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14/12/2018 | BéNIN | N°249

Bénin | Bénin, Cour suprême, 14 décembre 2018, 249


Texte (pseudonymisé)
Compétence de la Chambre administrative – Fonction publique – Mise à disposition – Pouvoirs du Président du CES

La chambre administrative de la Cour suprême est compétente pour connaître d’un différend introduit devant elle et pour lequel les parties ont produit leurs mémoires respectifs.

La mise à disposition des agents permanents de l’Etat au sens de l’article 28 alinéa 3 de la loi n°86-013 du 26 février 1986, s’entend du pouvoir de mise à disposition après le recrutement et ne saurait concerner les mises à dispositions en cours de carrière.
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Compétence de la Chambre administrative – Fonction publique – Mise à disposition – Pouvoirs du Président du CES

La chambre administrative de la Cour suprême est compétente pour connaître d’un différend introduit devant elle et pour lequel les parties ont produit leurs mémoires respectifs.

La mise à disposition des agents permanents de l’Etat au sens de l’article 28 alinéa 3 de la loi n°86-013 du 26 février 1986, s’entend du pouvoir de mise à disposition après le recrutement et ne saurait concerner les mises à dispositions en cours de carrière.

Une remise à disposition après une demande d’explication s’analyse comme un déplacement d’office, pouvoir reconnu aux responsables de départements ministériels et aux présidents d’institutions, délégataires du pouvoir disciplinaire. Toutefois, étant donné qu’il s’agit d’une sanction, elle doit aussi respecter les conditions de formes. Faute d’avoir sollicité l’avis du Comité de Direction du Conseil Economique et Social, la décision encourt annulation pour vice de forme.

N°249/CA 14 décembre 2018

Aa Ab Ac A

C/

Président du Conseil Economique et Social (CES)

La Cour,

Vu la requête introductive d’instance valant mémoire ampliatif en date à Cotonou du 08 mai 2014, enregistrée au greffe de la Cour le même jour sous le n°493/GCS, par laquelle monsieur Aa Ab Ac A, Agent Permanent de l’Etat, a saisi la haute juridiction d’un recours en annulation pour excès de pouvoir contre la lettre n°179/2013/CES/PT/DC/SG/DRH/SP-C du 26 août 2013, par laquelle le Président du Conseil Economique et Social (CES) l’a remis à la disposition du Ministre du Travail, de la Fonction Publique, de la Réforme Administrative et Institutionnelle, chargé du Dialogue Social (MTFPRAI-DS) ;

Vu la loi n°90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ;

Vu la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;

Vu la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;

Vu la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, administrative, sociale et des comptes ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï le conseiller Rémy Yawo KODO en son rapport ;

Ouï l’avocat général Nicolas Pierre BIAO, en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant que par correspondance n°2018/098/CES/DC/SGA/CTJ/SP-C en date à Cotonou du 06 décembre 2018 enregistrée sous le n°1410/GCS du 10 décembre 2018, le président du Conseil Economique et Social sollicite un rabat de délibéré et le renvoi du dossier devant le tribunal de première instance de Cotonou ;

Qu’au soutien de sa demande, il soulève l’incompétence de la chambre administrative de la Cour suprême à connaître du présent contentieux au motif que les tribunaux de première instance sont désormais opérationnels en matière administrative ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1228 de la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, administrative, sociale et des comptes : « En matière administrative, la Cour suprême demeurera compétente jusqu’à la mise en place des chambres administratives des tribunaux de première instance ;

Dès la mise en place de ces chambres, les procédures en cours à la Cour suprême leur seront transférées en l’état où elles se trouveront, sauf celles qui seraient en état d’être jugées immédiatement.

Seraient en état d’être jugées immédiatement :

1-les procédures communiquées au parquet pour conclusions ;

2-celles dans lesquelles les parties auraient produit leurs mémoires et pièces ou que les délais pour les produire seraient expirés ;

3-celles pour lesquelles une mise en demeure aurait été déjà notifiée aux parties conformément aux textes en vigueur. »

Considérant que par lettre n°0066/GCS du 23 janvier 2015, la requête introductive d’instance valant mémoire ampliatif et les pièces y annexées de A Ac Ab Aa ont été communiqués au Conseil Economique et Social ;

Que par lettre n°2015/213/CES/PT/DC/SP-C du 03 avril 2015, le Conseil Economique et Social a transmis son mémoire en défense à la Cour, mémoire enregistré le 16 avril 2015 sous le n°0338/GCS ;

Considérant que l’alinéa 2 de l’article précité inclut dans les procédures en état d’être jugées, celles dans lesquelles les parties auraient produit leurs mémoires et pièces ou que les délais pour les produire seraient expirés ;

Qu’il est établi que le requérant aussi bien que le défendeur ont produit les leurs ;

Qu’en cet état de la procédure, le tribunal de première instance de Cotonou n’est pas apte à en connaître ;

Qu’en conséquence, le moyen tiré de l’incompétence de la Cour est inopérant et mérite rejet ;

En la forme

Sur la recevabilité

Considérant que le requérant expose qu’il est agent permanent de l’Etat, professeur certifié de la catégorie A, échelle 1 échelon 4 ;

Qu’il a été pré-sélectionné à la suite d’un test de recrutement organisé par le Conseil Economique et Social (CES) ;

Que déclaré définitivement admis et en attente d’une mise à disposition régulière par le ministre du travail et de la fonction publique, il a pris service au Conseil Economique et Social (CES) le 16 avril 2010 suite à la décision n°2010/032/CES/PT/SB/DC/SG/DAF/CP du 12 avril 2010 ;

Que sa mise à disposition est intervenue suivant la lettre n°1766/MTFP/ DC/SGM/DGFP/DRSC/SPCA/D1 du 24 novembre 2010 du ministre du travail et de la fonction publique après avis de son ministère de tutelle, à savoir celui des enseignements secondaire et technique ;

Qu’il s’est attelé convenablement à ses obligations professionnelles et est bien apprécié par sa hiérarchie ;

Que lors d’une assemblée générale du personnel présidée le 20 août 2013 par le Président du Conseil Economique et Social (CES), il a pris la parole comme d’autres intervenants pour partager avec les participants quelques constatations suivies de propositions pour une meilleure gouvernance administrative et financière, mais qu’il a été interrompu par le Président du Conseil Economique et Social (CES) ;

Que malgré le climat de tension perceptible à la suite de son intervention, le Président du Conseil Economique et Social (CES) a réussi à le mettre en confiance avant de lui adresser le lendemain 21 août 2013 une demande d’explication sur les propos qu’il a tenus la veille ;

Que comme s’il s’agissait d’une sanction, il lui a été notifié le lundi 26 août 2013 la lettre n°2013/207/CES/DRH/S-DRH du même jour, du Directeur des ressources humaines, l’informant de sa mise à la disposition du ministère de l’enseignement secondaire, technique et de la formation professionnelle ;

Qu’après plusieurs mois de recherche, il a découvert le mercredi 19 février 2014 la lettre n°176/2013/CES/PT/DC/SG/DRH/SP-C du 23 août 2013 contre laquelle, il a introduit un recours gracieux auprès du Président du Conseil Economique et Social (CES) pour qu’il l’annule parce que les termes de cette lettre lui font grief en ce qu’ils l’accablaient injustement ;

Que le jeudi 03 avril 2014, il a reçu une correspondance du Président du Conseil Economique et Social (CES) , qui tout en opposant une fin de non-recevoir à son recours gracieux, estimait n’avoir jamais voulu le sanctionner, ni organiser une procédure disciplinaire contre lui ;

Que c’est en raison du caractère inexact des imputations contenues dans la lettre querellée et de l’excès de pouvoir qui l’entache, qu’il en réfère à la haute Juridiction pour obtenir son annulation ;

Considérant que le recours de Aa Ab Ac A a été introduit dans les forme et délai de la loi ;

Qu’il y a lieu de le déclarer recevable.

Au fond

Sur le moyen tiré de l’incompétence du Président du Conseil Economique et Social

Considérant que le requérant soulève à l’appui de son recours en annulation, l’incompétence du président du Conseil Economique et Social (CES) à prendre une décision de mise ou de remise à disposition, motif pris des dispositions de l’article 28 de la loi n°86-013 du 26 février 1986 qui investit seul le ministre chargé du travail et de la fonction publique de ce pouvoir dans le cadre du déroulement de la carrière des agents de l’Etat ;

Considérant qu’aux termes de l’article 28 alinéa 3 de la loi susvisée portant statut général des agents permanents de l’Etat : « Après leur nomination, les agents permanents de l’Etat ainsi recrutés sont mis à la disposition des départements employeurs par le ministre chargé du travail » ;

Considérant que la mise à disposition prévue à l’article ci-dessus visé s’entend de celle qui intervient après le recrutement de l’agent permanent de l’Etat dans la fonction publique ;

Considérant que le requérant était professeur certifié de la catégorie A, échelle 1, échelon 4, au moment de sa mise à disposition du ministre en charge du travail et de la fonction publique par lettre n°176/2013/CES/PT/DC/SG/ DRA/SP-C du 23 août 2013 ;

Que n’étant donc pas nouvellement recruté au sens de la loi, l’intéressé était dans le déroulement de sa carrière susceptible d’être remis par le responsable de l’institution où il était en service à la disposition du Ministre du Travail et de la Fonction Publique ou de sa structure d’origine ;

Qu’en conséquence, le moyen tiré de l’incompétence du Président du Conseil Economique et Social (CES) à remettre le requérant à disposition n’est pas fondé ;

Qu’il y a lieu de le rejeter ;

Sur le vice de forme

Considérant que le requérant développe que sa remise à disposition est intervenue en violation des dispositions des articles 131 et 137 de la loi n°86-013 du 26 février 1986 ;

Considérant qu’il ressort du dossier que lors d’une assemblée générale tenue le 20 août 2013 et présidée par le président du Conseil Economique et Social (CES), le requérant a tenu des propos qui lui ont valu une demande d’explication en date du 21 août 2013 du directeur de cabinet du Président de l’institution ;

Que suivant lettre n°176/2013/CES/PT/DC/SG/DRH/SP-C du 23 août 2013, le président du Conseil Economique et Social a remis le requérant A Ac Ab Aa à la disposition du ministre du travail, de la fonction publique, de la réforme administrative et institutionnelle, chargé du dialogue social pour servir au ministère en charge des enseignements secondaires, de la formation technique et professionnelle ;

Que notification de cette remise à disposition a été faite à l’intéressé par courrier n°2013/207/CES/DRH/S-DRH/S-drh en date à Cotonou du 26 août 2013 du directeur des ressources humaines du Conseil Economique et Social (CES) ;

Considérant que la remise à disposition du requérant dont s’agit s’analyse comme un déplacement d’office et donc comme une sanction disciplinaire ;

Considérant qu’aux termes de l’article 140 alinéa 1er de la loi pré-citée, « La procédure disciplinaire est engagée par une demande d’explication écrite, adressée à l’agent permanent de l’Etat par l’autorité hiérarchique dont il dépend » ;

Considérant que le déplacement d’office figure dans l’échelle des sanctions disciplinaires du premier degré, telle que prévue à l’article 131 de la loi pré-citée ;

Considérant en outre que suivant l’article 137 alinéa 1er de la même loi : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination qui l’exerce après communication à l’agent permanent de l’Etat incriminé de son dossier individuel et consultation du conseil de discipline. Ce pouvoir peut être délégué. » ;

Considérant que dans la pratique, les responsables des départements ministériels aussi bien que les présidents des institutions de la République sont délégataires du pouvoir disciplinaire ;

Considérant qu’aux termes de l’article 137 alinéa 2 de la loi n°86-013 du 26 février 1986 : « Les sanctions du premier degré sont prononcées sans l’accomplissement des formalités prévues au 1er alinéa après demande d’explication adressée à l’intéressé et avis du comité de direction… » ;

Considérant que dans le cas d’espèce, une demande d’explication a été adressée au requérant ;

Mais considérant qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir qu’avant le prononcé de la sanction de déplacement d’office, l’avis du comité de direction du Conseil Economique et Social a été requis et obtenu ;

Que faute d’avoir satisfait à cette exigence légale, la sanction infligée au requérant est entachée d’un vice de forme ;

Qu’il y a lieu d’annuler la lettre n°176/2013/CES/PT/DC/SG/DRH/SP-C du 23 août 2013 portant remise à disposition, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;

Par ces motifs,

Décide :

Article1er : La chambre administrative de la Cour suprême est compétente pour connaître du présent recours.

Article2 : Le recours en date à Cotonou du 08 mai 2014 de Aa Ab Ac A, tendant à l’annulation de la lettre n°176/2013/CES/ PT/DC/SG/DRH/SP-C du 23 août 2013 portant remise de l’intéressé à la disposition du ministère en charge du travail et de la fonction publique, est recevable.

Article 3 : Ledit recours est fondé.

Article 4 : La lettre n°176/2013/CES/PT/DC/SG/DRH/SP-C du 23 août 2013 est annulée.

Article 5 : Les frais sont mis à la charge du trésor public.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié aux parties et au procureur général près la Cour Suprême.

Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (Chambre administrative) composée de :

Rémy Yawo KODO, Conseiller à la chambre administrative, PRESIDENT ;

Honoré KOUKOUI et Régina ANAGONOU-LOKO, CONSEILLERS ;

Et prononcé à l’audience publique du vendredi quatorze décembre deux mille dix-huit, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :

Nicolas Pierre BIAO, Avocat général, MINISTERE PUBLIC ;

Gédéon Affouda AKPONE, GREFFIER;

Et ont signé :

Le Président-rapporteur, Le greffier.

Rémy Yawo KODO Gédéon Affouda AKPONE


Synthèse
Numéro d'arrêt : 249
Date de la décision : 14/12/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 03/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;2018-12-14;249 ?
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