai pour ce qui concerne les éléments à prendre en considération pour apprécier la gravité des
infractions .

105 . Enfin, l' article 15, paragraphe 2 du règlement n° 17 se borne à indiquer un minimum ( 1000 unités de compte ) et un plafond ( 10% du chiffre d' affaires réalisé au cours de l' exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l' infraction ) pour le montant des amendes que la Commission peut infliger .

106 . En l' occurrence, les amendes ne se situant qu' entre 0,75% et 2,5% du chiffre d' affaires global réalisé en 1983 par les entreprises concernées, tel qu' il est reproduit à l' annexe I de la décision de la Commission, on ne peut pas prétendre que la Commission n' aurait pas suffisamment tenu compte d' éventuelles circonstances "atténuantes ". Étant donné que la Commission a jugé que toutes devaient être considérées comme responsables au même degré de l' entente ( point 108 de la décision ),
les différents pourcentages trouvent leur explication dans le fait que la Commission a également tenu compte des chiffres d' affaires réalisés dans la fourniture de revêtements bitumés en Belgique .

4 . Le respect du principe d' égalité

107 . Le grief d' une violation du principe d' égalité n' est pas non plus fondé .

108 . Il est vrai que selon la jurisprudence constante de la Cour que citent les parties requérantes,

"ce principe veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu' une différenciation ne soit objectivement justifiée" ( 15 ).

109 . Mais en l' occurrence la Commission a justement démontré que les situations respectives des membres de BELASCO et de BELASCO, d' un côté, ainsi que des non-membres, d' un autre côté, n' étaient précisément pas comparables .

110 . Les entreprises non-membres, International Roofing, UPM et Al Asfalt, n' ont jamais adhéré à la convention incriminée et les seules infractions constatées dans leur chef ne concernaient que les accords sur les remises qu' elles avaient conclus avec les membres en mai et en octobre 1978 et dont, de surcroÕt, il n' est pas établi qu' elles les aient effectivement respectés . Par ailleurs, contrairement à l' entente entre membres, ces accords ne portaient pas sur les produits nouveaux et n' ont
duré que jusqu' à juillet/aoñt 1980 .

111 . Ainsi la Commission a-t-elle légitimement pu décider de ne pas infliger d' amendes à IR et Al Asfalt, tout en les sommant de mettre fin immédiatement aux infractions qu' elles avaient commises, pour autant qu' elles subsistaient, et de s' abstenir à l' avenir de tout accord, pratique concertée ou mesures susceptibles d' avoir un effet équivalent ( voir l' article 5 de sa décision ).

112 . Quant à UPM qui, dans le passé, a été membre de BELASCO et avait adhéré à la convention de 1966 mais non à celle de 1978, la Commission n' avait pas à lui adresser une quelconque injonction à cet égard, étant donné qu' UPM a été déclaré en faillite dès le 4 juillet 1980 .

113 . Le principe d' égalité ne s' opposant pas seulement à traiter de manière différente des situations qui sont identiques, mais également à traiter de manière identique des situations qui sont différentes ( 16 ), il ne me semble pas qu' il pourrait justifier, en l' espèce, ni une réduction ni, a fortiori, la suppression des amendes infligées aux membres de BELASCO et à BELASCO même dont la participation aux accords de prix avec les non-membres ne constitue en réalité qu' un élément relativement
modeste parmi l' ensemble des griefs constitutifs des infractions à l' article 85, paragraphe 1 retenues à leur encontre .

Conclusion

114 . Il résulte de ce qui précède que la Commission a correctement appliqué l' article 85, paragraphe 1, du traité CEE aux accords et décisions visés et qu' elle n' a pas méconnu l' article 15 du règlement n° 17 ni le principe d' égalité en infligeant aux entreprises membres de BELASCO et à BELASCO les amendes en question .

115 . Je propose dés lors à la Cour de rejeter le recours dans son ensemble et de condamner les parties requérantes aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) JO L 232 du 19 août 1986, p . 15 .

( 2 ) Règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962,

Premier règlement d' application des articles 85 et 86 du traité ( JO du 21 février 1962, p . 204 ).

( 3 ) Voir notamment les arrêts du 10 juillet 1980, Lancôme c / Étos, 99/79, Rec . p . 2511, point 24, et du 11 décembre 1980, L' Oréal c / De Nieuwe AMCK, 31/80, Rec . p . 3775, point 19 .

( 4 ) Arrêt du 30 juin 1966, affaire 56/65, Société Technique Minière c / Maschinenbau Ulm GmbH, Rec . p . 337 .

( 5 ) Loi du 14 juillet 1971 sur les pratiques de commerce ( Moniteur belge du 30 juillet 1971, p . 9087 ).

( 6 ) Affaires jointes 209 à 215 et 218/78, Rec . 1980, p . 3125, p . 3270 .

( 7 ) Arrêt du 30 janvier 1985, BNIC c / Clair, 123/83, Rec . p . 391, point 22;

voir aussi l' arrêt du 27 janvier 1987, Verband der Sachversicherer c / Commission, 45/85, non encore publié, point 39 .

( 8 ) Affaire Remia e.a . c/Commission, 42/84, Rec . 1985, p . 2545, point 22;

voir aussi l' arrêt L.T.M . précité, Rec . 1966, p . 359 .

( 9 ) Arrêt du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a . c / Commission, affaire 73/74, Rec . p . 1491, point 25 .

( 10 ) Affaire 19/77, Miller c / Commission, Rec . 1978, p . 131; voir aussi l' arrêt du 11 novembre 1986, British Leyland c / Commission, 226/84, non encore publié, point 20 .

( 11 ) Voir, en dernier lieu, l' arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries c / Commission, 142 et 156/84, non encore publié, point 72 .

( 12 ) Recueil 1978, p . 131, point 18 .

( 13 ) Affaire BMW c / Commission, 32, 36 à 82/78, Rec . 1979, p . 2435, point 44 .

( 14 ) Voir à cet égard l' arrêt du 3 juillet 1985, Binon c / AMP, 243/83, Rec . p . 2015, point 17 .

( 15 ) Voir également l' arrêt du 12 mars 1987, BALM c / Société Coopérative Raiffeisen, 215/85, non encore publié, point 23 .

( 16 ) Voir notamment l' arrêt du 26 mars 1987, Coopérative Agricole d' Approvisionnement des Avirons c / Receveur des Douanes de Saint-Denis et Directeur régional des Douanes de la Réunion, 58/86, non encore publié, point 15 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 246/86
Date de la décision : 05/05/1988
Type de recours : Recours contre une sanction - non fondé, Recours en annulation - non fondé

Analyses

Concurrence - Application de l'article 85 du traité CEE à une entente concernant des revêtements bitumés.

Ententes

Concurrence

Pratiques concertées


Parties
Demandeurs : SC Belasco et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:233

Source

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