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01/07/1987 | CJUE | N°176

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 1 juillet 1987., Arlette Houyoux et Marie-Catherine Guery contre Commission des Communautés européennes., 01/07/1987, 176


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JOSÉ LUÍS DA CRUZ VILAÇA

présentées le 1er juillet 1987 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  I — Les présents recours sont dirigés contre deux décisions de la Commission refusant d'octroyer aux requérantes tout ou partie de l'indemnité de logement prévue à l'article 14 bis de l'annexe VII du statut des fonctionnaires.

...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JOSÉ LUÍS DA CRUZ VILAÇA

présentées le 1er juillet 1987 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  I — Les présents recours sont dirigés contre deux décisions de la Commission refusant d'octroyer aux requérantes tout ou partie de l'indemnité de logement prévue à l'article 14 bis de l'annexe VII du statut des fonctionnaires.

2.  Les requérantes, Ariette Houyoux et Marie-Catherine Guery, fonctionnaires de la Commission, ont été affectées à la délégation de cette institution auprès de l'OCDE à Paris, la première du 1er juillet 1982 au 30 avril 1985 comme secrétaire de grade C 2 et la deuxième du 1er juillet 1981 au 31 août 1985 comme secrétaire de grade C 3.

3.  La ville de Paris est un des lieux d'affectation où les conditions de logement sont reconnues particulièrement difficiles, raison pour laquelle, aux termes de l'article 14 bis, précité, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires et de l'article 2 du règlement n° 6/66/Euratom, 121/66/CEE du Conseil, du 28 juillet 1966, une indemnité de logement peut être attribuée.

4.  La première requérante n'a sollicité l'octroi de l'indemnité que le 21 octobre 1985, soit après avoir quitté le logement qu'elle occupait à Paris; la deuxième requérante a introduit sa demande le 3 juin 1985, soit encore pendant son séjour à Paris.

5.  Les deux demandes concernaient explicitement ou implicitement l'intégralité de la période d'installation à partir de la date d'entrée en fonctions des requérantes à Paris.

6.  Dans le premier cas, la Commission a rejeté intégralement la demande introduite, au motif que l'indemnité ne pouvait être accordée avec effet rétroactif; dans le deuxième cas, elle a fait droit à la demande avec effet seulement au 1er juin 1985, en justifiant implicitement le refus par le même motif que dans le premier cas.

7.  Conformément à l'article 90, paragraphe 2, du statut, les deux intéressées ont introduit des réclamations contre les décisions de l'administration et aucune réponse ne leur est parvenue.

8.  Les requérantes demandent maintenant à la Cour d'annuler les décisions de rejet et de condamner la Commission à verser l'indemnité pour la durée totale de leur affectation à Paris, majorée des intérêts moratoires au taux de 8 % l'an à partir de la date d'exigibilité de chaque prestation jusqu'au jour du paiement effectif.

9.  Les requérantes ont fondé leurs recours sur différents moyens et arguments, que nous allons maintenant analyser.

10.  II — L'argument principal des requérantes est tiré de la violation du statut et du règlement n° 6/66/Euratom, 121/66/CEE du Conseil, du 28 juillet 1966 (ci-après « règlement de 1966 »).

11.  A — Les requérantes font valoir que, aux termes de l'article 14 bis de l'annexe VII du statut et des articles 2 et 4 du règlement de 1966, l'indemnité de logement est due de plein droit dès lors que sont réunies les conditions objectives prévues, relatives au lieu d'affectation et à la part des rémunérations consacrées au paiement du loyer. En d'autres termes, la demande n'est pas une condition préalable dont dépend l'existence du droit à l'indemnité et la Commission ne dispose d'aucune marge
d'appréciation relativement à ces conditions.

Dans la duplique, la Commission a fini par admettre que la compétence de 1'AIPN était une compétence liée; en effet, bien que les articles 1er et 2 du règlement de 1966 ouvrent seulement la possibilité d'accorder l'indemnité (« peut bénéficier », « peut être accordée ») et que l'article 3 permette de limiter à un montant déterminé le loyer pris en considération pour le calcul de l'indemnité de logement, les termes dans lesquels l'article 4 est rédigé (« l'indemnité de logement est accordée...»)
ne laissent subsister aucun doute quant aux droits des fonctionnaires qui remplissent les conditions prévues dans l'article en question.

12.  B — Toutefois, selon la Commission, il ne s'ensuit pas que l'indemnité de logement peut être accordée avec effet rétroactif: dans ce cas, ľ AIPN n'aurait pas la possibilité d'examiner que les conditions d'octroi de l'indemnité sont remplies et de calculer le montant de ladite indemnité avant d'accorder celle-ci; en outre, admettre que l'octroi de l'indemnité a un effet rétroactif aurait pour conséquence que les fonctionnaires pourraient la demander à n'importe quel moment, sans respecter les
délais statutaires.

13.  En revanche, selon les requérantes, rien ne s'oppose à ce que l'indemnité soit accordée avec effet rétroactif, dès lors qu'il est constaté que les conditions d'octroi étaient réunies pendant la période pour laquelle l'indemnité est demandée. D'autre part, comme elles l'ont souligné à l'audience, il serait absurde d'invoquer la violation de délais, étant donné que, selon elles, aucun délai n'est fixé à cet égard.

14.  C — En ce qui concerne le premier aspect du problème (à savoir la rétroactivité), il est indéniable qu'aux termes de l'article 3 du règlement de 1966 l'AIPN doit examiner les conditions de logement, en rapport avec les besoins du fonctionnaire, « avant toute attribution de l'indemnité ».

15.  Toutefois, la possibilité d'accorder l'indemnité pour une période déjà écoulée n'a pas pour effet de rendre impossibles les vérifications et le contrôle préalables dont il y est question. L'indemnité ne peut évidemment pas être accordée sans vérification préalable des conditions, mais: a) rien n'empêche que cette vérification porte sur une période écoulée; b) lorsqu'il est constaté que ces conditions sont remplies, rien n'empêche que l'indemnité à accorder couvre cette période.

16.  Du reste, comme l'agent de la Commission l'a précisé à l'audience, le contrôle n'est effectué que sur la base du contrat de bail, d'autres vérifications n'étant effectuées qu'en cas de doute.

17.  Du reste, on peut peut-être dire que, dans une certaine mesure, l'octroi de l'indemnité de logement sera toujours, en règle générale, un acte ayant un effet rétroactif. Ce n'est que si la demande a été présentée, les vérifications nécessaires effectuées et la décision d'octroi prise avant l'entrée en fonctions du fonctionnaire dans son nouveau lieu d'affectation qu'il n'y aura pas d'effet rétroactif. Dans ce cas, l'indemnité pourra être accordée avec effets à partir de la date d'installation
elle-même, sans que la décision d'octroi ait un quelconque effet rétroactif.

18.  Toutefois, cela impliquera que le fonctionnaire en question ait déjà trouvé un logement dans son nouveau lieu d'affectation, ce qui n'est certainement pas la règle, surtout lorsqu'il s'agit d'un lieu « où les conditions de logement sont reconnues particulièrement difficiles ». Normalement, le fonctionnaire transféré n'introduira une demande d'indemnité qu'après son entrée en fonctions et son installation effective dans son nouveau lieu d'affectation.

19.  Il n'y a alors aucune raison de ne pas accorder l'indemnité à partir de la date d'installation, même si ladite indemnité n'a pas été demandée dans le courant du mois de l'installation et si l'examen de cette demande est intervenu, par hasard, plusieurs mois plus tard (ce qui a été le cas pour la requérante Guery, à la demande de laquelle la Commission n'a répondu que quatre mois plus tard).

20.  Nous estimons pouvoir effectivement nous rallier à l'opinion des requérantes selon laquelle l'introduction de la demande n'est pas une condition d'existence du droit à l'indemnité, résultant du statut. Toutefois, la demande constitue la voie normale et adéquate pour faire valoir ce droit (moyen d'« exercice du droit »), étant donné que, selon nous — sans préjudice des observations que nous ferons plus loin au sujet du comportement de l'administration —, on ne doit pas imposer à
l'administration, dans tous les cas et dans des circonstances normales, l'obligation d'accorder l'indemnité d'office. L'usage du terme « peut » dans le statut et le règlement de 1966 ainsi que la considération des conditions d'octroi de l'indemnité sont instructifs à cet égard.

21.  Quoi qu'il en soit, il n'y a pas lieu d'examiner seulement l'affirmation de la Commission dans sa réponse à la demande de la requérante Houyoux, à savoir que l'indemnité « ne peut pas être accordée avec effet rétroactif», mais aussi sa position concernant la demande de la requérante Guery, qui est basée sur l'idée que, pour pouvoir être accordée depuis le début, l'indemnité devrait être demandée au cours du premier mois qui suit l'installation.

22.  D — Or, la Commission soutient que la possibilité d'accorder l'indemnité avec effet rétroactif aurait pour conséquence que les fonctionnaires pourraient la demander n'importe quand, ce qui serait contraire aux délais statutaires. Elle a encore fait remarquer à l'audience que, si l'existence du droit au subside était reconnue depuis la date à laquelle les conditions d'octroi sont remplies, la décision susceptible d'annulation serait concrétisée dans la première fiche de traitement qui n'a pas
inclus le montant de l'indemnité, ce qui fait que les délais de contestation seraient déjà dépassés.

23.  Or, la Commission n'indique pas quels délais statutaires sont, selon elle, susceptibles d'être violés. L'article 90, paragraphe 1, du statut ne prescrit aucun délai pour l'introduction d'une réclamation et, si la réglementation d'application contient certains exemples de prescription de délais (ainsi: l'article 13, paragraphe 1, de la « réglementation relative à la couverture des risques de maladie des fonctionnaires des Communautés européennes »; les articles 16, paragraphe 2, et 17,
paragraphe 1, de la « réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes »), tel n'est pas le cas du règlement de 1966 relatif à l'indemnité de logement.

24.  En ce qui concerne l'autre allégation, qui est basée sur le décompte des délais de recours à partir de la fiche de traitement, elle constituerait un motif d'irrecevabilité de la réclamation et du recours qui, invoquée seulement au cours de l'audience, doit être considérée comme étant invoquée en dehors des délais, eu égard à la disposition de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure.

25.  A notre avis, cette allégation n'est absolument pas pertinente, étant donné qu'il serait absurde d'exiger des requérantes qu'elles se rendent compte, au vu de leur fiche de traitement, qu'elles n'ont pas reçu une indemnité qui pourrait seulement être attribuée sur la base d'informations et d'éléments de preuve que seul l'intéressé peut fournir, après que l'administration eut effectué les contrôles nécessaires, et, surtout, une indemnité dont les requérantes ignoraient encore l'existence.

26.  Du reste, il ne faut pas oublier que, même lorsque la Cour a considéré que la fiche mensuelle de traitement pouvait avoir pour effet de faire courir les délais de recours, elle a limité cette possibilité aux cas où « cette fiche fait apparaître clairement la décision prise » ( 1 ).

27.  Les requérantes ont encore invoqué l'arrêt de la Cour dans l'affaire Hochstrass ( 2 ) ; nous estimons que, nonobstant les particularités de chaque situation litigieuse, la doctrine que cet arrêt a consacrée peut, mutatis mutandis, être transposée dans notre affaire. En effet, la procédure précitée mettait en cause le respect du délai de réclamation dans un cas où l'administration avait refusé d'accorder l'indemnité d'expatriation à un fonctionnaire, sur la demande présentée par celui-ci,
conformément à l'article 90, paragraphe 1, du statut, l'AIPN n'ayant pas inclus le requérant dans la liste des fonctionnaires visés par l'indemnité en question, en exécution du règlement n° 912/78. La Cour a affirmé dans cet arrêt qu'il résultait du mécanisme créé par l'article 90, paragraphes 1 et 2, du statut que, « dans le cas d'un acte de caractère général destiné à être mis en œuvre au moyen d'une série de décisions individuelles affectant de nombreux fonctionnaires d'une institution, la
non-application de cette mesure d'ordre général à un cas particulier ne saurait être considérée comme une décision, même implicite, de rejet à une demande telle que prévue par l'article 90, paragraphe 1 », le délai de recours étant donc calculé à partir de la date du rejet, explicite ou implicite, de la réclamation.

28.  Il est certain que la Cour a aussi eu le souci d'éviter que l'article 90, paragraphe 1, soit utilisé pour tourner les délais de réclamation et de recours prévus aux articles 90, paragraphe 2, et 91, paragraphe 3. C'est la raison pour laquelle elle a affirmé récemment dans l'arrêt Esly ( 3 ) que, selon une jurisprudence constante, la faculté d'introduire une réclamation en vertu de l'article 90, paragraphe 1, ne permettait pas au fonctionnaire d'écarter les délais prévus par les articles 90 et
91 pour l'introduction d'une réclamation et d'un recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d'une demande, une décision antérieure qui n'avait pas été contestée dans les délais.

29.  Toutefois, cette doctrine n'est pas applicable au cas sub judice, étant donné que, comme il a été dit, il n'y a pas eu de décision antérieure contre laquelle les intéressés auraient pu former un recours.

30.  Ce qui est en cause en l'espèce, c'est de savoir s'il y a eu dépassement du délai pour solliciter l'octroi de l'indemnité, de sorte que celle-ci ne devait pas être accordée ou ne devait être accordée qu'à partir du début du mois au cours duquel la réclamation a été introduite.

31.  E — De ce point de vue, outre tout ce qui a déjà été dit, il faut souligner l'existence d'un certain nombre de circonstances qui contribuent à expliquer pourquoi les requérantes n'ont pas sollicité l'indemnité immédiatement après leur installation, mais seulement beaucoup plus tard.

32.  En effet, s'il est vrai qu'à l'instar de tous les autres fonctionnaires les requérantes ont reçu, à l'époque de leur entrée en fonctions, un exemplaire du statut, il est vrai aussi qu'elles ont reçu un « vade-mecum à l'usage des fonctionnaires mutés à une délégation ou un bureau de presse de la Commission », contenant des informations susceptibles d'induire en erreur les fonctionnaires auxquels ce vade-mecum est remis.

33.  En effet, le point 9 du vade-mecum précité, inclus sous le titre « I — Remboursement de frais dus à la mutation — Indemnités diverses », est le seul qui se réfère à la matière des indemnités de logement, sous l'intitulé « Indemnités pour frais de logement (en dehors des pays membres des CE) ».

34.  En ce qui concerne les conditions d'octroi de cette indemnité, le point 9 en question renvoie à une annexe contenant une « instruction interne de service », du 1er janvier 1980; celle-ci mentionne uniquement l'indemnité prévue à l'article 14, paragraphe 1, alinéa 2, de l'annexe VII du sutut, sans faire aucune mention de l'indemnité visée à l'article 14 bis de la même annexe VII.

35.  En d'autres termes, l'administration remet au fonctionnaire détaché dans une délégation de la Commission dans un des États membres de la Communauté un « vade-mecum » citant comme seule indemnité de logement celle indiquée comme étant exigible seulement dans les pays non membres de la CEE, circonstance qui est confirmée par le renvoi à une instruction de service, qui cite une disposition (l'article 14) renvoyant à des cas particuliers n'ayant rien à voir avec la situation des requérantes.

36.  Dans ces conditions, on peut admettre que les informations fournies par l'administration étaient susceptibles d'induire en erreur deux fonctionnaires de grade C 2 et C 3 quant à l'existence du droit en cause.

37.  S'il est vrai que le « vade-mecum » ne se substitue pas au statut et, comme la Commission l'a affirmé, que rien ne garantit que tous les droits et avantages des fonctionnaires y sont mentionnés, toutefois, on ne saurait accepter l'argument de la Commission selon lequel les requérantes ont commis une « erreur inexcusable » en ce qu'elles n'ont pas découvert plus tôt la confusion, la contradiction ou l'information omise et que, par ce simple fait, elles perdraient tout ou partie du droit à
l'indemnité à laquelle elles pourraient prétendre à partir de leur entrée en fonctions. En effet, selon nous, il ne serait pas légitime de pénaliser un fonctionnaire pour le seul fait qu'il n'a pas mis en doute la compétence et la bonne foi de son administration.

38.  Cependant, une autre circonstance s'ajoute à celle que nous venons de mentionner. Le 29 janvier 1985, l'administration centrale de la Commission à Bruxelles a envoyé à la délégation auprès de l'OCDE une note accompagnée d'une copie du règlement n° 6/66/Euratom, 121/66/CEE, en attirant l'attention sur le fait que Paris était un des lieux d'affectation pour lesquels l'indemnité de logement pouvait être accordée et en ajoutant qu'« il serait intéressant de connaître les fonctionnaires qui
pourraient éventuellement en bénéficier ».

39.  La délégation à Paris n'a donné aucune suite à cette note, ce qui est d'autant plus étrange qu'elle est une petite unité, regroupant seulement onze fonctionnaires au total.

40.  III — Les considérations ci-dessus sont suffisantes pour nous permettre de formuler dès à présent les conclusions suivantes:

1) l'introduction de la demande d'indemnité n'est soumise à aucun délai expressément prévu, la position de la Commission qui, se basant sur de prétendus délais statutaires, fait commencer les effets de la décision d'octroi au début du mois au cours duquel la demande a été introduite n'étant pas fondée;

2) rien n'empêche, en principe, de reconnaître le droit à l'indemnité avec effet à partir d'une date antérieure à celle de l'introduction de la demande, dès lors que les conditions du sutut et du règlement de 1966 sont remplies, en particulier lorsque l'introduction tardive de la demande est pleinement justifiée par les circonstances du cas d'espèce;

3) l'administration est tenue de vérifier dans toute la mesure du possible que les conditions relatives à l'intégralité de la période couverte par le droit à l'indemnité sont remplies.

41.  Du reste, le « vade-mecum », dont nous avons parlé plus haut, nous fournit un argument supplémentaire à l'appui de ces conclusions. En effet, sous le point I, « Prise d'effet des droits », il est dit que « la date d'effet des droits aux indemnités ... est fixée par référence à la date de Prise de fonctions ( 4 ) (date qui ne peut pas être antérieure à la date d'effet de la décision de mutation) ».

42.  IV — A notre avis, les conclusions auxquelles nous avons abouti s'appliquent indéniablement à la demande d'annulation présentée par la fonctionnaire Marie-Catherine Guery dans l'affaire 177/86.

43.  En effet, cette fonctionnaire a introduit sa demande d'indemnité de logement encore au cours de son séjour à Paris, à l'époque où elle exerçait ses fonctions au service de la Commission dans cette ville.

44.  L'administration a admis que les conditions d'octroi de l'indemnité étaient remplies, de sorte qu'elle l'a accordée, tout en refusant de l'accorder avec effet rétroactif.

45.  Nous pensons donc que la demande doit faire l'objet d'une nouvelle appréciation, l'octroi de l'indemnité étant obligatoire avec effet à partir de la date de l'installation dans le cas où il se confirmerait que les conditions d'octroi étaient remplies depuis cette date.

46.  V — En revanche, le cas de la requérante dans l'affaire 176/86, Ariette Houyoux, est quelque peu différent.

47.  En effet, cette fonctionnaire n'a présenté sa demande que près de six mois après avoir cessé ses fonctions à Paris et avoir été de nouveau transférée à Bruxelles.

48.  Or, nous sommes d'avis qu'on ne saurait déduire automatiquement de l'absence d'un délai pour solliciter le versement de l'indemnité de logement que le droit d'introduire pareille demande se maintient ad eternum.

49.  Les exigences même de la sécurité juridique imposent qu'il en soit ainsi: dans le cas contraire, les institutions pourraient se voir opposer à tout moment des demandes présentées longtemps après la fin de la situation qui y a donné lieu, voire après la cessation des fonctions des fonctionnaires concernés.

50.  On peut raisonnablement penser qu'en principe le législateur n'a pas voulu étendre la faculté de solliciter l'indemnité de logement visée à l'article 14 bis de l'annexe VII du statut au-delà de la fin de la période au cours de laquelle elle était exigible, en particulier après que le fonctionnaire a cessé ses fonctions « dans le lieu où les conditions de logement sont reconnues particulièrement difficiles » et a été transféré dans un autre lieu, en abandonnant son logement précédent.

51.  C'est ce qu'indiquent les termes mêmes de l'article 14 bis, précité, et du règlement pris pour son application, qui se réfèrent toujours, au présent, au « fonctionnaire affecté dans un lieu où... » et au « fonctionnaire qui consacre au paiement de son loyer... ».

52.  Il est permis d'affirmer que l'hypothèse contraire était étrangère aux prévisions du législateur, ce qui était naturel, compte tenu des exigences du contrôle et des problèmes liés à la preuve du droit à l'indemnité.

53.  Les inconvénients d'une solution différente sont du reste illustrés dans le cas d'espèce par le fait que la requérante Houyoux avait égaré son contrat de bail et avait transféré sa résidence à Bruxelles, il y a près de six mois.

54.  Or, si telle nous paraît être la règle, nous sommes d'avis que la solution peut être différente dans des cas spéciaux.

55.  Tel sera à l'évidence le cas lorsque le fonctionnaire ayant droit à l'indemnité a été empêché d'introduire sa demande dans les délais, pour une raison de force majeure créant un obstacle pratiquement insurmontable ou lorsqu'il a été victime d'un dol ou d'une négligence grave de la part de l'administration (du fait, par exemple, d'une information inexacte) ayant pour but ou effet direct de l'empêcher d'introduire sa demande dans les délais.

56.  Or, selon nous, tel sera aussi le cas lorsque, en l'absence d'un obstacle insurmontable ou d'un empêchement absolu (l'intéressée pouvait toujours s'informer de ses droits par une autre voie), l'administration, commettant une faute grave, n'a pas adopté un comportement qui, s'il l'avait été, aurait permis au fonctionnaire de faire valoir ses droits dans les délais.

57.  Or, tout bien considéré, nous pensons que le cas d'espèce peut relever d'une situation de ce genre.

58.  En fait, sans qu'il soit nécessaire d'étendre le « devoir de sollicitude » ou d'« équité » de l'administration à l'égard de ses fonctionnaires au point d'y inclure l'obligation d'informer avec précision, individuellement et dans chaque cas, les fonctionnaires de leurs droits statutaires, après leur avoir remis un exemplaire du statut, il est certain que dans le cas d'espèce la délégation de la Commission à Paris, à laquelle il incombait de verser l'indemnité, a eu son attention attirée par
Bruxelles sur les conditions d'octroi en question et une suggestion, ou sollicitation, formelle et évidente, en ce sens qu'il s'agissait de vérifier quels étaient les fonctionnaires pouvant éventuellement bénéficier de l'indemnité.

59.  Il est surprenant que la délégation de Paris n'ait donné aucune suite à la note de Bruxelles; si elle l'avait fait, la requérante Houyoux se serait aperçue à temps qu'elle devait introduire sa demande avant son nouveau transfert à Bruxelles. Avec onze fonctionnaires à son service, l'administration ne peut vraisemblablement faire état d'aucune difficulté ou circonstance atténuante de nature à justifier sa négligence. Selon nous, en omettant d'agir après avoir reçu des instructions supérieures en
ce sens, l'administration a commis une grave faute de service, susceptible d'entraîner et ayant entraîné des préjudices matériels pour une fonctionnaire.

60.  Sans la négligence fautive de l'administration, la requérante Houyoux ne se trouverait certainement pas maintenant dans une position différente de celle de la requérante Guery. Dans ces conditions, il serait à notre avis contraire à l'équité de traiter les deux requérantes de manière différente.

61.  Quant à nous, le fait d'admettre, dans les circonstances du cas d'espèce, la requérante Houyoux — qui est restée au service de la même institution — au bénéfice de l'indemnité de logement depuis la date de son installation jusqu'à celle de la cessation de ses fonctions à Paris, dans le cas où elle établirait devant l'AIPN que toutes les conditions d'octroi de ladite indemnité étaient remplies, est donc non seulement une conséquence de la violation du devoir de bonne administration, mais aussi
conforme à l'exigence d'équité.

62.  Pour étayer la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, il est dans une certaine mesure légitime d'invoquer à titre de précédent l'arrêt Richez-Parise ( 5 ), cité à l'audience par l'avocat des requérantes. Il est certain que le parallélisme n'est pas valable sur tous les points: le cas sub judice ne soulève pas le problème de l'ouverture d'un nouveau délai pour permettre aux requérantes d'exercer un droit qu'elles n'avaient pas fait valoir en raison d'une information de l'administration,
basée sur une interprétation erronée des règlements. Dans cette affaire, l'ouverture d'un nouveau délai a été un moyen dont la Cour s'est servie pour indemniser les requérants (ceux-ci avaient demandé réparation du préjudice subi), en les mettant dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés sans le comportement fautif de l'administration. Selon la Cour, cette faute (la « faute de service ») n'a pas nécessairement consisté dans l'adoption d'une interprétation erronée et dans la
communication d'une information inexacte, mais plutôt dans la rectification tardive de celle-ci, de sorte que, sans ce retard, les requérants auraient pu prendre une décision et faire valoir leurs droits à temps.

63.  Dans le cas d'espèce, la faute de service réside selon nous dans l'absence même de toute information et, comme nous l'avons vu, il s'agit d'une faute claire et caractérisée parce qu'elle a entraîné le non-respect d'instructions dont le sens n'était pas douteux. Du fait de cette faute (qui témoigne d'un manque de scrupule dans l'exécution des devoirs à l'égard des fonctionnaires), les requérantes n'ont pas non plus eu l'occasion de connaître et de faire valoir leurs droits plus tôt (encore qu'on
ne puisse pas parler ici de délais de recours au sens strict).

64.  En tout état de cause, nous estimons que les deux affaires mettent en cause des exigences d'équité qui commandent l'adoption de solutions similaires.

65.  La requérante Houyoux peut être confrontée au problème de la preuve des conditions qui lui donneraient droit à l'indemnité; or, c'est avant tout à la Commission, agissant dans l'exercice de son pouvoir de contrôle, qu'il incombe d'apprécier la preuve apportée aux fins de la décision sur l'octroi de l'indemnité en question.

66.  D'autre part, nous ne pensons pas qu'il y ait lieu d'appliquer ici, de manière automatique, les indications contenues au point 9, sous a), du « vade-mecum » (le montant de l'indemnité est fixé « dès réception d'un bail signé » et la division compétente « doit être consultée sur le montant du loyer envisagé avant que le bail ne soit signé »), invoquées par la défenderesse dans la duplique. En effet, comme nous l'avons déjà dit, ces indications renvoient à une autre indemnité et sont contenues
dans un document — le « vade-mecum » — de caractère purement informaţii, et non normatif.

67.  VI — Eu égard à ce qui précède, il ne nous paraît pas nécessaire de nous pencher plus avant sur le recours que les requérantes font à titre subsidiaire aux principes généraux de droit, notamment les principes de confiance légitime, d'égalité et de justice distributive, ainsi qu'aux devoirs de sollicitude et d'équité.

68.  VII — Les requérantes demandent encore à la Cour de condamner la Commission à verser des intérêts moratoires au taux de 8 % l'an à compter de la date d'exigibilité de chaque prestation jusqu'au jour du paiement effectif.

69.  Nous pensons que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, les conditions pour accéder sur l'essentiel à cette demande sont remplies.

70.  En effet, bien que le droit communautaire ne prévoie pas la fixation légale d'intérêts moratoires, la Cour a admis, à la suite de sa première prise de position dans l'arrêt Campolongo ( 6 ), le principe de l'obligation des institutions à compenser le retard dans le paiement des sommes dues aux fonctionnaires par le versement d'intérêts moratoires.

71.  La Cour a même renoncé à son exigence initiale ( 7 ), à savoir l'exigence d'un comportement « particulièrement fautif » ou d'une « erreur grave » des institutions dans ses relations avec ses fonctionnaires, l'obligation de verser des intérêts moratoires découlant du fait objectif du retard (il incombera au débiteur de prouver qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour éviter le retard), indépendamment de la preuve d'un quelconque préjudice réel pour le créancier ( 8 ).

72.  Du reste, dans le présent cas d'espèce, la faute de l'administration nous paraît suffisamment prouvée. D'autre part, la dette de la Commission est exigible et suffisamment « determinable sur la base d'éléments objectivement établis » ( 9 ) pour justifier l'allocation d'intérêts moratoires. Sur la demande de la Cour, la Commission a, du reste, joint au procès l'indication précise des montants totaux dus aux requérantes à titre d'indemnité de logement.

73.  VIII — En ce qui concerne le taux des intérêts à allouer, nous pensons que, à l'instar de ce qui s'est passé dans la plupart des arrêts antérieurs de la Cour ( 10 ), il peut être fixé à 6 %, et ces intérêts seront exigibles à partir de la date des demandes présentées par les requérantes, date à laquelle le montant des indemnités aurait été versé si la Commission avait appliqué correctement la loi ( 11 ).

74.  IX — Eu égard à ce qui précède, nous vous proposons:

1) d'annuler les décisions de la Commission, qui ont été notifiées respectivement les 14 novembre et 16 octobre 1985, dans la mesure où elles n'ont pas fait droit, en tout ou en partie, en ce qui concerne les périodes écoulées, aux demandes des requérantes tendant à l'octroi de l'indemnité de logement;

2) de condamner la Commission à procéder à une nouvelle appréciation des demandes relativement aux périodes antérieures et à verser aux requérantes les indemnités de logement correspondantes, cela à partir de la date d'installation, à condition qu'il soit confirmé que toutes les conditions prévues à cet effet dans le règlement de 1966 sont remplies;

3) s'il est fait droit aux demandes précitées, de condamner la Commission à verser à titre d'intérêts moratoires 6 % des sommes en cause, ces intérêts étant dus à partir des dates de présentation des demandes d'octroi des indemnités de logement;

4) de condamner la Commission aux dépens, étant donné qu'elle a succombé sur l'essentiel de ses positions.

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( *1 ) Traduit du portugais.

( 1 ) Arrêt du 21 février 1974 dans les affaires jointes 15 a 33, 52. 53, 57 a 109, 116, 117, 123, 132 et 133 a 137/73, Scnots-Kortner/Conseil, Commission et Parlement, Rec. p. 177, 189.

( 2 ) Arret du 16 octobre 1980 dans l'affaire 147/79, Hoch-strass/Cour de justice, Rec. p. 3005, 3018.

( 3 ) Arrêt du 15 mai 1985 dans l'affaire 127/84, Esly/Commission, Rec. p. 1437, attendu 10.

( 4 ) En majuscules dans l'original.

( 5 ) Arrêt du 28 mai 1970 dans les affaires jointes 19, 20, 25 et 30/69, Richez-Parise/Commission, Rec. p. 325 et suiv.

( 6 ) Arrêt du 15 juillet 1960 dans les affaires jointes 17 et 39/59, Campolongo/Haute autorite, Rec. p. 795, 826 et 827.

( 7 ) Arrea du 20 février 1975 dans l'affaire 21/74, Airola/ Commission, Rec. p. 221, du 26 février 1976 dans l'affaire 101/74, Kurrer/Conseil, Rec. p. 259, du 1er juillet 1976 dans l'affaire 58/75, Sergy/Commission, Rec. p. 1139, du 13 octobre 1977 dans les affaires 106/76, Deboeck/Commission, Rec. p. 1623, et 14/77, Van den Branden/Commission, Rec p. 1683.

( 8 ) Arrets du 16 mars 1978 dans l'affaire 115/76, Leonardini/ Commission, Rec. p. 735, du 13 juillet 1978 dans l'affaire 114/77, Jacquemart/Commission, Rec. p. 1697, du 16 octobre 1980 dans les affaires jointes 63 et 64/79, Boizard/Commission, Rec. p. 2975, du 5 février 1981 dans l'affaire 40/79, P./Commission, Rec. p. 361, du 2 juillet 1981 dans l'affaire 185/80, Garganese/Commission, Rec. p. 1785, du 18 mars 1982 dans l'affaire 103/81, Chau-mont-Barthel/Parlement, Rec p. 1003, du 6 octobre 1982
dans l'affaire 9/81, Williams/Cour des comptes, Rec. p. 3301, du 5 mai 1983 dans l'affaire 785/79, Pizziolo/Commission, Rec. p. 1343, du 20 mars 1984 dans les affaires jointes 75 et 117/82, Razzouk/Commission, Rec. p. 1509 et arrea du 15 janvier 1985 dans l'affaire 158/79, Carpentier/Commission, dans les affaires jointes 532, 534, 567, 600, 618, 660/79 et 543/79, Amesz et autres/Commission, et dans l'affaire 737/79, Battaglia/Commission, Rec. p. 39, 56 et 72.

( 9 ) Arrêts du 30 septembre 1986 dans l'affaire 174/83, Ammann et autres/Conseil, Rec. p. 2647.

( 10 ) Voir arrêts Jacquemart, Garganese, Chaumont-Barthel, Williams, Pizziolo, Razzouk et Carpentier, précités.

( 11 ) Voir arrêts Sergy, Jacquemart, Pizziolo, Razzouk et Carpentier, précités; toutefois, nous pensons que dans le cas d'espèce, il faut tenir compte des dates auxquelles les demandes ont été présentées conformément a l'article 90, paragraphe 1, du suţut et non des dates auxquelles les réclamations ont été introduites en vertu de l'article 90, paragraphe 2.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 176
Date de la décision : 01/07/1987
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire: indemnité de logement avec effet rétroactif.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Arlette Houyoux et Marie-Catherine Guery
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Vilaça
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:321

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