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17/12/1980 | CJUE | N°108/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 17 décembre 1980., Ministère public contre René Joseph Kugelmann., 17/12/1980, 108/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 17 DÉCEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire préjudicielle, que vous a renvoyée la cour d'appel de Colmar par un arrêt avant dire droit du 30 novembre 1979, pose un problème largement similaire à celui que vous avez récemment réglé par votre arrêt Grunert du 12 juin de cette année (affaire 88/79, non encore publiée), rendu sur demande du tribunal de grande instance de Strasbourg.

Comme à M. Grunert, il est reproché à

M. Kugelmann d'avoir mis en vente et vendu, connaissant sa destination, un produit propre à effect...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 17 DÉCEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire préjudicielle, que vous a renvoyée la cour d'appel de Colmar par un arrêt avant dire droit du 30 novembre 1979, pose un problème largement similaire à celui que vous avez récemment réglé par votre arrêt Grunert du 12 juin de cette année (affaire 88/79, non encore publiée), rendu sur demande du tribunal de grande instance de Strasbourg.

Comme à M. Grunert, il est reproché à M. Kugelmann d'avoir mis en vente et vendu, connaissant sa destination, un produit propre à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme, délit visé par la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services, dans la version qui résulte de la loi n° 78/23 du 10 janvier 1978. Ce produit, dénommé «cocktail gelée», destiné à être utilisé comme additif dans la préparation de gelée de couverture
pour galantine, a été vendu par M. Kugelmann — qui, comme M. Grunert, fabrique et vend des additifs destinés à la charcuterie — à un fabricant des charcuterie industrielle. Il est considéré comme propre à effectuer la falsification de denrées destinées à l'alimentation humaine parce qu'il contient de l'acide sorbique.

Or — comme l'indiquait M. l'avocat général Mayras dans ses conclusions sur l'affaire Grunert — en vertu de l'article 1 du décret d'application de la loi de 1905, en date du 15 avril 1912, dans la version du décret n° 73/138 du 12 février 1973, une marchandise destinée à l'alimentation humaine — comme un additif pour la charcuterie — ne peut être vendue lorsqu'elle a été additionnée de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par arrêté interministériel. Et, pas plus que
l'acide lactique et l'acide citrique — en cause dans l'affaire Grunert —, l'acide sorbique n'a fait l'objet d'une autorisation d'emploi dans les additifs des produits de la charcuterie. Son utilisation est donc prohibée en France à cette fin.

Pas plus que M. Grunert, M. Kugelmann ne conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés. Mais, toujours comme M. Grunert, il fait remarquer que, aux termes de la directive 64/54 du Conseil du 5 novembre 1963, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les agents conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (JO n° 12 du 27 janvier 1964, p. 161), si les États membres ne peuvent autoriser que les agents conservateurs
prévus à l'annexe de ce texte dont, en premier lieu l'acide sorbique — ils ne peuvent édicter des dispositions qui auraient pour effet d'exclure totalement l'emploi dans les denrées alimentaires de l'un des agents conservateurs ainsi énumérés. Il en conclut que l'acide sorbique, expressément visé dans l'annexe de la directive, ne peut être exclu des produits susceptibles d'être employés comme agents conservateurs en France et que son utilisation ne saurait avoir pour conséquence d'entraîner des
poursuites sur le rondement de la loi de 1905.

La Cour de Colmar s'est demandée si la directive 64/54 entraîne l'obligation pour les États membres d'autoriser dans leurs législations nationales l'ensemble des conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine et énumérés dans ces directives ou si les États doivent simplement interdire l'emploi de toutes les substances qui n'y sont pas énumérées. En présence de cette question d'interprétation d'une réglementation communautaire, elle a, par application de
l'article 177 du traité, sursis à statuer et pose à la Cour la question suivante:

«Le fait pour un État membre de la CEE d'interdire dans sa législation nationale l'emploi d'un conservateur utilisé dans les denrées destinées à l'alimentation humaine, alors que l'utilisation de celui-ci est autorisée par la directive communautaire du 5 novembre 1963 (code 70-200-170) constitue-t-il une atteinte à la règle de la suprématie du droit communautaire sur le droit interne pouvant être invoquée par un sujet communautaire poursuivi pour falsification de denrées alimentaires à l'aide de ce
conservateur (acide sorbique)?»

I —

Par l'arrêt précité du 12 juin 1980 dans l'affaire Grunert, la Cour a répondu que la directive du Conseil 64/54 du 5 novembre 1963 oblige les États membres à ne pas autoriser l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'agents conservateurs qui ne sont pas énumérés dans la liste annexée à cette directive. L'article 2, paragraphe 2, de ce texte précise que la directive n'affecte pas les dispositions nationales déterminant les denrées alimentaires auxquelles les agents conservateurs
énumérés à l'annexe peuvent être ajoutés. La directive 64/54 n'oblige donc pas les États membres à autoriser l'emploi, dans toutes les denrées alimentaires, des conservateurs qu'elle énumère en annexe. Toutefois, la liberté des États membres d'interdire ou d'autoriser l'emploi de ces substances ne doit pas avoir pour effet d'exclure totalement l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'un des agents conservateurs compris dans cette liste, ni de faire obstacle à toute
commercialisation d'un tel agent.

Dans le cas de l'acide sorbique, dont il s'agit dans la présente affaire, comme dans celui de l'acide lactique et de l'acide citrique, on ne saurait donc reprocher à la réglementation française d'avoir méconnu cette obligation. D'après les informations que nous ont fournies tant le gouvernement français que la Commission, l'emploi de l'acide sorbique est autorisé en France dans, notamment, les denrées suivantes: châtaignes, fruits sucrés destinés au lait fermenté, confiseries de sucre gélifiées.

II —

En ce qui concerne l'effet direct de la directive, la Cour a répondu dans l'arrêt de l'affaire Grunert que, dans la mesure où la directive 64/54 ne permet pas aux États membres d'interdire tout emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'un des agents conservateurs compris dans l'annexe, ni de faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent, ses dispositions peuvent être invoquées devant les juridictions nationales. L'effet direct ainsi reconnu à la directive est donc limité
aux cas de dispositions législatives ou réglementaires interdisant tout emploi dans les denrées alimentaires d'un conservateur visé à l'annexe de la directive ou faisant obstacle à toute commercialisation d'un tel agent, sauf si aucune nécessité technologique ne justifie cet emploi dans les denrées alimentaires produites et consommées sur le propre territoire de l'État membre (article 1, n° 1, phrase 2, de la directive du Conseil 67/429 du 27 juin 1967). Un particulier ne saurait, par conséquent,
s'en prévaloir pour rendre inopérantes à son endroit des poursuites intentées sur la base de textes pénaux nationaux conformes aux dispositions de la directive en cause.

Nous ne pouvons que conclure à ce que vous répondiez à la question posée par la cour d'appel de Colmar dans les termes suivants:

1. La directive 64/54 du Conseil du 5 novembre 1963 n'interdit pas aux États membres de prohiber l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine des agents conservateurs énumérés par son annexe. Toutefois, la liberté des États membres d'interdire ou d'autoriser l'emploi de ces substances ne doit pas avoir pour effet d'exclure totalement l'emploi dans ces denrées d'un de ces agents — sauf si aucune nécessité technologique ne justifie cet emploi — ni de faire obstacle à toute
commercialisation d'un tel agent.

2. Ses dispositions ne peuvent être invoquées devant les juridictions nationales que dans la mesure où elles obligent les États membres à autoriser l'emploi de chaque agent conservateur figurant sur la liste de son annexe dans une denrée alimentaire au moins à leur choix — sauf si aucune nécessité technologique ne justifie cet emploi — et à ne pas faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 108/80
Date de la décision : 17/12/1980
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Colmar - France.

Rapprochement des législations: agents conservateurs.

Agriculture et Pêche

Denrées alimentaires

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Ministère public
Défendeurs : René Joseph Kugelmann.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:300

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