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18/01/2018 | BéNIN | N°2005-47/CA1

Bénin | Bénin, Cour suprême, 18 janvier 2018, 2005-47/CA1


Texte (pseudonymisé)
N° 06/CA du Répertoire
N° 2005-47/CA1 du Greffe
Arrêt du 18 janvier 2018
AFFAIRE :
REPUBLIQUE DU BENIN
AU NOM DU PEUPLE BENINOIS
COUR SUPREME
CHAMBRE ADMINISTRATIVE A Ad et quatre autres
Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité
et de la Décentralisation (MISD)
et autres.
La Cour,
Vu la requête en date à Ah du 08 mars 2005, enregistrée au greffe le 13 mars 2005 sous le numéro 0350/GCS, par laquelle Ad A demeurant au carré n°1529 a Ah, Af B, Ag B, Ac B et Amina AMADOU, demeurant toutes au carré 1391 à Ab Ae Ah, et assisté

es de maître Raphaël C. AHOUANDOGBO, avocat au barreau du Bénin, ont saisi la Cour suprême d’un recour...

N° 06/CA du Répertoire
N° 2005-47/CA1 du Greffe
Arrêt du 18 janvier 2018
AFFAIRE :
REPUBLIQUE DU BENIN
AU NOM DU PEUPLE BENINOIS
COUR SUPREME
CHAMBRE ADMINISTRATIVE A Ad et quatre autres
Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité
et de la Décentralisation (MISD)
et autres.
La Cour,
Vu la requête en date à Ah du 08 mars 2005, enregistrée au greffe le 13 mars 2005 sous le numéro 0350/GCS, par laquelle Ad A demeurant au carré n°1529 a Ah, Af B, Ag B, Ac B et Amina AMADOU, demeurant toutes au carré 1391 à Ab Ae Ah, et assistées de maître Raphaël C. AHOUANDOGBO, avocat au barreau du Bénin, ont saisi la Cour suprême d’un recours de plein contentieux en réparation des dommages subis à la suite de l’explosion d’un engin dangereux au marché Aa à Ah ;
Vu l’ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême alors en vigueur ;
Vu la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;
Vu la loi n°2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, administrative, sociale et des comptes en République du Bénin ;
Vu les pièces du dossier ;
Le conseiller Rémy Yawo KODO entendu en son rapport et l’avocat général Nicolas Pierre BIAO en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ; ÿN Considérant que les requérantes exposent :
Qu'elles sont pour certaines des commerçantes et pour d’autres des auxiliaires de commerçantes qui exercent habituellement leurs activités dans le marché Aa à Ah ;
Qu'elles étaient présentes dans les lieux susdits lorsque le lundi 03 mai 1993, un engin a explosé ct les a grièvement blessées ;
Que les blessures enregistrées ont été particulièrement profondes, que les soins qui en ont résulté ont duré dans le temps ct que les coûts en ont été énormes pour chacune d'elles ;
Qu’un marché est un lieu de rassemblement populaire et que la sécurité ainsi que la tranquillité qui doivent y régner, relèvent des obligations essentielles de l’Etat à travers ses services de police ;
Que le manquement de l’Etat béninois auxdites obligations le 03 mai 1993, jour du sinistre, est d'autant plus avéré que jusqu’à ce jour, celui-ci n’a entrepris aucune investigation à l’effet de détecter, d'arrêter ou de condamner le ou les auteurs de cet acte crapuleux aux fins de les traduire en justice ;
Que la responsabilité qui incombe à l’Etat en cette occurrence est engagée, même en dehors de toute faute particulière commise par lui ;
Qu'il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit un cas de force majeure ;
Considérant que l’Agent Judiciaire du Trésor (AJT) soulève l’incompétence de la chambre administrative de la Cour suprême à connaître du contentieux ;
Qu’il fonde ce moyen sur les dispositions de l’article 33 alinéa 2 de l’ordonnance 21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême en vigueur au moment des faits, dispositions reprises par l’article 37,2" tiret de la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;
Considérant que ces articles disposent :
« Toutefois, sont de la compétence des tribunaux judiciaires :
- - les actions en responsabilité tendant à la réparation des dégâts et dommages de toute nature résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés ; .… »
Qu'il soutient par ailleurs que le marché Aa est un lieu de brassage au quotidien de milliers d’êtres humains et qu’il constitue un théâtre tout aussi quotidien d’attroupement ou de rassemblement ;
Que les préjudices dont les requérants demandent réparation, ont été causés lors de ces rassemblements ou attroupements et que la Cour n’a pas aptitude à en connaître ;
Considérant en revanche qu’aux termes de l’article 35 de la loi précitée :
« En attendant l’installation des Chambres administratives des tribunaux de première instance et des cours d’appel, la chambre administrative de la Cour suprême est juge de droit commun en premier et dernier ressort, en matière administrative ;
Relèvent du contentieux administratif :
- les litiges de plein contentieux mettant en cause une personne morale de droit public … » ;
Considérant que la Cour est saisie d’un recours en indemnisation dirigé contre l’Etat, personne morale de droit public par excellence ;
Qu’un tel recours ressortit à la compétence de la chambre administrative de la Cour suprême ;
Qu’en conséquence, celle-ci est compétente pour en connaître ;
Qu’il y lieu de rejeter ce moyen ;
Sur la recevabilité du recours
Considérant qu’avant la saisine du juge administratif, les requérantes ont introduit le 25 novembre 2004, un recours préalable auprès de l’Administration à travers l’Agent Judiciaire du trésor, recours aux termes duquel elles ont réclamé chacune des dommages et intérêts de trois cent cinquante millions (350.000.000) de francs ;
Considérant que le recours contentieux en date du 8 mars 2005 dont la Cour a été saisie, l’a été dans les forme et délai légaux ;
Qu’il y a lieu de le déclarer recevable ; | K Considérant que les requérantes invoquent indistinctement des moyens tirés aussi bien de la responsabilité pour faute que de la responsabilité sans faute de l’Etat ;
Qu'il y lieu de les examiner séparément ;
Sur le moyen tiré de la responsabilité pour faute de l’Etat
Considérant que les requérantes excipent d’un manquement de l’Etat à ses obligations de police dans le marché Aa le 3 mai 1993, manquement qui aurait eu pour conséquence, les blessures dont elles ont été victimes à la suite de l’explosion d’un engin dangereux ;
Qu’elles affirment en effet, que «le marché est un lieu de rassemblement populaire et que la sécurité et la tranquillité qui doivent y régner, relèvent des obligations essentielles de l’Etat à travers ses services de police » ;
Que « le manquement de l’Etat béninois auxdites obligations, le 3 mai 1993, est d’autant plus avéré que jusqu’à ce jour, aucune investigation n’a permis de détecter, d’arrêter et de condamner le ou les auteurs de ce crime commis le 03 mai 1993 » ;
Considérant que les allégations des requérantes tendent à engager la responsabilité fautive de l’Etat qui n’a pu empêcher ni éviter le sinistre survenu le 03 mai 1993 ;
Considérant que la faute s’entend ici de tout acte ou omission constituant un manquement à une obligation légale dont l’explosion a été la conséquence directe ;
Considérant que les requérantes ne rapportent pas la preuve d’une défaillance de l’administration du marché ou de l’Etat qui aurait justifié ou facilité la survenance du sinistre ;
Que faute de preuve, la responsabilité pour faute de l’Etat alléguée, ne peut être accueillie ;
Qu'il y a lieu de rejeter ce moyen ;
Sur le moyen tiré de la responsabilité sans faute de l’Administration
Considérant que la responsabilité sans faute de l’Etat est exclusive de tout manquement du chef de l’Administration, et que ce type de responsabilité délie celui qui l’invoque d’avoir à rapporter la preuve de quelque faute, si ténue soit-elle ;
Considérant que l’Etat est créancier de l’obligation de protéger l’ensemble des citoyens notamment ceux qui se trouvent pour des besoins professionnels dans un espace d’échanges commerciaux ;
Considérant que la responsabilité sans faute s’analyse notamment comme la contrepartie d’un risque que font courir aux administrés, en particulier les usagers du marché, des choses et engins dangereux ;
Considérant que l’engin ayant explosé le 03 mai 1993 au marché Aa est un engin dangereux ;
Que sa seule présence dans ce lieu au demeurant inapproprié était facteur de risque ;
Qu’ainsi, a pu exploser sur un espace ouvert au public, en l’occurrence le marché Aa, un engin particulièrement dangereux, occasionnant une perte en vie humaine (Colette ACCROMBESSI) et des blessés graves dont les requérantes qui sont les unes commerçantes et les autres, des auxiliaires de commerçantes ;
Que des circonstances du sinistre, il y a lieu de retenir la responsabilité pour risque ou sans faute de l’Etat ;
Sur la réparation du préjudice
Sur le principe de réparation
Considérant que les requérantes sollicitent la condamnation de l’Etat à payer à chacune d’elles la somme de trois cent cinquante millions (350.000.000) de francs pour la réparation des préjudices subis ;
Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier notamment des certificats médicaux, que les requérantes ont souffert du fait de l’explosion d’un engin dangereux, de blessures d’une gravité exceptionnelle ayant entraîné pour l’une d’entre elles une amputation d’une partie de ses membres ;
Qu’elles ont toutes accusé un pretium doloris important, un préjudice esthétique très élevé de nature à compromettre leur chance de se mettre en couple et une incapacité partielle permanente variant entre 25 et 85% ;
Considérant que les préjudices endurés par les requérantes excèdent de par leur gravité, les blessures légères qu’auraient enregistrées d’autres usagers du marché Aa ;
Que l’anormalité des blessures et lésions procède précisément de leur ampleur, de leur intensité et de leur prolongement sur le long terme ; ; / Que les constats faits à l’audience par la Cour elle-même sont à tout le moins bouleversants ;
Qu’en outre, les préjudices présentent un caractère spécial en ce qu’ils ont eu un impact négatif sur un nombre limité d’usagers du marché, les requérantes en particulier ;
Considérant par ailleurs qu’il existe une relation de cause à effet entre l’explosion de l’engin et les préjudices subis par les requérantes ;
Considérant que ces énormes dommages subis par les usagers d’un marché au demeurant géré par l’Etat, sont tels qu’il serait injuste et à tout le moins gênant d’en laisser les conséquences à la charge des victimes ;
Que l’exigence d’équité et de soutien à ses administrés lourdement sinistrés requiert de l’Administration, qu’elle répare les dommages causés du fait de la survenance d’un accident aussi insolite (explosion d’un engin dans un marché), dommages qui excèdent par leur gravité et leur particularité, les aléas normaux de la vie en société ;
Que de tels préjudices ouvrent droit à réparation ;
Sur le montant de la réparation
Considérant que depuis la survenance du sinistre le 03 mai 1993, les requérantes sont soumises à des soins au long cours dont certains ont eu lieu à l’étranger notamment en France ainsi que l’attestent les pièces versées au dossier ;
Que certaines parmi elles conservent encore malgré elles, des projectiles et autres objets étrangers dans leur corps ;
Que diminuées physiquement, elles présentent des difformités et même des disgrâces intimes ;
Qu’elles ont également déploré des préjudices d’ordre matériel à travers la disparition ou l’éparpillement de leurs marchandises, comme cela ressort du procès-verbal d’enquête préliminaire n°64/CCC/ CPMD/P]J transmis par le commissaire de police du marché Aa au procureur de la République près le tribunal de première instance de première classe de Ah ;
Considérant que chacune des requérantes a produit des pièces dont il ressort l’étendue des préjudices corporels subis et des séquelles persistantes ;
Que les allégations, prétentions et demandes des requérantes n’ont été contestées l’Administration
ÿ pas par ; A.
Par Considérant que si la demande de réparation paraît justifiée dans son principe, elle est exagérée dans son quantum ;
Qu’il y a lieu de le ramener à de justes proportions en condamnant l’Etat à payer à Amina AMADOU la somme de cent dix millions (110.000.000) de francs et à chacune des autres requérantes cent millions (100.000.000) de francs ;
ces motifs ;
DECIDE :
Article 1%: La Cour suprême siégeant en sa chambre administrative est compétente pour connaître du présent recours ;
Article 2 : Le recours en date à Ah du 08 mars 2005 de Ad A, Af B, Ag B, Ac B et Amina AMADOU, tendant à la réparation des dommages subis le 03 mai 1993 après l’explosion d’un engin dangereux au marché Aa, est recevable ;
Article 3 : Ledit recours est fondé ;
Article 4: L'Etat béninois est condamné à payer à Amina AMADOU la somme de cent dix millions (110 000 000) et à Ad A, Af B, Ag B et Ac B, la somme de cent millions (100 000 000) francs CFA à titre de dommages-intérêts pour toutes causes de préjudices confondus ;
Article 5 : Les frais sont mis à la charge du trésor public ;
Article 6: Le présent arrêt sera notifié aux parties et au procureur général près la Cour suprême.
Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (chambre administrative) composée de :
Rémy Yawo KODO, Conseiller à la chambre administrative ;
PRESIDENT ;
Honoré KOUKOUI
et CONSEILLERS ;
Etienne AHOUANKA
Et prononcé à l’audience publique du jeudi dix-huit janvier deux mille dix-huit, la Cour étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de :
/ Nicolas Pierre BIAO, Avocat général,
MINISTERE PUBLIC ;
Philippe AHOMADEGBE,
GREFFIER ;
Et ont signé :
Le Président rapporteur, Le Greffier,
Rémy Yawo KODO Philippe ANOMADEGBE


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2005-47/CA1
Date de la décision : 18/01/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;2018-01-18;2005.47.ca1 ?
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