COUR SUPREME BURKINA FASO
--------- Unité - Progrès - Justice
CHAMBRE JUDICIAIRE ----------
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Dossier n° 23/2000
--------- AUDIENCE PUBLIQUE
Arrêt n°37 du 20/3/2001 DU 20 MARS 2001
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Affaire: X Ay Ac,
C/
Etat Burkinabé
L'an deux mil un
Et le vingt mars;
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire (BURKINA FASO), siégeant en chambre de conseil dans la salle des délibérés de ladite Cour à An et composée de:
Madame Ar B.....Vice-Présidente de la Cour Suprême;
PRESIDENTE
Et de: Monsieur Ah At Z .........Conseiller,
Madame Maria SOUMBUGMA................Conseiller,
En présence de Monsieur Ai Be Y.....Avocat Général,
Avec l'Assistance de Maître Mahourata KAMBIRE, Greffier à la dite chambre;
A rendu l'arrêt ci-après:
LA COUR
Statuant sur la demande en révision formée le 31 juillet 1992 par X Ay Ac dit Guy contre le jugement du 07 février 1984 du Tribunal Populaire de la Révolution siégeant à Bobo-Dioulasso;
Vu l'ordonnance n0 91-0051/PRES du 26 août 1991 portant composition, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême;
Vu l'ordonnance n° 91-0070/PRES du 28 novembre 1991 portant dispositions spéciales relatives aux procédures de révision des condamnations prononcées par les Tribunaux Populaires de la Révolution et les Tribunaux d'exception devant la Cour Suprême;
Vu la requête de monsieur X Ay Ac tendant à la révision de la décision rendue en son encontre le 07 février 1984 par le Tribunal Populaire de la Révolution;
Vu la saisine de la Cour Suprême par son procureur Général, sur ordre express du garde des Sceaux, Ministre de la Justice;
Vu lé mémoire produit;
Vu les conclusions écrites du procureur Général;
Ouï le conseiller en son rapport;
Ouï le Procureur Général en ses réquisitions orales;
Ouï les parties en leurs moyens, fins et conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
SUR LA RECEVABILITE
Attendu que la Cour est saisie par son Procureur Général, sur ordre express du garde des Sceaux, Ministre de la Justice, agissant après pris l'avis de la commission instituée par l'article 2 de l'ordonnance n° 91-0070/PRES du 28 novembre 1991 susvisée;
Attendu en outre, que suite au décès du requérant le 10 mars 1995, les héritiers ont entrepris de poursuivre la procédure comme leur autorise l'article 2 alinéa 1 et 4 de l'ordonnance précitée;
Attendu que dès lors, la demande est recevable;
AU FOND
SUR L'ACTION PUBLIQUE
Attendu que X Ay Ac a été condamné à la peine de sept (07) ans d'emprisonnement avec sursis, quatre millions (4.000.000) de francs d'amende, trois millions sept cent dix huit mille huit cent soixante onze (3.718.871) francs de dommages et intérêts, pour avoir été reconnu coupable de détournement de frais de mission et de concussion;
Qu'en exécution du jugement, sa villa bâtie sur la parcelle 09 du lot n° 32 objet du Permis Urbain d'Habiter (P.U.H.) n° 34/VO et évaluée à sept millions sept cent trente mille cinquante (7.730.050) francs, a été saisie et une somme reliquaire de cent trente neuf mille cinq cent soixante quinze (139.575) francs a été payée en espèce comme l'atteste le reçu n° 245 du 1er juin 1985 versé au dossier;
SUR LE DETOURNEMENT
Attendu que par décision n° 667MF/DB/SI du 28 juin 1979, une avance de cinq millions (5.000.000) de francs était accordée à monsieur le Premier Ministre voltaïque de l'époque, pour couvrir les dépenses de la délégation voltaïque à l'occasion d'une mission en France et en Italie;
Que la gestion de ces fonds était confiée à X Ay Ac, alors Directeur du Protocole de la Primature à charge par lui de justifier à l'ordonnateur délégué, dans les formes, les dépenses effectuées;
Attendu que X Ay Ac, était attrait par devant le Tribunal Populaire de la Révolution pour n'avoir pas justifié la dite enveloppe de mission et condamné du chef de détournement de deniers publics;
Attendu que dans sa requête afin de révision et lors de son interrogatoire par le conseiller rapporteur, X Ay Ac soutient avoir produit tous les justificatifs des dépenses à l'ordonnateur qui n'a émis aucun ordre de recettes à son encontre;
Qu'il explique avoir été empêché lors de son T.P.R., de rechercher et de produire les preuves matérielles pouvant le disculper, en raison de sa détention et de la mise sous séquestre de son bureau;
Attendu que ces mêmes raisons expliquent qu'il n'ait pu joindre à sa requête qu'une facture d'hôtel d'un montant de neuf mille trois cent soixante dix virgule dix francs (9370,10 FF), soit quatre cent soixante huit mille cinq cent (468.500) francs CFA concernant le Premier Ministre et lui-même, alors que la mission a concerné plusieurs autres personnes;
Mais attendu qu'en matière de dépenses effectuées sur les avances de fonds consenties par le Trésor pour certaines missions, les textes en vigueur portant régime financier et les instructions ministérielles du département des Fiances en usage, disposent que la Direction de l'Ordonnancement et de la Comptabilité doit procéder au contrôle de la régularité de la dépense et de la conformité des pièces justificatives;
Qu'en cas de discordances, un ordre de recettes est émis est émis à l'encontre du bénéficiaire des fonds pour le montant non consommé ou consommé de façon irrégulière;
Attendu que dans ces conditions, aucune charge pénale de détournement, ni de dissipation d'enveloppe de mission ne peut être retenue contre X Ay Ac;
Que la condamnation du Tribunal Populaire de la révolution, sur ce point, manque de base légale;
DE LA CONCUSSION
Attendu qu'il résulte du jugement du Tribunal Populaire de la Révolution que X Ay Ac, s'est courant années 1979 à 1980, étant fonctionnaire et agissant en cette qualité rendu coupable du crime de concussion en exigeant ou en recevant ce qu'il savait ne lui être pas dû pour les loyers (janvier à mai 1980) avec cette circonstance que la somme indûment exigées est égale à (180.000 x 5) soit neuf cent mille;
Attendu que la condamnation du Tribunal Populaire de la Révolution sur les faits de concussion apparaît vague;
Que les éléments du dossier ainsi que l'enquête menée par le conseiller rapporteur n'ont pas permis à la Cour d'être située sur la nature des loyers dont s'agit à savoir sur quoi portent-ils? Est-ce des loyers sur biens appartenant à l'Etat?
Attendu par conséquent que la décision du Tribunal Populaire de la Révolution s'est fondée sur des éléments inexistants;
Qu'il s'en suit que la décision doit être également annulée de ce chef d'inculpation;
Attendu de tout ce qui précède que le jugement n° 8 du 07 février 1984 du Tribunal Populaire de la Révolution mérite annulation en toutes ses dispositions ;
SUR L'ACTION CIVILE
Attendu qu'aux termes de l'article 5 de l'ordonnance n° 91-0070/PRES du 28 novembre 1991: «la décision d'où résulte l'innocence du condamné, peut, sur la demande de celui-ci, allouer des dommages et intérêts à raison du préjudice que lui cause la condamnation»;
Qu'en vertu de cette disposition, les héritiers de X Ay Ac, (onze -11- enfants et une veuve) se sont constitués partie civile pour demander:
· la restitution de tous les biens saisis ou à défaut leur contre valeur;
· le remboursement des sommes versées en espèce en règlement du montant des condamnations pécuniaires;
· le remboursement des loyers perçus sur la maison saisie;
· le paiement des sommes de deux millions (2.000.000) de francs pour la réfection de la villa saisie et de sept cent cinquante mille (750.000) francs à chacun des héritiers à titre de dommages et intérêts ;
DE LA RESTITUTION DES BIENS SAISIS
Attendu qu'il est versé au dossier de la procédure un procès-verbal d'exécution n° 261 du 29 mai 1984 de la Brigade Territoriale de Gendarmerie de An, attestant que la villa bâtie sur la parcelle 09 du lot 32, quartier Bilibambili, Permis Urbain d'Habiter (P.U.H) n° 34/VO et appartenant à monsieur X Ay Ac, a été saisie en exécution du jugement n° 8 du Tribunal Populaire de la Révolution;
Que du montant total des condamnations qui s'élèvent à sept millions huit cent soixante neuf mille six cent vingt (7.869.625) francs, il a été déduit la valeur de la villa saisie estimée à sept millions trois cent trente mille cinquante (7.330.050) francs, le restant de la somme, soit cent trente neuf mille cinq cent soixante quinze (139.575) francs, a été réglé en espèce contre le reçu n° 245 du 1er juin 1985 versé au dossier;
Attendu que la demande des héritiers tendant à la restitution de la villa et au remboursement des sommes versées en exécution du jugement est fondée;
Qu'il y a lieu d'y faire droit;
DU REMBOURSEMNT DES LOYERS
Attendu que selon les parties civiles, la villa saisie était louée par l'Etat au taux mensuel de trente mille (30.000) francs; cette somme n'ayant pas été contestée par le Contentieux de l'Etat, il y a lieu de la retenir;
Attendu que le montant des loyers ainsi encaissés par l'Etat pendant la période de saisie de mai 1984 à mars 2001 est de 30.000 F x 201 mois = 6.030.000 (six millions trente mille) francs; qu'il y a lieu de condamner l'Etat à ce titre, à payer la somme de six millions trente mille (6.030.000) francs aux héritiers de X Ay Ac;
DE LA REFECTION DE LA VILLA SAISIE
Attendu que les héritiers demandent une somme forfaitaire de deux millions de francs (2.000.000 F) en vue de la remise en état de la maison qui s'est dégradée au fil du temps;
Mais attendu d'une part, que l'entrée en possession de la maison n'a pas fait l'objet d'un constat des lieux pour permettre d'évaluer l'ampleur des dégradations à la fin de l'occupation; que d'autre part, en faisant droit à la demande de remboursement des loyers, la Cour a remis les héritiers dans leurs droits de propriétaire bailleurs auxquels il incombe les grosses réparations;
Que le préjudice est totalement couvert par le remboursement de l'intégralité des loyers dont une partie en temps normal, aurait dû servir aux réparations nécessitées par la location ;
D'où il suit que la demande ne peut être accueillie favorablement;
DES DOMMAGES ET INTERETS
Attendu que les héritiers demandent pour chacun d'eux la somme de sept cent cinquante mille (750.000) francs pour le préjudice tant matériel que moral subi, en raison de la condamnation de leur auteur;
Que notamment, le père s'est retrouvé dans un état de dénuement tel qu'il n'a pas pu faire face aux frais de scolarité de la plupart des enfants qui sont aujourd'hui au chômage;
Attendu que le préjudice invoqué est certain, direct et personnel; qu'il y a lieu de le réparer;
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Reçoit la demande en révision formée le 31 juillet 1992 par X Ay Ac et reprise par ses héritiers, suite à son décès;
AU FOND
La déclare fondée;
En conséquence:
· Annule le jugement attaqué en toutes ses dispositions; déclare les faits reprochés à feu X Ay Ac non établis;
· Le relaxe des fins de poursuite;
· Reçoit la constitution de partie civile des héritiers de feu X Ay Ac et ordonne:
- la restitution de la villa édifiée sur la parcelle 09 du lot 32, quartier Bilibambili, Permis Urbain d'Habiter (P.U.H.) n° 34/VO saisie en vertu du procès-verbal n° 261 du 29 mai 1984 de la Brigade territoriale de gendarmerie de An;
- le remboursement de la somme de cent trente neuf cinq cent soixante quinze (139.575) francs versée en paiement du reliquat des frais de condamnations des T.P.R.;
- le remboursement de la somme de six millions trente mille francs (6.030.000 F) représentant deux cent un (201) mois de loyer perçu par l'Etat sur la villa saisie;
- Condamne l'Etat Burkinabé à payer la somme de sept cent cinquante mille (750.000) francs à chacun des enfants orphelins de feu X Ay Ac qui sont:
· X Ab As Af
C X Ad Ag
C X Ba Av Aj
C X Ax Ap Ay
C X Ae Au Bf
C X Aw Bb
C X Ak P. Am
C X Aq
C X Bf Al
C X samuel Bd Az
C X Ao Aa
Et la somme de sept cent cinquante mille (750.000) francs à la veuve GUIRE née A Bc;
Met les dépens à la charge du Trésor Public;
Ainsi fait, jugé et prononcé à l'audience publique du mardi vingt mars deux mil un de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême du Burkina Faso;
Et ont signé, le Président et le Greffier.