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07/06/1979 | CJUE | N°255/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 7 juin 1979., Andrée Heirwegh, épouse Anselme, et Roger Constant contre Commission des Communautés européennes., 07/06/1979, 255/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans cette affaire, deux fonctionnaires de la catégorie C de la Commission, Mme A. Anselme et M. R. Constant, contestent les décisions d'un jury de ne pas les admettre comme candidats à un concours interne qui avait pour objet de constituer une réserve d'assistants techniques adjoints dans les grades 5 et 4 de la catégorie B. La question essentielle dans ce litige est de savoir si le jury a commis une e

rreur en estimant que les requérants ne satisfaisaient pas aux conditions exigées pour pre...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans cette affaire, deux fonctionnaires de la catégorie C de la Commission, Mme A. Anselme et M. R. Constant, contestent les décisions d'un jury de ne pas les admettre comme candidats à un concours interne qui avait pour objet de constituer une réserve d'assistants techniques adjoints dans les grades 5 et 4 de la catégorie B. La question essentielle dans ce litige est de savoir si le jury a commis une erreur en estimant que les requérants ne satisfaisaient pas aux conditions exigées pour prendre
part au concours. La Commission a également soulevé une question relative à la recevabilité du recours, sans toutefois en faire un grief formel.

L'avis de concours (annexe 4 à la requête) portait le numéro COM/BT/7/76 et, conformément à la pratique de la Commission, il n'était pas daté. Il a été, semble-t-il, publié en septembre ou octobre 1977. Il indiquait qu'il ne s'agissait que d'un concours sur titres; et que la liste de réserve qui devait être constituée à la suite du concours serait «valable jusqu'au 31 décembre 1978 sauf prorogation». En réponse à une question posée par la Cour à la fin de la procédure écrite, la Commission a déclaré
que la validité de la liste a été finalement prorogée jusqu'au 30 juin 1979. La décision, à cet effet, de l'autorité investie du pouvoir de nomination a été portée à la connaissance du personnel, le 15 décembre 1978.

Les postes à pourvoir ont été décrits dans l'avis de concours, sous l'intitulé «I. Nature des fonctions», comme entrant «dans les domaines suivants:

1. Télécommunications: standard, téléphone, télex, salles de conférence;

2. Techniques audiovisuelles;

3. Électromécanique (appliquée notamment aux bâtiments, aux arts graphiques, etc.);

4. Arts graphiques:

a) édition

b) photogravure

c) microfilm et photographie industrielle

d) offset

e) composition

f) reliure.»

(Il existe une divergence entre les textes anglais et français de l'avis de concours étant donné que, sous 4 a), le texte anglais indique «printing», ce qui à notre avis signifie «imprimerie» plutôt que «édition»).

Les candidats étaient invités à indiquer, sur leurs fiches d'inscription, notamment, «le/les domaine(s) choisis (et, pour le domaine 4., deux des sous-domaines énumérés)».

Sous l'intitulé «II. Conditions d'admission au concours», l'avis de concours établissait les «Titres ou diplômes requis et pratique professionnelle», dans les termes suivants:

«Soit A:

1. Avoir accompli des études du niveau de l'enseignement secondaire sanctionnées par un diplôme de fin d'études

et

2. Posséder une expérience en rapport avec le domaine choisi par le candidat et énumérée sous le point I. “Nature des fonctions”, d'au moins 6 années

et

3. a) être entré au service des Communautés, en tant que fonctionnaire ou autre agent, avant le 1. 1. 1973

ou

3. b) avoir une expérience professionnelle, en rapport avec le domaine choisi, d'une durée d'au moins 15 ans

Soit B:

1. Posséder une expérience professionnelle d'au moins 9 années dans des fonctions d'exécution de caractère technique situées au sens du statut, au niveau de la catégorie C;

et

2. être entré au service des Communautés, en tant que fonctionnaire ou autre agent, avant le 1. 1. 1973.»

Comme vous le voyez, Messieurs, tandis que dans la branche A de l'alternative, l'expérience escomptée d'un candidat devait se rapporter au «domaine» choisi par lui parmi ceux proposés sous «Nature des fonctions», aucune exigence de cette sorte n'était formulée dans la branche B. Dans le cas des arts graphiques, aucune référence n'était faite ni sous A ni sous B aux «sous-domaines» choisis par le candidat.

Les paragraphes suivants de l'avis traitaient des exigences relatives aux connaissances linguistiques des candidats, de la nature des épreuves, de leur cotation et de certaines questions de procédure. Dans aucun de ces paragraphes, il n'était fait expressément référence aux «domaines» choisis par les candidats ou, dans le cas des arts graphiques, aux «sous-domaines» de leur choix.

Les requérants ont figuré parmi les candidats au concours. Ils ont l'un et l'autre choisi le domaine des arts graphiques. Mme Anselme a choisi comme sous-domaine «a) édition (ou imprimerie)» et «e) composition», tandis que M. Constant a opté pour «b) photogravure» et «c) microfilm et photographie industrielle». Aucun d'eux ne possédait un certificat attestant des études du niveau de l'enseignement secondaire, de sorte que l'un et l'autre ne pouvait être qualifié pour prendre part au concours qu'aux
conditions prévues sous B. Les deux candidats sont entrés au service de la Commission bien avant le 1er janvier 1973, de sorte que, en ce qui concerne leur admissibilité à prendre part au concours, la seule question pouvait être, dans le cas de chacun d'eux, de savoir si lui ou elle satisfaisait aux conditions du paragraphe B-1 relatif à l'expérience professionnelle.

Les documents joints par Mme Anselme en annexe à son acte de candidature (annexe 1 au mémoire en défense) montraient qu'elle possédait une expérience de la composition de quelque 17 années. Toutefois, ils ne faisaient pas apparaître qu'elle possédait une expérience en matière d'édition (ou d'imprimerie). Les documents joints en annexe par M. Constant (annexe 2 au mémoire en défense) montraient qu'il avait une expérience de la photographie, et en particulier du microfilm, de plus de 12 années, mais
ils ne faisaient pas apparaître qu'il possédait une expérience en matière de photogravure.

Le 7 février 1978, M. Desbois, chef de la division «Recrutement, nominations, et promotions», de la Direction générale du personnel et de l'administration de la Commission, a adressé à Mme Anselme une lettre l'informant que le jury avait rejeté sa demande de participation au concours au motif qu'elle ne possédait pas une expérience professionnelle d'au moins 9 années dans des fonctions d'exécution de caractère technique situées, au sens du statut, au niveau de la catégorie C «dans deux
sous-domaines». Le même jour, M. Desbois a adressé une lettre dans les mêmes termes à M. Constant (annexes 5 et 6 à la requête).

Le 10 février 1978, M. Constant, se référant au rejet de sa candidature, a écrit à M. Desbois, en disant:

«Pourtant, de mon dossier personnel, il ressort que dans le premier sous-domaine (microfilm et photo industrielle) je possède des connaissances approfondies dans ma spécialité. Ceci étant indiqué sur mes rapports de notation de fonctionnaire. En ce qui concerne le deuxième sous-domaine choisi (photogravure), le rapport de notation du 7 juillet 1971 couvrant la période du 1. 1. 1970 au 30. 6. 1971 atteste que je possède une bonne connaissance de la photogravure, ceci étant dû au fait que j'ai passé
un certain temps dans ce service, ce qui m'a permis d'acquérir une expérience dans ce domaine.»

Il demandait que sa candidature soit réétudiée (annexe 6 à la requête).

Le rapport de notation de M. Constant pour la période du 1er janvier 1970 au 30 juin 1971 (annexe 13 à la requête), après avoir décrit ses fonctions comme «tous travaux de photographie — spécialisé dans le microfilmage», affirme qu'il possède aussi de «très bonnes connaissances de la photogravure». Toutefois, ce rapport ne figurait pas parmi les documents que M. Constant a présentés avec son acte de candidature afin que le jury en prenne connaissance, et dans ces documents aucune référence n'était
faite à ce rapport.

Le 14 février 1978, M. Constant a écrit au président du jury en lui demandant de réexaminer sa candidature, mais, dans cette lettre, il ne faisait aucune mention de sa connaissance de la photogravure. Il se bornait à répéter textuellement les conditions établies sous B dans la partie II de l'avis de concours et à affirmer qu'il les remplissait (voir annexe 7 à la requête).

Le même jour, Mme Anselme a écrit une lettre identique au président du jury (annexe 7 à la requête). Elle l'a fait suivre, le lendemain, d'une note, adressée à M. Desbois, dans laquelle elle décrivait sa carrière au service de la Commission, mentionnait ses connaissances linguistiques, et se référait à des observations contenues dans son rapport de notation pour la période 1975 à 1977 (annexe 8 à la requête). Le contenu de cette note confirme amplement les qualifications de Mme Anselme et son
expérience dans le domaine de la composition; toutefois, il ne donne pas à penser qu'elle possédait une expérience de l'édition ou imprimerie.

Le 22 février 1978, M. Desbois a écrit à chacun des candidats (annexe 9 à la requête) en les informant, en termes identiques, que le jury avait réexaminé leur cas mais qu'il était parvenu à la conclusion qu'il devait maintenir sa décision antérieure. Rien ne montre, qu'à cette occasion, le jury a considéré, dans le cas de M. Constant, le contenu de son rapport de notation pour la période du 1er janvier 1970 au 30 juin 1971. Toutefois, dans chaque cas, M. Desbois a ajouté à sa lettre un post-scriptum
offrant un entretien au requérant intéressé. Il ne semble pas que l'un ou l'autre d'entre eux ait profité de cette invitation.

Le 25 avril 1973, chacun des requérants a présenté une réclamation formelle au titre de l'article 90 du statut des fonctionnaires contre la décision l'excluant du concours (annexe 10 à la requête).

Le 17 mai 1978, M. Rogalla, chef de la division «Statut» de la Direction générale du personnel et de l'administration de la Commission a répondu aux réclamations des requérants en invitant chacun d'eux à un entretien (annexe 12 à la requête). De nouveau, il ne semble pas que l'un ou l'autre d'entre eux ait profité de cette invitation. Aucune autre réponse n'a été donnée aux réclamations des requérants par l'autorité investie du pouvoir de nomination ou en son nom.

Le 22 novembre 1978, les requérants ont introduit le présent recours devant la Cour.

Recevabilité du recours

Comme nous l'avons dit tout au début, la Commission a soulevé une objection quant à la recevabilité du recours, sans toutefois en faire un grief formel. Elle a fait valoir que le recours pourrait être frappé de prescription, du fait qu'il a été intenté neuf mois après que les décisions du jury aient été communiquées aux requérants. A ce propos, elle s'est référée à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle la voie appropriée qu'un fonctionnaire doit suivre lorsqu'il désire attaquer une décision
d'un jury est de porter l'affaire immédiatement devant la Cour, sans adresser au préalable une réclamation à l'autorité investie du pouvoir de nomination en vertu de l'article 90 du statut des fonctionnaires.

Cette affirmation a été émise pour la première fois dans l'affaire 44/71 Marcato/Commission, Recueil 1972, p. 427 («seconde affaire Marcato»), dans laquelle le requérant avait adressé une réclamation formelle à l'autorité investie du pouvoir de nomination contre une décision d'un jury l'excluant d'un concours, et avait alors fait appel devant la Cour contre le rejet implicite de cette réclamation. Aucune question concernant la recevabilité du recours n'a été soulevée soit par la Commission soit par
l'avocat général Roemer. Toutefois, de sa propre initiative, la Cour a déclaré ce qui suit:

«… il y a lieu de faire remarquer qu'un recours administratif à la Commission dirigé contre une décision d'un jury de concours paraît dépourvu de sens, la Commission n'ayant pas le pouvoir d'annuler ou de modifier les décisions d'un jury de concours.

Dès lors, le seul moyen en droit dont disposent les intéressés à l'égard de pareille décision consiste en une saisine de la Cour, seule compétente pour annuler de telles décisions.

La saisine préalable de la Commission s'explique cependant par l'habitude des fonctionnaires de ne jamais saisir la Cour directement des actes leur faisant grief, mais de s'adresser d'abord, fût-ce sans nécessité, à l'autorité investie du pouvoir de nomination.

Au vu de cette situation, il convient de ne pas déclarer le recours contre le refus implicite de la Commission sur ce point irrecevable, mais de le recevoir en tant que dirigé contre la décision du jury et de considérer le dépassement du délai de recours contre cette décision … comme étant couvert.» (Attendus 4 à 9 de l'arrêt).

Cette affaire a été suivie de l'affaire 37/72 Marcato/Commission, Recueil 1973, p. 361 («troisième affaire Marcato»). Ici, sur des faits similaires, la Commission, citant la seconde affaire Marcato, a pris une position semblable à celle qu'elle a adoptée dans la présente affaire. Elle a soulevé la question de la recevabilité d'un moyen relatif à la validité de la décision d'un jury sans alléguer formellement que ce moyen était irrecevable. L'avocat général Mayras a exprimé l'opinion qu'il serait
inéquitable de considérer le moyen comme irrecevable. Il a également douté qu'il fut irrecevable en droit car, n'est-ce pas, disait-il, le devoir d'une autorité investie du pouvoir de nomination, lorsqu'elle reçoit une réclamation contre une décision d'un jury, de transmettre cette réclamation au jury pour qu'il la prenne en considération? La Cour a déclaré:

«La saisine préalable de la Commission s'explique par l'habitude des fonctionnaires de ne pas saisir la Cour directement des actes leur faisant grief, mais de s'adresser d'abord, fût-ce sans nécessité, à l'autorité investie du pouvoir de nomination.

Au vu de cette situation, il paraît équitable d'admettre la recevabilité du moyen.» (Attendus 14 et 15 de l'arrêt).

Les seconde et troisième affaires Mercato ont été tranchées sur la base de faits qui s'étaient produits avant l'amendement des articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires par le règlement du Conseil (Euratom, CECA, CEE) no 1473/72 en juillet 1972. La première affaire pertinente qui soit venue devant la Cour sur la base de faits qui s'étaient produits après cette date a été l'affaire 31/75 Costacurta/Commission, Recueil 1975, p. 1563. Ici, la Commission dans ses conclusions avait de nouveau
soulevé la question de la recevabilité du recours sans se fonder formellement sur cette objection, mais elle a fini par se décider à l'audience et elle a alors formellement déclaré que le recours était irrecevable. Nous avions exprimé l'avis que le règlement no 1473/72 avait modifié le droit et avait établi dans tous les cas l'obligation pour un fonctionnaire de présenter une réclamation à l'autorité investie du pouvoir de nomination avant d'intenter un recours devant la Cour. Nous avions aussi
exprimé notre accord avec l'avis de l'avocat général Mayras selon lequel une telle réclamation n'est pas nécessairement inutile. Enfin, nous avons dit qu'il serait en tout cas inéquitable de considérer le recours de M. Costacurta comme irrecevable. La Cour a alors déclaré:

«… attendu toutefois qu'en espèce les faits s'étant déroulés sous l'empire du nouveau statut, il serait contraire à l'équité de tenir rigueur au requérant d'avoir suivi la procédure clairement fixée par les articles 90 et 91 tels que révisés.»

L'affaire 9/76 Morello/Commission (Recueil 1976, p. 1415) a été la première dans laquelle un fonctionnaire a fait directement appel devant la Cour contre une décision d'un jury, sans présenter au préalable une réclamation à l'autorité investie du pouvoir de nomination. Dans sa défense, la Commission a allégué que le recours était irrecevable pour non-conformité à l'article 91, mais elle a retiré ce moyen dans sa duplique. L'avocat général Mayras a observé brièvement que, à la suite des affaires
Marcato et Costacurta, un fonctionnaire n'était pas obligé de déposer une réclamation au titre de l'article 91 avant d'intenter un recours devant la Cour contre une décision d'un jury. La Cour elle-même n'a pas estimé nécessaire de traiter de ce point.

Dans l'affaire 7/77 Von Wüllerstorff et Urbair/Commission (Recueil 1978, p. 769), où le fonctionnaire intéressé avait de nouveau recouru directement devant la Cour, la Commission a de nouveau soulevé la question de la recevabilité sans la faire valoir formellement. Nous pensons qu'elle a, dans une large mesure, agi ainsi en raison de ce que nous avions dit dans l'affaire Costacurta et parce qu'elle a considéré qu'il était de la plus haute importance que le droit soit fixé de manière certaine sur une
telle question. Nous avons dit que nous partagions cette opinion. La Cour a déclaré:

«… L'article 91 (paragraphe 2, du statut), stipule en effet qu'une saisine de la Cour de justice n'est admise que si l'intéressé a préalablement suivi la procédure administrative prévue à l'article 90.

Cette procédure n'a cependant pas de sens dans le cas d'un grief contre les décisions d'un jury de concours, l'autorité investie du pouvoir de nomination manquant de moyens pour réformer ces décisions.

Dès lors l'économie tant de la procédure administrative que de la procédure judiciaire s'oppose à une interprétation de l'article 91, paragraphe 2, qui, en prenant cette disposition au pied de la lettre, aboutirait uniquement à allonger, sans aucune utilité, la procédure.

Le requérant a donc bien interprété le statut en estimant que la condition de l'article 91 ne vise que des actes que l'autorité investie du pouvoir de nomination peut éventuellement réformer.» (Attendus 6 à 9 de l'arrêt).

Dans les affaires 4, 19 et 28/78 Salerno et autres/Commission (Recueil 1978, p. 2403), dans lesquelles les fonctionnaires intéressés avaient présenté des réclamations en vertu de l'article 90 mais avaient introduit leur recours devant la Cour sans attendre le résultat de ces réclamations, la Commission n'a soulevé aucune objection quant à la recevabilité de ces recours. La Cour, suivant l'opinion de l'avocat général Capotorti, a déclaré:

«Ainsi se pose la question de savoir si les recours sont recevables sous l'angle de l'article 91, paragraphe 2, du statut qui exige l'épuisement préalable de la voie de la réclamation administrative.

A cet égard, la Cour a affirmé par une jurisprudence constante que la saisine de l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation administrative dirigée contre la décision d'un jury de concours sort du cadre des dispositions statutaires, étant donné que cette autorité n'a pas le pouvoir d'annuler ou de modifier les décisions d'un jury de concours.

Si, néanmoins, l'intéressé s'adresse, sous forme d'une réclamation administrative, à l'autorité investie du pouvoir de nomination, une telle démarche, quelle que soit sa signification juridique, ne pourrait avoir pour conséquence de le priver de son droit de saisir la Cour directement, étant donné qu'il s'agit d'un droit auquel l'intéressé ne peut pas renoncer et qui, dès lors, n'est pas susceptible d'être affecté par son comportement individuel.

Il s'ensuit que les recours sont recevables.»(Attendus 8 à 11 de l'arrêt).

Dans l'affaire 112/78 Kobor/Commission (5 avril 1979, non encore publiée) le fontionnaire intéressé, ayant été informé le 23 septembre 1977 d'une décision d'un jury de l'exclure d'un concours et cette décision lui ayant été confirmée par le président du jury le 7 octobre 1977, a adressé une réclamation à l'autorité investie du pouvoir de nomination le 11 octobre 1977. Cette réclamation a été rejetée. Le 8 mai 1978, le fonctionnaire a intenté une action devant la Cour, en demandant que la décision du
jury soit déclarée nulle. Personne n'a suggéré que le recours pourrait être irrecevable.

Toutefois, dans l'affaire 117/78 Orlandi/Commission (elle aussi, du 5 avril 1979, non encore publiée), dans laquelle les faits étaient semblables, la Commission a soulevé la question de la recevabilité du recours sans alléguer formellement son irrecevabilité. La Cour, suivant de nouveau l'avis de l'avocat général Capotorti, a estimé que, bien que, dans ces cironstances, la réclamation adressée à l'autorité investie du pouvoir de nomination n'était pas nécessaire, le fait que le fonctionnaire
intéressé l'ait présentée et ait attendu son résultat, ne pouvait pas avoir pour effet de le mettre hors délai.

Ainsi, bien qu'il existe quelques contradictions mineures entre certains des arrêts de la Cour qui constituent cette jurisprudence, à notre avis, il est maintenant clairement établi que:

i) Un fonctionnaire, qui se considère lésé par la décision d'un jury, n'a pas besoin d'adresser une réclamation à l'autorité investie du pouvoir de nomination avant d'intenter un recours devant la Cour contre cette décision et normalement il ne devrait pas retarder l'affaire en agissant ainsi.

ii) Néanmoins, si un fonctionnaire adresse une telle réclamation, qu'il attende ou non son résultat avant d'introduire un recours devant la Cour, le fait d'avoir agi ainsi ne peut pas avoir pour effet de le mettre hors délai.

Nous concluons que le présent recours est recevable; et nous exprimons l'espoir que ce sera la dernière affaire dans la suite jurisprudentielle en cette matière. Nous estimons que le droit sur cette question souvent débattue devrait désormais être considéré comme établi.

Venons- en maintenant au fond de la présente affaire.

Le fond de l'affaire

Le point principal qui a été discuté a été celui de l'interprétation de la partie II.B.1 de l'avis de concours. A ce sujet, on a soutenu, au nom des requérants, qu'il convenait de s'en tenir à une interprétation littérale, de sorte que, pour admettre les requérants à prendre part au concours, il suffisait que chacun d'eux «possède une expérience professionnelle d'au moins neuf années dans des fonctions d'exécution de caractère technique situées, au sens du statut, au niveau de la catégorie C».
D'autre part, on a allégué, au nom de la Commission, que les dispositions de l'avis de concours doivent être interprétées à la lumière de leur but, de sorte qu'il faudrait comprendre que «l'expérience professionnelle» mentionnée dans la partie II.B.1 doit se rapporter au «domaine» choisi par le candidat et, dans le cas d'un candidat qui opte pour le domaine «arts graphiques», dans les deux sous-domaines choisis par lui.

Ainsi deux questions se posent:

i) celle de savoir si la Commission a raison en affirmant que l'expérience professionnelle mentionnée dans la partie II.B.1 doit être possédée dans le «domaine» choisi par le candidat;

et

ii) celle de savoir si, dans le cas des arts graphiques, cette expérience doit être possédée dans les deux sous-domaines choisis par le candidat.

Pour notre part, nous n'avons guère de difficulté à conclure que, sur la question i), la Commission a raison. En juger autrement reviendrait à estimer, contrairement au bons sens, qu'un candidat qui possède un certificat attestant des études du niveau de l'enseignement secondaire doit avoir une expérience dans le «domaine» choisi par lui (comme la partie II.A.1 le requiert expressément) mais que cette expérience n'est pas nécessaire pour un candidat qui ne possède pas ce certificat.

Pourquoi alors la partie II.B.1 n'établit-elle pas expressément qu'un candidat, non titulaire d'un certificat attestant des études de l'enseignement secondaire, doit posséder l'expérience professionnelle dans le domaine choisi par lui? Si, comme nous le pensons, l'explication ne peut pas être que les auteurs de l'avis de concours ont entendu que, dans le cas d'un tel candidat, l'expérience en n'importe quel domaine devrait suffire, la seule explication possible est qu'ils ont estimé que ce point
était si évident que, dans leur hâte, ils ont oublié qu'il était désirable de le rendre parfaitement clair. C'est pourquoi ils prêtent incontestablement à critique, mais à notre avis, il serait erroné de les lier à la signification littérale de leur texte.

A notre avis, la question ii) est plus difficile. Son examen fait apparaître encore plus fortement l'absence de soin avec lequel l'avis de concours a été rédigé. Bien que cet avis demandait aux candidats ayant choisi les «arts graphiques» comme leur domaine, d'opter pour deux «sous-domaines» compris dans leur champ d'activité, il ne mentionnait nulle part le but dans lequel il leur était demandé de le faire.

On a allégué au nom des requérants que ce but ne peut avoir été que de s'assurer des domaines dans lesquels les candidats désiraient subir les épreuves et, peut-être aussi, de faciliter à l'autorité investie du pouvoir de nomination le choix, sur la liste de candidats susceptibles d'être retenus par le jury, de personnes à nommer à certains postes. Toutefois, cet argument nous semble contenir en germe sa propre réfutation. Si telles avaient été les raisons pour lesquelles les candidats ayant choisi
les «arts graphiques» ont été priés d'opter pour des «sous-domaines», pourquoi n'aurait-ce pas été aussi une raison de s'assurer qu'ils possédaient «l'expérience professionnelle» requise? Après tout, quelle pouvait être la raison de contrôler la capacité d'un candidat dans un domaine dans lequel il affirmait n'avoir aucune expérience?

Cependant, l'absence de toute mention de «sous-domaine» dans le domaine des arts graphiques, dans la partie II de l'avis de concours de cette partie indique «une expérience professionnelle de six années»; le paragraphe A.3 b), «une expérience professionnelle de quinze années»; et le paragraphe B.1 (qui nous intéresse particulièrement ici), une «expérience professionnelle de neuf années». Cela signifie-t-il que, selon le paragraphe A.2, un candidat choisissant les «arts graphiques» doit posséder une
expérience de six années dans chacun des sous-domaines pour lesquels il a opté (soit un total de douze ans); que, selon le paragraphe A.3 b) il doit avoir une expérience professionnelle de quinze années dans chacun (soit un total de trente ans); et que, selon le paragraphe B.1, il doit posséder une expérience professionnelle de neuf années dans chacun (soit un total de dix-huit années)? Naturellement, la Commission a reculé devant une interprétation aussi déraisonnable. Elle a allégué qu'une
expérience de six, quinze ou neuf années (le cas échéant) était suffisante (comme elle l'a été pour les candidats ayant choisi des domaines autres que celui des arts graphiques) et qu'il appartenait au jury d'apprécier, dans le cas de chaque candidat choisissant les «arts graphiques», si au cours des six, quinze ou neuf années requises, il avait acquis une expérience adéquate dans chacun des sous-domaines pour lesquels il avait opté.

Cette interprétation suppose que l'on ajoute à la partie II de l'avis de concours un grand nombre de mentions qui n'y figurent pas et elle implique également que l'on attribue un large pouvoir discrétionnaire au jury. Toutefois, après quelques hésitations, nous sommes parvenus à la conclusion qu'elle est la seule exacte. Toute autre interprétation rendrait inutile l'exigence formulée dans l'avis de concours que les candidats optant pour les «arts graphiques» spécifient deux sous-domaines. Ici
encore, il nous semble que la solution réside dans un appel au bon sens. Nous n'oublions pas non plus l'argument avancé par la Commission selon lequel l'expérience dans un seul des sous-domaines des arts graphiques mentionnés dans l'avis de concours pourrait difficilement justifier la promotion d'un fonctionnaire de la catégorie C à la catégorie B.

En conclusion, nous estimons que la Commission a également raison sur la question ii).

Reste le point concernant les connaissances de M. Constant en matière de photogravure. On n'a pas beaucoup insisté en son nom sur cette question et, à notre avis, c'est avec raison. Quelle que soit l'étendue de ses connaissances et de son expérience en matière de photogravure (et à ce sujet nous ne savons que ce qui a été affirmé dans son rapport pour la période du 1er janvier 1970 au 30 juin 1971 et ce que M. Desbois a dit dans sa lettre du 10 février 1978), le fait est qu'il a omis d'y faire
référence dans son dossier de candidature. Il ne s'y est même pas référé dans sa lettre au président du jury du 14 février 1978. Il ne les a mentionnées que dans sa lettre à M. Desbois.

Nous savons tous combien, de par sa nature, le travail des jurys dans les institutions communautaires prend de temps et qu'il est constamment nécessaire d'alléger leurs procédures dans toute la mesure compatible avec l'accomplissement équitable et efficient de leurs fonctions. Dans ces circonstances, il doit incomber aux fonctionnaires qui désirent prendre part à des concours de veiller à inclure dans leurs dossiers de candidature tous les renseignements importants concernant leurs qualifications.
On ne peut pas attendre d'un jury qu'il fasse des recherches dans le dossier personnel de chaque candidat pour voir s'il a omis quelque chose. Un candidat ne peut pas compter non plus sur le service du personnel de son institution pour transmettre à un jury des éléments d'information sur lesquels il a attiré son attention mais non celle du jury.

En conséquence, nous estimons que M. Constant ne peut s'en prendre qu'à lui-même si son expérience en matière de photogravure n'a pas été suffisamment prise en considération par le jury — d'autant plus qu'il ne s'est, semble-t-il, prévalu ni de l'offre d'entretien de M. Desbois ni de celle de M. Rogalla.

En conclusion, nous estimons que les demandes des requérants doivent être rejetées. Nous serions parvenus à cette conclusion avec regret sans le fait que la validité de la liste de réserve constituée à la suite du concours expire à la fin de ce mois. Dans ces circonstances, il est difficile de voir quelle utilité pourrait avoir une décision de la Cour en faveur des requérants. Peut-être cela illustre-t-il la sagesse de la règle, établie par les arrêts de la Cour auxquels nous nous sommes référés,
selon laquelle un fonctionnaire qui désire attaquer une décision d'un jury ne doit pas retarder la procédure en adressant une réclamation à l'autorité investie du pouvoir de nomination mais intenter immédiatement un recours devant la Cour.

Dépens

Nous avons examiné la question de savoir si dans cette affaire une exception devait être faite à la règle générale découlant de l'article 70 du règlement de procédure de la Cour, selon laquelle, lorsqu'un recours comme celui-ci est rejeté, chaque partie doit supporter ses propres dépens. La raison pour laquelle nous l'avons fait est que, dans une large mesure, c'est la Commission qui a provoqué cette affaire en publiant un avis de concours mal rédigé. Toutefois, nous sommes parvenus à la conclusion
qu'aucune exception ne doit être faite, de peur que cela ne soit interprété comme une indication pour des fonctionnaires lésés que, toutes les fois qu'une institution communautaire publie un avis de vacance ou de concours ambigu, ils peuvent librement introduire un recours à son sujet sans courir aucun risque financier.

Conclusions

Nous concluons donc au rejet du recours avec les conséquences habituelles quant aux dépens.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 255/78
Date de la décision : 07/06/1979
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Andrée Heirwegh, épouse Anselme, et Roger Constant
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:148

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