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29/01/1987 | CJUE | N°189/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 29 janvier 1987., Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne., 29/01/1987, 189/85


Avis juridique important

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61985C0189

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 29 janvier 1987. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Allocations familiales à la charge d'un État membre payées aux personnes bénéficiant des allocations familiales à la

charge des institutions communautaires - Règle nationale anticumul. - Affaire 18...

Avis juridique important

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61985C0189

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 29 janvier 1987. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Allocations familiales à la charge d'un État membre payées aux personnes bénéficiant des allocations familiales à la charge des institutions communautaires - Règle nationale anticumul. - Affaire 189/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 02061

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La loi allemande sur les allocations familiales ( Bundeskindergeldgesetz ou BKGG ) dans sa version du 31 janvier 1975 prévoit ce qui suit :

"Paragraphe 1 : Les ayants droit

Aux termes des dispositions de la présente loi a droit aux allocations familiales pour ses enfants :

1 ) toute personne qui a son domicile ou sa résidence habituelle dans le champ d' application territorial de la présente loi;

...

Paragraphe 8 : Autres prestations pour enfants

1 ) L' allocation familiale n' est pas attribuée pour l' enfant pour lequel une personne a droit, au titre du paragraphe 2, alinéa 1, à l' une des prestations suivantes :

...

4 . des prestations qui sont attribuées, pour un enfant, par une institution internationale ou supranationale et qui sont comparables à l' allocation familiale ."

La Commission estime que, en adoptant le texte figurant au paragraphe 8, alinéa 1, point 4, de cette loi, la République fédérale d' Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 67, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires ( ci-après"statut ") et de deux autres dispositions ayant un contenu identique, à savoir l' article 68, alinéa 2, du statut et l' article 20 du régime des autres agents .

L' article 67, paragraphe 2, est libellé de la façon suivante :

" Les fonctionnaires bénéficiaires des allocations familiales visées au présent article sont tenus de déclarer les allocations de même nature versées par ailleurs, ces allocations venant en déduction de celles payées en vertu des articles 1er, 2 et 3 de l' annexe VII ."

Ces dernières dispositions fixent les conditions d' octroi de l' allocation de foyer, de l' allocation pour enfants à charge et de l' allocation scolaire .

I - Il apparaît clairement à la lecture de l' article 67, paragraphe 2, que le Conseil, lorsqu' il a adopté cette disposition, est parti de la constatation ou, au moins, de la supposition que, dans certaines circonstances, des allocations familiales étaient versées à des fonctionnaires européens par l' institution compétente d' un État membre . En conséquence, le Conseil, pour éviter des cas d' enrichissement sans cause, a imposé aux fonctionnaires concernés de déclarer ces allocations et aux
institutions de la Communauté de les déduire des allocations accordées en vertu du statut .

La question dont dépend le sort du présent recours est celle de savoir si, en plus, le Conseil a entendu prescrire, à travers cette même disposition, que des allocations familiales devaient être versées par les institutions nationales au titre des enfants des fonctionnaires européens .

Au stade de la requête introductive d' instance, la Commission a très clairement affirmé cette thèse, puisqu' elle a déclaré au point II.2 de cette requête : "En décidant qu' il y avait d' abord lieu de percevoir et de prendre en compte les prestations nationales, le législateur communautaire a posé en principe que, en règle générale, les enfants des agents de la Communauté ont aussi droit aux prestations lorsqu' ils remplissent les conditions d' attribution prévues par le droit national ."

Cette thèse de la Commission est logique dans la mesure où l' on accepte le postulat qui est à sa base .

En effet, à partir du moment où l' on considère, comme le fait la Commission, que l' article 67, paragraphe 2, est plus qu' une pure disposition anticumul et qu' elle crée une obligation à charge des États membres, alors cette obligation ne peut être que celle indiquée par la Commission, à savoir le versement des allocations familiales nationales chaque fois que les conditions d' attribution, quelles qu' elles soient, prévues par le droit national, sont remplies .

La façon de voir de la Commission ne me semble cependant nullement convaincante .

Elle ne trouve tout d' abord aucun appui dans le texte même de l' article 67, paragraphe 2, qui, comme je viens de le rappeler, ne s' adresse qu' aux fonctionnaires européens et subsidiairement aux institutions de la Communauté .

Elle crée, ensuite, des charges inégales pour les différents États membres sur le territoire desquels résident des fonctionnaires de la Communauté .

Ceux qui, comme l' Allemagne, accordent des allocations familiales pour tous les enfants résidant sur leur territoire seront obligés de prendre à leur charge les allocations familiales de l' ensemble des enfants des fonctionnaires européens résidant dans leur pays, la Communauté ne versant qu' un complément .

Les États membres qui, comme la Belgique, font dépendre le versement des allocations de l' affiliation à une caisse d' assurance sociale ne verseront des allocations que dans le cas où l' un des conjoints exerce un métier autre que celui de fonctionnaire européen . Même dans ce cas, un pays qui, comme la France, ne verse des allocations familiales au titre du premier enfant que jusqu' à l' âge de trois ans ne sera pas appelé à intervenir dans le financement des allocations familiales du premier
enfant des fonctionnaires européens résidant sur son territoire, ayant dépassé cet âge .

Ceux des États membres, enfin, qui, comme le Luxembourg, appliquent un système mixte en accordant les allocations familiales pour tous les enfants résidant sur leur territoire, mais imposent en même temps le paiement de cotisations aux employeurs et aux indépendants disposant de revenus devraient verser les allocations familiales aux fonctionnaires européens en les assimilant à des personnes sans ressources .

Je ne parviens pas à croire que le Conseil ait voulu, par l' article 67, paragraphe 2, tel qu' il est libellé, créer un régime ayant des conséquences aussi différentes selon les États membres .

A l' appui de sa thèse, la Commission invoque cependant l' arrêt de la Cour du 13 juillet 1983 ( affaire 152/82, Forcheri/Belgique, Rec . 1983, p . 2334, point 9 ), dans lequel la Cour a dit pour droit "que la situation juridique des fonctionnaires de la Communauté dans l' État membre de leur affectation relève du domaine de l' application du traité à un double titre, en raison de leur lien d' emploi avec la Communauté et en tant qu' ils doivent jouir de l' ensemble des avantages qui découlent du
droit communautaire pour les ressortissants des États membres en matière de libre circulation des personnes, en matière d' établissement et en matière de protection sociale ".

J' estime, pour ma part, que le principe de l' application des règles en vigueur dans le pays d' affectation en matière de protection sociale ne saurait valoir à l' égard des fonctionnaires européens que dans la mesure où le statut n' a pas institué un régime particulier .

Or, on constate que, en ce qui concerne l' assurance maladie, l' assurance accident et le régime des pensions, le fonctionnaire européen est soumis à un régime spécial et non pas à celui en vigueur dans le pays où il exerce ses fonctions .

Ainsi, les fonctionnaires de la Communauté travaillant au Royaume-Uni continuent à relever du régime d' assurance maladie instauré par le statut, et non pas du système de soins de santé gratuits en vigueur dans ce pays .

Il serait, dès lors, incompréhensible que, en ce qui concerne le régime des allocations familiales, lui aussi défini par le statut, le fonctionnaire des Communautés doive être considéré comme relevant prioritairement du régime du pays d' accueil, cela d' autant plus que, dans le statut, les dispositions concernant les allocations familiales figurent dans la section intitulée "la rémunération ".

Enfin, ainsi que je l' ai exposé en détail dans les conclusions que j' ai présentées à la Cour le 15 mai 1986 dans l' affaire 186/85, Commission/Royaume de Belgique, je ne suis nullement convaincu par l' argumentation de la Commission selon laquelle son interprétation de l' article 67, paragraphe 2, s' expliquerait parfaitement par le souci qu' aurait eu le Conseil de décharger les finances de la Communauté .

C' est donc sans étonnement que j' ai constaté que, dans la présente affaire, la Commission a, elle-même, progressivement abandonné la thèse qu' elle avait commencé par soutenir . Elle a d' abord "aménagé" sa thèse originaire en n' exigeant plus l' octroi des allocations familiales allemandes que dans le cas où c' est le conjoint du fonctionnaire européen qui y a droit ( point 7 de la réplique ).

Enfin, au cours de la procédure orale, la Commission a fait un pas de plus en précisant que son recours contre l' Allemagne ne visait en réalité que les "cas marginaux" ( Randgebiete ), à savoir ceux des enfants amenés dans le mariage par l' un des époux et qui tombaient jusque-là sous un régime national, ainsi que les enfants des fonctionnaires retraités et ceux des veufs ou des veuves de fonctionnaires européens .

Mais on doit se demander d' où la Commission tire le droit de donner ce qu' elle appelle elle-même une "interprétation minimale" à une disposition qui, selon elle, a en principe une portée beaucoup plus large? En effet, ou bien l' article 67, paragraphe 2, a la portée que lui a attribuée initialement la Commission et alors il n' appartient ni à la Commission ni à aucune autre institution de lui conférer une portée plus restreinte, ou bien cet article ne vise en réalité que les "cas marginaux" et
alors cette interprétation doit valoir aussi en ce qui concerne les autres États membres et notamment la Belgique . On ne trouve cependant aucune référence à ces "cas marginaux" dans le texte de l' article 67 .

Ce qui serait proprement inconcevable, ce serait de donner une portée différente à cette disposition selon les États membres et, par exemple, de l' appliquer, en ce qui concerne la Belgique, au cas du conjoint exerçant un autre métier et, dans le cas de l' Allemagne, seulement aux "cas marginaux ".

En réalité, les tergiversations de la Commission démontrent que l' article 67, paragraphe 2, du statut et les deux autres dispositions visées ne constituent que de pures clauses anticumul qui ne sont appelées à jouer que dans le cas où des allocations familiales sont effectivement versées au titre d' un régime national . Ces dispositions ne limitent pas l' autonomie des États membres en matière d' octroi de prestations sociales, principe sous-jacent à toute la législation communautaire .

II - Il reste cependant que l' article 67, paragraphe 2, part de l' idée que, dans certaines circonstances, des allocations familiales sont susceptibles d' être versées par les institutions compétentes nationales au titre des enfants des fonctionnaires des Communautés .

On est, dès lors, amené à se demander si, au moment de l' adoption du statut, il n' existait pas entre la Commission et les États membres une espèce de consensus tacite au sujet des hypothèses où cela pouvait être le cas . Nous n' avons malheureusement guère d' informations à cet égard .

Les documents figurant au dossier de l' affaire 186/85 ( Commission/Belgique ) et la pratique suivie par la Belgique pendant de nombreuses années donnent cependant à penser que, à l' époque, cet État membre et la Commission étaient d' accord sur le principe que, lorsque le conjoint d' un fonctionnaire européen exerçait en Belgique un métier impliquant l' affiliation à une caisse d' allocations familiales, les allocations découlant de ce régime devaient être versées par priorité .

Or, selon l' article 5 du traité, les États membres ont l' obligation de faciliter à la Communauté l' accomplissement de sa mission .

En vertu de l' article 15 du protocole sur les privilèges et immunités, "le Conseil ... fixe le régime des prestations sociales applicables aux fonctionnaires et autres agents des Communautés ". L' article 19 du même protocole prévoit que les "institutions agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés" pour l' application du protocole .

Dès lors, une modification de la pratique suivie antérieurement par un État membre doit faire l' objet d' une telle concertation . Voilà pourquoi j' ai proposé à la Cour, dans le cadre de l' affaire 186/85, de retenir à cet égard un manquement dans le chef de la Belgique .

Dans la présente affaire, la Commission a bien cité les trois articles susmentionnés dans le corps de sa requête, mais elle n' a pas fait de leur violation un objet de son recours .

La Cour ne saurait dès lors statuer à ce titre et il n' est pas nécessaire non plus d' examiner si la version de 1975 du Bundeskindergeldgesetz apporte effectivement un changement par rapport à la situation antérieure ( thèse de la Commission ) ou si elle ne crée aucune innovation ( thèse du gouvernement allemand ).

Permettez-moi encore d' ajouter que je ne conteste pas qu' il existe des arguments plaidant en faveur d' une assimilation totale des conjoints des fonctionnaires européens exerçant un métier dans le pays d' accueil, aux travailleurs ou employés de ce pays, y compris du point de vue des allocations familiales . On pourrait aussi faire valoir que, dans de pareils cas, les allocations familiales devraient être versées par le régime dont relève celui des partenaires qui subvient, à titre principal, aux
charges de l' éducation de l' enfant .

Quoi qu' il en soit, si la Commission estime qu' il est nécessaire d' aboutir à une solution nette et définitive à cet égard, il lui est toujours loisible de faire au Conseil des propositions à l' effet de compléter le statut ou, alternativement, de mettre sur pied un "arrangement" explicite entre elle-même et les États membres .

Ce qui est certain, à mon avis, c' est qu' aucune obligation quant au versement des allocations familiales nationales ne peut être déduite de l' article 67, paragraphe 2, du statut .

Je propose, dès lors, à la Cour de rejeter le recours en manquement introduit par la Commission contre la République fédérale d' Allemagne, et de mettre les dépens à la charge de l' institution requérante .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 189/85
Date de la décision : 29/01/1987
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé, Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Allocations familiales à la charge d'un État membre payées aux personnes bénéficiant des allocations familiales à la charge des institutions communautaires - Règle nationale anticumul.

Privilèges et immunités

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:49

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