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28/11/1978 | CJUE | N°110

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 28 novembre 1978., Ministère public et "Chambre syndicale des agents artistiques et impresarii de Belgique" ASBL contre Willy van Wesemael et autres., 28/11/1978, 110


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 28 NOVEMBRE 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Ces deux affaires sont soumises à la Cour sur renvoi préjudiciel du tribunal de première instance de Tournai.

Une lecture rapide des ordonnances de renvoi pourrait porter à penser qu'il ne s'agit dans ces espèces que de deux questions relativement peu importantes, la première étant une simple question d'interprétation de la directive du Conseil 67/43/CEE du 12 janvier 1967 (JO no 140/

67 du 19. 1. 1967) concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 28 NOVEMBRE 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Ces deux affaires sont soumises à la Cour sur renvoi préjudiciel du tribunal de première instance de Tournai.

Une lecture rapide des ordonnances de renvoi pourrait porter à penser qu'il ne s'agit dans ces espèces que de deux questions relativement peu importantes, la première étant une simple question d'interprétation de la directive du Conseil 67/43/CEE du 12 janvier 1967 (JO no 140/67 du 19. 1. 1967) concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour certaines activités de non salariés, et la seconde étant une question d'interprétation d'un article du
traité CEE qui, dans une large mesure, ne sort plus d'effets depuis l'expiration de la période transitoire, à savoir l'article 62 qui interdit aux États membres d'introduire de nouvelles restrictions à la liberté effectivement atteinte, en ce qui concerne la prestation des services, à l'entrée en vigueur du traité.

Néanmoins, comme tous ceux qui ont présenté des observations devant la Cour l'ont compris, ces affaires soulèvent en réalité des questions d'une plus grande portée sur l'interprétation des dispositions du traité relatives à la libre prestation de services, questions dont les réponses sont esquissées mais n'ont pas été envisagées sous tous les angles dans les arrêts de la Cour dans l'affaire 33/74, Van Binsbergen (Recueil 1974, p. 1299) dans l'affaire 36/74, Walrave et Koch/UCI (Recueil 1974,
p. 1405) et dans l'affaire 39/75, Coenen (Recueil 1975, p. 1547).

Les faits de la cause sont les suivants.

Le tribunal de Tournai doit connaître de deux poursuites engagées contre des prévenus auxquels il est reproché d'avoir violé l'arrêté royal belge, du 28 novembre 1975, relatif à l'exploitation des bureaux de placement payants. L'article 6 de cet arrêté rend illégale l'exploitation d'un bureau de placement payant pour artistes du spectacle sans licence octroyée par le ministre qui a l'emploi dans ses attributions. L'article 20 prévoit que, sauf convention de réciprocité entre la Belgique et leur
pays, les bureaux étrangers s'occupant du placement de ces personnes ne peuvent effectuer le placement en Belgique sans passer par l'intermédiaire d'un bureau titulaire d'une licence, auquel cas chacun des deux bureaux reçoit la moitié de la commission prévue. L'article 27 prévoit comme sanction des peines d'emprisonnement de huit jours à un an ou des amendes de 100 à 5000 francs, pour toute personne qui contrevient à cet arrêté royal. Au titre de son paragraphe 3, cet article prévoit en particulier
que sera passible de telles peines toute personne qui a recours à un bureau de placement payant dont l'exploitant ne détient pas de licence et, au titre de son paragraphe 5, que sera passible des mêmes peines toute personne qui exploite un bureau de placement étranger et qui a effectué un placement en Belgique en violation des dispositions de l'article 20.

Dans l'affaire 110/78, les prévenus sont M. Willy van Wesemael, domicilié à Ath, en Belgique, qui est dit exercer la profession d'ouvrier de café, et M. Jean Poupaert, qui exerce la profession d'agent artistique à Lille, en France, sous le nom de «Jean-Pierre Panir». Il appert que chaque année, à l'occasion de la foire commerciale de la ville, M. van Wesemael organise un spectacle à Ath. En mars 1976 il a engagé par l'intermédiaire de l'agence de M. Poupaert, un artiste français nommé Yves Lecocq,
pour donner une représentation d'une soirée, le 13 août 1976, à Ath. M. Poupaert prétend qu'il a fourni ce service depuis son bureau de Lille où M. van Wesemael s'est rendu pour signer le contrat conclu avec M. Lecocq. Aux dires de M. van Wesemael, la raison qui l'a conduit à faire appel aux services de M. Poupaert était que la commission de ce dernier ne s'élevait qu'à 10 % alors que l'agence de placement belge qu'il avait consultée auparavant facturait une commission de 25 %. M. van Wesemael est
poursuivi au titre de l'article 27, paragraphe 3, de l'arrêté royal, M. Poupaert au titre du paragraphe 5.

Dans l'affaire 111/78, les prévenus sont M. Romano Follachio, restaurateur à Bon-Secours, en Belgique, et M. Robert Leduc, qui exploite un bureau de placement d'artistes du spectacle, sous le nom de «Agence Robert Trébor», à Valenciennes, en France. Il appert que par l'intermédiaire de l'agence de M. Leduc, M. Follachio a engagé un certain nombre d'artistes du spectacle français pour un festival de trois jours, ayant lieu à Bon-Secours en octobre 1976. Dans ce cas également, il semble que ce soit le
niveau beaucoup moins élevé des frais qui ait déterminé le choix d'une agence française de préférence à un bureau belge. M. Follachio est poursuivi au titre de l'article 27, paragraphe 3, M. Leduc, au titre du paragraphe 5.

M. Poupaert et M. Leduc sont tous deux titulaires d'une licence qui leur a été octroyée en France au titre de la législation française correspondant à l'arrêté royal en question, à savoir les articles L 762 — 3 et suivants du Code du travail. Toutefois, il est admis sans conteste qu'ils ne sont pas titulaires de licences belges et qu'il n'existe pas, dans ce domaine, de convention de réciprocité (autre que le traité CEE) entre la Belgique et la France.

Dans les deux affaires, la Chambre syndicale des agents artistiques et impresarii de Belgique s'est constituée partie civile contre les prévenus. En effet, il s'avère que ces poursuites s'intègrent dans une contestation plus étendue opposant cette association au Syndicat national des agents artistiques de France quant à la compatibilité de l'arrêté royal avec le traité CEE.

M. Poupaert et M. Leduc affirment que cette dernière association, à laquelle ils appartiennent, interprète le traité comme habilitant les bureaux de placement belges, titulaires de licences, à fournir leurs services librement en France et qu'elle ne cherche pas à les en empêcher.

Dans l'affaire 111/78, il y a en outre constitution de partie civile de la part de M. Albert Gérard, qui est propriétaire d'un bureau de placement d'artistes du spectacle à Liège et qui a été déçu dans son espérance de toucher une commission pour le service d'intermédiaire dans les contrats conclus pour le festival de Bon-Secours. Il demande que les prévenus soient condamnés à lui verser à titre de dommages et intérêts une somme de 10000 francs.

Les ordonnances de renvoi montrent à l'évidence que le tribunal de première instance de Tournai avait concentré son attention sur deux points seulement.

L'un était celui de savoir si les articles 6 et 20 de l'arrêté royal du 28 novembre 1975 ont introduit de «nouvelles restrictions», contraires à l'article 62 du traité CEE.

A cet égard, le tribunal déclare que l'arrêté royal en question a abrogé un arrêté royal antérieur, du 10 avril 1954, relatif à l'exploitation de bureaux de placement payants, lequel, en ses articles 5 et 15, édictait les mêmes restrictions. En conséquence, l'arrêté royal du 28 novembre 1975 s'est borné à reprendre des dispositions préexistantes. Le tribunal en conclut qu'il n'existe pas de violation de l'article 62. Nous dirons dès l'abord que nous nous rallions à l'opinion selon laquelle le simple
fait d'abroger et de reprendre d'anciennes restrictions ne constitue pas l'introduction de nouvelles restrictions au sens de l'article 62.

Le deuxième point que le tribunal a examiné était celui de savoir si la directive 67/43/CEE avait «libéré» les bureaux de placement d'artistes du spectacle au sens des articles 52 et 59 du traité.

Le Conseil a adopté cette directive conformément aux articles 54 et 63 du traité aux fins de mettre en œuvre les programmes généraux pour la suppression des restrictions à la libre prestation de service et des restrictions à la liberté d'établissement que le Conseil avait adoptés le 18 décembre 1961 (JO no 2, du 15. 1. 1962, p. 32/62 et 36/62). Pour les besoins tant des délais prévus dans ces programmes généraux que de certaines directives adoptées pour leur mise en oeuvre, le Conseil a établi la
liste des activités économiques visées en ayant recours à l'«Index de la classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d'activité économique» (ou CITI) publié par le Bureau de statistique des Nations unies, la version utilisée étant celle qui résulte de la première révision de cet index (effectuée en 1958).

Aux termes de son intitulé, la directive 67/43/CEE concerne «la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour les activités non salariées relevant:

1) du secteur des “affaires immobilières” (sauf 6401) (groupe ex 640 CITI),

2) du secteur de certains “Services fournis aux entreprises non classés ailleurs” (groupe 839 CITI)».

L'article 1 de la directive prévoit en termes généraux, renvoyant en cela aux dispositions des programmes généraux, la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services «pour ce qui concerne l'accès aux activités mentionnées aux articles 2 et 3 et l'exercice de celles-ci».

L'article 2 spécifie quelles sont les activités relatives aux affaires immobilières visées par la directive.

L'article 3 qui porte entre parenthèses le titre: «(Services fournis aux entreprises non classés ailleurs)» est rédigé, pour ce qui intéresse l'espèce, dans les termes suivants:

«1. Les dispositions de la présente directive s'appliquent également aux activités non salariées relevant du secteur des “services fournis aux entreprises non classés ailleurs”, qui figurent à l'annexe I du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement (groupe 839 CITI), à l'exception des activités:

— du domaine de la presse,

— de l'agent en douane,

— de conseils en matière économique, financière, commerciale et statistique, ainsi qu'en matière de travail,

— de services de recouvrement de créances.

2. Entrent, au titre du paragraphe précédent, dans le champ d'application de la présente directive, les activités regroupées comme suit:

a) bureaux de placement privés,

b) …»

En conséquence, la question déterminante est celle de savoir si les bureaux de placement privés pour des personnes appartenant à l'industrie du spectacle tombent dans le groupe 839 de la CITI (Rev. 1).

Le tribunal a abouti à la conclusion que tel n'était pas le cas. Dans les observations qu'elle a présentées à la Cour, la Commission a estimé que c'était à bon droit que le tribunal s'était prononcé en ce sens et nous nous rallions à cet avis.

Dans la première partie, B, de la CITI qui contient la «nomenclature des branches, des classes et des groupes» d'activité économique, il apparaît (aux pages 18 et 19) que la classe 83 intitulée «Affaires immobilières et services fournis aux entreprises» comprend les groupes 831«Conseils juridiques», 832 «Comptabilité, vérification des comptes et tenue des livres», 833 «Services techniques» et 839 «Services fournis aux entreprises non classés ailleurs», alors que la classe 84 intitulée «Services
récréatifs» comprend le groupe 841 «Production, distribution et projection de films cinématographiques», 842 «Théâtres et services connexes» et 843 «Services récréatifs non classés ailleurs, théâtres et films cinématographiques exclus».

Dans la première partie, C, qui contient une «classification détaillée», le groupe 839 (aux pages 40 et 41) est défini dans les termes suivants:

«Services fournis aux entreprises non classés ailleurs:

Agences de publicité, agences de renseignements financiers, agences spécialisées dans le recouvrement des créances; tirages au duplicateur, reproduction héliographique, photostats; entreprises d'adresses et d'expédition de circulaires; entreprises de sténodactylographie; compilation et vente de listes d'adresses classées méthodiquement; agences de placement; agences de presse; journalistes et hommes de lettres; modélistes en vêtements; conseils du commerce et de l'industrie non classés ailleurs.»

Les groupes 841 et 842 sont déterminés comme suit:

«841 Production, distribution et projection de films cinématographiques

Production et distribution de films cinématographiques et services auxiliaires, tels que le développement, le tirage et le montage des films, la location de films et la réparation du matériel cinématographique; exploitation de salles de projections cinématographiques; engagement et placement d'artistes et figurants.

842 Théâtres et services connexes

Théâtres, troupes d'opéra, entreprises de concerts et troupes de répertoire; services tels que les agences de placement du personnel de théâtre et de location des places; studios de radiodiffusion et de télévision; orchestres de danse, orchestres symphoniques et artistes engagés par contrat ou au cachet; enregistrement sur disques de phonographes.»

En conséquence, les services tels que l'«engagement et placement d'artistes et figurants» et les «agences de placement du personnel de théâtre» qui sont mentionnés de façon expresse respectivement dans les groupes 841 et 842 ne peuvent pas être considérés comme «non classés ailleurs» au sens du groupe 839.

Le groupe 843, qui comprend les services récréatifs autres que les films cinématographiques et les théâtres, ne mentionnent aucun type de bureau de placement mais personne n'a suggéré que la solution du litige en dépendait.

Pour être complet, nous nous permettrons de mentionner que la deuxième partie de la CITI, qui contient l'«index numérique» inclut dans le groupe 839 «les bureaux de placement, sauf pour le personnel du théâtre et de la radio» (voir p. 174), alors que la troisième partie, qui contient l'«index alphabétique» présente les rubriques suivantes (voir p. 226):

«— Placement, bureaux, sauf pour le personnel du théâtre et de la radio: 839

— Radiodiffusion, agence de placement du personnel: 842

— Placement du personnel enseignant, agences: 839

— Agences théâtrales: 842.»

Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous rallions aux considérations du tribunal de Tournai et de la Commission, selon lesquelles le groupe 839 n'inclut pas le type de bureau de placement en cause en l'espèce.

Malgré les conclusions auxquelles il a abouti, le tribunal de Tournai a estimé qu'il devait déférer à la Cour de justice la question de la conformité de l'arrêté royal avec le traité CEE et qu'il devait lui demander de répondre, à titre préjudiciel, «notamment, et non limitativement» à quatre questions.

Les deux premières questions ont trait à l'interprétation de la directive 67/43/CEE. A notre avis, il y sera répondu à suffisance si la Cour dit pour droit que la directive ne s'applique pas aux bureaux de placement payants pour les artistes du spectacle parce que ceux-ci n'entrent pas dans le groupe 839 de la CITI.

La troisième question se rapporte à l'interprétation de l'article 62 du traité CEE. Il nous semble que la réponse adéquate serait que l'article n'interdit pas (en soi) d'abroger et de reprendre des restrictions qui existaient avant l'entrée en vigueur du traité.

La quatrième question est libellée dans les termes suivants:

«Si lesdits bureaux de placement payants pour les artistes du spectacle ne se classaient pas dans les groupes 839 de la classification internationale CITI, la Cour confirme-t-elle l'interprétation selon laquelle ils se rangeraient dans le groupe 842 non encore libéré?»

Il nous semble que le fait que le tribunal a posé ces quatre questions «notamment, et non limitativement», et en même temps le fait qu'il a exprimé dans la quatrième question l'idée selon laquelle, si lesdits bureaux de placement payants pour les artistes du spectacle se rangent dans le groupe 842, ils sont «non encore libérés», exige que la Cour pousse plus loin son examen.

Les affaires que nous avons citées au début de nos conclusions, à savoir les affaires Van Binsbergen, Walrave et Koch et Coenen, permettent de déduire l'existence des principes généraux suivants:

1) depuis la fin de la période transitoire, l'article 59, alinéa 1, du traité, a interdit, avec effet direct dans les États membres, toute restriction à la libre prestation de services à l'intérieur de la Communauté;

2) l'interdiction s'étend à toutes les restrictions imposées à un prestataire de service «en raison notamment de sa nationalité ou de la circonstance qu'il ne possède pas de résidence permanente dans l'État où la prestation est fournie, non applicables aux personnes établies sur le territoire national ou de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire» (10e attendu de l'arrêt Van Binsbergen et 6e attendu de l'arrêt Coenen);

3) depuis la fin de la période transitoire, le programme général et les directives prévues à l'article 63 du traité ont perdu leurs fonctions tendant à éliminer les restrictions à la libre prestation des services. La fonction qu'elles ont gardé consiste à introduire dans les législations des États membres «un ensemble de dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de cette liberté, notamment par la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et la coordination des
législations relatives à l'exercice des activités non salariées» (21e attendu de l'arrêt Van Binsbergen).

En posant ces principes généraux, la Cour de justice a suivi sa jurisprudence antérieure dans l'affaire 2/74, Reyners/État belge, (Recueil 1974, p. 631) concernant la liberté d'établissement. A cet égard, le droit a été développé ultérieurement dans l'affaire 71/76, Thieffry (Recueil 1977, p. 765) et dans l'affaire 11/77, Patrick (Recueil 1977, p. 1199).

Ces principes généraux sont soumis aux exceptions expressément prévues dans le traité. C'est ainsi qu'ils ne s'appliquent pas aux prestations qui ne sont pas fournies normalement contre rémunération ou à celles qui sont régies par les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux ou des personnes (article 60). Ils ne s'appliquent pas non plus aux prestations de service en matière de transports, qui sont régies par les dispositions du titre relatif aux
transports (article 61, paragraphe 1). En ce qui concerne les services des banques et des assurances qui sont liées à des mouvements de capitaux, l'application de ces principes est limitée, bien que non exclue, conformément à l'article 61, paragraphe 2. Ils ne s'appliquent pas aux activités qui, dans un État membre donné, participent, «même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique» (articles 66 et 55), une exception qu'il convient d'interpréter à la lumière de l'arrêt de la Cour dans
l'affaire Reyners. Ils ne préjugent pas non plus «l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (article 66 et 56), une exception qu'il convient de lire à la lumière d'un certain nombre de directives arrêtées par le Conseil et d'un certain nombre d'arrêts de la Cour, dont le dernier en date est à notre connaissance
l'arrêt rendu dans l'affaire 30/77, Regina/Bouchereau (Recueil 1977, p. 1999).

Personne n'a suggéré que l'une de ces exceptions s'appliquait en l'espèce.

A ces exceptions il convient d'ajouter une réserve que la Cour a estimé contenue implicitement dans le traité et dont l'application, dans les circonstances des présentes espèces, nous semble être la question essentielle soulevée.

Néanmoins, avant de nous consacrer à ce problème, nous devons examiner deux arguments présentés par le gouvernement belge et sur lesquels l'avocat de la Chambre syndicale des agents artistiques et impresarii de Belgique a beaucoup insisté lors de l'audience.

Le premier de ces deux arguments se fonde sur la convention no 96 de l'Organisation internationale du travail.

Cette convention qui s'intitule, conformément à son préambule, «la convention concernant les bureaux de placement payants, (révisée), 1949», mais que nous trouvons plus simple d'appeler la «convention no 96» ainsi que l'ont fait les avocats, a été ratifiée, comme la Commission nous l'a dit, par sept des États membres de la Communauté, à savoir tous exception faite du Danemark et du Royaume-Uni.

Cette convention est destinée à compléter «la convention sur le service de l'emploi, 1948, laquelle prévoit que tout membre pour lequel la convention est en vigueur doit maintenir ou assurer le maintien d'un service public et gratuit de l'emploi».

Dans la partie II, la convention prévoit la suppression progressive des bureaux de placement payants à fin lucrative et la réglementation des autres bureaux de placement. La partie III se borne à établir une réglementation des bureaux de placement payants, visant aussi ceux qui sont exploités à fin lucrative. Conformément à l'article 2 (partie I de la convention), tout membre de l'Organisation internationale du travail qui ratifie la convention a le choix entre accepter les dispositions de la
partie II ou accepter les dispositions de la partie III. Tout membre qui accepte les dispositions de la partie III peut ultérieurement notifier qu'il accepte les dispositions de la partie II auquel cas les dispositions de la partie III cessent de produire effet à son égard. Il appert que parmi les sept États membres de la Communauté qui ont ratifié là convention, tous ont accepte les dispositions de la partie II, bien que l'Irlande et l'Italie aient initialement accepté les dispositions de la
partie III.

Les dispositions de la partie II qui intéressent le cas d'espèce peuvent être résumées comme suit. Au titre de l'article 3, l'«autorité compétente» (une expression qui n'est pas définie mais qui, à la lumière du contexte, semble désigner toute autorité qui peut avoir qualité à cet égard dans chaque État) est habilitée à déterminer le délai dans lequel les bureaux de placement à fin lucrative seront supprimés et, parallèlement, à prescrire des délais différents pour la suppression des bureaux qui
s'occupent du placement de catégories différentes de personnes. L'article 4 prévoit que jusqu'à leur suppression, ces bureaux de placement seront soumis au contrôle de l'autorité compétente et qu'ils ne pourront prélever que les taxes et frais dont le tarif aura été approuvé par cette autorité. Ce contrôle tendra «spécialement à éliminer tous les abus concernant le fonctionnement des bureaux de placement payants à fin lucrative». L'article 5 permet à l'autorité compétente d'accorder des dérogations
à l'obligation de supprimer de tels bureaux de placement «à l'égard des catégories de personnes, définies de façon précise par la législation nationale, au placement desquelles il ne saurait être convenablement pourvu dans le cadre du service public de l'emploi». Cet article stipule encore:

«Tout bureau de placement payant auquel une dérogation est accordée en vertu du présent article:

a) sera soumis au contrôle de l'autorité compétente;

b) devra posséder une licence annuelle renouvelable à la discrétion de l'autorité compétente;

c) ne pourra prélever que des taxes et frais figurant sur un tarif qui sera, soit soumis à l'autorité compétente et approuvé par elle, soit déterminé par ladite autorité;

d) ne pourra, soit placer, soit recruter des travailleurs à l'étranger que s'il y est autorisé par l'autorité compétente et dans les conditions fixées par la législation en vigueur.»

L'article 8 oblige à prévoir des sanctions pénales appropriées, comprenant le retrait, s'il y a lieu, de la licence pour toute infraction aux dispositions législatives ou réglementaires faisant porter effet à la convention.

Le gouvernement belge et la Chambre syndicale déclarent que l'arrêté royal en cause en l'espèce a été pris conformément aux obligations qui incombent à la Belgique au titre de la convention. En effet, des visas renvoient à la convention, puis les considérants sont rédigés dans les termes suivants:

«Considérant que les derniers bureaux de placement payants autorisés pour domestiques et gens de maison et pour travailleurs agricoles ont cessé leur activité;

Considérant qu'il ne peut être actuellement convenablement pourvu dans le cadre du service public de l'emploi, au placement des artistes du spectacle et que l'existence des bureaux de placement payants les concernant doit être provisoirement maintenue et leur contrôle renforcé ou organisé.»

Conformément aux considérants, l'effet combiné des articles 2 et 3 est d'interdire l'exploitation de tout bureau de placement payant excepté pour les artistes du spectacle. Les articles suivants réglementent les bureaux de placement pour les artistes du spectacle de la façon prévue à la convention. De tels bureaux peuvent seulement être exploités jusqu'à ce que le ministre compétent estime que le service public de l'emploi est en mesure d'assurer efficacement le placement des artistes du spectacle —
voir article 17 qui, combiné avec les dispositions de l'article 10, stipule que, dans cette hypothèse, la licence ne peut plus être renouvelée annuellement que trois fois.

Ni le gouvernement belge ni la Chambre syndicale ne sont allés jusqu'à faire valoir que si la Belgique admettait les bureaux de placement payants titulaires d'une licence en France à fournir leurs services en Belgique, la Belgique violerait certaines obligations qui lui incombent au titre de la convention. Bien que cela soit peut-être surprenant, tel n'est certainement pas le cas, parce que la convention (en vertu de son article 5) (d)) oblige chaque membre de l'Organisation internationale du
travail qui la ratifie à réglementer la prestation par les bureaux de placement établis sur son territoire de leurs services à l'étranger et ne contient aucune disposition obligeant un membre à réglementer la prestation de services sur son territoire par des bureaux établis à l'étranger. Ainsi, dans le système de la convention, il appartient à l'autorité compétente française de réglementer la prestation de services en Belgique par les bureaux établis en France.

Si nous avons bien compris le gouvernement belge et la Chambre syndicale en leurs observations, leur argumentation est qu'il serait singulier que les articles 59 et suivants du traité entraînent les conséquences présentées ici par les prévenus et par la Commission, parce que dans cette mesure ils auraient pour effet de contrecarrer les principes qui découlent de la convention et qui sont également ceux de la réglementation belge. A notre avis, et nous espérons que nous pouvons nous permettre de nous
exprimer brièvement, la réponse est que ces principes, quels qu'en soient les avantages ou les inconvénients, ne sont pas des principes communautaires. Ni la convention ni quelqu'autre règle de même nature ne fait partie intégrante du droit communautaire.

L'autre argument présenté par le gouvernement belge et la Chambre syndicale est que l'arrêté royal ne crée pas de discrimination à l'égard des agences théâtrales établies dans d'autres États membres de la Communauté parce que tout bureau de cette nature peut demander et obtenir une licence au titre de l'arrêté. Nous devons avouer que nous avons trouvé l'affirmation surprenante parce qu'à la lecture de l'arrêté il nous semblait que pour le moins certaines des conditions qu'il posait ne pouvaient être
remplies que par une agence établie en Belgique. Néanmoins, il ne nous appartient pas, en tous cas au titre d'une demande de décision à titre préjudiciel conformément à l'article 177 du traité CEE, d'exprimer notre opinion sur l'interprétation de la législation belge et encore moins de spéculer sur les chances de succès, en pratique, d'une demande de licence introduite au titre de cette législation par une entreprise établie hors de Belgique. Il ressort des informations communiquées à la Cour au nom
du gouvernement belge lors de l'audience et ultérieurement par télex qu'alors que dans deux cas des licences ont été octroyées à des ressortissants néerlandais exploitant des bureaux en Belgique, il ne s'est présenté, en fait, aucun cas de licence octroyée à une entreprise n'ayant pas d'établissement en Belgique.

En toute hypothèse, le gouvernement belge concède que pour obtenir une licence en Belgique, une telle entreprise devrait satisfaire pour le moins aux conditions de l'article 8, 8), de l'arrêté royal qui concerne le dépôt en Belgique de certains documents, à savoir les documents déterminés conformément à l'article 9 par l'article 6 d'un arrêté ministériel d'exécution du 1er décembre 1975.

Ces documents sont les suivants:

1) des fiches individuelles sur lesquelles est porté chaque placement réalisé,

2) un registre qui doit être conforme au modèle donné en annexe de l'arrêté ministériel, qui doit être «coté et paraphé au greffe du tribunal de commerce du ressort» et qui doit également donner des détails sur chaque placement réalisé, et

3) un exemplaire de tout contrat écrit qui sanctionne un placement réalisé par l'agence.

Rien dans l'arrêté ministériel ne suggère que dans le cas d'un bureau de placement établi hors du territoire belge, seuls les placements réalisés en Belgique doivent être répertoriés dans ces documents. En fait, l'arrêté ministériel ne semble pas envisager la possibilité d'une agence établie hors de Belgique et soumise à ces dispositions.

Parmi les autres conditions auxquelles doit satisfaire toute personne qui demande une licence belge, figure, au titre de l'article 8, 6), de l'arrêté royal, l'obligation de déposer un cautionnement à la Banque nationale de Belgique, à la Caisse des dépôts et consignations ou à la Caisse générale d'épargne et de retraite, et l'obligation de supporter le montant de certains frais d'enquête déterminés par le ministre au titre de l'article 9. Aux termes de l'article 2, 7), de l'arrêté ministériel que
nous avons cité, ces frais d'enquête s'élèvent à 1000 francs. Conformément à l'article 3 dudit arrêté ministériel, le cautionnement est fixé normalement à 50000 francs, mais cette somme est portée à 100000 francs si le bureau de placement intéressé désire être autorisé à placer des artistes à l'étranger ou à les recruter hors du territoire national. Il n'y est pas spécifié si une agence établie à l'étranger et désirant obtenir une licence belge dans le seul but d'être autorisée à placer des artistes
en Belgique doit déposer la plus petite ou la plus élevée de ces deux sommes.

Si l'opinion défendue par le gouvernement belge et la Chambre syndicale est exacte, une agence établie hors du territoire de Belgique qui désire, même à titre occasionnel, fournir des services à des clients en Belgique sera donc confrontée à des difficultés sensibles d'ordre administratif et financier. On peut, selon nous, examiner de la façon suivante si cette situation est compatible avec celle qu'ont envisagée les auteurs des articles 59 à 66 du traité. Supposons qu'une législation analogue à
celle de la Belgique existe dans chacun des neuf États membres. Dans une telle hypothèse, une agence désirant étendre ses activités à l'ensemble de la Communauté serait obligée non seulement de demander une licence dans chaque État membre, mais également de déposer des documents complexes et une importante somme d'argent dans chacun d'entre eux. Selon nous, cela ne peut pas correspondre à ce que les auteurs du traité ont désigné sous l'expression «libre prestation de services». Cela n'est pas non
plus compatible avec la notion de marché commun. Il nous semble qu'il s'agit là précisément du type de situation envisagée par la Cour lorsqu'elle parle, dans les affaires Van Binsbergen et Coenen, de «restrictions … de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire».

Il convient d'observer que le Conseil a montré à plusieurs reprises qu'il défendait un point de vue analogue. A titre d'exemple, nous avons choisi les considérants de la directive du Conseil 78/686/CEE, du 25 juillet 1978 (JO no L 233 du 24. 8. 1978), qui contient des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services des praticiens de l'art dentaire. Il y est dit qu'«en cas de prestations de services, l'exigence d'une inscription ou
affiliation aux organisations ou organismes professionnels … constituerait incontestablement une gêne pour le prestataire …». En conséquence, l'article 15 de la directive enjoint aux États membres de supprimer de telles conditions sous réserve pour eux de prévoir «une inscription temporaire intervenant automatiquement ou une adhésion “pro forma” à une organisation ou à un organisme professionnel ou sur un registre, à condition que cette inscription ne retarde ou ne complique en aucune manière la
prestation de services et n'entraîne pas de frais supplémentaires pour le prestataire de services», et sous réserve également pour les États membres de prévoir, au cas où l'exécution d'une prestation entraîne un séjour temporaire sur leur territoire, que la personne qui y exécute une prestation fasse auparavant aux autorités compétentes une déclaration relative à la prestation et qu'elle fournisse une attestation certifiant qu'elle possède les titres requis, ou en cas d'urgence, qu'elle accomplisse
ces formalités «dans les meilleurs délais après la prestation de services».

A notre avis, si nous pouvons nous permettre de nous exprimer ainsi, le gouvernement belge s'est mépris sur le fond du problème soulevé en l'espèce.

Nous avons dit que la question essentielle qui se pose dans ces affaires est à notre sens celle qui concerne l'application aux cas d'espèce d'un principe que la Cour considère comme contenu implicitement dans le traité. C'est de cette question que nous allons enfin traiter maintenant.

Dans les conclusions qu'il a rendues dans l'affaire van Binsbergen, l'avocat général M. Mayras a posé le problème soulevé dans les termes suivants (Recueil 1974, p. 1326 et 1317):

«… il est essentiel, pour la solution que vous donnerez à la présente affaire préjudicielle, de nous expliquer sur la distinction qu'il y a lieu de faire entre les règles relatives au droit d'établissement et celles qui gouvernent la libre prestation de services.

Il faut, en effet, souligner que le professionnel, ressortissant d'un État membre, “établi”, au sens de l'article 52, sur le territoire d'un autre État membre, est, du fait même de cet établissement, soumis à la loi du pays d'accueil dont la puissance publique peut lui imposer, pour l'accès à son activité et pour son exercice, les conditions mêmes qu'il exige de ses propres nationaux et le soumettre, par conséquent, aux mêmes contrôles.

C'est dire que ce résident étranger, privilégié parce que communautaire, doit certes bénéficier de l'égalité de traitement, mais ne peut se soustraire aux prescriptions du droit national, quand bien même ce droit serait, dans l'avenir, harmonisé avec les législations des autres États de la Communauté.

Le prestataire de services, au contraire, n'est pas, par définition, un résident; il n'est pas “établi” …

Dès lors, et c'est un aspect fondamental de la différence qui existe entre, d'une part, les simples prestations, occasionnelles, de services, voire l'activité temporaire et, d'autre part, l'établissement: le prestataire de services a, dans une certaine mesure, la possibilité de se soustraire à l'emprise et au contrôle des autorités nationales du pays où sont fournies les prestations.

Il est aisé de comprendre qu'une telle situation comporte des risques, tant sur le plan de la déontologie que pour la mise en jeu éventuelle de la responsabilité: professionnelle, civile ou même pénale, du prestataire de services …

C'est pourquoi, tout en assurant le respect du principe de non-discrimination, il est nécessaire d'en concilier les exigences avec celles que requiert la protection des particuliers, destinataires des prestations de services, et de tenir compte des nécessaires moyens de contrôle que les autorités nationales doivent pouvoir mettre en oeuvre dans ce but.»

Dans l'affaire Van Binsbergen, après avoir déclaré ce qu'était l'effet général de l'article 59 du traité, la Cour a dit ce qui suit (aux 11e et 13e attendus de l'arrêt):

«attendu que, compte tenu de la nature particulière des prestations de services, on ne saurait cependant considérer comme incompatibles avec le traité les exigences spécifiques, imposées au prestataire, qui seraient motivées par l'application de règles professionnelles justifiées par l'intérêt général — notamment les règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité — incombant à toute personne établie sur le territoire de l'État où la prestation est fournie,
dans la mesure où le prestataire échapperait à l'emprise de ces règles en raison de la circonstance qu'il est établi dans un autre État membre;

que, de même, on ne saurait dénier à un État membre le droit de prendre des dispositions destinées à empêcher que la liberté garantie par l'article 59 soit utilisée par un prestataire dont l'activité serait entièrement ou principalement tournée vers son territoire, en vue de se soustraire aux règles professionnelles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet État, une telle situation pouvant être justiciable du chapitre relatif au droit d'établissement et non de
celui des prestations de service.»

Dans l'affaire Coenen, nous avons hasardé l'opinion qu'en posant ces principes, la Cour reconnaissait … ce que les auteurs du traité avaient eux-mêmes admis à l'article 57: «il existe de nombreuses professions et métiers d'une nature telle que, faute d'adoption et d'application de dispositions garantissant que les personnes les exerçant sont honnêtes, d'une compétence suffisante et se conforment à des normes appropriées, un grave préjudice peut être subi par la collectivité dont font partie leurs
clients ou leurs malades» (Recueil 1975, p. 1560).

Dans les cas d'espèce que nous examinons présentement, le deuxième principe que la Cour a posé dans l'affaire Van Binsbergen ne s'applique pas, parce que personne ne suggère que les activités de M. Poupaert ou de M. Leduc sont entièrement ou principalement tournées vers la Belgique. Mais le premier de ces principes intéresse le cas d'espèce parce qu'il est admis sans conteste que le but fondamental visé par l'arrêté royal du 28 novembre 1975 est de protéger les personnes travaillant dans l'industrie
du spectacle et leurs employeurs éventuels contre une exploitation par des bureaux sans scrupules. La question est celle de savoir comment, dans les circonstances particulières données, ce principe peut sortir ses effets.

La Commission a estimé que le principe serait respecté si l'on admettait qu'une agence établie dans un quelconque État membre était libre de fournir ses services sans restrictions dans tout État membre pourvu que dans l'État où elle est établie elle soit soumise à des règles d'organisation, de déontologie, de contrôle et de responsabilité équivalentes à celles de l'État où la prestation de services est exécutée. De surcroît, la Commission a estimé que lorsque dans les deux États les règles
applicables sont directement inspirées de la même convention internationale, une telle équivalence doit être constatée.

Au vu des observations présentées, la Cour a demandé des précisions sur la législation actuellement en vigueur dans ce domaine dans chacun des États membres.

A cet égard, il nous semble que la situation peut être résumée comme suit. Dans deux États membres, à savoir l'Italie et le Luxembourg, le service public de l'emploi a un monopole; les bureaux de placement privés sont interdits. Hormis deux exceptions, il existe partout ailleurs une législation prévoyant que les bureaux privés de placement doivent être titulaires d'une licence. Bien que cette législation ne soit pas identique dans tous les États, les protections qu'elles offrent sont analogues en
substance, même au Danemark et en Grande-Bretagne. On ne relève presque pas de différence entre les législations belge et française. Les deux exceptions sont constituées par l'Irlande du Nord et les Pays-Bas. Il appert que l'Irlande du Nord n'a aucune législation dans ce domaine. Aux Pays-Bas, il existe une législation réglementant les bureaux de placement en général, mais ainsi que la Commission nous l'a fait savoir, le Hoge Raad a estimé que celle-ci ne s'appliquait pas aux agences pour les
personnes travaillant dans l'industrie du spectacle parce que les contrats qu'elles concluent avec les personnes qui les engagent sont des contrats ayant pour objet une prestation de service en particulier et non pas des contrats de travail (NJ, 1966, 366).

A l'évidence, la législation dans les différents États membres, telle qu'elle est applicable à un moment donné ne peut pas constituer en soi un moyen d'interprétation du traité. Mais son examen peut aider la Cour à décider comment, au vu d'un problème pratique, elle peut donner à une question telle que celle qui se présente en l'espèce la réponse la plus utile pour la juridiction nationale.

En ce qui concerne les cas d'espèce, nous nous rallions à l'avis de la Commission dans la mesure où nous pensons qu'il serait approprié que la Cour dise: depuis la fin de la période transitoire, il est contraire au droit, au titre des articles 59 à 66 du traité, qu'un État membre prescrive des restrictions à la libre prestation de services sur son territoire par un bureau de placement privé pour des artistes du spectacle, établi dans un autre État membre et légalement titulaire d'une licence, pour y
exploiter ce bureau, dès lors que la législation au titre de laquelle il a obtenu la licence offre aux personnes qui ont recours au bureau de placement des protections substantiellement analogues à celles que la législation du premier État membre offrirait à l'égard d'un bureau titulaire d'une licence dans cet État. Une telle décision ne répondrait pas à la question, qu'il n'est pas nécessaire d'examiner dans les cas d'espèce, de savoir si et dans quelle mesure une agence privée titulaire d'une
licence dans un État membre est libre de fournir des services dans un autre État membre où le service public de l'emploi bénéficie d'un monopole.

D'autre part, nous serions d'avis de rejeter l'opinion défendue par la Commission selon laquelle il conviendrait d'examiner si la législation de l'État membre dans lequel l'agence est établie s'inspire d'une convention internationale. En premier lieu, nous ne pouvons déceler aucun principe de droit sur la base duquel on pourrait admettre une convention telle que la convention no 96 de l'Organisation internationale du travail à jouer un rôle en droit communautaire. En second lieu, les conditions
posées par la convention (que nous avons citées ci-dessus) sont exprimées de manière si brèves et en termes si généraux qu'elles sont susceptibles de faire l'objet d'applications très diverses dans les différents États. En dernier lieu, nous faisons observer que la situation des Pays-Bas (si la Commission l'a décrite de manière exacte) montre que la simple circonstance qu'un État ait ratifié la convention n'implique pas qu'il ait une législation pertinente et appropriée. En réalité, adopter
l'opinion de la Commission conduirait à créer une discrimination entre les agences établies dans les différents États membres non pas sur la base de la législation réellement applicable dans chaque État mais sur la base d'un critère étranger dépourvu de pertinence.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 110
Date de la décision : 28/11/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Tournai - Belgique.

Libre prestation de services - Bureaux de placement payants.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Ministère public et "Chambre syndicale des agents artistiques et impresarii de Belgique" ASBL
Défendeurs : Willy van Wesemael et autres.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:212

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