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16/06/2017 | BéNIN | N°09/CJ-CM

Bénin | Bénin, Cour suprême, 16 juin 2017, 09/CJ-CM


Texte (pseudonymisé)
ARRÊTS DE REJET
N° 09/CJ-CM du répertoire ; N° 2012-45/CJ-CM du greffe ; Arrêt du 16 juin 2017 ; AFFAIRE : ETAT BENINOIS REPRESENTE PAR L’AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR (A.J.T) (Me Alexandrine SAÏZONOU-BEDIE) CONTRE SOCIETE COMON S.A (Me Cyrille DJIKUI, Me Issiaka MOUSTAPHA)
Procédure civile — Contrat - Pouvoir public se comportant comme un particulier - Défaut d’usage de pouvoirs exorbitants — Compétence - Juridiction judiciaire.
Procédure civile - Pourvoi en cassation - Moyen de cassation - Grief tiré du défaut de base légale — Faits - Appréciation exclusive - Ju

ge du fond - Irrecevabilité.
Procédure civile - Pourvoi en cassation - Moyen tir...

ARRÊTS DE REJET
N° 09/CJ-CM du répertoire ; N° 2012-45/CJ-CM du greffe ; Arrêt du 16 juin 2017 ; AFFAIRE : ETAT BENINOIS REPRESENTE PAR L’AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR (A.J.T) (Me Alexandrine SAÏZONOU-BEDIE) CONTRE SOCIETE COMON S.A (Me Cyrille DJIKUI, Me Issiaka MOUSTAPHA)
Procédure civile — Contrat - Pouvoir public se comportant comme un particulier - Défaut d’usage de pouvoirs exorbitants — Compétence - Juridiction judiciaire.
Procédure civile - Pourvoi en cassation - Moyen de cassation - Grief tiré du défaut de base légale — Faits - Appréciation exclusive - Juge du fond - Irrecevabilité.
Procédure civile - Pourvoi en cassation - Moyen tiré du défaut de réponses à conclusions — Obligation de ne répondre qu’aux conclusions invoquant un véritable moyen - Irrecevabilité.
Procédure civile - Pourvoi en cassation - Moyen tiré du défaut de motifs ou de motifs dubitatifs - Preuve d’une créance -
Absence de motifs dubitatifs - Rejet.
Le juge judiciaire est compétent lorsque dans un contrat, la personne morale du droit public ne fait aucun usage de ses pouvoirs exorbitants et se comporte comme un particulier.
Est irrecevable, le moyen qui, sous le grief du défaut de base légale, porte en réalité sur des faits souverainement constatés et appréciés par les juges du fond.
Les juges du fond ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation. Ils ne sont tenus de répondre qu’aux conclusions qui invoquent un véritable moyen.
Encourt rejet, le moyen tiré de la violation des règles de preuve équipollente à un usage de motifs dubitatifs ou à un défaut de motifs s’agissant de la preuve du paiement d’une créance, dès lors que les juges d’appel, par le constat de la réclamation d’un dédommagement par une société créancière, ont ôté tout caractère dubitatif aux termes de leur décision.
La Cour,
Vu l’acte n°104/2011 du 29 décembre 2011 du greffe de la Cour d’appel de Cotonou par lequel maître Alexandrine SAÏZONOU-BEDIE, conseil de l’Etat béninois, a élevé pourvoi en cassation contre les dispositions de l’arrêt n°189/11 rendu le 29 décembre 2011 par la chambre civile moderne et commerciale de cette Cour ;
Vu la transmission du dossier à la Cour suprême ;
Vu l’arrêt attaqué ;
Vu la loi n° 2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême ;
Vu la loi n° 2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï à l’audience publique du vendredi 16 juin 2017 le conseiller Michèle CARRENA-ADOSSOU en son rapport ;
Ouï l’avocat général Onésime Gérard MADODE en ses conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant l’acte n2104/2011 du 29 décembre 2011 du greffe de la Cour d’appel de Cotonou, maître Alexandrine SAÏZONOU-BEDIE, conseil de l’Etat béninois, a élevé pourvoi en cassation contre les dispositions de l’arrêt n°189/11 rendu le 29 décembre 2011 par la chambre civile moderne et commerciale de cette Cour ;
Que par lettres n°0139/GCS et n°0140/GCS du 17 janvier 2013, l’Agent Judiciaire du Trésor (AJT) et maître Alexandrine SAÏZONOU-BEDIE ont été respectivement mis en demeure d’avoir à produire un mémoire ampliatif dans un délai de deux (02) mois, conformément aux dispositions de l’article 933 de la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant Code de procédure civile, commerciale, administrative, sociale et des comptes ;
Attendu que les mémoires ampliatif et en défense ont été produits par les parties ;
Que le Procureur général près la Cour suprême a produit ses conclusions qui ont été communiquées à maître Alexandrine
respectivement conseils de l'Etat béninois et de la Société COMON-SA ;
Que par lettre n°0776/2014/SAF/HM du 16 avril 2014, maître Alexandrine SAÏZONOU-BEDIE a fait observer qu’elle s'associe pleinement aux observations du Procureur général près la Cour suprême ;
Que par lettre de transmission du 02 mai 2014, maître Issiaka MOUSTAFA a produit à la Cour ses observations sur les conclusions du Procureur général près la Cour suprême ;
En la forme
Attendu que le présent pourvoi a été introduit dans les délai et forme légaux ;
Qu'il convient de le déclarer recevable
Au fond Faits et procédure
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que dans le cadre de ses activités commerciales d'importation de marchandises, notamment les volailles, poissons et huiles végétales, la société COMON-SA a conclu avec la Direction générale des douanes et droits indirects AB) le 1& avril 2009, un protocole d’entente valable jusqu’au 31 mars 2012 aux termes duquel la société COMON-SA est autorisée à procéder à l'enlèvement de ses marchandises par procédure simplifiée ;
Que la société COMON-SA a également obtenu de la Direction générale des douanes et droits indirects AB) une autorisation permanente de réexportation en date du 30 avril 2010, de conteneurs d'huile végétale à destination du Nigéria, sous le régime suspensif à un taux de 10,21% ;
Que par lettre n°1045/DGDDI/DEP du 10 mai 2010 et par message téléphoné porté n°239/DGDDI/DBP du 10 mai 2010, l'administration douanière a suspendu le protocole d’entente du 1& avril 2009 ainsi que le régime de réexportation pour les huiles végétales importées au Bénin ;
Que prétendant que ces suspensions, intervenues sans aucun préavis, violent les dispositions contractuelles contenues dans le protocole d'entente du 1& avril 2009 et sont constitutives d'abus de droit et de voies de fait, qui leur ont causé, tant à elle- même, société COMON-SA qu’à la Société de Courtage, de Transit et de Consignation (SOCOTRAC SARL) chargée des enlèvements des marchandises, de graves préjudices, la société COMON-SA et la SOCOTRAC-SARL ont, par exploit du 19 juillet 2010, assigné l'Etat béninois représenté par l’Agent Judiciaire du Trésor (AJT) devant le tribunal de première instance de première classe de Cotonou statuant en matière civile, à l’effet :
- de le condamner à leur payer la somme de 100 milliards de francs CFA pour toutes causes de préjudices confondues ;
-d’ordonner à l'Etat béninois de faire respecter par l'administration douanière les clauses du protocole d’entente du 1& avril 2009 et de l’autorisation de réexportation du 30 avril 2010 jusqu’à leur terme, sous astreinte comminatoire de 5 milliards de francs CFA par jour de résistance et par acte de violation constatée ;
- d’ordonner l’exécution provisoire sur minute du jugement ;
Que suite aux conclusions exceptionnelles d’incompétence du juge judiciaire soutenues par maître Alexandrine SAÏZONOU- BEDIE, conseil de l'Etat béninois, le tribunal s’est déclaré compétent, puis a en substance, condamné l’Etat béninois à payer à la société COMON-SA, la somme de 950 millions de francs CFA pour toutes causes de préjudices ;
Que sur appel de toutes les parties, la cour d'appel de Cotonou a d’une part, confirmé la compétence de la juridiction judiciaire ainsi que la non implication de la SOCOTRAC-SARL, d'autre part, infirmant le jugement en ses autres dispositions, condamné l’Etat béninois à payer à la société COMON-SA la somme de sept milliards cinq cent millions (7.500.000.000) de francs CFA au titre du préjudice subi ;
Que c'est cet arrêt qui fait l’objet du présent pourvoi ;
Discussion des moyens
Premier moyen tiré du défaut de base légale.
En ses première et quatrième branches
Attendu qu’il est reproché aux juges d’appel d’avoir confirmé la compétence des premiers juges, au motif qu’en renvoyant le contentieux découlant de son interprétation et de son exécution au processus amiable de règlement, le protocole d’entente du 1& avril 2009 traduit la volonté de l’administration douanière de ne pas user des pouvoirs exorbitants dérogatoires au droit commun ;
Alors que, selon la première branche du moyen, aux termes du protocole d’entente du 1% avril 2009, la société COMON-SA « s'engage à n'importer sur le territoire douanier de la République du Bénin, aucune marchandise avariée, impropre à la consommation, dangereuse ou prohibée ; à cet effet, il s'engage à respecter la règlementation en matière de contrôle de santé, d'hygiène, de nutrition, d'alimentation, de sécurité et de sûreté » ; qu’en contrepartie, la Direction générale des douanes et droits indirects s’est engagée « à accorder à la société COMON-SA toutes les facilités mentionnées dans le présent protocole pour autant que ce dernier respecte les obligations à sa charge » ;
Que ces clauses portent manifestement la marque administrative parce qu’inspirées par des considérations d'intérêt général étrangères aux contrats conclus entre particuliers ;
Que le protocole d'entente est plutôt un acte rentrant dans le cadre du service public puisqu’il concerne l’organisation et le fonctionnement du service public de la douane, définis par l’arrêté n°217/MF/DC/CC du 9 juillet 1993 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Direction générale des douanes et droits indirects ;
Que l’acte de suspension de ce protocole d'entente, en lui- même, est un acte administratif pris par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public ;
Que par ailleurs, le régime de réexportation des huiles végétales dont la suspension provisoire aurait causé des préjudices à la société COMON-SA, a été institué par l'arrêté n°1068/MEF/DC/SGM/SAR du 13 août 2009 portant modification du taux de la Taxe Spéciale de Réexportation (TSR) et de la liste des produits qui y sont assujettis, dont les huiles végétales ;
Que l’arrêté du 13 août 2009 étant un acte administratif, le contentieux y relatif relève de la compétence de la chambre administrative de la Cour suprême ;
Qu’en occultant à dessein l’autorisation de réexportation dont la suspension par l’Etat béninois a été ordonnée par sa note de service n21320/DGDDI/DAR du 10 mai 2010 et qui fait également l’objet de la présente cause, pour se déclarer compétente, la cour d'appel n'a pas suffisamment relevé les circonstances de fait qui sont nécessaires pour statuer et a, de ce fait, entaché la décision qui en est l’objet, d’un vice de défaut de base légale ;
Attendu qu’il est aussi reproché aux juges d’appel d’avoir privé leur décision de base légale, en ce que, relativement à l'autorisation permanente annuelle de réexportation d'huile végétale à destination du Nigéria, ils font grief à l'Etat béninois d’avoir suspendu provisoirement l’arrêëté du 13 août 2009 sans le consentement de la société COMON-SA ;
Alors que, selon la quatrième branche du moyen, l’arrêté du 13 août 2009 n’est pas une convention entre l’Etat béninois et ladite société ; qu’il s’agit plutôt d’un acte administratif unilatéral pris par l'autorité administrative jouant de ses prérogatives de puissance publique ;
Mais attendu que le défaut de base légale se caractérise par une insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour justifier l’application de la loi aux faits de la cause ;
Que pour rejeter, en l'espèce, le moyen d’'incompétence tiré de la violation de la loi exposé devant eux par l’Agent Judiciaire du Trésor qui se fondait alors sur le régime exorbitant des clauses découlant des contrats conclus par la société COMON-SA avec l'administration douanière, et se déclarer compétents par confirmation du jugement entrepris, les juges d’appel ont expressément relevé : « Attendu qu’un contrat administratif est un contrat dont l’une des parties est une personne publique et dont la connaissance appartient à la juridiction administrative, soit en vertu d’une attribution légale de compétence, soit parce qu’il porte sur l'exécution même d’un service public ou comportant une clause exorbitante du droit commun ;
Qu'il est de règle établie que tous les contrats de l'administration ne sont pas des contrats administratifs ;
Que c'est ainsi qu’un contrat dans lequel une personne morale de droit public se comporte comme un particulier est régi par les règles de droit privé et emporte la compétence du juge judiciaire ;
Attendu qu’il ressort des éléments du dossier que le 1& avril 2009, la société COMON-SA a signé avec la Direction générale des douanes et droits indirects « un protocole d'entente en matière de facilitation des échanges » comportant des obligations réciproques dans le cadre d’un programme de partenariat visant à créer une relation de confiance entre les parties en vue de lutter contre la fraude ;
Qu'’aux termes de l’article 10 de cette convention, COMON- SA « s'engage à n’importer sur le territoire douanier de la République du Bénin aucune marchandise avariée, impropre à la consommation, dangereuse ou prohibée. À cet effet, il s'engage à respecter la réglementation en matière de contrôle de santé, d'hygiène, de nutrition, d'alimentation, de sécurité et de sureté » ;
Qu'en contrepartie, la Direction générale des douanes et droits indirects s’est engagée, aux termes de l’article 11 dudit protocole, « à accorder au Comptoir Mondial de Négoce SA toutes les facilités mentionnées dans le présent protocole pour autant que ce dernier respecte les obligations à sa charge » ;
Qu'il a été prévu par les parties que la convention ne peut être révisée que de commun accord, en cas de besoin, à la demande de l’une des parties, sous réserve d'en informer l’autre, trois (03) mois à l'avance ;
Qu'il a été, en outre, précisé dans la convention que tous les litiges et contestations portant sur son interprétation et/ou son exécution seront réglés à l'amiable ;
Qu'il est constant, en l'espèce, que le contentieux découlant de l'interprétation et de l'exécution du protocole d'entente est renvoyé au processus amiable de règlement, de sorte qu'il n’y a aucun privilège au profit de l’une ou l’autre des parties ;

Que cela traduit la volonté de l'administration de ne pas user des pouvoirs exorbitants dérogatoires au droit commun ;
Qu'ainsi_ ce protocole d'entente est un contrat synallagmatique mettant à la charge de chacune des parties des droits et obligations, la Direction générale des douanes et droits indirects ne disposant d’aucune prérogative particulière en tant que service public ;
Que dans ces conditions, ce contrat est régi par le droit privé ; Que dès lors, le contentieux qui nait de l'exécution dudit contrat relève de la compétence du juge judiciaire ;
Attendu que s'il est vrai que l'arrêté dont se prévaut l'Etat béninois est un acte administratif, il est tout aussi vrai que les facilités accordées à la société COMON-SA trouvent leur fondement dans le protocole d'accord signé par la Direction générale des douanes et ladite société, comme en témoigne le contenu des lettres de renouvellement de l'autorisation permanente de réexportation d'huile végétale versées au dossier, notamment la lettre en date du 21 janvier 2010 de la Direction générale des douanes et droits indirects adressée à la Directrice Administrative et Financière de COMON-SA ;
Que de ce point de vue et au regard de ce qui précède, l'Etat béninois ne peut sérieusement soutenir que le contentieux né de l'exécution dudit protocole d'accord relève de la compétence du juge administratif ;
Que c’est donc à bon droit que le premier juge s’est déclaré compétent ; » ;
Que par ces constatations et énonciations suffisantes, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
En sa deuxième branche
En ce que l’arrêt attaqué a déclaré mal fondé le grief de défaut de base légale fait par l'Etat béninois aux premiers juges dont la motivation a consisté à dire que l’administration douanière a, d’une part, suspendu unilatéralement et sans aucune explication sérieuse le protocole d'entente du 1% avril 2009 et l’autorisation de réexportation du 30 avril 2010, d'autre part, révoqué l’autorisation permanente de réexportation d'huile végétale sans attendre les résultats de l'évaluation qui devrait être faite par le comité créé par note de service n°059/DGDDI/DBP du 04 mars 2010 ;
Alors que, selon la branche du moyen, la cour d’appel n’a pas suffisamment constaté le fait que le protocole d’entente signé entre l'administration des douanes et la société COMON-SA est un traitement de faveur qui accorde à cette dernière certains privilèges, notamment l’enlèvement permanent par procédure simplifiée pour ses importations ;
Que ce protocole signé sur une base de confiance astreint la société COMON-SA au respect de la réglementation douanière ;
Que s'étant rendu compte que ce régime de faveur a été accordé à tort à la société COMON-SA du fait du mémorandum de Badagry qui a interdit l'entrée des huiles végétales sur le territoire nigérian et du fait de la baisse drastique des recettes, l'Etat béninois a pris sur lui de rétablir les choses dans l’intérêt du peuple béninois en prenant, dans le délai légal de deux (02) mois, un acte administratif de suspension, qui s’assimile dès lors à un retrait provisoire ;
Qu’en attendant l’évaluation, la société COMON-SA, malgré la suspension provisoire, continue de bénéficier des autorisations d'enlèvement par procédure simplifiée, sur sa demande, et ce, conformément aux termes du 2ème paragraphe de la note du 10 mai 2010 portant suspension provisoire ;
Que la suspension provisoire du régime de réexportation pour les huiles végétales importées au Bénin, est justifiée par le fait que, conformément au mémorandum de Badagry, les marchandises prohibées au Nigéria ne peuvent y entrer par le Bénin que par fraude, alors même que la fraude corrompt tout ;
Que les huiles végétales ne peuvent qu’être destinées à la consommation locale et ne peuvent dès lors bénéficier des avantages liés à des marchandises destinées à la réexportation ;
Que la suspension provisoire relève du pouvoir discrétionnaire du Directeur général des douanes et droits indirects ;
Que les tracasseries qu’aurait engendrées la suspension du protocole d'entente sont celles auxquelles sont astreints tous les usagers du Port Autonome de Cotonou dans le cadre de la déclaration de l’enlèvement de leurs marchandises ;
Mais attendu que c’est par une motivation suffisante que la cour d’appel, confirmant le jugement querellé par adoption des motifs des premiers juges, a rejeté le grief de défaut de base légale, soulevé devant elle par l’Etat béninois, en énonçant : « Attendu que pour retenir la responsabilité de l'Etat béninois, la formation collégiale ayant connu du dossier en première instance a apprécié les divers actes posés par l’administration douanière, puis a pris en considération les moyens développés devant elle par le conseil de l'Etat béninois représenté par l’Agent Judiciaire du Trésor, pour en tirer la conclusion que l’administration douanière a « imposé à la société COMON-SA une série de tracasseries dans le cadre de l'enlèvement de ses marchandises ainsi qu'il apparait notamment du procès-verbal de constat du 21 juin 2010 de Maître Charles COOVI, huissier de justice, et des déclarations du Receveur de la douane du Port à la sommation interpellative du 29 juin 2010 dudit huissier, alors qu'en matière commerciale, la célérité est constamment recherchée… ; que l'Etat béninois ne conteste pas que le fait d'imposer à la société importatrice COMON-SA, la mise en consommation des marchandises destinées à la réexportation, engendre le paiement de taxe au taux de 48% au lieu de 10,21% » ;
Que par ces constatations et énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
En ses troisième et cinquième branches réunies Attendu qu’il est également fait grief aux juges d'appel d’avoir privé l’arrêt attaqué de base légale en ce qu’il a infirmé le jugement du 15 avril 2011, au motif qu’en refusant de prendre en compte le cas des conteneurs régulièrement manifestés sur la base de 24 tonnes mais dont les dédouanements ont été imposés illégalement par la douane sur la base de 28 tonnes et en bloquant 146 de ces conteneurs d’huile végétale, du 23 juin au 30 juin 2010, bien que toutes les formalités aient été faites et les droits payés depuis le 23 juin, la responsabilité de l’administration douanière, donc de l’Etat béninois, est engagée ;
Alors que, selon la troisième branche du moyen, les prétendues exactions dont a fait cas la société COMON-SA sont intervenues après la mesure de suspension ;
Que c’est pour corriger un temps soit peu les tracasseries imposées aux importateurs dans le cadre de la déclaration et de l'enlèvement de leurs marchandises, pour induire la célérité qu’exige la matière commerciale et pour accroître les recettes douanières, que l'Etat béninois a cru devoir prendre l’arrêté du 13 août 2009 et que la douane béninoise a signé avec la société COMON-SA, le protocole d'entente du 1& avril 2009 ;
Qu'’en suspendant provisoirement l’arrêté du 13 août 2009 et le protocole d'entente du 1& avril 2009, les importateurs concernés devront désormais se soumettre à la procédure ordinaire qui oblige à des tracasseries qu’ils connaissaient avant les mesures précitées et qui sont liées à l’engorgement du Port ;
Que la société COMON-SA n’apporte aucune preuve des exactions dont elle aurait fait l’objet et l'Etat béninois ne saurait être tenu responsable des frais supplémentaires occasionnés par la décision de dédouanement d’un certain nombre de conteneurs régulièrement manifestés sur la base de 28 tonnes au lieu de ( vingt-quatre) 24 tonnes et le blocage abusif de cent quarante-six (146) conteneurs ;
Attendu qu'il est aussi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé le jugement du 15 avril 2011 au motif que les premiers juges, pour fixer le quantum du préjudice subi, n’ont pas tenu compte de tous les préjudices subis à savoir :
-les conteneurs régulièrement manifestés sur la base de vingt-quatre (24) tonnes mais dont les dédouanements ont été imposés par la douane sur la base de vingt-huit (28) tonnes ;
-le blocage abusif de cent quarante-six (146) conteneurs du 23 juin au 30 juin 2010 ;
- la rupture par la société COMON-SA du contrat qui la lie à la société CASCO ;
Alors que, selon cette cinquième branche du moyen, la société COMON-SA a manifesté ses conteneurs sur la base de 24 tonnes au lieu de vingt-huit (28) tonnes et a payé les frais de douane de cent quarante-six (146) conteneurs à un moment où étaient déjà suspendus provisoirement l'arrêté du 13 août 2009 et le protocole d'entente du 1& avril 2009, qui lui permettaient de manifester vingt- huit (28) tonnes de marchandises sur la base de vingt-quatre (24) tonnes et de payer moins pour le dédouanement des cent quarante- six (146) conteneurs ;
Que c’est la raison pour laquelle il lui a été imposé par la douane les dédouanements sur la base de vingt-huit (28) tonnes et le paiement d’un complément pour le dédouanement des cent quarante-six (146) conteneurs ;
Que la société COMON-SA ne pouvant rapporter la preuve de ce qu’elle a payé plus que ce que devrait payer tout importateur se trouvant dans la même situation qu’elle, alors même que l'arrêté du 13 août 2009 et le protocole d’entente du 1& avril 2009 ne sont que des mesures de faveur, l'Etat béninois ne saurait être tenu responsable des surcoûts et autres frais complémentaires ;
Mais attendu que sous le grief non fondé de défaut de base légale, les troisième et cinquième branches du moyen tendent en réalité à remettre en discussion devant la Juridiction de cassation qui n’est pas un troisième degré de juridiction, les faits souverainement constatés et appréciés par les juges du fond ;
D'où il suit que le moyen est irrecevable en ses troisième et cinquième branches ;
Deuxième moyen tiré du défaut de motifs
En sa première branche
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir retenu la responsabilité délictuelle de l'Etat béninois dans les déconvenues intervenues dans la relation contractuelle entre la société COMON- SA et son partenaire, la société CASCO, suite à la suspension provisoire du protocole d’entente et de l'autorisation de réexportation au motif que, fort du protocole d’entente signé avec la Direction générale des douanes et droits indirects, la société COMON-SA a conclu le 04 janvier 2010 avec la société CASCO, un contrat en vue de la fourniture, par semaine, de deux cent cinquante (250) conteneurs d'huile végétale sur une période de 12 mois ; que dans le cadre de l'exécution dudit contrat, il a été embarqué pour son compte, mille trois cent cinquante (1350) conteneurs d’huile par l'intermédiaire de son fournisseur, la société CASCO ; que suite à la suspension du protocole d’entente par la Direction générale des douanes et droits indirects, la société COMON-SA a été obligée de notifier à son fournisseur, l'impossibilité de tenir les engagements qu’elle a pris dans leur convention du 04 janvier 2010 ;
Alors que, selon cette branche du moyen, tant devant les premiers juges que devant la cour d'appel, l'Etat béninois a soutenu, pour battre en brèche la demande de pénalités qu’aurait formulée la société CASCO, que cette dernière n’est pas le fournisseur de la société COMON-SA, mais n’est qu’un intermédiaire ; que la convention du 04 janvier 2010 n’a prévu aucune clause de résiliation ; qu’il ne ressort pas de cette convention que les huiles végétales sont destinées à la réexportation, alors même que leur entrée est interdite en territoire nigérian ; que l’arrêt attaqué n’a pas cru devoir répondre à ces moyens qui ont été amplement développés par l’Etat béninois dans ses notes de plaidoirie versées aux débats ; qu’il y a donc manifestement défaut de réponse à conclusions qui, aux termes d’une jurisprudence bien établie, constitue un défaut de motifs ;
Mais attendu que les juges du fond ne doivent répondre qu’aux conclusions qui invoquent un véritable moyen, c'est-à-dire celles qui articulent des énonciations de fait pour en tirer des conséquences juridiques ; qu’ils ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ;
Attendu qu’en l'espèce, l’Agent Judiciaire du Trésor s’est borné à développer à la page 13 de ses notes de plaidoiries du 04 août 2011 figurant au dossier, des arguments pour soutenir le rejet des demandes de la société COMON-SA tendant à se faire payer les pénalités réclamées par la société CASCO, sans invoquer un véritable moyen auquel la cour d’appel était tenue de répondre ;
Que dès lors, cette branche du moyen manque en fait et doit être déclarée irrecevable ;
En sa deuxième branche
En ce que l'arrêt attaqué a refusé d’exonérer l'Etat béninois de toute responsabilité relativement aux pénalités réclamées par la société CASCO au motif « que si la société COMON-SA n'a pas rapporté la preuve de ce qu’elle a payé la somme de F CFA trois milliards cent quarante-huit millions cinq cent quatre-vingt-treize mille cinq cents (3.148.593.500) à la société CASCO, il ne fait l'ombre d’aucun doute qu’elle devra s'accorder avec sa partenaire et payer, ne serait-ce qu'une partie du montant réclamé » ;
Qu'il est constant que la société COMON-SA n’a pas réellement et complètement fait la preuve du paiement de ladite somme à la société CASCO ;
Qu'il y a donc une violation des règles de preuve ;
Que toutes les fois que le juge accueille une demande en violant une règle de preuve, il fait usage de motifs dubitatifs qui équivalent à un défaut de motifs ;
Mais attendu que l’arrêt attaqué a retenu que la rupture du contrat liant la société COMON-SA à la société CASCO est la conséquence de la suspension par l’administration douanière, de l'autorisation de réexportation des huiles végétales et du protocole d'entente, et que la preuve est faite au dossier que la société CASCO, a réclamé un dédommagement qu’elle a intitulé pénalité, d’un montant de quatre millions huit cent mille (4.800.000) euros soit trois milliards cent quarante-huit millions cinq cent quatre-vingt- treize mille cinq cents (3.148.593.500)F CFA, montant que devra lui payer la société COMON-SA ou à tout le moins, une partie ;
Que ces motifs ôtent tout caractère dubitatif aux termes critiqués ;
Qu’en conséquence, le moyen doit être rejeté ;
Troisième moyen tiré de la violation de la loi
En sa première branche
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir tenu l'Etat béninois responsable des préjudices subis par la société COMON- SA au motif que la suspension du protocole d’entente par la douane a été faite sans préavis et sans consultation, en violation des dispositions de l’article 15 dudit protocole qui auraient prévu l’observance d’un délai de préavis avant toute suspension ;
Alors que, selon la branche du moyen, ledit article 15 du protocole d’entente n’a exigé l’observance d'aucun délai de préavis ; qu’il impose plutôt à la partie qui prend l’initiative d’une révision, d’en informer l’autre, trois (03) mois à l’avance ;
Qu’en reprochant à l'Etat béninois de n’avoir pas observé le délai de préavis de trois (03) mois avant de suspendre le protocole d'entente du 1& avril 2009, la cour d’appel a violé la loi des parties et a, de ce fait, entaché sa décision d’un vice de violation de la loi ;
Mais attendu que c'est en application de l’article 15 alinéa 3 du protocole d’entente signé entre l'administration douanière et la société COMON-SA le 1 avril 2009 qui dispose : « Cette convention peut être révisée de commun accord en cas de besoin, à la demande de l’une des parties sous réserve d'en informer l’autre trois (03) mois à l'avance », que les juges d'appel, appréciant, à bon droit, la suspension par l’administration douanière dudit protocole d’entente comme une forme de révision du contrat les liant, et après avoir relevé que ni l’accord de la société COMON-SA n’a été requis, ni le délai de préavis de trois (03) mois, observé, en ont déduit que la responsabilité délictuelle de l'Etat béninois était engagée et que réparation était due à ladite société COMON-SA ;
En sa deuxième branche
En ce que, pour tenir l'Etat béninois responsable des prétendues exactions auxquelles la société COMON-SA a été soumise suite à la mise en consommation systématique par l'administration douanière des marchandises destinées à la réexportation, notamment le paiement de la taxe au taux de 48% au lieu de 10,21%, la cour d'appel a énoncé, entre autres motifs, que la Direction générale des douanes et droits indirects a, à plusieurs reprises, adressé des lettres de félicitations à la société COMON-SA pour sa participation de manière significative à la réalisation des objectifs fixés à l’administration des douanes ; que la société COMON-SA a été distinguée par l'Organisation Mondiale de la Douane pour les mêmes raisons ;
Alors que, selon la branche du moyen, la modification du taux de la taxe spéciale de réexportation qui a fait l’objet de suspension provisoire, a été instituée par l’arrêté du 13 août 2009 qui est un acte administratif ; que la société COMON-SA n’a aucun privilège en raison des lettres de félicitations ou distinctions obtenues ; qu’en droit administratif et conformément au principe de l'égalité, les usagers du service public se trouvant dans une même situation doivent subir le même traitement ; que le principe de l'égalité de tous devant l’administration est un principe général de droit à valeur constitutionnelle découlant de l’égalité de tous devant la loi consacrée par l’article 1° de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Que l'arrêt attaqué a violé ce principe ;
Mais attendu que les juges d’appel, pour condamner l’Etat béninois à réparer les dommages causés à la société COMON-SA ont également retenu comme motifs que la société COMON-SA a été informée par message téléphoné de la suspension de l'autorisation permanente annuelle de réexportation d’huiles végétales dont elle était également bénéficiaire; que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être modifiées que sur leur consentement mutuel ; que le manquement d’une des parties à ses engagements contractuels causant des préjudices à l’autre partie, donne droit à réparation ;
Qu'ainsi, l’arrêt se trouve justifié, abstraction faite des motifs critiqués par la branche du moyen ;
Que celle-ci ne peut donc être accueillie ;
En sa troisième branche
En ce que l'arrêt attaqué a énoncé que le résultat négatif de deux milliards soixante-huit millions deux cent quinze mille neuf cent cinquante (2.068.215.950) F CFA enregistré par la société COMON-SA en 2010 est la conséquence des suspensions du protocole d’entente et du régime de réexportation des huiles végétales ;
Alors que, selon la branche du moyen, les huiles végétales ne pouvaient pas être réexportées dès lors qu’il y a une interdiction du Nigéria, objet du mémorandum de Badagry ; que c’est en fraude des droits du contribuable béninois que la société COMON-SA bénéficiait du protocole d’entente et de l’arrêté du 13 août 2009, qui ont été justement suspendus dans les délais légaux, bien avant la fin du premier semestre de l’année 2010, soit le 10 mai 2010 ;
Que rien ne prouve qu’au cours du deuxième semestre de l’année 2010, la société COMON-SA n’a pas connu une conjoncture ayant eu pour conséquence le résultat négatif enregistré à la fin de l’exercice 2010, la crise économique mondiale n’ayant épargné aucune structure commerciale ; que la motivation de la cour d'appel pouvait se justifier si la suspension provisoire du protocole d’entente du 1% avril 2009 et l’arrêté du 13 août 2009 était intervenue vers la fin de l’année 2010 ;
Mais attendu que sous le grief non fondé de violation de la loi, la branche du moyen qui n’indique nulle part la loi dont la violation est alléguée, tend à remettre en discussion devant la Haute Juridiction, les faits souverainement constatés par les juges du fond ;
D’où il suit que ce troisième moyen n’est fondé en aucune de ces branches ;
PAR CES MOTIFS :
Reçoit en la forme le présent pourvoi ;
Le rejette quant au fond ;
Met les frais à la charge du Trésor public ;
Ordonne la notification du présent arrêt au procureur général près la cour d'appel de Cotonou ainsi qu’aux parties ;
Ordonne la transmission en retour du dossier au procureur général près la cour d’appel de Cotonou ;
Ainsi fait et délibéré par la Cour suprême (chambre
judiciaire) composée de :
Jean-Stanislas SANT’ANNA, conseiller de la chambre
Innocent S. AVOGNON
Et CONSEILLERS ;
Michèle CARRENA-ADOSSOU Et prononcé à l’audience publique du vendredi seize juin deux mille dix-sept, la chambre étant composée comme il est dit ci- dessus, en présence de :
Onésime Gérard MADODE, AVOCAT GENERAL;
Hélène NAHUM-GANSARE, GREFFIER;
Et ont signé,
Le président Jean-Stanislas SANT’ANNA ,
Le rapporteur, Michèle CARRENA-ADOSSOU
Le greffier, Hélène NAHUM-GANSARE


Synthèse
Numéro d'arrêt : 09/CJ-CM
Date de la décision : 16/06/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;2017-06-16;09.cj.cm ?
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