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27/02/1986 | CJUE | N°46/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 février 1986., Manchester Steel Limited contre Commission des Communautés européennes., 27/02/1986, 46/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 27 février 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le recours

Par décision du 19 décembre 1984, la Commission a infligé à Manchester Steel Ltd une amende de 172987 Écus, soit 105446 UKL, pour dépassement de ses quotas de production pour le premier, le deuxième et le troisième trimestre de 1982.

Contre cette décision, la requérante a introduit un recours. Dans sa requête elle conclut à ce qu'il plaise à la Cour de:

annuler la décision contestée; ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 27 février 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le recours

Par décision du 19 décembre 1984, la Commission a infligé à Manchester Steel Ltd une amende de 172987 Écus, soit 105446 UKL, pour dépassement de ses quotas de production pour le premier, le deuxième et le troisième trimestre de 1982.

Contre cette décision, la requérante a introduit un recours. Dans sa requête elle conclut à ce qu'il plaise à la Cour de:

— annuler la décision contestée;

— subsidiairement, annuler l'amende infligée ou en réduire le montant;

— en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.

A l'appui de son recours, la requérante a développé cinq moyens. Cependant, dans son mémoire en réplique, elle a déclaré renoncer au premier et au cinquième moyen. Par lettre du 15 juillet 1985, la requérante a fait savoir qu'elle retirait aussi son quatrième moyen.

2. Le moyen de la prétendue violation du principe de bonne administration

Dans son deuxième moyen, la requérante invoque la violation des « principes généraux d'une bonne administration ». Ce moyen vise apparemment une prétendue violation de la condition prévue à l'article 36 CECA suivant laquelle « la Haute Autorité, avant de prendre une des sanctions pécuniaires ... prévues au présent traité, doit mettre l'intéressé en mesure de présenter ses observations ».

Pour mieux comprendre ce moyen, il convient de rappeler la procédure suivie par la Commission avant d'infliger l'amende.

— Le 15 novembre 1983, la Commission a adressé une lettre à la requérante dans laquelle elle faisait état des dépassements des quotas de production intervenus au cours des trois premiers trimestres de 1982. Dans cette lettre, elle a également demandé à la requérante de présenter ses observations.

— La requérante a répondu, par lettre du 23 novembre 1983, en contestant certains des chiffres de la Commission.

— Le 18 mai 1984, une audition s'est tenue au cours de laquelle il a été convenu que les services de la Commission procéderaient à une dernière vérification sur place.

— Par lettre du 2 août 1984, les chiffres retenus par les experts-comptables d'une firme indépendante et le rapport établi sur leur base ont été acceptés par la requérante. Sur la base de ces chiffres, la Commission a terminé la procédure pour le quatrième trimestre de 1981 et réduit les chiffres, des dépassements en ce qui concerne les trois trimestres de 1982.

— Par lettre du 18 avril 1984, la Commission a ouvert une autre procédure pour les dépassements des quotas des premier et deuxième trimestres de 1983.

— Par télex du 26 novembre 1984, la Commission a proposé de tenir une audition pour discuter ces derniers dépassements. Dans ce télex, elle s'est également déclarée prête à discuter à nouveau les dépassements pour les trois trimestres de 1982.

— Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 4 décembre 1984, les parties ont convenu qu'elles tiendraient une réunion « officielle » distincte pour discuter encore une fois les chiffres relatifs aux dépassements de 1982. Comme il est indiqué dans le projet du procès-verbal de cette réunion :

« A ce stade de la discussion, le président n'a pu que constater que, en dépit de nombreuses discussions et d'autant d'inspections, l'entreprise n'était toujours pas en mesure d'accepter les chiffres qu'elle-même avait initialement déclarés, avant d'être confirmés par des inspecteurs, puis niés par l'entreprise, pour être enfin vérifiés par des méthodes acceptées par l'entreprise. Cette dernière continuait de se référer à sa lettre du 16 mai 1984 contestant le niveau des dépassements notifié par la
Commission, et donnant les propres chiffres de l'entreprise, même si, depuis cette date, une nouvelle inspection avait eu lieu, suivie d'un rapport dont les conclusions avaient été acceptées par l'entreprise. Eu égard aux résultats de cette réunion ‘informelle’, le président n'a pu que proposer un dernier geste de la part des services de la Commission, à savoir que dans le cadre d'une réunion distincte, l'entreprise et les services compétents — administration et quotas — devaient s'accorder une
bonne fois pour toutes sur la méthode de calcul et décider en fin de compte des chiffres, non seulement pour la première moitié de 1983, mais également pour la seconde moitié ainsi que pour les années 1981 et 1982 — c'est-à-dire pour la totalité de la période vérifiée par Binder Hamlyn, les conclusions de ce rapport ayant été acceptées par l'entreprise. Le président a insisté sur le fait que cette réunion devait être formelle et se traduire par un document, signé par les deux parties, et comportant
les chiffres qui auraient été convenu de part et d'autre. Si aucun accord ne pouvait être atteint, le Commission prendrait sa décision sur la base des chiffres confirmés par les inspecteurs.

Le président a expliqué la procédure qui allait suivre, à savoir que, outre la procédure suggérée ci-dessus, un projet de procès-verbal serait adressé à l'entreprise pour accord. Après quoi, le procès-verbal pourrait être rédigé sous sa forme définitive, étant entendu qu'il intégrerait toutes les observations que l'entreprise choisirait de faire. Le président a remercié les participants et clos la réunion. »

Une réunion entre la Commission et la requérante s'est tenue le même jour dans le but d'arrêter des chiffres définitifs. D'après tout ce que nous savons, cette réunion n'a pas abouti à un accord.

— Le 19 décembre 1984, la Commission a pris sa décision infligeant l'amende.

Le moyen de la requérante est dirigé contre le fait que le projet de procès-verbal de la réunion du 4 décembre ne lui a été envoyé que par lettre du 28 janvier 1985, et qu'en adoptant la décision du 19 décembre la Commission a brusquement mis fin à l'évaluation en commun des chiffres de 1982. En agissant d'une telle façon, la Commission aurait violé des formes substantielles, ce qui ne pourrait aboutir qu'à l'annulation de la décision.

Il est certain que, par sa décision du 19 décembre, la Commission a effectivement clôturé la procédure de consultation entre elle-même et la requérante en ce qui concerne les dépassements de 1982.

Toutefois, à mon avis, ce moyen doit être rejeté.

Premièrement, il résulte de l'aperçu donné ci-dessus que la requérante a eu quatre fois l'occasion de présenter ses observations, deux fois par lettre et deux fois oralement. Tout en reconnaissant que la façon de clore la procédure n'était pas très élégante vis-à-vis de la requérante, il est constant que la Commission a largement rempli l'obligation de l'article 36 CECA. Je tiens à souligner que l'article 36 n'oblige pas la Commission de poursuivre de telles consultations jusqu'à ce qu'elles
aboutissent à un accord, entre elle et l'entreprise concernée, sur l'étendue de l'infraction. Ceci résulte notamment de votre arrêt 9/83 (Eisen und Metall Aktiengesellschaft/Commission, Rec. 1984, p. 2071, attendu 36).

En second lieu, même s'il y avait eu une irrégularité de procédure, il est constant qu'une poursuite de cette procédure n'aurait pas abouti à un autre résultat que la décision attaquée. La requérante, au paragraphe 11 de son recours, a en effet déclaré accepter les chiffres de la Commission. Comme vous l'avez indiqué dans vos arrêts Distillers (affaire 30/78, Rec. 1980, p. 2229, attendu 26) et NAVEWA e.a. (affaire jointes 96 à 102, 104, 105, 108 et 110/82, Rec. 1983, p. 3369, attendu 15) dans une
telle situation, des irrégularités de procédure éventuelles ne peuvent pas aboutir à une annulation de la décision concernée.

3. Le moyen de la non-application de la marge de tolérance

La requérante, dans son recours, ne conteste pas les chiffres qui sont à la base de la décision du 19 décembre 1984, mais elle invoque à l'encontre de cette décision un élément de droit, à savoir le refus de la Commission d'appliquer à son égard l'article 11, paragraphe 2, de la décision no 1831/81/CECA (JO 1981, L 180, p. 1).

La Commission nous a rappelé au cours de la procédure orale que la requérante n'avait invoqué cette disposition, pour la première fois, qu'après l'adoption de la décision de la Commission à son égard.

L'article 11 prévoit une marge de tolérance pour des dépassements minimes des quotas. Selon l'article 11, paragraphe 1, une tolérance de dépassement de 3 %, est admise par quota de production pour les catégories la, Ib, le et Id. Toutefois, la production totale dans ces catégories ne peut pas dépasser la somme des quotas pour chacune de ces catégories. Nous constatons donc ici, une première fois, que la limitation de la production totale de chaque entreprise est le principe essentiel qui est à la
base de cette décision CECA.

La disposition de l'article 11, paragraphe 1, n'a pas de signification pour des entreprises qui ne produisent qu'une seule catégorie de produits, comme c'était le cas de la requérante pendant le premier et le deuxième trimestre de 1982. Pour de tels cas l'article 11, paragraphe 2, prévoit que:

« 2. Pour les entreprises qui ne produisent qu'une seule catégorie, une tolérance de dépassement de 3 % de la partie de leur quota de production pouvant être livrée sur le marché commun est admise dans la limite du quota de production. »

Le texte de cette disposition est sans ambiguïté. Comme la requérante se trouvait dans la situation particulière que ses quotas de livraison dépassaient ses quotas de production, elle ne pouvait pas bénéficier de cette tolérance.

De l'avis de la requérante, cette non-applicabilité de l'article 11, paragraphe 2, rendrait cependant cette disposition illicite, parce qu'elle violerait le principe d'égalité.

Je suis d'avis que cette argumentation n'est pas soutenable.

Premièrement, la requérante n'a pas été traitée différemment que les autres entreprises qui tombent sous le champ d'application de l'article 11, paragraphes 1 et 2. Ni dans le cas de la requérante ni dans les autres cas visés par ces deux dispositions, les quotas de production (ou le total des quotas de production) ne peuvent être dépassés (sauf par le moyen d'achat ou d'échanges de quotas).

Cela s'explique par le fait que, en présence d'une situation de crise dans le domaine de la sidérurgie, la Communauté a voulu limiter d'une manière absolue la production d'acier sur l'ensemble de son territoire. Donc, elle n'a voulu accepter en aucun cas une tolérance en ce qui concerne les quotas de production.

C'est seulement dans la limite de ces quotas de production qu'une certaine marge de tolérance a été prévue en ce qui concerne les quotas de livraison.

J'estime, dès lors, que la non-applicabilité de l'article 11, paragraphe 2, ne constitue pas une discrimination à l'égard de la requérante. Aucune autre entreprise de la Communauté n'a bénéficié d'une tolérance en ce qui concerne ses quotas de production.

En second lieu, il y a lieu de souligner que la requérante n'était cependant pas totalement démunie, puisqu'elle a pu bénéficier de l'article 11, paragraphe 4, de la même décision qui autorise des échanges ou des ventes de quotas ou parties de quotas. Comme la requérante l'a déclaré dans sa lettre du 23 novembre 1983, elle a effectivement utilisé cette possibilité au maximum en échangeant des quotas de livraison contre des quotas de production.

4. Conclusions

Étant donné que les deux moyens invoqués par la requérante ne me semblent dès lors pas fondés, je vous propose de:

— rejeter le recours, et

— condamner la requérante aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46/85
Date de la décision : 27/02/1986
Type de recours : Recours contre une sanction - non fondé, Recours en annulation - non fondé

Analyses

Acier - Quotas de production - Dépassement.

Matières CECA

Quotas de production

Sidérurgie - acier au sens large


Parties
Demandeurs : Manchester Steel Limited
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:93

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