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25/06/1986 | CJUE | N°320/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 25 juin 1986., Ministère public contre P. Maniglier., 25/06/1986, 320/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JOSÉ LUIS DA CRUZ VILAÇA

présentées le 25 juin 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le tribunal de police de Chaumont vous a saisis, dans le cadre d'une procédure de renvoi à titre préjudiciel en vertu de l'article 177 du traité CEE, d'une demande d'interprétation de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

1.  Nous commencerons par rappeler les fa

its essentiels du litige qui est à l'origine de cette question préjudicielle. ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JOSÉ LUIS DA CRUZ VILAÇA

présentées le 25 juin 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le tribunal de police de Chaumont vous a saisis, dans le cadre d'une procédure de renvoi à titre préjudiciel en vertu de l'article 177 du traité CEE, d'une demande d'interprétation de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

1.  Nous commencerons par rappeler les faits essentiels du litige qui est à l'origine de cette question préjudicielle.

Pierre Maniglier, commerçant à Chaumont, a acheté directement au producteur, dans la zone de production concernée du midi de la France, plusieurs cageots de fruits contenant des pêches, des abricots et des poires, et les a transportés dans son camion vers l'établissement dont il est le gérant, qui est situé hors de cette zone de production. Alors qu'il procédait au déchargement, ce commerçant a été verbalisé par les autorités nationales chargées de la répression des fraudes au motif que les
produits, n'étant pas munis des marques ou étiquettes nécessaires, étaient ainsi commercialisés de façon non conforme aux normes communes de qualité applicables.

2.  Le tribunal de police de Chaumont se réfère, dans la question déférée à la Cour de justice, au décret n° 80-20, du 7 janvier 1980, qui, selon lui, «rend applicables en droit interne certains éléments du règlement (CEE) n° 1035/72 modifié ».

Or, comme la Cour l'a constamment affirmé ( 1 ), l'applicabilité directe des règlements CEE rend tout acte national de réception des normes d'un règlement, non seulement superflu, mais même condamnable.

Tel ne semble toutefois pas être l'objectif du décret n° 80-20, dont les termes indiquent qu'il a pour objet de répondre à un impératif de droit interne.

3.  Suivant votre jurisprudence ( 2 ), il convient maintenant que nous précisions les contours exacts de la question préjudicielle formulée par le juge français en tenant compte des données de l'espèce.

Le règlement (CEE) n° 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, modifié par le règlement n° 1382/84 du Conseil, du 7 mai 1984, établit une organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

L'un des éléments de cette organisation commune des marchés consiste dans l'établissement et dans l'application uniforme de « normes de qualité » pour ces produits agricoles commercialisés à l'intérieur de la Communauté ou expédiés vers des pays tiers.

Dans ce contexte, la conformité à ces normes communes se révèle être un élément déterminant pour l'application des mesures d'intervention sur les marchés prévues par les différentes organisations communes, dans le but d'éliminer du marché les produits de qualité non satisfaisante et d'éviter une baisse excessive des cours.

Toutefois, il est également évident que la protection du consommateur et la satisfaction de ses exigences comptent parmi les objectifs essentiels de l'organisation de marché et des règles communes qui en font partie. C'est pourquoi l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72 précise que les « normes de qualité », lorsqu'elles existent, sont fixées pour « des produits destinés à être livrés à l'état frais au consommateur ».

C'est donc dans ce contexte qu'il faut comprendre aussi bien la formulation de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72 que la portée des différentes exceptions prévues sous les paragraphes 2 et 3 du même article.

L'article 3, paragraphe 1, du règlement cité établit que: « Lorsque des normes de qualité ont été fixées, les produits auxquels elles s'appliquent ne peuvent être exposés en vue de la vente, mis en vente, vendus, livrés ou commercialisés de toute autre manière, à l'intérieur de la Communauté, que s'ils sont conformes auxdites normes. »

Et c'est en raison de cette disposition que le juge du tribunal de police de Chaumont vous demande si devra être considéré comme livraison ou acte de commercialisation l'acheminement de fruits, achetés directement par un commerçant aux producteurs d'une région déterminée, vers son établissement commercial situé hors de cette zone ou région.

4.  Il ressort des considérants du règlement n° 1035/72 que « la normalisation ne peut atteindre son plein effet que si elle est appliquée à tous les stades de la commercialisation.

Pourtant, de toute évidence, la réglementation ainsi prévue, relative à l'établissement de normes de qualité et au contrôle du respect de celles-ci, concerne essentiellement le moment où les produits sont offerts sur le marché aux consommateurs (notamment lorsqu'il ne s'agit pas de simples marchés locaux), excluant certaines opérations initiales ou préparatoires durant lesquelles les objectifs de la discipline communautaire ne sont pas mis en cause.

Cela nous semble précisément être le sens des exceptions à la règle générale de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72, que prévoient les paragraphes 2 et 3 du même article.

Il s'agit d'exceptions concernant surtout les opérations réalisées au début du circuit de commercialisation et (ou) de transformation des produits.

L'article 3, paragraphe 2, sous a), prévoit, notamment, que « les produits vendus ou livrés par le producteur à des stations de conditionnement et d'emballage ou à des stations d'entreposage ou acheminés de l'exploitation du producteur vers ces stations » ne sont pas soumis à l'obligation de conformité aux normes de qualité à l'intérieur d'un État membre.

5.  Les fruits acheminés par M. Maniglier, qui font l'objet de la présente affaire, sont soumis à des normes communes de qualité ( 3 ) et les transactions dont ils font l'objet sont bien soumises, en principe, à l'obligation de conformité à ces normes dans les termes généraux de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72. L'opération de vente conclue par le producteur avec le commerçant, M. Maniglier, serait elle-même soumise à ces conditions ... si elle n'entrait pas dans le cadre des
exceptions prévues par le règlement.

Or, ce commerçant allègue que, ayant procédé à l'achat direct des fruits auprès des producteurs et les ayant transportés pour son propre compte vers son établissement situé hors de la zone de production, il allait encore procéder aux « opérations de calibrage, étiquetage et normalisation » nécessaires avant de les offrir au public, et avant donc tout acte ultérieur de commercialisation.

Si tel est le cas, l'ensemble des opérations en cause — vente du producteur au commerçant, transport et déchargement de la marchandise à destination de l'établissement de l'acheteur — semble manifestement pouvoir entrer dans le cadre de l'exception prévue par l'article 3, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1035/72.

Il incombe évidemment au juge national d'apprécier la preuve produite par le prévenu au principal quant à la destination de la marchandise achetée et aux opérations auxquelles elle allait être soumise.

6.  Compte tenu de ce qui précède, nous proposons à la Cour de répondre à la question préjudicielle soumise par le tribunal de police de Chaumont de la façon suivante :

« L'achat direct de fruits par un commerçant auprès des producteurs d'une région donnée et l'acheminement de cette marchandise vers son établissement situé hors de cette région ne seront pas considérés comme actes de livraison ou de commercialisation soumis aux obligations résultant de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1035/72 du Conseil, à la condition que ces opérations relèvent de l'une des situations prévues sous le paragraphe 2 du même article. »

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( *1 ) Traduit du portugais.

( 1 ) Voir, par exemple, les arrêts de la Cour du 7 février 1973 dans l'affaire 39/72, Commission/Italie, Rec. 1973, p. 101, et du 10 octobre 1973 dans l'affaire 34/73, Variola, Rec. 1973, p. 981.

( 2 ) Voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 29 novembre 1978 dans l'affaire 83/78, Pigs Marketing Board, Rec. 1978, p. 2347.

( 3 ) En ce qui concerne les piches et les abricots, il s'agit du règlement n° 23 (JO 30 du 20.4.1962, p. 965), article 2, paragraphe 3, et annexes II/4 et II/7, dont le point VI établit l'obligation d'apposer des étiquettes sur les cageots de fruits.

En ce qui concerne les poires, il s'agit du règlement n° 1641/71, du 27 juillet 1971 (JO L 172 du 31.7.1971, p. 1), qui prévoit également, sous le point VI de son annexe, l'obligation d'apposer des étiquettes sur chaque cageot.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 320/85
Date de la décision : 25/06/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de police de Chaumont - France.

Organisation commune de marché: fruits et légumes non soumis aux normes de qualité.

Agriculture et Pêche

Fruits et légumes


Parties
Demandeurs : Ministère public
Défendeurs : P. Maniglier.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Vilaça
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:263

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