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19/03/2018 | BéNIN | N°07

Bénin | Bénin, Cour suprême, 19 mars 2018, 07


Texte (pseudonymisé)
Fonction publique – Acte administratif – Nomination – Effet rétroactif- Opposabilité - Annulation.

Est inopposable à l’agent et donc encourt annulation, l’acte administratif portant nomination dont la date d’effet est antérieure à la date de notification.

N°07/CA 19 janvier 2018

ALOAKINNOU G. HONORE – C Aa

C/

ETAT BENINOIS REPRESENTE PAR L’AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

La Cour,

Vu la requête en date du 27 février 2007 enregistrée au greffe de la Cour suprême le 06 mars 2007 sous le n°186 /GCS, par laquelle maît

re Paul KATO-ATITA au nom et pour le compte de Aa Ab C et Ae Af A, tous deux magistrats, a saisi la haute juridiction...

Fonction publique – Acte administratif – Nomination – Effet rétroactif- Opposabilité - Annulation.

Est inopposable à l’agent et donc encourt annulation, l’acte administratif portant nomination dont la date d’effet est antérieure à la date de notification.

N°07/CA 19 janvier 2018

ALOAKINNOU G. HONORE – C Aa

C/

ETAT BENINOIS REPRESENTE PAR L’AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

La Cour,

Vu la requête en date du 27 février 2007 enregistrée au greffe de la Cour suprême le 06 mars 2007 sous le n°186 /GCS, par laquelle maître Paul KATO-ATITA au nom et pour le compte de Aa Ab C et Ae Af A, tous deux magistrats, a saisi la haute juridiction d’un recours en annulation pour excès de pouvoir des décrets n°2006-540 et n°2006-541 du 11 octobre 2006 ;

Vu la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ;

Vu la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;

Vu la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;

Vu la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï le conseiller Rémy Yawo KODO en son rapport ;

Ouï l’avocat général Onésime G. MADODEen ses conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

En la forme

Sur la recevabilité

Considérant que les requérants exposent que par lettre n°0000201/ MJCRI-PPG/DC/SP du 26 avril 2006, le ministre de la justice a saisi le conseil supérieur de la magistrature de faits en vue de poursuite disciplinaire contre eux ;

Que sur ces faits relatifs à la gestion du dossier concernant l’assassinat en novembre 2005 de feu Ad B, précédemment Président de la cour d’appel de Parakou, le Conseil Supérieur de la Magistrature a procédé le 18 mai 2006 à leur audition et a prononcé contre eux la mesure conservatoire d’interdiction temporaire d’exercice de leurs fonctions respectives de procureur général près la cour d’appel de Ac et de procureur de la République près le tribunal de première instance de première classe de Parakou ;

Qu’à l’issue de la procédure, le Conseil Supérieur de la Magistrature a prononcé à leur encontre la sanction de rétrogradation assortie du déplacement d’office suivant décision n°002/CSM/06 du 18 août 2006 dont notification leur a été faite le 22 août 2006 ;

Que par suite, ils ont été affectés au cabinet du ministre de la justice par décrets n°2006-540 et 2006-541 du 11 octobre 2006 dont ils ont reçu notification le 13 octobre 2006 ;

Considérant que les requérants font grief aux décrets n°s2006-540 et 2006-541 du 11 octobre 2006 d’avoir été pris en violation des règles concernant l’avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, la nomination des magistrats en conseil des ministres sur proposition du ministre de la justice et la date de prise d’effet des actes administratifs individuels ;

Considérant que l’Etat béninois représenté par l’Agent judiciaire du trésor soulève l’irrecevabilité du recours puis le caractère inopérant des moyens invoqués par les requérants ;

Considérant que l’Agent judiciaire du trésor admet que le recours préalable a été déposé à la présidence de la République le 27octobre 2006 et dûment enregistré à son secrétariat administratif ;

Que du 27 octobre au 27 décembre 2006, deux mois se sont écoulés sans qu’il y ait eu une réponse explicite de l’administration ;

Que les requérants devraient déposer leur mémoire ampliatif au plus tard le 27 février 2007 et que malheureusement le défaut de cachet de la Cour suprême entretient un doute quant au respect du délai de recours contentieux ;

Que s’il est vrai que le recours est daté du 27 février 2007 qui constitue le délai limite, rien ne permet de s’assurer que les plaideurs ont déposé le même jour leur recours ;

Qu’au bénéfice du doute sur la date de dépôt du recours, il y a lieu pour la Cour de le déclarer irrecevable ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier notamment de la carte orange de la poste que le pli contenant le recours gracieux des requérants, a été déposé à la poste principale de Cotonou le 20 octobre 2006, sous le n°718 et a été reçu à la présidence de la République le 27 octobre 2006 ;

Que jusqu’à la date du 27 décembre 2006, le président de la République pouvait donner suite audit recours et que les requérants disposaient d’un délai de deux (02) mois pour introduire le cas échéant un recours contentieux ;

Considérant que le 27 février 2007 était la date limite à laquelle les requérants étaient recevables à introduire un recours contentieux ;

Qu’il est établi suivant une carte orange de la poste qu’à cette date, maître Paul KATO-ATITA, avocat 03 BP 1938 Cotonou, a déposé sous le n°0675 un pli de soixante grammes, vraisemblablement le recours contentieux des requérants adressé au président de la Cour suprême et réceptionné par le destinataire le 02 mars 2007 ;

Qu’il s’ensuit que les requérants ont introduit leur recours dans les forme et délai légaux ;

Que le moyen du défendeur tiré de l’irrecevabilité dudit recours est inopérant ;

Qu’il échet de le rejeter et de déclarer le recours de A Af Ae et C Ab Aa recevable.

Au fond

Considérant qu’il ressort du dossier qu’une procédure disciplinaire a été initiée contre les requérants ;

Que ceux-ci ont comparu devant le Conseil Supérieur de la Magistrature qui a pris à leur encontre le 18 août 2006, notamment la sanction de déplacement d’office de leur poste de procureur général près la Cour d’appel de Parakou s’agissant de C Ab Aa et de procureur de la République près le tribunal de première instance de première classe de Parakou en ce qui concerne A Af Ae ;

Considérant que dans les décrets n°2006-540 et n°2006-541 du 11 octobre 2006 portant respectivement affectation de monsieur C Ab Aa et de monsieur A Af Ae, magistrats, au cabinet du Ministre de la justice, chargé des relations avec les institutions, Porte-parole du gouvernement, il est fait mention dans l’un des visas de « rapport du ministre de la justice chargé des relations avec les institutions, porte-parole du gouvernement après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature en sa session des 08 et 10 août 2006 » ;

Considérant que la délibération ayant abouti à la décision n°002 /CSM/06 du 18 août 2006 portant notamment déplacement d’office des requérants, est intervenue le même jour ;

Qu’à la date des 08 et 10 août 2006, le Conseil Supérieur de la Magistrature ne pouvait pas et n’a pu émettre son opinion sur une question évoquée, discutée et vidée le 18 août 2006 ;

Considérant que l’Etat lui-même représenté par l’Agent judicaire du trésor a admis que c’est en raison d’une erreur matérielle que les dates des 08 et 10 août 2006 ont été mentionnées comme celles auxquelles le Conseil Supérieur de la Magistrature a exprimé son avis sur le déplacement d’office des requérants ;

Qu’en réalité, l’avis dudit Conseil est intervenu le 18 août 2006 comme le soutiennent les requérants ;

Qu’il y a lieu de donner acte à l’Etat béninois de cet aveu et de tenir pour certaine la date du 18 août 2006, considérée comme celle à laquelle ont eu lieu la délibération et l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature au sujet du déplacement d’office des requérants ;

Considérant qu’au soutien de leur recours en annulation des décrets n°2006-540 et 2006-541 du 11 octobre 2011, les requérants allèguent en outre qu’ils ont été affectés sur rapport du ministre de la justice au conseil des ministres du 14 septembre 2006 ;

Qu’en agissant comme il l’a fait, le ministre de la justice n’a pas conformé la procédure d’affectation aux dispositions des textes précités ;

Qu’en conséquence, les décrets consacrant leur affectation ont été pris en violation de la loi et méritent anéantissement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la loi n°2001-37 du 27août 2002 portant organisation judiciaire en République du Benin : « les magistrats sont nommés par décret pris en conseil des ministres suivant la procédure déterminée par les dispositions de leur statut » ;

Considérant que l’article 3 de la loi n°2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature dispose que : « les magistrats sont nommés par décret du président de la République, sur proposition du garde des sceaux, ministre chargé de la justice après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature » ;

Que la loi organique n°94-027 du 15 juin 1999 relative au Conseil Supérieur de la Magistrature elle-même a édicté en son article 15 alinéa 1 que « les magistrats sont nommés par le président de la République, sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature » ;

Qu’au surplus, et même avant l’intervention de ces lois, la Constitution du11décembre 1990 avait déjà disposé en son article 129 que : « les magistrats sont nommés par le président de la République, sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature » ;

Considérant que les affectations des requérants qui ne sont rien moins que des nominations, sont intervenues sur le rapport du ministre de la justice ;

Considérant qu’il ressort de la lecture combinée des dispositions ci-dessus citées que les magistrats sont nommés impérativement sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice ;

Considérant qu’en présentant un simple rapport suite auquel les nominations ont été prononcées et ensuite actées par décrets, le ministre de la justice a abdiqué une prérogative essentielle que lui confère la loi, à savoir la proposition à/de nomination des magistrats ;

Considérant que la proposition du ministre de la justice est une formalité substantielle et préalable à la nomination des magistrats ;

Que le défaut d’accomplissement de cette formalité constitue une violation de la loi et expose les décrets querellés à l’annulation ;

Considérant par ailleurs que les requérants reprochent aux décrets n°2006-540 et n°2006-541 du 11 octobre 2006 de fixer leur date de prise d’effet au 14 septembre 2006 alors même qu’ils leur ont été notifiés le 13 octobre 2006 ;

Considérant que la doctrine et la jurisprudence s’accordent sur le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs sous réserve de quelques exceptions limitativement prévues par la loi ;

Qu’en vertu de ce principe, les autorités administratives ne peuvent légalement fixer l’entrée en vigueur de leurs décisions, réglementaires ou non, à une date antérieure à celle, selon les cas, de leur publication ou affichage, ou de leur signature ou notification, ou de leur transmission à l’autorité de tutelle ;

Considérant que les décrets querellés sont des actes individuels destinés à produire des effets au profit ou à l’encontre de destinataires déterminés à savoir Ab Aa C d’une part et Ae Af A d’autre part ;

Qu’en tant que tels et avant leur entrée en vigueur, ces actes doivent faire l’objet de notification qui constitue un mode de publicité visant à informer personnellement les personnes intéressées de la mesure en cause ;

Considérant que ce mode de publicité et de communication recèle un intérêt procédural en ce qu’il établit le « dies a quo »c’est à dire le point de départ des délais de procédure ;

Considérant qu’aux termes de l’article 68 de l’ordonnance 21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême alors en vigueur : « Le délai de recours pour excès de pouvoir est de deux mois ;

Avant d’exercer ce recours, les requérants peuvent présenter dans ce même délai de deux mois, qui court de la date de publication de la décision attaquée ou de sa notification ou de la connaissance acquise, un recours hiérarchique ou gracieux tendant à faire rapporter ladite décision. » ;

Considérant que dans le cas d’espèce, les décrets n°2006-540 et 2006-541signés le 11 octobre 2006, ont été notifiés aux requérants le 13 octobre 2006 ;

Que c’est à compter de cette dernière date que les deux décrets sont applicables, c'est-à-dire tout autant opposables aux requérants qu’invocables par eux ;

Considérant qu’en fixant la date d’entrée en vigueur desdits décrets au 14 septembre 2006, soit avant leur notification, voire même avant leur existence juridique, l’autorité administrative a violé les dispositions de l’article 68 de l’ordonnance 21/PR du 26 avril 1966 précité ;

Qu’il y a lieu d’annuler les décrets n°2006-540 et n°2006-541 du 11 octobre 2006 ;

PAR CES MOTIFS,

Décide :

Article 1er : Le recours en date à Cotonou du 27 février 2007 de Aa Ab C et de Ae Af A tendant à l’annulation des décrets n°2006-540 et 2006-541 du 11 octobre 2006, est recevable.

Article 2 : Ledit recours est fondé.

Article 3 : Sont annulés les décrets n°2006-540 et n°2006-541 du 11 octobre 2006 portant respectivement affectation de C Ab Aa et de A Af Ae, magistrats, au cabinet du ministre de la justice chargé des relations avec les institutions, porte-parole du gouvernement.

Article 4 : Les frais sont mis à la charge du trésor public.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux parties et au Procureur général près la Cour suprême.

Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (Chambre administrative) composée de :

Rémy Yawo KODO, Conseiller à la chambre administrative ;

PRESIDENT;

Honoré KOUKOUI et Dandi GNAMOU, CONSEILLERS ;

Et prononcé à l’audience publique du vendredi dix-neuf janvier deux mille dix-huit, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :

Onésime G. MADODE, Avocat général, MINISTERE PUBLIC ;

Gédéon A. AKPONE, GREFFIER ;

Et ont signé :

Le Président-rapporteur,Le Greffier.

Rémy Yawo KODO Gédéon A. AKPONE


Synthèse
Numéro d'arrêt : 07
Date de la décision : 19/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 03/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;2018-03-19;07 ?
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