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11/05/2018 | BéNIN | N°89

Bénin | Bénin, Cour suprême, 11 mai 2018, 89


Texte (pseudonymisé)
Fonction publique – Poursuite disciplinaire et pénale de l’agent – Dysfonctionnement de l’administration – Suspension abusive –Annulation de la sanction disciplinaire avec les conséquences de droit.

La période de suspension anormalement longue de l’agent permanent de l’Etat du fait de dysfonctionnements cumulés de l’administration et de la justice ne doit pas préjudicier aux intérêts de carrière.

L’agent doit être rétabli dans ses droits et bénéficier non seulement des traitements et accessoires correspondant à la période de suspension mais égal

ement des avancements dus à ce dernier.

N°89/CA 11 mai 2018

A Aa Ac Ab

C/

MFPT...

Fonction publique – Poursuite disciplinaire et pénale de l’agent – Dysfonctionnement de l’administration – Suspension abusive –Annulation de la sanction disciplinaire avec les conséquences de droit.

La période de suspension anormalement longue de l’agent permanent de l’Etat du fait de dysfonctionnements cumulés de l’administration et de la justice ne doit pas préjudicier aux intérêts de carrière.

L’agent doit être rétabli dans ses droits et bénéficier non seulement des traitements et accessoires correspondant à la période de suspension mais également des avancements dus à ce dernier.

N°89/CA 11 mai 2018

A Aa Ac Ab

C/

MFPTRA

La Cour,

Vu la requête introductive d’instance en date à Cotonou du 12 février 2004, enregistrée au greffe de la Cour le même jour sous le numéro 125/GCS, par laquelle monsieur A Aa Ac Ab a saisi la haute Juridiction d’un recours en annulation de l’article 4 de l’arrêté n°1325/MFPTRA/ DACAD/SAD du 10 avril 2003 portant sanction disciplinaire ;

Vu la loi n°90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ;

Vu la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;

Vu la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;

Vu la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, administrative, sociale et des comptes ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï le conseiller Rémy Yawo KODO en son rapport ;

Ouï l’avocat général Nicolas Pierre BIAO, en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

En la forme

Sur la recevabilité du recours

Considérant que A Aa Ac Ab a saisi la Cour aux fins d’annulation totale ou partielle de l’arrêté n°1325/MFPTRA/DACAD/SAD du 10 avril 2003 ;

Considérant qu’au soutien de son recours, le requérant expose qu’à la suite d’un audit de gestion réalisé en 1992, il a été relevé à sa charge un manquant de fournitures de bureau et de valeurs inactives (bons de carburant) de deux cent dix sept mille six cent dix (217610) francs et deux millions six cent vingt et un mille cent seize (2621116) francs à la charge de son collaborateur B Ad ;

Que faisant suite au rapport de la commission, son supérieur hiérarchique, le président de la Cour suprême HOUNDETON Frédéric les a par ordonnance n°92-24 PCS-CAB du 17 août 1992, suspendus de leur fonction respective d’une part, d’autre part mis à la disposition du procureur de la République près le tribunal de première instance de Cotonou aux fins de poursuites judiciaires ;

Que la procédure judiciaire a duré neuf (09) ans au terme desquels il a été condamné à six (06) mois d’emprisonnement assortis de sursis tandis qu’une condamnation aux travaux forcés de cinq (05) ans a été infligée à B Ad ;

Qu’autorisé à reprendre service le 20 novembre 2001, à l’issue de cette longue période de suspension où il a été poursuivi sans détention préventive, il a ensuite été traduit devant un conseil de discipline qui a proposé au titre de la sanction à lui infliger, l’exclusion temporaire de quatre (04) mois de fonctions en vertu de l’article 131 de la loi n°86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat ;

Que passant outre cette proposition, non seulement l’arrêté n°1325/MFPTRA/DACAD/SAD du 10 avril 2003 du ministre en charge de la fonction publique et du travail l’a puni d’une sanction d’abaissement d’échelon à compter du 20 novembre 2001, date de sa reprise de service, (article 1er), mais bien pire, a considéré que la période du 1er septembre 1992 au 19 novembre 2001, est constitutive d’une interruption volontaire de service ne donnant droit ni à avancement, ni à rappel de salaire ;

Qu’après que ledit arrêté lui a été notifié le 25 août 2003, il a adressé le 10 octobre 2003 au ministre de la fonction publique, du travail et de la réforme administrative un recours gracieux auquel l’intéressé a réservé une suite défavorable ;

Considérant que le recours contentieux a été exercé dans les forme et délai prévus par la loi ;

Qu’il y a lieu de le déclarer recevable ;

Au fond

Considérant que le requérant fait grief à l’arrêté querellé de considérer la période du 1er septembre 1992 au 19 novembre 2001 comme une période d’interruption volontaire de service ;

Qu’il soutient que la période sous référence correspondait à celle où il était en attente d’être jugé ;

Que le dysfonctionnement de la justice ne peut lui être imputé et préjudicier à sa carrière ;

Qu’il sollicite l’application des dispositions de l’article 139 nouveau de la décision-loi n°89-006 du 12 avril 1989 modifiant et complétant la loi n°86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat ;

Considérant que dans les observations en défense du ministre en charge de la fonction publique, celui-ci rejette les demandes du requérant au motif que le délai anormalement long de la procédure judiciaire initiée contre le requérant n’est pas imputable à son département ministériel ;

Qu’en tout état de cause, l’agent qui encourt une sanction de second degré ne peut prétendre à un rappel de salaires ;

Considérant qu’aux termes de l’article 4 de l’arrêté querellé : « La période allant du 1er septembre 1992 au 19 novembre 2001 est considérée comme une interruption volontaire de service ne donnant droit ni à avancement, ni à rappel de salaire. » ;

Considérant que c’est à compter de la première date que la suspension administrative du requérant a pris effet ;

Que de cette date au 19 novembre 2001, il s’est écoulé neuf (09) années à l’issue desquelles la procédure judiciaire initiée contre le requérant a pris fin ;

Qu’entre temps, lassé d’attendre indéfiniment que la justice se prononce sur les griefs qui lui étaient faits, celui-ci a saisi le 15 septembre 1998, la Cour Constitutionnelle à l’effet de l’entendre  « déclarer l’inconstitutionnalité de sa suspension et inciter les actuels dirigeants de la Cour suprême à mettre fin à cette suspension en attendant que les tribunaux se prononcent "un jour" sur cette douloureuse affaire. » ;

Considérant que dans cette espèce, la haute juridiction a jugé que depuis le 24 mai 1992, date de transmission du rapport de la commission de vérification au procureur de la République et l’enclenchement de la procédure judiciaire sur la base du procès-verbal d’enquête préliminaire établi le 03 mars 1993 à ce jour (11 janvier 2001 date de la décision DCC 01-008), il s’est écoulé plus de huit ans sans que la poursuite pénale exercée contre Ac Ab Aa A ait connu un aboutissement ;

Qu’un tel délai est anormalement long et est constitutif de violation de la Constitution du chef des juridictions compétentes de Cotonou ;

Considérant qu’il suit de ce qui précède que la longue période de suspension du requérant de ses fonctions l’a été non de son fait, mais plutôt du mauvais fonctionnement de la justice et donc de l’administration ;

Considérant que conformément à l’article 138 alinéa de la loi n°86-013 du 26 février portant statut général des agents permanents de l’Etat : « la situation de l’agent permanent de l’Etat suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de trois mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Lorsqu’aucune décision n’est intervenue au bout de trois (03) mois, l’intéressé perçoit à nouveau l’intégralité de son traitement. » ;

Considérant en outre qu’aux termes de l’article 139 alinéa 5 nouveau de la décision-loi n°89-006 du 12 avril 1989, modifiant et complétant la loi n°86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat : «Enfin, la période d’interruption de service de l’agent permanent de l’Etat pour les besoins de l’enquête à l’occasion d’une procédure disciplinaire est prise en compte dans la constitution du droit à pension proportionnelle ou d’ancienneté. » ;

Considérant par ailleurs qu’après la reprise de service le 20 novembre 2001 par le requérant, un conseil de discipline a été mis en place le 25 mars 2002 ;

Qu’entre le 25 mars 2002 et le 10 avril 2003, date de signature de l’arrêté querellé, il s’est encore écoulé un temps anormalement long, en tout cas supérieur à trois (03) mois ;

Qu’au total, plusieurs dysfonctionnements de l’administration ont rendu possible et indûment longue la période de suspension du requérant qui ne saurait en être tenu responsable ;

Qu’au bénéfice de ce qui précède, il y a lieu d’annuler l’arrêté querellé en son article 4 avec toutes les conséquences de droit, notamment l’avancement du requérant et le paiement à l’intéressé des salaires et accessoires pendant la période courant du 1er septembre 1992 au 19 novembre 2001 ;

Par ces motifs,

Décide :

Article 1er : Le recours en date à Cotonou du 12 février 2004 de A Aa Ac Ab, tendant à l’annulation de l’article 4 de l’arrêté n°1325/MFPTRA/DACAD/SAD du 10 avril 2003 portant sanction disciplinaire est recevable.

Article 2: Ledit recours est fondé.

Article 3 : L’’arrêté n°1325/MFPTRA/DACAD/SAD du 10 avril 2003 portant sanction disciplinaire est annulé uniquement en son article 4.

Article 4 : La période allant du 1er septembre 1992 au 19 novembre 2001 n’est pas constitutive d’interruption volontaire de service.

Article 5 : Les frais sont mis à la charge du trésor public.

Article 6: Le présent arrêt sera notifié aux parties et au Procureur général près la Cour suprême.

Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (Chambre administrative) composée de :

Rémy Yawo KODO, Conseiller à la chambre administrative ;

PRESIDENT ;

Honoré KOUKOUI et Dandi GNAMOU, CONSEILLERS ;

Et prononcé à l’audience publique du vendredi onze mai deux mille dix huit, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :

Nicolas Pierre BIAO, Avocat général, MINISTERE PUBLIC ;

Gédéon Affouda AKPONE, GREFFIER ;

Et ont signé :

Le Président-rapporteur, Le greffier.

Rémy Yawo KODO Gédéon Affouda AKPONE


Synthèse
Numéro d'arrêt : 89
Date de la décision : 11/05/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 03/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;2018-05-11;89 ?
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