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20/07/1973 | BéNIN | N°20

Bénin | Bénin, Cour suprême, Chambre judiciaire, 20 juillet 1973, 20


Propriété immobilière - Action en revendication d'une palmeraie entre deux familles ayant entre elle un lien d'alliance - Impossibilité pour les juges d'appel d'appliquer au problème l'une des coutumes régissant la matière de la propriété foncière - Nécessité de statuer en équité.

En matière testimoniale, la Cour d'appel est libre de ses appréciations et il ne saurait lui être fait grief de n'avoir pas retenu un témoignage plutôt qu'un autre.
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la Cour d'appel n'est pas tenue de réentendre les témoins mais peut se

fonder sur leurs dire en premières instance, consignés au relevé d'audience....

Propriété immobilière - Action en revendication d'une palmeraie entre deux familles ayant entre elle un lien d'alliance - Impossibilité pour les juges d'appel d'appliquer au problème l'une des coutumes régissant la matière de la propriété foncière - Nécessité de statuer en équité.

En matière testimoniale, la Cour d'appel est libre de ses appréciations et il ne saurait lui être fait grief de n'avoir pas retenu un témoignage plutôt qu'un autre.
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la Cour d'appel n'est pas tenue de réentendre les témoins mais peut se fonder sur leurs dire en premières instance, consignés au relevé d'audience.
En matière coutumière, le juge peut se fonder sur tous les éléments sur lesquels son appréciation est souveraine. Mais dans l'impossibilité d'appliquer au problème l'une des coutume régissant la matière de l a propriété foncière, il doit statuer en équité.

N°20/CJ A du 20 juillet 1973

KAKPO AVOKPAHO
C/
AVELEDO AGOUNSOUNOU Dako
AGBOZO Christophe

Vu la déclaration en date du 15 septembre 1971, faite au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle Maître AMORIN, avocat à la Cour, conseil du sieur AKAKPO AVOKPAHO, s'est pourvu en cassation au nom de son client contre l'arrêt n°33 du 5 mai 1971 rendu par la Chambre de Droit Local de la Cour d'Appel de Cotonou;

Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;

Vu l'arrêt attaqué;

Ensemble les mémoire ampliatif et en défense en date des 2 mars et 10 juin 1972 des Maîtres AMORIN et BARTOLI conseils des parties en cause;

Vu toutes les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu l'Ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême;

Ouï à l'audience publique du vendredi vingt juillet mil neuf cent soixante treize, Monsieur le Président MATHIEU en son rapport;

Monsieur le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions;

Et après en avoir délibéré conformément à la loi;

Attendu que par déclaration enregistrée le 15 septembre 1971 au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou Maître AMORIN, avocat, conseil du sieur KAKPO Avokpaho a élevé au nom de son client un pourvoi en cassation contre l'arrêt n°33 rendu le 5 mai 1971 par la Chambre de droit Local de la Cour d'appel de Cotonou;

Attendu que par bordereau du 1er décembre 1971 le Procureur Général près la Cour d'Appel transmettait parmi d'autres le dossier de la procédure au Procureur Général près la Cour Suprême et qu'il était enregistré arrivée le 3 décembre;

Attendu que par lettre n°1464/GCS du 20 décembre 1971, le greffier en chef rappelait à Me AMORIN, auteur du pourvoi la nécessité de consigner et lui accorderait un délai de deux mois pour le dépôt de son mémoire ampliatif;

Que cette notification fut reçue en l'étude le 30 décembre 1971; que la consignation fut enregistrée le 11 janvier et le mémoire ampliatif le 6 mars 1972;

Attendu que par transmission n°242/GCS au Commandant de la Brigade de Gendarmerie de Ouidah, communication fut donnée au défendeur (Lettre n°241/GCS) du mémoire ampliatif avec délai de deux mois pour y répondre;

Qu'il n'y a pas trace au dossier du retour de cette pièce après notification, mais que le 10 juin était enregistré arrivée un mémoire en défense de Me BARTOLI;

Attendu que l'affaire est donc en état d'être examiné;

EN LA FORME:

Attendu que les délais ont été respecté, d'autant qu'ils ne sont pas trop étirés et que l'on ne connaît pas la date de la notification aux défendeurs;

AU FOND:

LES FAITS

Il s'agit de la revendication d'une palmeraie de dimension sérieuse (4 ha environ) entre deux familles ayant entre elles un lien d'alliance mais chacune se disant propriétaire originaire du bien.

Il est à noter que l'une et l'autre sont étrangères au village, c'est à dire venues d'ailleurs en des temps plus ou moins lointain que par conséquent aucune certitude n'est apportée sur l'appropriation première du bien, qui remonterait de toute évidence à la période pré coloniale;

L'élément constant du dossier est que le nommé DEGUENON du clan des défendeurs épousa une certaine YESSIEDE dite TATA VOSSA de la famille du requérant et que ce couple exploita la palmeraie. Le fils unique du couple le sieur KOUKPAHOUN l'exploita aussi et la plupart des témoins se réfèrent aussi à lui;

Par la suite, les dires des parties varient et les éléments du procès sont plus vagues;

Il apparaîtrait que les fils de ce KOUKPAHOUN KADJA et LOCHAGBAND la possédèrent aussi: mais outre ceux-ci, ce furent soit des fermiers de la branche du requérant KAKPO Avokpaho, soit des membres ou des fermiers de la famille des défendeurs DACKO;

Le requérant a fait valoir la thèse de la donation par l'ancêtre à sa fille YESSIEDE;

La thèse a deux aspects suivant les phrases du procès; d'abord il a été soutenu que la donation avait été faite par le grand-père à l'enfant YESSIEDE alors âgée de 9 ans et que plus tard enlevée et épousée par DEGUENON, elle garda ce bien en usufruit transmis à son fils et aux enfants de celui-ci, mais avec sous entendue la clause de retour à la famille après extinction de la lignée;

Ensuite apparaît la thèse de la mise à disposition de la palmeraie au couple au moment du mariage pour sa subsistance, le conjoint étranger au pays ne possédant pas de terre . La même clause de retour devant jouer d'après la coutume dans ce cas aussi;

Les défendeurs combattent cette thèse en disant que pour le premier cas la coutume n'admettrait pas une largesse pareille en faveur d'une mineure au détriment de ses frères et sours, que dans le second cas , la coutume ne connaissait pas non plus l'octroi d'une fille, plus d'une dot, alors que le reste de la superficie était négligeable au regard de ce qui était donné;

Les défendeurs avancent par contre la thèse de la propriété originaire dans leur branche et produisent une liste d'occupants de cette palmeraie , quand le sort voulait que l'un des membres devienne l'aîné de la famille. La démonstration est intéressante mais contestée par la partie adverse.

Des documents écrits sont versés à l'appui des argumentations mais la Cour d'une part estime que d'après la Coutume, les documents fussent-ils véridiques, le fait d'affermer ne vous constituent pas nécessairement propriétaire du fonds affermé, d'autre part en ce qui concerne l'engagement du défendeur AGBOZO Christophe de verser une redevance annuelle à la famille Avokpaho qu'il n'a pas valeur d'engagement du fait que le signataire n'avait pas mandat de le faire au nom de la famille dont il n'était pas le chef;

Les témoignages se partagent suivant qui les produit et certains témoins ne font qu'accroître volontairement ou non la confusion en désignant comme propriétaire KOUKPAHOUN qui est le lien entre les deux familles participant autant de l'une que de l'autre;

En dernier lieu, la révélation en cause d'appel de l'existence d'un fétiche «DAN» sur le lieu n'apporte aucun éclaircissement, les défendeurs en tirant argument pour dire que jamais le culte de ce fétiche ne pouvait être confié à un enfant de 9 ans et le requérant y voyant une preuve de maintien de ses droits de propriété;

Finalement la Cour dans l'impossibilité d'appliquer au problème l'une des coutumes régissant la matière de la propriété foncière a préféré juger en équité et partager la palmeraie en deux parties égales pour chacune des familles ayant également vocation à émettre des prétentions sur le terrain litigieux;

Le requérant développe deux moyens de cassation:
PREMIER MOYEN: Violation de l'article 3 de la loi du 9 décembre 1964 et de l'article 83 du décret du 3 décembre 1931. Défaut, insuffisance de motifs. Violation des règes de preuve en matière coutumière - violation de l'article 83 du décret du 3 décembre 1931. Fausse interprétation des déclarations reçues - dénaturation des déclarations - violation des droits de la défense. Déni de justice;

Première branche: La règle fondamentale en matière de justice coutumière est que le droit se prouve par témoins, parmi lesquels, il y a des témoignages privilégiés comme chefs de village et propriétaires limitrophes, alors que la Cour aurait seulement compté les témoignages;

Attendu que la Cour a passé en revue les témoignages produits au dossier pour d'ailleurs les renvoyer dos à dos. Quelle est libre des ses appréciations et qu'il ne saurait lui être fait grief de n'avoir pas retenu l'un plutôt que l'autre: Attendu que le témoignage «privilégié» du chef de village est d'ailleurs spécialement contesté par l'adversaire qui déclare d'une part que ce témoin n'était pas né au moment des faits de donation invoqués, d'autre part qu'il est adversaire politique du défendeur; attendu quant au témoin GOUTOYI Kossi qu'il n'est pas limitrophe du terrain litigieux mais d'un autre situé ailleurs;

Attendu que le moyen n'est pas soutenable dans sa première branche;

Deuxième branche: La Cour d'appel n'a pas procédé à une enquête d'audience alors que le décret organique lui fait obligation de procéder exactement comme le premier juge, c'est-à-dire entendre à nouveau les parties et les témoins;

Attendu qu'il est de jurisprudence constante que la Cour n'est pas tenue de réentendre les témoins, mais peut se fonder sur leurs dires en première instance, consignés au relevé d'audience;

Troisième branche: La Cour d'Appel a encore violé les règles de procédure et de preuve ainsi que les droits de la défense en opposant à la déposition reçue sous serment par le Tribunal, la déclaration faite par Sossa GBETO Medodji devant l'expert topographe qui n'avait pas reçu mission d'enquête;

Attendu qu'il n'est pas indiqué quelle règle de procédure sera violée en retenant des indications données au cours d'une expertise;

Attendu d'ailleurs qu'en matière coutumière le juge peut se fonder sur tous les éléments sur lesquels son appréciation est souveraine;

Attendu que le moyen est infondé en sa 3ème branche.

Quatrième branche: Dénaturation des déclarations reçues lorsque la Cour dit que les 6ième témoin qui n'est pas nommé avait déclaré que le terrain appartenait à KOUKPAHOUN, la Cour ayant manifestement fait allusion à GOUTOYI Kossi qui n'a jamais dit cela;

Attendu que la Cour a déjà reproduit in extenso le témoignage de ce témoin (page 2 verso) et qu'il est relevé:(il y a un certain temps c'est KOUKPAHOUN qui a occupé le terrain litigieux);

Attendu que la critique est mal venue à ce sujet;

Attendu que le premier moyen est donc à rejeter dans toutes ses branches;

DEUXIEME MOYEN: Violation de l'article 83 du Décret du 3 décembre 1931 et de l'article 3 de la loi du 9 décembre 1964. Défaut de motifs - Contradiction de motifs - Violation des règles de procédure et de preuve - Violation des articles 24,6; et 85 du décret du 3 décembre 1931 - Violation des droits de la défense - Déni de justice;

La Cour d'Appel a rendu une décision à la Salomon sans avoir procédé à l'instruction complète de l'affaire ainsi que l'obligation lui en est faite par le décret organique et la coutume applicable qui était la coutume fon;

Attendu que la Cour a fait une analyse minutieuse des éléments du dossier et que rien ne l'obligeait à prolonger des recherches qu'elle a estimée vaines et qu'elle a indiqué qu'il lui était impossible d'appliquer au cas d'espèce, les principes de la coutume, d'où sa décision de statuer en équité;

Attendu qu'il ne peut lui en être fait reproche, la référence a la sagesse de salomon étant assez inattendu de la part de la partie qui attaque l'arrêt;

Deuxième branche: Un fait nouveau ayant été révélé en cause d'appel à savoir l'existence dufétiche « dan» sur le terrain disputé, il importait de rechercher à qui appartenait ce fétiche, puisqu'il suffit de rechercher la partie qui dessert ce fétiche actuellement pour en déterminer le propriétaire;

Attendu que la Cour a bien examiné le fait nouveau «s'il s'avère impossible de savoir à qui appartient le fétiche «dan»» et que son inaction ne peut être reproché.

Troisième branche: La présence du fétiche «Dan» impliquant le droit de propriété de la partie qui en est propriétaire, la solution du problème de l'appartenance de ce fétiche à l'une ou l'autre partie devait nécessairement procéder la décision sur le partage;

Attendu que l'argument n'est qu'une redite du précédent, qu'il est sans intérêt en la cause;

Quatrième branche: La Cour d'appel alléguant l'impossibilité de connaître l'origine réelle de propriété du sol et du fétiche a jugé en équité;

«Il apparaît opportun de statuer en équité en ordonnant un partage de l'immeuble litigieux» ce faisant, elle a violé les règles d'ordre public édictées par les articles 6 et 85 du décret du 3 décembre 1931;

Article 6 .- en matière civile et commerciale, les juridictions de droit local applique exclusivement la coutume des parties;

Article 85 in fine.- Le jugement doit contenir l'énoncé complet de la coutume appliquée.

Attendu que la Cour n'a fait appel a aucun autre texte juridique que celui tiré de la coutume des parties, mais qu'après avoir constaté l'impossibilité de savoir l'origine réelle de la surface contestée pour déduire le principe coutumier applicable pour l'octroi à l'un des plaideurs du bénéfice de la coutume, elle a décidé dans son dispositif «que les deux parties ont vocation à émettre des prétentions sur le terrain litigieux» et qu'elle le leur a attribué à l'une et à l'autre pour moitié;

Attendu que ce faisant, elle n'a aucunement violé les articles 6 et 85 du décret du 3 décembre 1931;

PAR CES MOTIFS

Reçoit le pourvoi en la forme ;

Au fond le rejette;

Condamne le requérant aux dépens.

Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;

Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général près la Cour d'Appel

Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de:

Edmond MATHIEU;Président de la Chambre judiciaire; Président

Frédéric HOUNDETON et Maurille CODJIA Conseillers

Et prononcé à l'audience publique du vendredi vingt juillet mil neuf cent soixante treize, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de:

Grégoire GBENOU PROCUREUR GENERAL

Et de Maître Honoré Géro AMOUSSOUGA GREFFIER EN CHEF

Et ont signé
Le Président Le Greffier en Chef

E. MATHIEU H. Géro AMOUSSOUGA


Synthèse
Formation : Chambre judiciaire
Numéro d'arrêt : 20
Date de la décision : 20/07/1973
Civile traditionnelle

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;1973-07-20;20 ?
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