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14/05/1981 | CJUE | N°185/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 14 mai 1981., Cosimo Garganese contre Commission des Communautés européennes., 14/05/1981, 185/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 14 MAI 1981 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans la présente affaire de fonctionnaires, le litige porte, une fois de plus, sur l'octroi de l'indemnité de dépaysement prévue à l'article 59 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. Les conditions requises à cette fin sont réglées à l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII de ce statut, selon lequel l'indemnité est accordée entre autres aux fonctionnaires suivants :

«...
r> b) au fonctionnaire qui, ayant ou ayant eu la nationalité de l'État sur le ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 14 MAI 1981 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans la présente affaire de fonctionnaires, le litige porte, une fois de plus, sur l'octroi de l'indemnité de dépaysement prévue à l'article 59 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. Les conditions requises à cette fin sont réglées à l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII de ce statut, selon lequel l'indemnité est accordée entre autres aux fonctionnaires suivants :

«...

b) au fonctionnaire qui, ayant ou ayant eu la nationalité de l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, a, de façon habituelle, pendant la période de dix années expirant lors de son entrée en service, habité hors du territoire européen dudit État pour une raison autre que l'exercice de fonctions dans un service d'un État ou dans une organisation internationale».

C'est sur cette disposition, applicable — conformément à l'article 21 du régime applicable aux autres agents — par analogie auxdits agents, que se fonde le requérant, agent temporaire de grade C 3 — ouvrier qualifié — entré au service du Centre commun de recherche d'Ispra le 3 septembre 1979.

Le requérant, de nationalité italienne, né en 1950 à Monopoli (Italie), a immigré avec sa famille au grand-duché de Luxembourg à l'âge de 12 ans. Sa famille s'installe à Diekirch, où il poursuit des études primaires et professionnelles. En 1966, il commence son apprentissage comme mécanicien d'autos et il passera avec succès l'examen de fin d'apprentissage en avril 1970. Le 5 mai 1970, il est mis en congé par son employeur pour pouvoir effectuer son service militaire dans la marine italienne. Tout
de suite après sa libération, intervenue le 15 avril 1972, il réintègre son domicile au Luxembourg et retourne auprès de son ancien employeur. En 1976, il est commissionnaire d'une station-service située à Luxembourg, ville dans laquelle il résidera, après avoir passé avec succès son brevet de maîtrise, jusqu'au moment de son entrée en service à Ispra.

En dépit des assurances qui lui avaient été manifestement données par des fonctionnaires du siège, tant avant qu'après son entrée en service à Ispra, au regard de l'octroi en sa faveur d'une indemnité de dépaysement, les décomptes de salaire du requérant des mois de septembre et octobre ne contenaient pas une telle indemnité; dans ces conditions, il a adressé le 11 octobre 1979 un mémorandum à M. Ellerkmann, directeur du Centre commun de recherche, en vue de l'octroi de l'indemnité en cause.
L'intervention du «médiateur» de la Commission étant demeurée sans suite, le requérant, utilisant à cet effet un formulaire, a, le 30 janvier 1980, conformément à l'article 90 du statut, saisi la Commission d'une demande formelle tendant à l'octroi d'une indemnité de dépaysement, parvenue au secrétaire général de la Commission le 6 février 1980.

N'ayant reçu aucune réponse à l'intérieur du délai de quatre mois prévu à l'article 90, paragraphe 1, du statut, il a saisi, le 1er juillet 1980, également au moyen d'un formulaire type, le secrétaire général de la Commission d'une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, dirigée contre le refus implicite de sa demande.

Par lettre du 8 juillet 1980, le requérant a alors eu communication d'une autre lettre de la Commission, en date du 23 juin 1980, rejetant explicitement la «réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut» du requérant, du 30 janvier 1980.

Sur ce, le 4 septembre 1980, M. Garganese a formé devant la Cour de justice un recours par lequel il conclut à l'annulation de la décision de la Commission du 23 juin 1980 et à la condamnation de la Commission au versement de l'indemnité de dépaysement, conformément à l'article 4, paragraphe 1, littera b), de l'annexe VII du statut, à compter du 3 septembre 1979, ainsi que des dommages et intérêts moratoires au taux de 6 % l'an sur les arriérés de l'indemnité de dépaysement, intérêts calculés à
partir des termes échus respectifs et jusqu'à la date du paiement. Il conclut en outre à la condamnation de la Commission aux frais et dépens de l'instance.

Sur ces problèmes, nous concluons comme suit:

I — Sur la recevabilité

La Commission, partie défenderesse, oppose une exception d'irrecevabilité, en faisant valoir que le recours n'a pas été précédé, dans le délai prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut, d'une réclamation dirigée contre l'acte faisant grief au requérant. Elle estime en effet que le refus d'octroi de l'indemnité de dépaysement résulte, de manière certes implicite, mais néanmoins certaine, du décompte figurant sur la première fiche de salaire, dont le requérant a pris connaissance au plus tard le
11 octobre 1979. Le décompte figurant sur sa feuille de salaire laissait en effet en blanc la rubrique «indemnité de dépaysement»; or, ce fait n'avait pu échapper au requérant, étant donné que son attention avait été plus spécialement appelée sur ce point au cours des différents entretiens qu'il avait eus précédemment. Le requérant aurait dû, dès lors, introduire une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, au plus tard à l'expiration du délai de 3 mois, contre cette mesure lui
faisant grief. Or, en présence d'une mesure faisant grief, le requérant n'a plus la possibilité de contourner les délais prévus à l'article 90, paragraphe 2, du statut, par le biais d'une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1. La Commission estime dès lors que la «demande» présentée par le requérant le 30 janvier 1980 doit être, en réalité, qualifiée de réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2. Il s'agirait là, en fait, d'une réclamaton tardive.

Même si, d'autre part, on reconnaissait à la lettre du 11 octobre 1979 adressée à M. Ellerkmann le caractère d'une réclamation, le recours formé le 4 septembre 1980 devrait être considéré à son tour comme tardif. La réponse de la Commission du 23 juin 1980 à la note du 30 janvier 1980 — contre laquelle le recours est dirigé — ne constituerait donc qu'une confirmation de la décision de rejet parvenue au requérant au plus tard le 11 octobre 1979 et ne pourrait donc faire l'objet d'un recours autonome.

Ainsi que le montre cette argumentation, la question décisive au regard de la recevabilité est de savoir si le décompte de salaire, dont il est constant que le requérant a eu connaissance le 11 octobre 1979, peut être considéré comme un acte faisant grief, simplement confirmé par la décision de la Commission du 23 juin 1980.

Dans ce contexte, on doit donner acte à la défenderesse de ce que, comme le soulignait d'ailleurs la Cour dans les affaires 15 à 33, 52, 53, 57 à 109, 116, 117, 123, 132 et 135 à 137/73 (Roswitha Kortner, épouse Schots et autres/Conseil, Commission et Parlement, arrêt du 21. 2. 1974, Recueil 1974, p. 117) et 1/76 (Ute Wack/Commission, arrêt du 15. 6. 1976, Recueil 1976, p. 1017), la communication de la fiche mensuelle de traitement peut avoir pour effet de faire courir les délais de recours. On sait
que de tels délais ont pour but d'exclure, dans l'intérêt de la tranquillité et de la sécurité juridiques, toute possibilité de recours à l'expiration d'un certain délai après que l'intéressé a eu connaissance de la mesure faisant grief. C'est pour cette raison d'ailleurs que la Cour a dit pour droit, dans les arrêts précités, que les délais de recours contentieux ne courent que si la communication fait clairement apparaître la décision prise. Comme le constatait alors la Cour, cette condition était
remplie dans les cas d'espèce précités.

En l'espèce cependant, il ne nous semble pas, contrairement aux affirmations de la défenderesse, que le fait d'avoir laissé en blanc la colonne «indemnité de dépaysement» sur la première fiche de salaire remise au requérant ait pu constituer une manifestation expresse de la volonté de l'administration, assortie d'un effet juridique et présentant les caractéristiques d'un «acte faisant grief» au sens de l'article 90, paragraphe 2 (voir à cet égard également l'arrêt de la Cour du 20. 11. 1980 dans
l'affaire 806/79 — François Gerin/Commission — non encore publié au Recueil).

Sur ce point, il y a lieu tout d'abord de tenir compte de ce que le requérant avait été conforté dans l'opinion selon laquelle il avait droit à l'indemnité de dépaysement par deux fonctionnaires compétents en la matière, MM. Henrichs et Hauser, préalablement à la remise du premier bulletin de rémunération, cependant qu'un autre fonctionnaire, M. Chambaud, de manière seulement verbale — lui aussi — contestait ce droit. Devant un comportement aussi peu cohérent, on ne peut en aucun cas dire, dès lors,
que le premier bulletin de rémunération, dépourvu de toute explication, aurait dû être considéré par le requérant comme une décision de rejet.

On peut également déduire de toute une correspondance, échangée par la suite, que ni les services de la Commission eux-mêmes, ni le médiateur intervenu dans cette affaire n'ont considéré le bulletin de rémunération comme une décision au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut. C'est ainsi, pour ne citer que quelques exemples, qu'il résulte d'un mémorandum adressé le 16 octobre 1979 par M. Hannaert, chef de la division administration et personnel du Centre commun de recherche d'Ispra, à M.
Valsesia, chef de la division «coordination administrative» à Bruxelles, que la division «statut» de la Commission devait être saisie pour avis de ce cas. M. Rogalla, chef de cette division, devait estimer, dans une note du 14 novembre1979, approuvée par le service juridique et adressée à M. Valsesia, que M. Garganese n'avait pas droit à l'indemnité de dépaysement. D'autre part cependant, les lettres envoyés à M. Rogalla par M. De Groóte, médiateur contacté par le requérant, les 22 octobre 1979 et
22 janvier1980, démontrent que ce dernier non plus ne tenait pas pour certain qu'une décision définitive ait déjà été prise. Enfin, dans un mémorandum adressé le 28 janvier 1980 à M. Ellerkmann, M. Sciuto fait état de ce qu'aucune décision n'avait encore été prise à cette date, cependant qu'il résulte de manière tout aussi évidente d'une lettre adressée au requérant, sous couvert de M. Sciuto, par M. Ellerkmann le 23 février 1980, que la question devait encore faire l'objet d'un examen par les
instances compétentes du siège.

Au surplus, la lettre motivée adressée au requérant le 23 juin 1980, par laquelle la Commission exprimait de manière claire et nette — et pour la première fois — le refus du versement de l'indemnité de dépaysement, milite également en faveur de la thèse selon laquelle la Commission elle non plus ne considérait pas à l'époque le bulletin de rémunération comme décision de rejet. Si, comme le soutient aujourd'hui la Commission, on devait considérer que cette lettre n'était qu'une confirmation d'une
décision (de rejet) déjà intervenue avant le 11 octobre 1979. Il n'aurait pas été équitable dans ces conditions de se référer tout à la fois à la décision de rejet déjà intervenue et d'annoncer en même temps au requérant que sa «réclamation» a été introduite tardivement.

Compte tenu de l'attitude hésitante et des tergiversations de la Commission, il n'était que normal pour le requérant d'adresser, en termes exprès, une demande formelle au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, parvenue à l'autorité investie du pouvoir de nomination le 6 février 1981 et invitant cette dernière à prendre à son égard une décision, cela afin de faire jouer les délais prévus par le statut. N'ayant reçu aucune réponse dans le délai de quatre mois, il a, à juste titre, par lettre
du 1er juillet 1980 — donc avant réception de la décision expresse de rejet de la Commission du 23 juin — introduit en temps utile une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, dirigée contre la décision implicite de rejet de sa demande. Étant donné qu'il n'a pas été statué non plus sur cette réclamation à l'intérieur du délai de quatre mois visé à l'article 90, paragraphe 2, le requérant a introduit, en temps utile, un recours le 4 septembre 1980. Son recours doit donc être considéré comme
recevable.

II — Sur le bien-fondé de la requête

1. Quant au bien-fondé de sa requête, le requérant fait valoir qu'il a eu son domicile permanent à Luxembourg de 1962 jusqu'à son entrée en service en 1979 et qu'il a droit dès lors, conformément à l'article 4, paragraphe 1, littera b), de l'annexe VII du statut des fonctionnaires, à l'indemnité de dépaysement. Selon lui, le fait d'avoir accompli ses obligations militaires ne modifient en rien cette situation. Même à supposer que la période de service armé de 23 mois accomplie en Italie ait eu pour
effet d'interrompre cette domiciliation, il n'en reste pas moins, selon le requérant, qu'il a été domicilié, durant au minimum 15 ans avant son entrée en service, dans un État membre autre que celui sur lequel est situé son siège de travail en qualité d'agent des Communautés.

A l'opposé, la défenderesse, se fondant sur le libellé de la disposition en cause, estime que le requérant n'a pas, au cours de la période de référence de 10 ans préalable à son entrée en service à Ispra — à savoir, entre le 3 septembre 1969 et le 3 septembre 1979 — habité de manière permanente à Luxembourg, étant donné qu'il a accompli son service militaire en Italie, pays de sa future affectation en tant qu'agent des Communautés, durant la période située entre le 5 mai 1970 et le 15 avril 1972.
Durant cette période, le requérant se trouvait de retour dans son pays d'origine et, selon la Commission, se serait senti «comme chez lui», de sorte qu'il n'aurait pas droit, compte tenu de l'esprit et de la finalité de la disposition en cause, à une indemnité de dépaysement.

L'exception soulevée par la défenderesse ne nous paraît pas convaincante, pour les raisons suivantes: comme la Cour l'a mis en évidence par une jurisprudence constante (voir à cet égard les arrêts rendus dans les affaires 21/74, Jeanne Airola/Commission, arrêt du 20. 2. 1975, Recueil 1975, p. 221; 37/74, Chantai van den Broeck/Commission, arrêt du 20. 2. 1975, Recueil 1975, p. 235; 147/79, René Hochstrass/Cour de justice, arrêt du 16. 10. 1980, non encore publié au Recueil, et 1322/79, Gaetano
Vutera/Commission, arrêt du 15. 1. 1981, non encore publié au Recueil), il résulte de l'économie générale de l'article 4 de l'annexe VII que cette disposition retient comme critère décisif du droit à l'indemnité de dépaysement la résidence habituelle du fonctionnaire, antérieure à son entrée en fonctions. Ainsi que l'a souligné la Cour, en particulier dans les affaires Airola et van den Broeck, l'indemnité de dépaysement a pour objet de compenser les charges et désavantages particuliers résultant
de la prise de fonction auprès des Communautés pour les fonctionnaires qui sont de ce fait obligés de changer de résidence.

A l'inverse, comme il résulte également des arrêts précités, la nationalité de l'agent n'a qu'une importance secondaire; elle n'a, en effet, d'importance qu'au regard de la durée de cette résidence hors du territoire de son affectation. Cela signifie que, pour jouir de l'indemnité de dépaysement, conformément à l'article 4, paragraphe 1, littera b), les fonctionnaires ayant la nationalité de l'État sur le territoire duquel est fixé le lieu de leur affectation doivent avoir, de façon habituelle,
pendant une période de 10 années au minimum, expirant lors de leur entrée en service, habité en dehors de l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de leur affectation pour une raison autre que l'exercice de fonctions dans un service d'un État ou d'une organisation internationale. Si tel est le cas, et s'ils sont contraints de changer de résidence à l'occasion de leur entrée en fonctions, l'indemnité de résidence leur est due.

Or, il est constant qu'en l'espèce le requérant a habité de 1962 à 1970 au Luxembourg, c'est-à-dire dans un autre État membre que l'État sur le territoire duquel est fixé le lieu de son affectation et dont il possède la nationalité et qu'après son service, il est immédiatement retourné à son précédent domicile, qu'il conservera jusqu'à son entrée en fonctions. La seule question qui se pose dès lors est de savoir si la circonstance que la durée de service militaire de 23 mois accomplie par le
requérant se situe à l'intérieur de la période visée à l'article 4, paragraphe 1, littera b), peut avoir pour effet de priver l'intéressé du bénéfice de l'indemnité de dépaysement auquel il aurait eu droit s'il n'avait pas satisfait à ses obligations militaires.

Il y a lieu, selon nous, de rejeter cette conception en observant tout d'abord, de manière générale, que l'appel sous les drapeaux est'fonction, comme on sait, d'une certaine limite d'âge et que l'intéressé n'est dès lors pas libre en principe de choisir le moment auquel il souhaiterait effectuer son service militaire. Or, l'interprétation de la défenderesse aboutirait à traiter l'intéressé différemment au regard de l'indemnité de dépaysement, selon que l'intéressé a effectué, indépendamment de
sa volonté, le service militaire en dehors ou à l'intérieur de la période de dix années en cause, ce qui n'était certainement pas le résultat recherché par les rédacteurs du statut.

On ne saurait non plus faire grief au requérant de ne pas avoir fait usage de la possibilité qu'aurait éventuellement un ressortissant italien habitant à l'étranger de solliciter une dispense de service militaire. A supposer même établie l'existence d'une telle possibilité dérogatoire, il n'en demeure pas moins que l'intéressé a satisfait à ses obligations militaires, même s'il ne l'a fait que pour éviter les inconvénients susceptibles de résulter du nonaccomplissement des obligations militaires,
au cas où il retournerait ultérieurement en Italie.

Enfin, il résulte de l'article 42 du statut des fonctionnaires qu'un fonctionnaire incorporé dans une formation militaire pour effectuer son service légal ne peut subir d'autre inconvénient, au regard de son activité professionnelle, que celui de ne pas percevoir sa rémunération. Or, comme le fait remarquer à juste titre le requérant, il doit en être de même pour celui qui a satisfait aux obligations militaires qui lui incombent, préalablement à son entrée en fonctions.

Dans ce contexte, l'argument de la défenderesse, selon lequel le requérant n'aurait pas droit à l'indemnité de dépaysement, compte tenu de ce qu'il a quitté son domicile permanent à Luxembourg au cours du délai de dix ans et vécu dans son pays d'origine, parmi ses compatriotes, pendant toute la durée de son service militaire, n'apparaît pas non plus convaincant. Il va de soi en effet — sans qu'il y ait besoin à cet égard d'une définition — que «résidence habituelle» au sens de la disposition en
cause doit être entendu en ce sens qu'une personne tenue éloignée de son domicile pour une période limitée, aux fins de l'accomplissement du service militaire, et qui y retourne immédiatement après sa libération, n'abandonne pas ce qui constituait à l'origine son domicile permanent et qui correspond en même temps au centre de ses intérêts. A supposer même qu'il y ait lieu, contrairement à notre opinion en l'espèce, de ne considérer que la période de dix années précédant immédiatement l'entrée en
fonctions, l'accomplissement des obligations militaires ne saurait remettre en cause le fait que le requérant a conservé son domicile permanent, au cours de cette période, au grand-duché de Luxembourg.

Contrairement à l'opinion de la défenderesse, il n'est pas possible non plus d'invoquer à l'encontre de cette solution l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire 42/75 (Jean-Louis Delvaux/Commission, arrêt du 17. 2. 1976, Recueil 1976, p. 167). Dans cette affaire, le requérant, de nationalité belge, avait, durant la période de dix années précédant son entrée en fonctions à la Commission à Bruxelles, établi son domicile en Belgique, c'est-à-dire dans son futur pays d'affectation; par la suite, il
avait effectué son service militaire dans l'armée belge, d'abord en république fédérale d'Allemagne et, plus tard, au Shape en France. Dans ces conditions, la Cour a dit pour droit que le requérant ne pouvait être considéré, pour la durée de son service militaire, comme ayant résidé hors de Belgique, pays où il avait son domicile avant son service. Par conséquent, le requérant a été considéré, également pour la période afférente au service militaire — et accomplie hors de Belgique — comme s'il
avait effectué à cette époque son service militaire en Belgique et conservé son domicile dans ce pays.

En l'espèce, on doit considérer au contraire, d'une part, que le requérant n'avait pas, à la différence du cas d'espèce précité, établi son domicile dans le pays correspondant à celui de sa future affectation dans le délai de dix ans précédant son entrée au service de la Communauté. Il n'avait pas non plus, de surcroît, son domicile dans le pays sous les couleurs duquel il effectuait son service militaire. Par ailleurs, il ne s'agit pas non plus en l'espèce de définir le régime applicable à un
ressortissant d'un État membre donné, eu égard au domicile de l'intéressé, lorsque ce dernier est appelé à servir pour son pays dans un État autre que le pays dont il est ressortissant. A supposer donc que l'arrêt précité puisse être invoqué en l'espèce à l'appui des thèses de la défenderesse, ce ne pourrait l'être, en tout état de cause, que dans le sens que l'accomplissement des obligations militaires n'a pas en principe pour effet de modifier le domicile du conscrit.

Compte tenu de ce qu'il est dès lors établi que le requérant avait habité hors de l'État sur le territoire duquel est situé son lieu d'affectation pendant une période supérieure à dix années expirant lors de son entrée au service de la Communauté et de ce qu'il a été contraint de changer de résidence du fait de son entrée en service dans les Communautés, il y a lieu de faire droit à la demande.

2. Nous devons, pour finir, encore examiner la demande de versement de dommages et intérêts moratoires présentée par le requérant. Il y a lieu de remarquer à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour, les intérêts moratoires ne peuvent en principe être alloués qu'à compter du jour du dépôt de la réclamation introduite par l'intéressé au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, chaque fois que le non-versement d'un montant dû repose sur une simple erreur de droit
commise par une institution lors de l'application du statut des fonctionnaires. En l'espèce cependant, comme nous l'avons vu, il est évident que la Commission a, contrairement aux assurances données par ses fonctionnaires et en méconnaissance grossière de l'esprit et de la finalité de la disposition en cause, fautivement retardé l'octroi de l'indemnité de dépaysement. Pour cette raison, l'équité commande, selon nous, de placer le requérant dans la situation dans laquelle il se serait trouvé si
l'allocation qu'il y a lieu à présent de lui verser avait été régulièrement versée, autrement dit, si elle l'avait été en temps voulu. Dans cet ordre d'idées, il convient également de calculer les intérêts à partir des termes échus respectifs. Compte tenu de ce que le taux d'intérêt revendiqué par le requérant paraît convenable et de ce que la Commission n'a soulevé aucune objection à cet égard, nous ne voyons pas d'inconvénient à faire droit, également sur ce point, aux conclusions de requérant.

Étant donné que la défenderesse a succombé sur tous les points, il y a lieu, conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, de la condamner aux frais et dépens de l'instance.

III —

Nous vous proposons donc de statuer en l'espèce comme suit:

1) La décision de rejet de la Commission du 23 juin 1980 est annulée, et la défenderesse condamnée à verser au requérant, conformément à l'article 4, paragraphe 1, littera b), de l'annexe VII du statut, l'indemnité de dépaysement depuis le 3 septembre 1979.

2) La défenderesse est condamnée à verser des dommages-intérêts moratoires au taux de 6 % l'an sur les arriérés de l'indemnité de dépaysement, ces intérêts devant être calculés à partir des termes échus respectifs jusqu'à la date du paiement.

3) La défenderesse est condamnée aux frais et dépens de l'instance.

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( *1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 185/80
Date de la décision : 14/05/1981
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Fonctionnaires: indemnité de dépaysement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Cosimo Garganese
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:108

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