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03/06/1976 | CJUE | N°56-75

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 3 juin 1976., Raymond Elz contre Commission des Communautés européennes., 03/06/1976, 56-75


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 3 JUIN 1976 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'affaire sur laquelle nous nous prononçons aujourd'hui a trait, d'une part, à la question de savoir si un fonctionnaire de la Commission en service à Bruxelles peut exiger que sa rémunération soit virée dans une banque du Luxembourg. En outre, le requérant à la présente instance poursuit en dommages-intérêts la Commission au motif qu'elle lui aurait transmis tardivement une citation à comparaître dans un pro

cès civil auquel il était partie.

Quant aux faits de l'instance, il convient tout d'abo...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 3 JUIN 1976 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'affaire sur laquelle nous nous prononçons aujourd'hui a trait, d'une part, à la question de savoir si un fonctionnaire de la Commission en service à Bruxelles peut exiger que sa rémunération soit virée dans une banque du Luxembourg. En outre, le requérant à la présente instance poursuit en dommages-intérêts la Commission au motif qu'elle lui aurait transmis tardivement une citation à comparaître dans un procès civil auquel il était partie.

Quant aux faits de l'instance, il convient tout d'abord d'exposer en détail les points suivants.

Le requérant a tout d'abord exercé pendant assez longtemps ses fonctions à Luxembourg en tant que fonctionnaire de la Commission. En octobre 1968, il a été muté à Bruxelles, mais la Commission a continué, sur sa demande, de lui verser sa rémunération auprès d'une banque luxembourgeoise. Les choses en sont restées là, même après que le requérant eut, en octobre 1971, transféré à Bruxelles son domicile familial qui avait été jusque là fixé à Luxembourg.

La Commission a reçu le 22 août 1974 une demande émanant du requérant qui la priait de bien vouloir virer sa rémunération auprès d'une autre banque luxembourgeoise, étant donné que celle-ci lui avait consenti à titre personnel une ouverture de crédit à la condition que le versement de sa rémunération soit domicilié auprès du donneur de crédit; en d'autres termes, le requérant devait à cet effet délivrer à la Commission un ordre de virement irrévocable qui n'aurait pu être rapporté qu'avec
l'assentiment de la banque.

Par note du 27 août 1974, cette demande a été toutefois rejetée. La Commission a invoqué à l'appui de ce refus la circonstance que la banque luxembourgeoise auprès de laquelle la rémunération du requérant avait été virée jusque là au titre de la domiciliation n'avait pas émis une renonciation en ce sens. En effet, la déclaration de renonciation de cette banque en date du 9 août 1974 n'est parvenue à la Commission que le 3 septembre 1974. D'autre part, la note se référait à l'article 17,
paragraphe 1, de l'annexe VII du statut du personnel, qui stipule que «les sommes dues au fonctionnaire sont payées au lieu et dans la monnaie du pays où le fonctionnaire exerces ses fonctions».

C'est environ à cette époque que le requérant a été impliqué dans un litige l'opposant aux loueurs de l'appartement qu'il occupait à Bruxelles et qui avait trait au paiement de ses loyers. A cet effet, une citation à comparaître pour le 10 octobre 1974 devait lui être signifiée et, pour ce faire, le ministère des affaires étrangères belge s'est adressé à la Commission par lettre du 26 septembre 1974 accompagnée de deux expéditions d'une citation à comparaître. Les services compétents de la
Commission se sont efforces, comme cela a été expliqué en cours d'instance, de joindre par téléphone le requérant à son bureau. Le requérant n'ayant pu être contacté il était en effet absent à l'époque en raison d'une maladie la citation a été renvoyée le 10 octobre 1974 au ministère des affaires étrangères belge. La Commission a pu donner suite a une nouvelle demande présentée par ce ministère en vue de la citation du requérant, formulée cette fois par lettre du 24 octobre 1974, en remettant la
citation au requérant le 4 novembre 1974. Mais entre-temps, c'est-à-dire le 25 octobre 1974, un jugement par défaut avait déjà été rendu à l'encontre du requérant.

Tous ces incidents ont amené le requérant à adresser le 26 novembre 1974 une réclamation officielle à l'autorité investie du pouvoir de nomination. Il y a fait valoir que le refus opposé le 27 août 1974 à sa demande tendant à faire transférer sa rémunération était illégal. Dans la mesure où il n'avait pu bénéficier par la suite des conditions de crédit favorables de la banque luxembourgeoise, ce refus lui avait, prétendait-il, causé un dommage matériel; mais il avait également subi un préjudice
moral. La signification tardive de la citation à comparaître au procès civil intenté contre lui en Belgique avait entraîné le prononcé d'un jugement par défaut et l'avait ainsi contraint a faire opposition contre ce jugement et, partant, a exposer des frais. Le requérant estimait avoir également subi de ce chef un préjudice matériel et moral.

Aucune suite n'ayant été donnée à sa réclamation il est regrettable, soit dit en passant, que l'administration ait beaucoup trop souvent cette réaction peu satisfaisante dans le cadre de la procédure administrative le requérant a saisi la Cour de justice, le 26 juin 1975.

Il concluait dans sa requête à ce qu'il plaise à la Cour:

— annuler la décision de rejet relative au virement de sa rémunération à Luxembourg;

— déclarer que la Commission est tenue de virer la rémunération du requérant auprès de la banque luxembourgeoise que celui-ci aura désignée;

— condamner la Commission, en raison de ce refus, à verser au requérant une indemnité s'élevant respectivement à 50000 francs belges au titre du préjudice matériel et du préjudice moral;

— dire pour droit que la Commission a commis une faute de service dans la transmission de la citation à comparaître au procès civil auquel le requérant était partie, et

— condamner la Commission à verser 10000 francs belges de dommages-intérêts en raison de cette faute de service.

Les conclusions tendant à la condamnation au versement de dommages-intérêts ont été modifiées dans la réplique; le requérant conclut à ce que la Commission soit condamnée, pour avoir refusé de virer à Luxembourg sa rémunération, à verser 43500 francs belges au titre de préjudice matériel et 1 franc belge au titre du préjudice moral. En outre, la demande de dommages-intérêts présentée en raison de la transmission tardive de la citation en justice a été ramenée à 1 franc belge.

1. Pour examiner la substance du litige, nous allons tout d'abord envisager les problèmes afférents au virement au Luxembourg de la rémunération du requérant.

a) A ce sujet, il convient de traiter en premier lieu la question générale de savoir si le statut reconnaît un tel droit aux fonctionnaires luxembourgeois en poste à Bruxelles, ou s'il faut retenir l'interprétation des dispositions du statut que la Commission a invoquée pour justifier le refus qu'elle a exprimé au mois d'août 1974.

Aux termes de l'article 63 du statut du personnel, la rémunération du fonctionnaire est exprimée en francs belges et elle est payée dans la monnaie du pays où le fonctionnaire exerce ses fonctions. L'article 62 renvoie en outre à l'annexe VII du statut du personnel et stipule expressément que les fonctionnaires ont droit à leur rémunération dans les conditions fixées à cette annexe.

L'article 17, paragraphe 1, de l'annexe VII, c'est la disposition fondamentale que nous avons déjà citée, prévoit que les sommes dues au fonctionnaire sont payées au lieu et dans la monnaie du pays où le fonctionnaire exerce ses fonctions. L'article 17, paragraphe 2, pose ensuite des dérogations au principe, en permettant des transferts réguliers dans d'autres monnaies et, par conséquent, dans d'autres lieux. Mais ces dérogations ne portent que sur une partie de la rémunération, c'est-à-dire
pour l'indemnité de dépaysement et pour les sommes destinées à couvrir des dépenses résultant de charges régulières et prouvées que l'intéressé aurait hors du pays du siège ou hors du pays où il exerce ses fonctions. L'article 17, paragraphe 3, établit une autre dérogation, selon laquelle le fonctionnaire peut être autorisé, à titre exceptionnel et pour des cas dûment justifiés, à faire transférer les montants dont il désirerait pouvoir disposer dans les devises visées au paragraphe 2.

La présente affaire a seulement trait à la portée du paragraphe 1 de l'article 17 qui est la seule disposition que le requérant invoque, à l'exclusion des possibilités ouvertes par les autres paragraphes de l'article 17.

Eu égard à l'économie générale de l'article 17, et notamment au libellé de son paragraphe 1, il est indubitable selon nous que l'interprétation que la Commission estime correcte est la seule interprétation exacte. Puisqu'il stipule que le traitement dû à un fonctionnaire est payé au lieu et dans la monnaie du pays où il exerce ses fonctions, l'article 17, paragraphe 1, ne permet manifestement pas des paiements effectués dans la monnaie d'un autre État membre ou dans un lieu situé en dehors de
l'État du siège. Selon nous, il est contraire à tous les principes d'interprétation courants de se livrer, en dépit du caractère non équivoque de la rédaction d'une disposition comme celle de l'article 177, paragraphe 1, à des considérations relatives à la finalité du texte et de défendre, en se réclamant de cette finalité, une interprétation incompatible avec la lettre de cette disposition et qui aurait pu être tout aussi bien consacrée, si telle avait été l'intention du législateur, à l'aide
d'une autre rédaction. Mais, cela mis à part, il convient également de dire que les développements du requérant relatifs à la ratio legis de l'article 17, qui tendrait à éviter des versements dans les différents États membres et à éviter des distorsions de la politique monétaire des pays membres, non seulement ne sont étayés par aucun argument, par exemple par des travaux préparatoires, mais encore ils sont assurément erronés d'après les déclarations de la Commission. En effet, la Commission
utilise l'appareil bancaire pour transférer les traitements, et elle est titulaire de comptes dans tous les pays membres. La ratio legis de l'article 17 doit donc plutôt être considérée, ainsi que la Commission l'a relevé à bon droit, à la lumière de l'obligation de résidence des fonctionnaires consacrée par l'article 20 du statut du personnel, c'est-à-dire de l'obligation de s'établir au lieu de l'affectation ou à une distance telle de celui-ci que le fonctionnaire ne soit pas gêné dans
l'exercice de ses fonctions. En effet, l'article 17 de l'annexe VII n'est rien d'autre que la conséquence logique de l'obligation de résidence, et il garantit ainsi avant tout un traitement uniforme de tous les fonctionnaires au regard du paiement de leur rémunération.

Il n'est d'ailleurs pas possible non plus à notre sens de justifier l'interprétation de l'article 17 souhaitée par le requérant en invoquant les relations particulières que la Belgique entretient avec le Luxembourg, c'est-à-dire en invoquant l'Union économique belgo-luxembourgeoise. L'élément déterminant à cet égard, c'est que ces relations particulières étaient fort bien connues lorsque le statut du personnel a été élaboré, mais n'ont cependant pas été prises en considération. On peut
seulement en déduire que même en ce qui concerne les fonctionnaires belges ou luxembourgeois ou d'une façon plus générale, les fonctionnaires ayant des relations particulières avec ces pays, il ne peut être procédé à des transferts de traitement au-delà de l'État du siège, par dérogation à l'article 17, paragraphe 1, que sur la base des paragraphes 2 et 3 de cet article applicables à tous les fonctionnaires.

Nous pouvons donc tout d'abord retenir que la Commission a interprété correctement l'article 17, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut du personnel et que cette disposition ne fonde, au profit du requérant, aucun droit au transfert de sa rémunération à Luxembourg.

b) Il convient ensuite d'examiner quelle importance s'attache au fait que la rémunération du requérant a été effectivement versée à Luxembourg durant des années, même après la mutation de l'intéressé à Bruxelles en 1968. Il y a donc lieu de se demander si l'on peut de ce fait parler de droits acquis que l'on ne saurait supprimer d'emblée.

A ce sujet, on peut laisser ouverte la question de savoir si une telle pratique semblait admissible compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles le requérant s'est trouvé après sa mutation et jusqu'à la fin de 1971 (séjours prolongés à Luxembourg pour des raisons de santé et maintien du domicile familial à Luxembourg). En effet, ces circonstances n'existaient assurément plus à l'été de 1974. Nous reviendrons par la suite sur le fait que le requérant a obtenu pendant l'été 1974
une promesse de crédit d'une banque luxembourgeoise, fait qui a pu également jouer un rôle en l'espèce.

Au regard de la question décisive de savoir si une mesure administrative de faveur — le virement du traitement au Luxembourg — qui, comme nous l'avons montré, était en elle-même contraire au statut, a pu être rapportée pour l'avenir, au cours de l'été de 1974, après avoir été appliqué pendant plusieurs années, le requérant, qui s'efforce de justifier un grief formulé à l'encontre de la Commission, invoque avant tout à cet effet l'arrêt que la Cour de justice a rendu dans les affaires 7-56 et 3
à 7-57 (volume 3, p. 119). Il déduit de cet arrêt, comme du reste des ordres juridiques nationaux de quelques pays membres, c'est-à-dire des droits français, belge et allemand, le principe selon lequel l'administration est tenue de respecter un délai raisonnable. Le requérant estime d'autre part qu'il importe de savoir si l'on peut parler d'une violation grave de la règle de droit et s'il est indispensable de la faire cesser pour l'avenir afin d'éviter que l'administration ne subisse un
préjudice grave. A défaut de toutes ces conditions en l'espèce, on ne saurait admettre, selon le requérant, que la Commission ait pu au cours de l'été 1974 revenir sur une décision prise en faveur du requérant en 1968.

Nous ne pourrons pas davantage suivre le requérant sur ce point.

Il a été relevé à bon droit, au cours de l'instance, qu'il n'est en principe nécessaire d'observer un délai raisonnable que pour abroger rétroactivement des mesures administratives de faveur qui sont illégales. Il faudrait en outre relever que les arrêts rendus en matière de péréquation des ferrailles ont considérablement réduit la portée de ce principe (cf. arrêt rendu dans l'affaire 14-61, volume 8, p. 520). Or, la présente affaire concerne au contraire la simple modification pour l'avenir
d'une pratique administrative. L'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire 15-60 (volume 7, p. 242) a montré la méthode à retenir quand de tels faits se présentent. Dans cette affaire, il s'agissait de la suppression pour l'avenir de l'indemnité de séparation accordée à tort à un fonctionnaire. L'arrêt déclare à ce propos: «si l'autorité administrative reconnaît qu'un certain bénéfice a été octroyé par suite de l'interprétation erronée d'un texte, elle a le pouvoir de modifier la décision
antérieure; le retrait pour motif d'illégalité, même s'il ne peut pas comporter, dans certains cas, en raison des droits acquis, un effet d'annulation ex tunc, entraîne toujours cet effet ex nunc». On peut donc admettre que même l'expiration d'un délai assez long n'empêche pas l'administration de modifier pour l'avenir une situation reconnue illégale.

Contrairement à l'opinion du requérant, nous pensons qu'il n'est pas non plus justifié de faire intervenir en l'espèce des considérations relatives à la gravité de la violation de la règle de droit L'illégalité demeure l'illégalité et, dans cette optique, même l'inobservation d'une disposition dont la portée n'est pas excessive doit également permettre de corriger l'erreur pour l'avenir, une fois que celle-ci a été découverte.

Enfin, aucun argument en faveur du requérant ne saurait non plus découler d'une balance des intérêts dont il est question dans l'arrêt rendu dans l'affaire 14-61. En ce qui concerne les intérêts du requérant, nous songeons avant tout à la promesse de crédit de la banque luxembourgeoise dont il a déjà été question et qui était subordonnée à la condition que la rémunération perçue par le requérant soit domiciliée auprès de cette banque. Il importe déjà de noter à ce sujet qu'en présentant sa
demande au mois d'août 1974, le requérant n'a pas mentionné la promesse de crédit et n'a donc pas mis administration en mesure de prendre ses intérêts en considération. En outre, la Commission a montré que même sans faire directement transférer à Luxembourg sa rémunération, le requérant aurait eu la possibilité d'obtenir le crédit dont les conditions étaient, selon ses dires, plus favorables. Nous renvoyons à cet égard à deux lettres des 3 et 4 décembre 1975 produites par la Commission: elles
montrent que la Banque luxembourgeoise dont il s'agit se serait contentée d'un ordre permanent et irrévocable remis à une banque belge à l'effet de faire transférer par celle-ci la rémunération du requérant à Luxembourg, et elles montrent également qu'une banque belge aurait accepté un tel ordre permanent

Il est donc établi que le requérant ne peut pas non plus réclamer le maintien du transfert de sa rémunération à Luxembourg en se réclamant de ses droits acquis. La modification de la pratique administrative à l'automne 1974, qui n'est d'ailleurs pas intervenue du jour au lendemain mais simplement avec effet au mois d'octobre 1974, était donc tout à fait justifiée.

c) En ce qui concerne le premier chef du litige, il est donc clair que, d'une part, les conclusions du requérant tendant à faire annuler la décision du 27 août 1974 et à constater que la Commission «est tenue de faire transférer auprès d'une banque luxembourgeoise la rémunération du requérant, sont dépourvus de fondement.» Puisque le comportement de la Commission n'était pas illégal, il est également évident, sans que l'on doive examiner d'autres conditions d'ouverture du droit, que l'action en
responsabilité de l'administration introduite par le requérant n'est pas davantage fondée.

2. Le deuxième chef du litige que nous allons examiner maintenant a trait à la transmission prétendument tardive par la Commission d'une citation à comparaître dans un procès civil destinée au requérant Selon la dernière version des conclusions du requérant relatives à cette question, la Commission doit être condamnée à verser à tout le moins un franc belge à titre d'indemnisation du préjudice moral subi par le requérant.

A ce sujet, il convient d'expliquer par avance que le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés ne fait pas obstacle à une citation directe des fonctionnaires des Communautés à comparaître dans les procès civils, signifiée par les organes nationaux compétents, et que par conséquent l'intervention des institutions communautaires n'est pas impérative. Mais eu égard aux difficultés qui existent en fait, les fonctionnaires des Communautés n'étant pas tenus de s'inscrire sur le
registre des étrangers, la Commission et le Ministère des affaires étrangères belge ont évidemment conclu oralement des accords aux termes desquels, afin de faciliter le commerce juridique, les citations peuvent être adressées à la Commission qui les transmet ensuite aux fonctionnaires intéressés.

Dans ces conditions, le litige porte en l'espèce sur la question de savoir jusqu'où va l'obligation incombant à la Commission en vertu de cet accord dont tous les détails ne sont pas connus. La Commission ne s'estime en principe tenue de transmettre la citation que dans les bureaux de son personnel, et l'usage veut au plus que les plis soient réexpédiés aux fonctionnaires qui ne sont pas en service, lorsque leur lieu de résidence est connu. Par contre, la Commission estime qu'elle n'est pas tenue
de s'acquitter d'autres obligations; elle n'est notamment pas obligée de procéder à des recherches lorsque les fonctionnaires sont absents et cela de façon irrégulière. Or, tel était à son avis le cas du requérant à l'époque litigieuse. Le 8 septembre 1974, ce dernier a été placé en observation dans une clinique pour une période de huit jours sur décision de la Commission d'invalidité. A l'expiration de cette période, toujours d'après la Commission, il n'a pas repris son service et c'est
seulement le 8 octobre 1974 que, contrairement du reste aux dispositions de l'article 59 du statut du personnel, il a produit un certificat médical attestant la persistance de son incapacité de travail.

Le requérant ne conteste pas l'exactitude de cette dernière objection concernant son absence du service. Il estime cependant que la Commission ne devrait pas rester inactive, même dans un tel cas, et qu'elle devrait renvoyer la citation au ministère des affaires étrangères, ce qu'elle a d'ailleurs fait, le 10 octobre 1974; seulement il lui incombe, au contraire, pour sauvegarder les droits personnels de l'intéresse, de procéder à certaines recherches, c'est-à-dire de prendre contact par téléphone
ou par écrit avec le fonctionnaire intéressé et de faire suivre le cas échéant la citation à son domicile privé.

Pour statuer sur ce litige, on peut sans doute, pour autant qu'il nous semble, partir de l'idée que l'obligation incombant à ce titre à la Commission ne va pas aussi loin que les obligations auxquelles sont astreints les huissiers nationaux. Cela, pour la seule raison qu'en tout cas une signification directe aux intéressés est également possible et cela sur la base de renseignements que la Commission ou le ministère des affaires étrangères belge fournit d'emblée aux organes nationaux chargés des
significations. Mais, cela mis à part, nous estimons également qu'il y a lieu d'élargir la portée des obligations de diligence et d'assistance incombant à la Commission qui a consenti, sans base légale, à apporter sa collaboration dans un domaine délicat où les délais peuvent être, le cas échéant, fort brefs. Cela signifie que l'on peut certes difficilement exiger d'elle qu'elle effectue des recherches longues et coûteuses lorsque des fonctionnaires sont absents de leur poste et que l'on ignore
où ils se trouvent; les services de la Commission ne sont en effet pas aménagés à cette fin et elle n'a pas du reste à se prémunir à cet égard, compte tenu du grand nombre des fonctionnaires qui relèvent d'elle. Mais d'autre part, elle ne devrait pas simplement se borner, même en cas d'absence non justifiée, à constater celle-ci et à déclarer qu'il n'est pas possible de transmettre le pli au sein de ses services. A notre avis, ce n'est aucunement surcharger la Commission que d'exiger d'elle dans
de tels cas qu'elle essaie au moins de prendre contact par téléphone avec le fonctionnaire intéressé au domicile de celui-ci, ni d'attendre d'elle qu'elle fasse suivre ensuite la citation au domicile privé de l'intéressé, comme elle le fait constamment, à ce qu'il paraît, lorsqu'elle connaît la résidence du fonctionnaire. Il en est d'autant plus ainsi dans le cas du requérant que, à l'occasion d'une autre citation tentée peu de temps auparavant à l'endroit du requérant, la Commission avait au
moins communiqué au ministère des affaires étrangères belge l'adresse de vacances de l'intéressé et avait même chargé un commissionnaire de porter le pli à son domicile le 20 septembre 1974, date à laquelle le requérant était également absent de façon irrégulière du service.

Si l'on part de ce raisonnement, on peut seulement dire en l'espèce que la Commission a largement manqué à ses obligations et qu'elle a donc commis une faute de service; en effet, ses services se sont seulement efforcés, dans le cas du requérant, de téléphoner au bureau de celui-ci, tout en s'abstenant de prendre d'autres initiatives que l'on était en droit d'attendre d'eux, le requérant étant resté chez lui le 26 septembre 1974 à ce qu'il prétend, et la citation ne lui a même pas été remise le
8 octobre 1974 lorsqu'il a présenté son certificat médical.

On ne pourra pas non plus nier, et nous en venons à une autre condition indispensable de l'action en responsabilité administrative, que le requérant a subi un préjudice. Nous avons entendu dire à ce propos au cours de l'instance qu'il a payé, après le prononcé du jugement par défaut, les arriérés de loyer pour lesquels il avait été poursuivi, et qu'il avait donc admis le bien-fondé du droit litigieux. Mais on ne saurait méconnaître qu'il aurait pu obtenir un délai de réponse et, partant, un délai
de réflexion, si la citation lui avait été signifiée à temps. Ce délai lui aurait sans doute permis de rendre le litige sans objet avant qu'un jugement ne soit prononcé et, par conséquent, de faire l'économie des frais d'inscription au rôle, qui semblent incomber définitivement au requérant.

En fait, ce point peut demeurer sans réponse de même que la question de savoir si la Commission devrait prendre à sa charge les frais exposés pour l'opposition formée contre le jugement rendu par défaut, c'est-à-dire des frais n'ayant pas encore fait l'objet d'une décision définitive, parce que le requérant a interjeté appel du jugement rendu sur son opposition. En effet, le requérant exige simplement que la Commission soit condamnée à verser un franc belge à titre d'indemnisation du préjudice
moral qu'il a subi: en d'autres termes le requérant entend avant tout obtenir de la Cour qu'elle constate l'existence d'une faute de service et qu'elle prononce simplement une condamnation symbolique à l'encontre de la Commission, ce que la Cour peut difficilement lui refuser, selon nous, après ce que nous avons appris en cours d'instance sur la manière dont cette affaire a été traitée.

En définitive, il y a donc lieu de retenir à propos du deuxième chef du litige, que les conclusions y afférentes semblent tout à fait fondées dans leur dernière formulation.

3. En résumé:

Nous avons la conviction que le recours n'est pas fondé, dans la mesure où il invoque le fait que la rémunération du requérant n'a plus été transférée à Luxembourg à compter de l'automne de 1974. Par contre, la Commission doit être condamnée, conformément aux conclusions du requérant, à verser un franc belge en ce qu'elle a commis une faute de service à l'occasion de la signification d'une citation à comparaître pour le 10 octobre 1974 destinée au requérant. En ce qui concerne les dépens, nous
estimons qu'il est juste, compte tenu de la décision que nous préconisons, de mettre à la charge de la Commission la moitié des frais exposés par le requérant.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 56-75
Date de la décision : 03/06/1976
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Raymond Elz
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Capotorti

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1976:83

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