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27/03/1980 | CJUE | N°733/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 27 mars 1980., Caisse de compensation des allocations familiales des régions de Charleroi et de Namur contre Cosimo Laterza., 27/03/1980, 733/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 27 MARS 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour a été saisie de cette affaire par une demande de décision ä titre préjudiciel du tribunal du travail de Charleroi. Le demandeur dans la procédure pendant devant ce tribunal est la Caisse de compensation des allocations familiales des régions de Charleroi et Namur (que nous appellerons ci-après la «CCAF»). Le défendeur est M. Cosimo Laterza. Dans cette procédure, le litige porte sur la quest

ion de savoir si M. Laterza a droit aux allocations familiales belges.

Le dossier dont nous...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 27 MARS 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour a été saisie de cette affaire par une demande de décision ä titre préjudiciel du tribunal du travail de Charleroi. Le demandeur dans la procédure pendant devant ce tribunal est la Caisse de compensation des allocations familiales des régions de Charleroi et Namur (que nous appellerons ci-après la «CCAF»). Le défendeur est M. Cosimo Laterza. Dans cette procédure, le litige porte sur la question de savoir si M. Laterza a droit aux allocations familiales belges.

Le dossier dont nous disposons montre qu'outre la CCAF trois autres institutions de sécurité sociale belges au moins ont également eu affaire avec le cas de M. Laterza, à savoir le Fonds national de retraite des ouvriers mineurs, la Caisse de prévoyance du centre et la Caisse de compensation des allocations familiales de l'industrie charbonnière des bassins de Charleroi et de la Basse-Sambre. Toutefois, les rôles respectifs de ces institutions n'ont pas d'importance au regard de la question qui vous
est soumise et, pour simplifier les choses, nous proposons de les nommer, sans distinction, les «autorités belges».

Les faits de la cause sont les suivants.

M. Laterza est né en Italie en 1936 et il y a travaillé de 1950 à 1955. Par la suite, pendant quelque quatorze années, il a travaillé en Belgique en tant que mineur. Le 14 décembre 1969, il a cessé de travailler pour cause d'invalidité et le 16 février 1970 il a introduit une demande auprès des autorités belges pour bénéficier d'une pension d'invalidité. Le 12 mai 1970, ces autorités lui ont accordé une pension d'invalidité payable à compter du 1er juin 1970. Ainsi qu'on nous l'a dit, M. Laterza
avait droit à cette pension au seul titre des périodes d'assurances qu'il avait accomplies en Belgique. Elle s'élevait à 4826,50 BFR par mois. Quelques jours plus tard, le 11 juin 1970, le dossier concernant le cas de M. Laterza a été envoyé à l'institution italienne compétente, l'Istituto nazionale della previdenza sociale (ou «INPS»), afin de fixer toute prestation d'invalidité due à M. Laterza au titre de périodes d'activité professionnelle en Italie. Cette procédure était conforme aux articles
30 et suivants du règlement no 4 au titre duquel un travailleur était en général tenu d'adresser une demande de pension d'invalidité en premier lieu à l'institution compétente de l'État membre dans lequel il avait sa résidence et cette institution devait communiquer le dossier à l'institution compétente de tout autre État membre dans lequel le travailleur avait accompli des périodes d'assurance.

En février de l'année suivante, M. Laterza est retourné en Italie et huit mois plus tard, le 18 octobre 1971, il s'est marié. Il s'en est suivi que le 13 décembre 1971, les autorités belges ont décidé qu'il avait droit à une augmentation de sa pension, l'augmentation prenant effet au 1er novembre 1971. Sa pension s'élevait désormais à 6921 BFR par mois. Le 12 juin 1972, le premier enfant de M. Laterza, Antonio, est né. A cette époque, l'INPS n'avait toujours pas pris de décision quant au droit de
M.Laterza à bénéficier d'une pension d'invalidité italienne. Les autorités belges lui ont accordé des allocations familiales belges pour Antonio.

Deux raisons possibles ont pu conduire les autorités belges à le faire. L'une est que l'intéressé avait droit à de telles allocations au titre de la seule législation belge. L'autre est que dans la situation existante, il y avait droit au titre du droit communautaire.

La législation belge applicable n'est pas tout à fait claire. Dans son ordonnance de renvoi, le tribunal saisi ne fait aucune observation à cet égard. La Commission a attiré notre attention sur l'article 51, paragraphe 3, des lois belges coordonnées relatives aux allocations familiales qui prévoient que «les allocations familiales ne sont pas dues en faveur des enfants élevés hors du Royaume». En réponse à une question posée par la Cour à l'issue de la procédure écrite, M. Laterza a cité la même
disposition. Néanmoins, il a mentionné certaines dérogations expresses à celle-ci. Pour ce qui intéresse le cas d'espèce, ces dérogations semblent se résumer à ce que l'article 51, paragraphe 3, sort ses effets sous réserve des exigences du droit communautaire. Il doit évidemment en être ainsi. Il est surprenant que la CCAF à laquelle la Cour a posé la même question ait été incapable d'y répondre. C'est pourquoi il est probable que M. Laterza n'avait pas droit aux allocations familiales belges au
titre de la seule législation belge. Mais la question de savoir s'il y avait droit ou non ne peut en définitive être résolue que par les juridictions belges.

Dans les circonstances de l'espèce, il ne peut exister aucun doute, d'autre part, que M. Laterza avait droit aux allocalions familiales belges au titre du droit communautaire. I.a disposition pertinente alors applicable était l'article 42 du règlement no 3, tel qu'il a été modifié par le règlement no 1/64/CHE du Conseil, c'est-à-dire la disposition qui a été examinée par la Cour dans l'affaire 19/76, Triches/Caisse liégeoise pour allocations familiales, Recueil 1976, p. 1243. De cette affaire, vous
aurez gardé le souvenir que dans les dispositions intiales du règlement no 3 relatives aux allocations familiales pour les titulaires de pension, le Conseil avait cherché à instituer, pour le calcul de ces allocations, un système qui aurait tenu compte des droits dans différents États membres; mais, en pratique, ce système s'est révélé complexe au point de devenir en pratique inapplicable. En effet, du fait de la complexité de ce système, M. Triches avait été privé de tout droit aux allocations
familiales durant une longue période. Le but du règlement no 1/64 était d'éliminer de telles complications et d'introduire un système simple, fondé sur le principe qu'un seul Etat membre devait être responsable du versement des allocations familiales à un titulaire de pension. Tel était le système applicable au cas de M. Laterza.

Le paragraphe 1 de l'article 42 modifié prévoyait ce qui suit:

«Les bénéficiaires d'une pension ou d'une rente due en vertu de la législation d'un seul État membre et qui résident sur le territoire d'un autre État membre ont droit aux allocations familiales conformément aux dispositions de la législation du pays débiteur de la pension ou de la rente comme s'ils résidaient dans ce pays.»

Le paragraphe 2 envisageait le cas des

«bénéficiaires de pensions ou de rentes dues en vertu de la législation de plusieurs États membres».

Le paragraphe 3 était libellé comme suit:

«Les dispositions des paragraphes I et 2 du présent article sont applicables quel que soit l'État membre sur le territoire duquel les enfants résident.»

En conséquence, comme au moment de la naissance d'Antonio, l'INPS n'avait pas pris de décision, de sorte que M. Laterza ne bénéficiait que d'une pension belge, l'article 42, paragraphe l, était applicable et il avait droit aux allocations familiales belges même si lui-même et sa famille vivaient en Italie.

Le 1er octobre 1972, les règlements (CEE) no 1408/71 et no 574/72 sont entrés en vigueur, en remplacement des règlements no 3 et no 4. Les dispositions de l'article 42 modifié du règlement no 3 relatives aux allocations familiales pour les bénéficiaires de pension ont été reproduites, sans changement important, dans l'article 77 du règlement no 1408/71. Pour ce qui intéresse le cas d'espèce, cet article est libellé dans les termes suivants:

«1. Le terme ‘prestations’, au sens du présent article, désigne les allocations familiales prévues pour les titulaires d'une pension ou d'une rente de vieillesse, d'invalidité, d'accident du travail ou de maladie professionnelle ...

2. Les prestations sont accordées selon les règles suivantes, quel que soit l'État membre sur le territoire duquel résident le titulaire de pensions ou de rentes ou les enfants:

a) au titulaire d'une pension ou d'une rente due au titre de la législation d'un seul État membre, conformément à la législation de l'État membre compétent pour la pension ou la rente;

b) au titulaire de pensions ou de rentes dues au titre des législations de plusieurs États membres:

i) conformément à la législation de celui de ces États sur le territoire duquel il réside, si le droit à l'une des prestations visées au paragraphe 1, y est ouvert en vertu de la législation de cet État, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 79, paragraphe 1, alinéa a), ou

ii) dans les autres cas ...»

(L'article 79, paragraphe 1, lettre. a), prévoit uniquement la totalisation, le cas échéant, de périodes d'assurance, d'emploi ou de résidence, pour déterminer le droit d'une personne à bénéficier de prestations au titre de la législation d'un État membre).

Le 23 janvier 1974, l'INPS a informé les autorités belges qu'elle rejetait la demande de prestations d'invalidité italiennes parce que, selon la législation italienne, M. Laterza n'était pas considéré comme médicalement inapte au travail. Par lettre du 7 février 1974, les autorités belges ont demandé à l'INPS de reconsidérer sa décision à la lumière de l'article 40, paragraphe 3, du règlement no 1408/71. Cette disposition est la suivante:

«La décision prise par l'institution d'un État membre au sujet de l'état d'invalidité du requérant s'impose à l'institution de tout autre État membre concerné, à condition que la concordance des conditions relatives à l'état d'invalidité entre des législations de ces États soit reconnue à l'annexe IV.»

La concordance entre les législations belge et italienne pertinentes était ainsi établie.

L'article 40, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 était nouveau en ce sens qu'aucune disposition analogue ne figurait dans le règlement no 3 ou dans le règlement no 4. Cela faisait donc entrer en jeu l'article 118, paragraphe 1, du règlement no 574/72 qui (tel que modifié à partir du 1er octobre 1972 par le règlement no 878/73 du Conseil — voir les articles I, paragraphe 25, et 2 de ce dernier règlement) est rédigé dans les termes suivants:

«Lorsque la_date de réalisation du risque sè~situe avant la date d'application du règlement [c'est-à-dire du règlement no 1408/71] et que la demande de pension ou de rente n'a pas encore donné lieu à liquidation avant cette date, cette demande entraîne, pour autant que les prestations doivent être accordées, au titre du risque en cause, pour une période antérieure à cette dernière date, une double liquidation:

a) pour la période antérieure à la date d'application du règlement, conformément aux dispositions du règlement no 3 ou de conventions en vigueur entre les États membres en cause;

b) pour la période à partir de la date d'application du règlement, conformément aux dispositions du règlement.

Toutefois, si le montant calculé en application des dispositions visées à l'alinéa a) est plus élevé que celui calculé en application des dispositions visées à l'alinéa b), l'intéressé continue à bénéficier du montant calculé en application des dispositions visées à l'alinéa a).»

En d'autres termes, le droit de M. Laterza à bénéficier d'une pension d'invalidité italienne devait être déterminé en fonction des dispositions des règlements nos 3 et 4 pour la période antérieure au 1er octobre 1972 et conformément aux dispositions des règlements no 1408/71 et no 574/72 pour la période ultérieure, à moins que le dernier alinéa de l'article 118, paragraphe 1, soit applicable.

Pour poursuivre l'exposé des faits, nous dirons que le deuxième enfant de M. Laterza, Pietro, est né le 21 mars 1974. À cette époque, l'INPS examinait encore l'affaire. Nous croyons comprendre que les autorités belges ont également accordé des allocations familiales à M. Laterza pour Pietro. Toutefois, le31 ottobre 1975, ces autorités ont suspendu le versement des allocations familiales à M. Laterza dans l'attente d'une décision de l'INPS.

Le 27 décembre 1976, l'INPS a décidé que l'article 40, paragraphe 3, la contraignait de se ranger au point de vue des autorités belges quant à l'état de santé de M. Laterza et que celui-ci avait droit à une pension d'invalidité italienne d'un montant de 130650 lires par an à partir du 1er octobre 1972. Cette décision a été communiquée aux autorités belges.

En ce qui concernait la période antérieure au 1er octobre 1972, la situation restait inchangée: M. Laterza ne pouvait pas bénéficier d'une pension d'invalidité italienne parce que son état de santé n'avait pas été reconnu par l'INPS comme lui permettant de bénéficier d'une telle pension. En conséquence il était incontestable qu'au titre de l'article 42, paragraphe 1, du règlement no 3 (tel que modifié) il avait droit aux allocations familiales belges pour cette période et non pas aux allocations
familiales italiennes.

Lorsque les autorités belges ont appris que l'INPS avait accordé à M. Laterza une pension italienne, elles ont aussitôt réduit, ainsi qu'on nous l'a dit, le montant de sa pension belge du montant de la pension italienne. Toutefois, la procédure pendante ne porte pas sur cette mesure des autorités belges. Ce qui est en cause est que les autorités belges ont estimé qu'à la suite de l'admission au bénéfice d'une pension italienne, le cas de M. Laterza tombait dans le domaine d'application de l'article
77, paragraphe 2, lettre b), i), du règlement no 1408/71 de sorte qu'à partir du 1er octobre 1972 il avait eu droit à des allocations familiales italiennes et non pas à des allocations familiales belges. Durant la période écoulée entre le 1er octobre 1972 et le 31 octobre 1975, les autorités belges avaient versé à M. Laterza, au titre d'allocations familiales, une somme totale de 104189 BFR. Il appert qu'en premier lieu elles ont tenté de recouvrir ce montant auprès de l'INPS en vertu de l'article
111 du règlement no 574/72, mais en vain. Le 29 août 1977, la CCAF a introduit la procédure actuellement pendante devant le tribunal du travail de Charleroi devant lequel elle réclame la somme de 104189 BFR à M. Laterza. M. Laterza a formé une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation de la CCAF au paiement de la différence entre les allocations familiales belges et italiennes à partir du 1er octobre 1972, les allocations familiales belges étant supérieures aux allocations italiennes.

En se fondant sur l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire Saieva (32/76, Recueil 1976, p. 1523), M. Laterza a fait valoir devant le tribunal du travail que son droit au bénéfice de la pension et des prestations familiales italiennes avait été établi d'une façon incompatible avec l'article 94, paragraphe 5, du règlement no 1408/71, dans la mesure où, en vertu de cette disposition, seul le bénéficiaire lui-même peut demander une révision de ses droits. Le tribunal a rejeté ce moyen au motif que,
bien que la décision de l'INPS accordant à M. Laterza une pension italienne (et lui permettant ainsi de bénéficier des prestations familiales italiennes) ait été prise à l'initiative des autorités belges, elle ne constituait pas une révision des droits que M. Laterza avait obtenus mais son admission au bénéfice de droits qu'il n'avait pas auparavant. Aucune question n'a été soumise à la Cour de justice à cet égard et nous nous abstenons de faire toute observation.

L'autre aigumcnt avancé par M. Laterza et sur lequel il semble avoir fondé sa demande reeoiiventioiinelle était que l'application de l'article 77, paragraphe 2, lettre b), i), du règlement no 1408/71 ne devrait pas avoir pour résultat une diminution de ses droits aux prestations familiales.

La question que le tribunal du travail a déférée à la Cour de justice au titre de l'interprétation de l'article 77, paragraphe 2, lettre b), i), est la suivante:

«Cette disposition doit-elle être interprétée dans le sens que le droit à des prestations familiales à charge de l'État sur le territoire duquel réside le titulaire d'une pension d'invalidité (en l'occurrence l'Italie) fait disparaître le droit à des prestations familiales plus élevées précédemment ouvert à charge d'un autre État membre (en l'occurrence la Belgique)?»

Si le droit de M. Laterza à bénéficier d'allocations familiales belges ne découlait que de la seule législation belge, il n'existe évidemment aucune difficulté. Les arrêts de la Cour de justice ont bien établi que l'article 51 du traité n'habilite pas le Conseil à légiférer de manière à priver une personne de droits dont elle bénéficie en vertu de la législation d'un État membre indépendamment du droit communautaire. Nous nommerons ce principe le «principe Petroni» d'après le nom de l'affaire
principale qui figure parmi la jurisprudence qui l'a établie (affaire 24/75, Petroni/ONPTS, Recueil 1975, p. 1149). En conséquence, l'article 77, paragraphe 2, lettre b), i), du règlement no 1408/71 ne pouvait pas être interprété en ce sens qu'il privait M. Laterza de droits dont celui-ci bénéficiait au titre de la législation belge sans intervention du droit communautaire.

Pour le cas où M. Laterza aurait droit aux allocations familiales belges au titre de la législation belge seule, si ce n'était que ses enfants étaient élevés en dehors de la Belgique, il a attiré notre attention sur l'affaire Giuliani (32/77, Recueil 1977, p. 1857). Dans cette affaire, il n'est pas aisé de suivre le raisonnement de la Cour et il nous semble difficile de le concilier avec la jurisprudence selon laquelle, lorsqu'une personne doit invoquer le droit communautaire pour établir un droit à
prestations, elle doit accepter les limitations imposées par ce droit (voir par exemple, l'affaire Duffy, 34/69, Recueil 1969, p. 597, 8e attendu de l'arrêt, l'affaire Kaufmann, 184/73, Recueil 1974, p. 517, attendus 9 et suiv., l'affaire Massonet, 50/75, Recueil 1975, p. 1473, 11e' attendu, et l'affaire Naselli, 83/77, Recueil 1978, p. 683, 12e et n'attendus). Dans l'affaire Giuliani, il semble que la Cour ait considéré que, bien que M. Giuliani dût invoquer l'article 10 du règlement no 1408/71
pour obtenir le versement de sa pension, le principe Petroni rendait inapplicable à sa situation la limitation de l'article 46, paragraphe 3, de ce règlement, parce que le montant de sa pension dépendait seulement de la législation allemande sans mise en oeuvre du système de totalisation ou de proratisation. L'arrêt a été rendu une semaine après les arrêts dans l'affaire Mura, (22/77, Recueil 1977, p. 1699), et dans l'affaire Greco, (37/77, ibidem, p. 1711), dans lesquelles les règles de
totalisation et de proratisation ont également été mentionnées dans un contexte dans lequel, ainsi qu'il a été démontré ultérieurement par les arrêts dans l'affaire Schaap, (98/77, Recueil 1978, p. 707), et dans l'affaire Boerboom-Kersjes) (105/77, ibid., p. 717), l'application ou la non-application de ces règles n'était pas réellement un clément décisif. Il est possible que l'arrêt rendu dans l'affaire Giuliani soit fondé sur une conception pareillement erronée. En tout cas, il nous semble qu'en
l'espèce il ne serait pas juste de suivre la jurisprudence Giuliani, étant donné que ni l'article 10 ni l'article 46 du règlement no 1408/71 ne sont présentement en cause.

Tant M. Laterza que la Commission ont mentionné l'affaire 100/78, à savoir l'affaire Rossi, Recueil 1979, p. 831. La Commission est allée jusqu'à dire que le choix que la Cour pouvait opérer dans cette affaire était de suivre soit sa jurisprudence Triches soit sa jurisprudence Rossi. Il ne nous semble pas que cela soit exact. M. Rossi n'avait droit qu'à une pension d'invalidité belge. II était donc incontestable que sa situation tombait dans le domaine d'application de l'article 77, paragraphe 2,
lettre a), du règlement no 1408/71 de sorte qu'il avait droit, au titre du droit communautaire, aux prestations familiales belges. La question de savoir s'il aurait eu droit à ces allocations en vertu de la seule législation belge n'a pas été envisagée. La question que la Cour devait trancher était de savoir si, dans le cas où la femme de M. Rossi, qui travaillait en Italie, obtenait le bénéfice des allocations familiales italiennes pour leurs enfants, son droit au versement d'allocations familiales
belges serait suspendu en totalité ou seulement à concurrence du montant (inférieur) des prestations familiales italiennes au titre de l'article 79, paragraphe 3, du règlement no 1408/71. L'avocat général Capotorti a développé deux raisons pour démontrer l'exactitude de la dernière solution. La première découlait de l'article 60 de l'arrêté royal belge applicable dont le dernier paragraphe prévoyait que si les allocations familiales ducs à un autre titre étaient inférieures à celles dont l'octroi
était prévu par l'arrêté royal, la personne qui était en droit d'invoquer celles-ci pouvait prétendre à la différence. Selon l'avocat général Capotorti, cette considération faisait entrer en jeu le principe Petroni parce que M. Rossi ne pouvait pas être privé au titre de l'article 79, paragraphe 3, de ce dont il avait droit en vertu de la législation belge. Subsidiairement, l'avocat général Capotorti a considéré que l'article 79, paragraphe 3, devrait être interprété en ce sens que la suspension des
droits d'une personne à ce titre devrait être totale ou partielle selon les montants respectifs des allocations familiales se rattachant à la pension et des prestations familiales exigibles dans un autre État membre. À cet égard, l'avocat général Capotorti a opéré expressément la distinction entre une «disposition relative au cumul» telle que l'article 79, paragraphe 3, et une «disposition de conflit» telle que l'article 77 (voir Recueil 1979, aux p. 849 à 852). Dans son arrêt, bien qu'elle ait
adopté la thèse de l'avocat général Capotorti, la Cour n'a pas clairement choisi parmi les raisons qu'il avait fait valoir.

En l'espèce, le problème est différent. Il s'agit de savoir (à supposer que M. Laterza n'ait pas eu droit aux allocations familiales belges au seul titre de la législation belge) si, en vertu des dispositions de droit communautaire pertinentes, il avait droit aux allocations familiales belges ou aux prestations familiales italiennes à partir du 1er octobre 1972.

Comme nous l'avons dit, il est indubitable que pour la période antérieure au 1er octobre 1972, M. Laterza avait droit uniquement à une pension belge et, en conséquence, aux allocations familiales belges. Il ne fait aucun doute, de plus, que si l'INPS avait décidé à n'importe quelle date avant le 1er octobre 1972 qu'il n'avait pas droit à une pension italienne, il ne pouvait pas, par la suite, sauf de sa propre volonté, être privé de son droit à ces allocations. Il en est ainsi parce qu'au titre de
l'article 94, paragraphe 5, du règlement no 1408/71, te! qu'il a été interprété par la Cour dans l'affaire Saieva, lui seul aurait pu introduire une demande pour solliciter le bénéfice d'une pension italienne après le 1er octobre 1972.

Il serait étrange que le comportement dilatoire de l'INPS ait pour conséquence de modifier les droits de l'intéressé.

Les auteurs des règlements nos 1408/71 et 574/72 ont pris un certain nombre de précautions pour assurer que les bénéficiaires de régime de sécurité sociale ne voient pas leurs droits réduits à la suite de l'entrée en vigueur de ces règlements. Il existe à cet effet l'article 94, paragraphe 5, du règlement no 1408/71, de même que la stipulation figurant à l'article 118, paragraphe 1, modifié du règlement no 574/72, que nous avons tous deux déjà mentionnés. Il y a également l'article 94, paragraphe 9,
du premier de ces règlements et l'article 119 du second, garantissant certaines prestations familiales. Toutefois, la portée de ces dispositions n'inclut pas les prestations familiales dues aux personnes dans la situation de M. Laterza.

C'est pourquoi le problème est celui de savoir si l'absence de toute disposition expresse garantissant le bénéfice de telles prestations doit être entendue en ce sens que les auteurs des règlements voulaient en priver les bénéficiaires dans des circonstances telles que celles de l'espèce, ou en ce sens qu'ils ont omis d'envisager la situation de sorte qu'on est en présence d'une lacune dans les règlements, lacune qu'il appartient au juge de combler pour éviter tout résultat inéquitable (comme par
exemple dans l'affaire 64/74, Reich/HZA Landau, Recueil 1975, p. 261). Il nous semble qu'il convient de choisir la dernière solution.

Ce qui nous rassure en exprimant ce point de vue, c'est que lors de l'adoption du règlement no 1408/71, le Conseil a déclaré dans le procès-verbal qu' «il est entendu que les prestations octroyées en vertu du règlement no 3 qui se révèlent supérieures à celles résultant de la mise en œuvre du règlement no 1408/71 ne seront pas réduites, en application du principe du maintien des droits acquis». Il est évident que cette déclaration n'a pas un caractère juridique mais elle est publiée (dans le
«Répertoire pratique de la sécurité sociale des travailleurs salariés et de leurs familles qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté», publié par la Commission à la p. 20 bis) et il ne nous est pas demandé de l'ignorer. Ce qui nous rassure également, c'est le fait que dans l'affaire Saieva la Cour semble avoir reconnu l'existence d'un principe selon lequel «les prestations accordées selon le règlement no 3, et qui sont plus avantageuses que les prestations résultant du nouveau règlement, ne
seront pas réduites». Il nous semble plausible que dans le cas d'allocations familiales se rattachant aux pensions, les auteurs des règlements nos 1408/71 et 574/72 ont estimé que les dispositions transitoires applicables aux pensions (les articles 94, paragraphe 5 et 118, paragraphe 1) seraient suffisantes pour protéger également les prestations familiales qui leur sont rattachées.

C'est pourquoi, selon nous, il convient de considérer que l'entrée en vigueur du règlement no 1408/71 ne pouvait pas avoir pour résultat que, par l'application des dispositions combinées des articles 40, paragraphe 3, et 77 de ce règlement, M. Laterza puisse être privé de son droit à bénéficier des allocations familiales belges.

La question de savoir si M. Laterza est tenu, d'une manière ou d'une autre, de rendre compte à la CCAF ou de créditer cette dernière du montant de toute allocation italienne pour charges de famille qu'il reçoit effectivement n'a pas été directement posée dans l'ordonnance de renvoi et il ne nous semble pas nécessaire de l'examiner.

Nous concluons à ce que, en réponse à la question déférée à la Cour de justice par le tribunal du travail, vous statuiez comme suit:

1) Aucune disposition du règlement no 1408/71 ne peut priver une personne d'un droit qu'elle s'est vu conférer au titre de la législation d'un État membre, indépendamment de l'application du droit communautaire.

2) À partir du 1er octobre 1972 et postérieurement à cette date, aucune disposition de ce règlement ne peut priver une personne d'un droit aux allocations familiales dont elle bénéficiait avant cette date dans un État membre au titre du règlement no 3.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 733/79
Date de la décision : 27/03/1980
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi - Belgique.

Sécurité sociale - Allocations familiales.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Caisse de compensation des allocations familiales des régions de Charleroi et de Namur
Défendeurs : Cosimo Laterza.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:106

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