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22/09/1987 | CJUE | N°223/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 septembre 1987., Pesca Valentia Limited contre Ministre de la Pêche et des Forêts d'Irlande et Attorney general., 22/09/1987, 223/86


Avis juridique important

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61986C0223

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 septembre 1987. - Pesca Valentia Limited contre Ministre de la Pêche et des Forêts d'Irlande et Attorney general. - Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande. - Pêche - Équipages de bateaux. - Affaire 223/

86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00083

Conclusions de l'avocat gé...

Avis juridique important

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61986C0223

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 septembre 1987. - Pesca Valentia Limited contre Ministre de la Pêche et des Forêts d'Irlande et Attorney general. - Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande. - Pêche - Équipages de bateaux. - Affaire 223/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00083

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . En 1983, la république d' Irlande a adopté le "Fisheries Amendment Act", qui modifie la législation nationale en matière de pêche ( Fisheries Consolidation Act de 1959 ), en y insérant un article ( 222*B ) selon lequel l' utilisation, à l' intérieur des limites exclusives de pêche du pays ou non, d' un bateau de pêche immatriculé en Irlande est subordonnée à l' octroi d' une licence . Le ministre compétent peut assortir celle-ci de la condition qu' au moins 75 % de l' équipage du bateau soient
composés de ressortissants de la CEE .

2 . La société Pesca Valentia Limited, demanderesse au principal, est une entreprise de pêche irlandaise constituée sous la forme d' une "joint-venture" associant pour 26 % des intérêts irlandais et pour 74 % des intérêts espagnols, et qui, depuis sa constitution en 1980, moyennant l' utilisation de bateaux de pêche immatriculés en Irlande, déploie ses activités de pêche dans les eaux irlandaises, en se consacrant principalement aux captures de merluches essentiellement destinées à être exportées
sur le marché espagnol .

3 . En application de la législation irlandaise précitée de 1983, le bateau "Monte Marin", appartenant à cette société, était titulaire, pour la période du 17 août 1984 au 16 août 1985, d' une licence délivrée par le ministre irlandais de la Pêche, partie défenderesse au principal .

4 . Cette licence comportait notamment les deux dispositions suivantes :

"a ) Le bateau auquel la présente licence se réfère ne sera pas utilisé pour la pêche en mer, que ce soit à l' intérieur des limites de pêche exclusives de l' État ou autrement, si 75 % ou plus des membres de l' équipage ne sont pas des citoyens irlandais ou des ressortissants d' un autre État membre de la Communauté économique européenne .

b ) Le bateau ne sera pas utilisé pour la pêche en mer dans la partie de la zone de pêche exclusive de l' État qui se situe à l' intérieur d' une distance de douze ( 12 ) milles marins des lignes de base ."

5 . Lorsque le bateau a été arraisonné, le 11 septembre 1984, dans la zone de pêche irlandaise, mais à l' extérieur de la bande côtière de l' Irlande, il avait à son bord un équipage non conforme à la condition prescrite . Une procédure pénale a dès lors été engagée à l' encontre du capitaine .

6 . Dans le contexte de cette poursuite pénale, Pesca Valentia a introduit un recours devant la High Court de Dublin, dans lequel elle a soutenu que la législation irlandaise en cause, d' une part, a été adoptée dans un domaine de compétence exclusive de la Communauté et, d' autre part, est en tout état de cause contraire au principe de non-discrimination inscrit à l' article 7 du traité CEE .

7 . Afin de pouvoir apprécier la valeur qu' il convient d' attribuer à ces deux arguments, le juge national a posé les deux questions que je vous propose d' examiner maintenant .

I - Quant à la compétence des États membres ( première question préjudicielle )

8 . La première question posée par le juge national est libellée comme suit :

"Les articles 100 et 102 de l' acte d' adhésion de 1972, les articles 1er et 2, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n°*101/76 et l' article 6 du règlement ( CEE ) n°*170/83 interdisent-ils à un État membre d' adopter une législation exigeant que les équipages des navires dont l' activité de pêche s' exerce à l' intérieur des limites de pêche exclusives de l' État en cause comportent une proportion minimale de ressortissants de la CEE?"

9 . A - Je vous propose d' examiner d' abord les dispositions du règlement n°*101/76 du Conseil, du 19 janvier 1976, portant établissement d' une politique commune des structures dans le secteur de la pêche ( JO L*20, p.*19 ).

10 . D' après l' article 1er de ce règlement, "en vue de promouvoir le développement harmonieux et équilibré du secteur de la pêche au sein de l' activité économique générale et de favoriser l' exploitation rationnelle des ressources biologiques de la mer et des eaux intérieures, il est établi un régime commun pour l' exercice de la pêche dans les eaux maritimes ainsi que des mesures spécifiques en vue d' actions appropriées et de la coordination des politiques de structure des États membres dans ce
secteur ".

11 . Aux termes de l' article 2, "le régime appliqué par chacun des États membres à l' exercice de la pêche dans les eaux maritimes relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction ne peut entraîner des différences de traitement à l' égard d' autres États membres .

12 . Les États membres assurent, notamment, l' égalité des conditions d' accès et d' exploitation des fonds situés dans les eaux visées à l' alinéa 1 à tous les navires de pêche battant pavillon d' un des États membres et immatriculés sur le territoire de la Communauté ".

13 . Il résulte de ces textes que, sous réserve de ne pas opérer de discrimination à l' égard des navires de pêche des autres États membres ( problème que j' examinerai dans le cadre de la seconde question préjudicielle ), il appartient à chaque État membre d' arrêter le régime auquel il souhaite subordonner l' exercice de la pêche dans les eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction .

14 . Cela est confirmé par le paragraphe 2 de l' article 2, dans lequel nous lisons que les États membres "communiquent aux autres États membres et à la Commission les dispositions d' ordre législatif, réglementaire et administratif existant dans le domaine visé au paragraphe 1, alinéa 1, ainsi que celles découlant de l' application des dispositions visées à l' alinéa 2 dudit paragraphe ".

15 . Enfin, aux termes de l' article 3 du même règlement, "les États membres notifient aux autres États membres et à la Commission les modifications qu' ils envisagent d' apporter au régime de pêche défini en application des dispositions prévues à l' article*2 ".

16 . Puisque le règlement part ainsi de l' idée que la législation des États membres évolue au fil du temps, il n' est manifestement pas possible de soutenir que les États membres aient perdu, d' une façon générale, la compétence de légiférer dans le domaine de la pêche .

17 . Cette première conclusion est confirmée par la dernière partie de l' article 1er et par les articles 5, 6, 9, 10, 11 et 12 du même règlement, dont il résulte clairement que la responsabilité première en matière de politique de structure demeure auprès des États membres, la Communauté n' intervenant que pour en assurer la coordination .

18 . La preuve que les mesures réglementant l' exercice de la pêche maritime font partie de la politique de structure nous est fournie, entre autres, par l' article 12, où nous lisons que le comité permanent des structures de la pêche a notamment pour mission "d' assurer l' information réciproque des États membres et de la Commission dans le domaine de la politique de structure, et notamment en ce qui concerne les mesures réglementant l' exercice de la pêche maritime ".

19 . Aux termes du cinquième considérant du règlement n°*101/76, "il importe que la pêche se développe d' une manière rationnelle et qu' un niveau de vie équitable soit assuré aux personnes qui en tirent leurs ressources ".

20 . Or, il est certain que le niveau de vie des pêcheurs ne dépend pas seulement des ressources halieutiques disponibles, mais aussi du nombre de bateaux qui exploitent ces ressources . Un développement rationnel du secteur n' est pas possible si le nombre des bateaux de pêche augmente de manière inconsidérée . Le règlement prévoit, dès lors, que les États membres ( article 8 ) ou la Communauté ( article 9 ) peuvent accorder des aides en vue d' accroître la productivité, notamment par une
restructuration des flottes .

21 . Le règlement n°*2908/83 du Conseil, du 4 octobre 1983, concernant une action commune de restructuration, de modernisation et de développement du secteur de la pêche et de développement du secteur de l' aquaculture ( JO L*290 du 22.10.1983, p.*1 ), fondé sur l' article 9, paragraphe 2, du règlement n°*101/76, vise lui aussi à établir, dans le cadre de programmes pluriannuels, un équilibre satisfaisant entre la capacité de pêche et les ressources de la mer disponibles ( voir, notamment, troisième
considérant et articles 3, 4 et*11 ).

22 . Enfin, la directive du Conseil du 4 octobre 1983 concernant certaines actions d' adaptation des capacités dans le secteur de la pêche ( JO L*290 du 22.10.1983, p.*15 ) vise à encourager les États membres à mettre en oeuvre des actions spécifiques d' adaptation structurelle de leurs flottes de pêche, par leurs propres moyens législatifs, réglementaires et administratifs ( voir, notamment, les cinquième, sixième et septième considérants ). Cette directive permet aux États membres d' accorder des
primes forfaitaires d' immobilisation pour les navires dont la rentabilité n' est pas assurée à cause des limitations de capture ou des indemnités d' arrêt, afin de diminuer de façon définitive la capacité de pêche des flottes dont les caractéristiques techniques les rendent difficilement adaptables aux possibilités de capture prévisibles à moyen terme .

23 . Le 24 avril 1985, la Commission a pris une décision relative au programme d' orientation pluriannuel de la flotte de pêche présenté par l' Irlande conformément au règlement n°*2908/83, susmentionné ( JO L*157 du 15.6.1985, p.*23 ). Dans cette décision, la Commission constate d' une manière approbative que le programme irlandais prévoit un renouvellement, sans augmentation du tonnage global de la flotte, compatible avec les possibilités d' exploitation des ressources halieutiques prévisibles à
moyen terme . Elle prend acte de ce que les autorités irlandaises ont déjà mis en place un système permanent de contrôle des entrées en activité des bateaux de plus de vingt mètres ( 65 pieds ), dans le but d' assurer une meilleure utilisation des ressources disponibles et en vue d' optimaliser la distribution de l' effort de pêche ( voir aussi annexe I, point 4, de la décision ).

24 . Dans l' annexe II intitulée "Conclusions finales", la Commission considère aussi "que les autorités irlandaises devront étendre, dans les meilleurs délais, leur système de licences de bateaux de pêche pour mieux équilibrer les ressources et les capacités . Elle approuve de même l' intention des autorités irlandaises d' examiner d' une manière très stricte toute demande de modernisation ou de remplacement des navires ".

25 . Tous ces textes prouvent, d' une manière surabondante, que les États membres ont gardé la compétence de prendre, dans le cadre des paramètres définis par la Communauté, toutes les mesures nécessaires à une restructuration rationnelle de leur flotte de pêche .

26 . Cette compétence doit nécessairement inclure celle d' éviter que les résultats de tous ces efforts de restructuration, développés à l' aide d' importantes ressources financières nationales aussi bien que communautaires, ne puissent être remis en cause ou "tournés" par une augmentation incontrôlée de la flotte de pêche, du fait de l' immatriculation de bateaux précédemment enregistrés dans des pays tiers et dont l' équipage est composé en grande majorité de ressortissants de ces pays .

27 . On peut, certes, se demander pourquoi l' Irlande n' a pas pris des mesures au niveau de l' enregistrement même des bateaux en question . Mais on ne saurait dénier à un État membre la compétence de décider que l' octroi du pavillon ou l' enregistrement ne donnent pas droit, automatiquement, à l' exercice de la pêche et qu' il faut pour cela une autorisation spéciale sous la forme d' une licence, dont l' utilisation peut elle-même être soumise à certaines conditions .

28 . Pour être tout à fait complet, je voudrais encore rappeler, comme l' ont fait le Royaume-Uni et la Commission, votre jurisprudence selon laquelle on ne saurait déduire du simple silence d' un règlement portant organisation commune de marché dans un domaine déterminé que les États membres ne pourraient plus prendre des mesures dans ce domaine ( arrêt du 7 février 1984, Jongeneel Kaas/Pays-Bas, 237/83, Rec . p.*483 ). L' absence d' initiative du législateur communautaire laisse, au contraire, le
pouvoir aux États membres de prendre les mesures qu' ils estiment propres à améliorer les structures d' un certain secteur dans le respect des mécanismes et principes régissant l' organisation commune des marchés ( arrêt du 25 novembre 1986, Direction générale des impôts/M.-L . Forest, 148/85, Rec . p.*3449 ).

29 . Dans la présente affaire, les questions qui nous sont posées ne concernent pas une organisation commune des marchés ( 1 ), mais un règlement portant établissement d' une politique commune des structures à travers la coordination des politiques de structure des États membres .

30 . Les principes posés par la Cour dans les arrêts précités valent a fortiori dans pareil cas .

31 . B - La juridiction nationale se réfère également à l' article 100 de l' acte d' adhésion et à l' article 6, paragraphe 1, du règlement n°*170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche ( JO L*24, p.*1 ). Ces articles autorisent expressément les États membres à déroger, en ce qui concerne leurs zones côtières, désormais fixées à douze milles marins, au principe susmentionné de l' égalité d' accès de tous les
pêcheurs de la Communauté dans les eaux maritimes des autres États membres .

32 . Permettant à un État membre d' exclure de ses zones de pêche côtières les navires de pêche immatriculés dans les autres États membres, ces dispositions sont à l' évidence étrangères à la question de savoir si un État membre peut éventuellement soumettre à des conditions ou interdire l' exercice de la pêche par ses propres navires dans cette même zone réservée .

33 . C - Il nous reste à examiner, enfin, si l' article 102 de l' acte d' adhésion de 1972 est de nature à priver les États membres de la compétence d' adopter une législation telle que celle en cause ici .

34 . En vertu de l' article 102 de l' acte d' adhésion de 1972m qui dispose que, "au plus tard à partir de la sixième année après l' adhésion, le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, détermine les conditions d' exercice de la pêche en vue d' assurer la protection des fonds et la conservation des ressources biologiques de la mer", la compétence pour prendre des mesures destinées à la conservation des ressources maritimes appartient pleinement et définitivement à la Communautém et ce à
partir du 1er janvier 1979 .

35 . C' est ce que la Cour a confirmé dans toute une série d' arrêts ( 2 ).

36 . Il en résulte que "les États membres ne sont donc plus en droit d' exercer une compétence propre en matière de mesures de conservation dans les eaux relevant de leur juridiction" et que "l' institution de telles mesures, avec les limitations qu' elles impliquent pour les activités de pêche, dépend, à partir de cette échéance, du droit de la Communauté ". De même, "les ressources auxquelles les pêcheurs des États membres ont un égal droit d' accès doivent désormais être soumises aux règles du
droit communautaire" ( 3 ).

37 . En raison de l' absence de toute réglementation communautaire, malgré l' expiration de la période transitoire prévue à l' article 102 de l' acte d' adhésion, la Cour avait, à l' époque, reconnu aux États membres encore une compétence intérimaire pour prendre des mesures nationales de conservation, qu' ils devaient toutefois exercer comme "gestionnaires de l' intérêt commun ".

38 . Depuis lors, cependant, une réglementation communautaire a été adoptée en la matière : il s' agit précisément du règlement n°*170/83, précité, du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de la pêche . C' est cette réglementation qui est donc dorénavant applicable et qui est pertinente pour la présente affaire .

39 . Afin d' être à même d' apprécier si la compétence exclusive de la Communauté de prendre les mesures nécessaires à la conservation des ressources biologiques de la mer exclut l' adoption, par un État membre, d' une réglementation du type de celle en cause ici, il importe de définir la notion de "mesures de conservation ".

40 . Le sens de cette expression peut être trouvé dans le règlement n°*170/83 et les règlements adoptés pour mettre en oeuvre ce dernier, à savoir :

- le règlement n°*171/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, prévoyant certaines mesures techniques de conservation des ressources de pêche ( JO L*24 du 27.1.1983, p.*14 );

- le règlement n°*172/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, fixant, pour certains stocks ou groupes de stocks de poissons évoluant dans la zone de pêche de la Communauté, les totaux admissibles de capture pour 1982, la part des captures disponible pour la Communauté, la répartition de cette part entre les États membres et les conditions dans lesquelles les totaux admissibles de capture peuvent être pêchés ( JO L*24 du 27.1.1983, p.*30 ), et des règlements qui, depuis lors, ont fixé chaque année les
totaux admissibles de capture ( TAC ) et leur répartition entre les États membres ( quotas ).

41 . Il résulte de ces textes que les mesures en question peuvent comporter, pour chaque espèce ou groupe d' espèces de poissons :

- l' établissement de zones où la pêche est interdite ou limitée à certaines périodes, à certains types de navires, à un nombre total de navires de chaque État membre pouvant exercer la pêche simultanément, à certains engins de pêche ou à certaines utilisations des captures;

- la fixation de normes en matière d' engins de pêche;

- la fixation d' une taille ou d' un poids minimal par espèce;

- une réglementation sur les prises accessoires;

- la limitation de l' effort de pêche, en particulier par la limitation des captures susceptibles d' être effectuées par la flotte de pêche de chaque État membre .

42 . Seul le premier et le dernier de ces points sont susceptibles de nous intéresser ici .

43 . a)*Il résulte de ce qui précède ainsi que de la jurisprudence de la Cour ( arrêt du 10 juillet 1984, Regina/Kirk, 63/83, Rec . p.*2689, point 19 ) qu' une mesure qui règle les conditions d' accès ou d' exercice de la pêche peut, dans certains cas, répondre à un souci de conservation des ressources halieutiques .

44 . Il est cependant clair que la mesure prise par l' Irlande ne répond pas à un tel souci . Elle ne vise pas à protéger les espèces de poissons ( ce but est atteint par la fixation de quotas et de mesures techniques de conservation ), mais à assurer un niveau de vie équitable aux ressortissants des États membres qui tirent leurs ressources de la pêche en mer ( voir le cinquième considérant du règlement n°*101/76 ).

45 . Aussi, l' article 102 de l' acte d' adhésion et la jurisprudence de la Cour qui consacrent la compétence exclusive de la Communauté en matière de conservation des ressources de la pêche ne trouvent-ils pas à s' appliquer en l' espèce .

46 . b)*Même si l' on adoptait le point de vue contraire, on ne pourrait pas conclure à l' incompatibilité de la mesure en question avec le droit communautaire .

47 . En effet, pour autant que Pesca Valentia pêche des espèces soumises à quota, la mesure incriminée est couverte par l' article 5, paragraphe 2, du règlement n°*170/83, qui laisse le soin aux États membres de déterminer, en conformité avec les dispositions communautaires applicables, les modalités d' utilisation des quotas qui leur ont été attribués .

48 . Cela a été confirmé par l' arrêt de la Cour du 3 octobre 1985 ( Rederij L . de Boer/Produktschap voor Vis en Visprodukten, 207/84, Rec . p.*3203 ). Dans cette affaire, la Cour a statué que,

"dans la mesure où une réglementation nationale contrôle le nombre de navires qui pourraient partir à la pêche au hareng en fixant comme critère d' admission au quota la capacité du pêcheur-demandeur de transformer à bord le hareng pêché en hareng vierge ( à savoir en hareng légèrement salé et caqué ), ladite réglementation constitue une modalité d' utilisation du quota au sens de l' article 5, paragraphe 2, du règlement n°*170/83 qui relève de la compétence des États membres et est en conformité
avec les dispositions et l' objectif dudit règlement ..." ( point*28 ).

49 . De même, dans l' hypothèse où un État membre s' est vu attribuer un quota pour une espèce ou un groupe d' espèces de poissons, il est compétent pour subordonner l' accès de ses bateaux à ce quota à certaines conditions relatives à la composition des équipages .

50 . En second lieu, pour autant que les bateaux de Pesca Valentia souhaiteraient pêcher des espèces pour lesquelles des quotas n' ont pas été fixés par la Communauté, la condition incriminée ne saurait pas non plus donner lieu à critique . Un État membre peut interdire ou limiter le droit des bateaux battant son propre pavillon de capturer de telles espèces . Cette possibilité est expressément confirmée, en ce qui concerne les mesures techniques, par l' article 20 du règlement n°*171/83, précité,
où nous lisons ce qui suit :

"Le présent règlement s' applique sans préjudice de mesures techniques nationales allant au-delà de ses exigences minimales qui ne concernent que les pêcheurs de l' État membre considéré et qui sont destinées à assurer une meilleure gestion ou une meilleure utilisation des quotas ou qui se rapportent à des espèces non soumises à des quotas ou à des espèces pour lesquelles le présent règlement ne prévoit pas de mesures spécifiques, pour autant qu' elles soient compatibles avec le droit communautaire
et conformes à la politique commune de la pêche ."

51 . Ce qui vaut pour des mesures techniques doit nécessairement valoir aussi pour une mesure du type de celle adoptée par l' Irlande . Ainsi que nous le verrons à propos de la seconde question, cette mesure est en effet compatible avec le droit communautaire .

52 . Je voudrais cependant souligner encore une fois qu' à mon avis la réglementation irlandaise ne constitue pas une mesure de conservation .

53 . Sur la base de toutes les considérations qui précèdent, j' estime pouvoir conclure qu' aucune des dispositions de droit communautaire citées par la juridiction de renvoi dans sa première question n' interdit à un État membre d' adopter une législation prescrivant que les navires y immatriculés ne peuvent exercer la pêche en mer qu' à condition que leurs équipages comportent une proportion minimale de ressortissants de la Communauté .

II - Le problème de la discrimination ( seconde question préjudicielle )

54 . La seconde question posée par la High Court de Dublin porte sur le point de savoir si une législation du type de celle qui est en vigueur en Irlande constitue une discrimination exercée en raison de la nationalité, interdite en vertu de l' article 7 du traité CEE .

55 . Or, il est difficile de comprendre de quelle façon une clause qui ne fait aucune distinction entre les ressortissants irlandais et ceux des autres États membres puisse engendrer des discriminations entre ressortissants de la Communauté . Cette clause ne fait-elle pas précisément application du principe de non-discrimination?

56 . Les requérants soutiennent cependant qu' une première discrimination existerait au détriment des entreprises de pêche britanniques, parce qu' elles ne sont pas admises à pêcher dans les eaux irlandaises si leurs équipages ne sont pas, aussi, composés à concurrence de 75 % de ressortissants de la Communauté .

57 . A ce propos, on doit constater tout d' abord que la question posée par la High Court de Dublin ne porte pas sur cet aspect de la législation irlandaise .

58 . Il y a lieu de noter, en second lieu, que le traitement réservé en l' espèce aux navires immatriculés au Royaume-Uni n' est pas différent, en ce qui concerne les conditions en matière de composition des équipages, de celui applicable aux bateaux de la demanderesse au principal ou, pour reprendre les termes utilisés à l' article 2, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n°*101/76, que le régime appliqué par l' Irlande à l' exercice de la pêche dans les eaux maritimes relevant de sa souveraineté ou
de sa juridiction n' entraîne aucune différence de traitement à l' égard du Royaume-Uni .

59 . Trois autres types de discrimination semblent avoir été allégués :

- une discrimination en faveur de sociétés concurrentes d' autres États membres où une législation similaire n' existe pas;

- une discrimination en faveur d' autres entreprises irlandaises qui, en raison de la nature de leurs activités de pêche, ne sont pas affectées par une condition similaire;

- une discrimination à l' encontre des ressortissants d' autres États membres, le titulaire d' une licence assortie de la condition des 75 % se voyant en pratique obligé de recruter des pêcheurs irlandais, étant donné que ses activités se déroulent dans les eaux de ce pays .

60 . Or, aucune de ces disparités de traitement ne tombe sous le coup de l' interdiction de l' article 7 du traité CEE .

61 . a)*Dans son arrêt du 3 juillet 1979 dans les affaires jointes 185 à 204/78 ( Van Dam e.a ., Rec . p.*2345 ), la Cour a expressément statué qu' "on ne saurait considérer comme contraire au principe de non-discrimination l' application d' une législation nationale, dont la conformité au droit communautaire n' est par ailleurs pas contestée, en raison de la circonstance que, prétendûment, d' autres États membres appliqueraient des dispositions moins rigoureuses . Des inégalités de ce genre *... ne
sauraient fonder le reproche de discrimination à l' égard de dispositions d' un État membre qui ( les ) applique de manière égale, à l' égard de toute personne relevant de sa juridiction ..." ( point*10 ).

62 . La législation irlandaise n' est donc pas discriminatoire du fait qu' elle impose aux navires immatriculés en Irlande des conditions que des législations d' autres États membres n' imposent pas aux navires qui y sont immatriculés .

63 . b)*L' article 7, qui prohibe "toute discrimination exercée en raison de la nationalité", n' est pas applicable à des disparités de traitement affectant des ressortissants d' un même État membre . De telles différences de traitement, qui ont leur cause exclusivement dans la législation d' un État membre, ne relèvent pas du droit communautaire .

64 . c)*Quant à l' avantage pratique dont bénéficieraient les marins-pêcheurs irlandais lors de l' embauche, il y a lieu de rappeler que dans son arrêt du 18 mars 1980 ( Procureur du roi/Debauve, 52/79, Rec . p.*833 ), la Cour a déclaré que "de telles différences, dues à des phénomènes naturels, ne sauraient cependant être qualifiées de 'discrimination' au sens du traité, celui-ci ne qualifiant de la sorte que les différences de traitement résultant des activités humaines, et notamment de mesures
prises par les autorités publiques" ( point*21 ).

65 . Le fait donc que, pour des raisons pratiques, les ressortissants irlandais se trouvent dans une position plus favorable que les ressortissants des autres États membres au moment du recrutement, par des entreprises de pêche irlandaises, de pêcheurs devant faire partie des équipages de navires exerçant leur activité dans les eaux irlandaises ne peut être qualifié de discriminatoire .

66 . Aucune des prétendues disparités de traitement ou inégalités ne relève donc de l' article 7 du traité CEE .

67 . J' estime, enfin, qu' il n' est pas nécessaire que la Cour prenne position au sujet du problème soulevé par la Commission, à savoir l' incompatibilité éventuelle de la législation irlandaise avec l' article 11 du règlement n°*1612/68 du Conseil, relatif à la libre circulation des travailleurs, et l' article 7 du règlement n°*1251/70 de la Commission, relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d' un État membre après y avoir occupé un emploi . En effet, nous ne nous trouvons
pas ici dans le cadre d' une procédure en manquement . D' autre part, ce problème n' a pas été évoqué par la juridiction de renvoi, ce qui laisse supposer qu' il ne s' est pas présenté dans l' instance au principal . Enfin, c' est un problème tout à fait marginal . En effet, il ne pourrait surgir qu' au cas où le dépassement du pourcentage admis de 25 % de ressortissants de pays tiers ne serait dû qu' au recrutement d' un ou plusieurs marins-pêcheurs ayant épousé des Irlandaises . Rien ne permet de
prévoir, à ce stade, que les autorités irlandaises ne seraient pas prêtes à considérer de tels membres de l' équipage comme des pêcheurs irlandais .

III - Conclusions

68 . Pour toutes les considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux deux questions posées par la High Court de Dublin :

"1 ) Ni les articles 100 et 102 de l' acte d' adhésion de 1972 ,ni les articles 1er et 2, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n°*101/76, ni l' article 6 du règlement ( CEE ) n°*170/83 n' interdisent à un État membre d' adopter une législation exigeant que les équipages des navires immatriculés dans cet État membre et dont l' activité de pêche s' exerce dans les eaux maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction du même État membre comportent une proportion minimale de ressortissants de
la Communauté .

2 ) Une telle législation ne saurait être considérée comme établissant une quelconque discrimination exercée en raison de la nationalité, interdite par l' article 7 du traité ."

( 1 ) L' organisation commune de marché dans le secteur de la pêche fait l' objet du règlement n°*3796/81 du Conseil, du 29 décembre 1981 ( JO L*379 du 31.12.1981, p.*1 ).

( 2 ) Affaire 804/79, Commission/Royaume-Uni, arrêt du 5 mai 1981, Rec . p.*1045; affaire 124/80, Officier van Justitie/Van Dam, arrêt du 2 juin 1981, Rec . p.*1447; affaire 269/80, Regina/Tymen, arrêt du 16 décembre 1981, Rec . p.*3079; affaire 21/81, Ministère public/Bout, arrêt du 10 février 1982, Rec . p.*381; affaire 87/82, Rogers/Barthenay, arrêt du 11 mai 1983, Rec . p.*1579; affaire 24/83, Gewiese et Mehlick/Scott Mackenzie, arrêt du 14 février 1984, Rec . p.*817 .

( 3 ) Voir arrêt du 5 mai 1981 dans l' affaire 804/79, point 18, Rec . p.*1073 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 223/86
Date de la décision : 22/09/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande.

Pêche - Équipages de bateaux.

Adhésion

Politique de la pêche

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Pesca Valentia Limited
Défendeurs : Ministre de la Pêche et des Forêts d'Irlande et Attorney general.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:381

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