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21/01/1970 | BéNIN | N°3

Bénin | Bénin, Cour suprême, Chambre administrative, 21 janvier 1970, 3


Recours pour excès de pouvoir - Fonction publique - Suspension d'agent avec perte du traitement - Remboursement de somme - Défaut de fondement légal - Annulation.

La qualification d'infraction étant d'interprétation stricte, la décision de suspension d'un agent public de ses fonctions pour une infraction non prévue par la loi manque de base légale et mérite annulation.

De même, ledit agent n'ayant pas fait l'objet d'une procédure de débet conformément aux dispositions de la loi organisant la Cour Suprême, la décision lui imposant le remboursement de somme manque é

galement de base légale et doit être annulée.
Enfin, en décidant d'une sanc...

Recours pour excès de pouvoir - Fonction publique - Suspension d'agent avec perte du traitement - Remboursement de somme - Défaut de fondement légal - Annulation.

La qualification d'infraction étant d'interprétation stricte, la décision de suspension d'un agent public de ses fonctions pour une infraction non prévue par la loi manque de base légale et mérite annulation.

De même, ledit agent n'ayant pas fait l'objet d'une procédure de débet conformément aux dispositions de la loi organisant la Cour Suprême, la décision lui imposant le remboursement de somme manque également de base légale et doit être annulée.
Enfin, en décidant d'une sanction autre que celle prévue par la loi applicable, l'administration excède ses pouvoirs, et sa décision qui manque ainsi de base légale doit également être annulée.

N°3 du 21 JANVIER 1970

Alfred BOSSOU

Vu la requête présentée par Maître Pierre BARTOLI, Avocat-Défenseur à Cotonou pour le compte du sieur BOSSOU Alfred, Conseiller aux affaires Administratives, domicile élu en l'Etude du Conseil sus-désigné, ladite requête enregistrée le 15 novembre 1968 au Greffe de la Cour Suprême et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, de la décision n°11 du 23 juillet 1968 rendue par la commission militaire de répression infligeant au requérant une suspension de trois mois avec perte de traitement et remboursement de la somme de 402.041 francs par les moyens que le requérant a été détaché au Dahomey où il a occupé en 1963 les fonctions de préfet du sud-est, que ses comptes ont été approuvés par décret n°s 168/PC/MFAEP du 11 septembre 1964; 102/PR/MFAEP-DB du 28 février 1966 pour 1964, 199/PRMFEP-DB du 11 juin 1966 pour 1965; 32/PR/MFEP-DB du 14 février 1968 pour 1966;

Que le 16 janvier 1968, alors qu'il remplissait les fonctions d'inspecteur Général des Affaires Administratives à Cotonou, il a été invité à faire connaître s'il optait pour la fonction publique dahoméenne à défaut de quoi il serait remis à la disposition du gouvernement français; que par lettre du 17 janvier 1968 il sollicitait sa remise à la disposition de son administration d'origine; qu'il fut aussitôt remplacé dans ses fonctions; que quelques jours après il était informé qu'une commission militaire de vérification venait de constater un détournement commis par l'un de ses anciens agents dans la préfecture de l'Ouémé (ex-sud) qu'il avait quitté depuis le mois de septembre 1966; que le 29 janvier 1968 il était déféré devant le Commissaire du gouvernement du Tribunal Militaire d'Exception pour détournement de derniers publics et faux en même temps que son successeur, M. MOUDACHIROU; que sans autre instruction préalable qu'un questionnaire écrit auquel il dut répondre en une heure, sans pièces, pour des actes administratifs intéressant une période de trois années il fut renvoyé devant le Tribunal Militaire; que devant cette juridiction le requérant invoqua le défaut de débet, le quitus résultant des décrets d'approbation de ses comptes, une question préjudicielle, etc..; que toutes les exceptions proposées furent rejetées; que le requérant invoqua alors le défaut de preuve, de communication de documents justificatifs de l'accusation etc.; que par jugement du 9 février 1968, le Tribunal le condamnait à sept mois d'emprisonnement et 2.500.000 francs de dommages-intérêts avec confiscation des biens; que par ordonnance du 29 mars 1968, cette décision comme toutes celles rendues par le tribunal Militaire d'exception fut déclarée nulle et de nul effet; que par la même ordonnance, les fonctionnaires déférés à cette juridiction furent traduits devant la commission militaire de répression qu'elle créait; que par mémoire écrit déposé sur le bureau de la commission à l'appel de l'affaire le requérant invoqua l'incompétence de la commission, le défaut d'arrêté de débet, le quitus donné par décret après vérification de ses comptes etc.; que la Commission examina l'affaire sans se prononcer sur ses conclusions; que tous les éléments d'accusation qui furent soumis au requérant dans un débat contradictoire furent mis à néant par ses explications et justifications; qu'il pensait donc l'affaire réglée à son avantage lorsque par la notification de la décision entreprise il apprit qu'était mise à sa charge une somme de 401.041 francs représentant des dépenses non justifiées et dont il ignore les causes et l'affectation, aucun grief relatif à cette somme ne lui ayant été soumis devant la commission. Que par requête du 12 août 1968, il saisissait le Chef de l'Etat d'un recours hiérarchique en indiquant que la suppression des recours édictés par l'article 18 de l'ordonnance précitée ne pouvait viser son recours; que cette requête fût complétée en fait et en droit par un mémoire du 30 septembre 1968 adressé au Président de la République; qu'avant le dépôt du second mémoire le requérant fût convoqué et informé que la Commission était invitée à réexaminer son cas et à lui soumettre les documents justificatifs des dépenses visées par la décision précité complétant sa requête sa requête du 12 août précédent, il faisant connaître au Chef de l'Etat que la Commission ne l'avait point convoqué; que la notification verbale dont il est question plus haut n'a pas été suivie d'effet ou d'une confirmation écrite; que le délai de recours étant expiré, il se trouvait contraint de saisir la Cour Suprême, le défaut de réponse entraînant rejet implicite; que l'article de l'ordonnance 18/PR du 29 mars 1968 est ainsi conçu ''les décisions de la Commission militaire de répression sont sans recours; que la suppression du recours pour excès de pouvoir exige une prescription expresse de la loi faute de quoi l'expression ''ne sont susceptibles d'aucun recours'' ne s'interprète que comme excluant le recours de plein contentieux; que le Conseil d'Etat s'est prononcé à plusieurs reprises sur cette question dans le sens indiqué ci-dessus par des décisions rendues dans les matières les plus diverses; conseil supérieur de la Magistrature, discipline professionnelle et économique; concession; jury d'honneur etc. que le présent recours est donc recevable en la forme; qu'il y a violation de l'article 13 de la convention franco-dahoméenne du 29 juillet 1959 approuvée par la loi N°59-26 du 15 décembre 1959, violation de la loi, incompétence en ce que la commission Militaire de répression saisie d'un déclinatoire de compétence s'est reconnue implicitement compétente et a prononcé des sanctions contre le requérant en sa qualité de fonctionnaire alors que le texte visé au moyen édicte que le personnel mis par la France à la disposition du Gouvernement du Dahomey n'encourt d'autres sanctions que la remise motivée à la disposition du Gouvernement de la République Française; que la convention internationale prime la loi interne et par conséquent l'ordonnance de 1968 n'a pu emporter dérogation à la convention de 1959; que le requérant appartenait à la fonction publique française et avait été détaché au Dahomey; qu'au moment où la commission était saisie il était en position d'expectative de réintégration et rapatriement; que la décision entreprise ayant un caractère indiscutablement disciplinaire en ce qu'elle emportait suspension avec perte de traitement constituait donc une violation de l'article 7 de l'ordonnance du 29 mars 1968, incompétence, en ce que la décision entreprise se prononce sur les dépenses injustifiées alors qu'elle n'était compétente que pour détournement de derniers publics, corruptions et malversations ou prévarications; que l'expression employée par la décision N°11- ''dépenses non justifiées'' exclut les faits pour lesquels la commission était compétente, le défaut de justification de dépenses n'impliquait ni détournement ni corruption ni prévarication ou malversation mais seulement la violation d'une règle administrative; que les règles de compétence étant d'interprétation suricte la commission a excédé ses pouvoirs en ce prononçant sur des faits qu'elle ne pouvait connaître; qu'il y a violation des décrets des 11 septembre 1964, 26 février 1966, 17 juin 1967 et 14 février 1968, méconnaissance du caractère irrévocable du quitus en ce que la décision critiquée a retenu des dépenses non justifiées et admis en débet le requérant alors que ses comptes avaient été approuvés par les textes visés au moyen emportant quitus et que la commission ne pouvait elle-même se prononcer qu'après qu'un arrêté du Ministre des Finances ait déclaré reliquataire le fonctionnaire en cause; que tant en ce qui concerne les comptables de fait que les comptables patents la poursuite est subordonnée à une décision de l'autorité compétente les déclarant débiteurs et la mise en débet constitue une question préjudicielle; qu'en l'espèce la mise en débet était impossible puisque la vérification des comptes qui aurait dû précisément aboutir à l'arrêté de débet par constatation d'un défaut de justifications d'un article quelconque du compte a entraîné l'acte qui en est l'opposé; c'est-à-dire le décret d'approbation emportant quitus; que ce quitus a un caractère irrévocable; qu'au surplus la décision entreprise n'a pas été précédée d'une vérification comptable au sens administratif du terme; qu'il y défaut de motif en ce que la décision entreprise à l'encontre du requérant sans énoncer de motifs et sans indiquer notamment les éléments d'appréciation et documents de la cause d'où elle tire la preuve de dépenses injustifiées alors que toute décision portant atteinte à une situation individuelle ou une sanction doit être motivée à peine de nullité; que l'ordonnance du 29 mars 1968 ne dispensait pas la commission de motiver sa décision; que les textes de la législation dahoméenne qui concernent les décisions portant sanction, condamnation etc. en matière administrative ou judiciaire exigent qu'elles soient motivées; qu'il est également de règle que les décisions affectant une situation individuelle doivent être motivées, qu'il ne saurait être objecté que l'ordonnance précitée n'instituait qu'une commission ne constituant pas une jurisprudence décide que lorsque le législateur n'a pas précisé le caractère juridictionnel d'un organe administratif, celui-ci est déterminé par les éléments suivants; procédure qui lui est imposée, nature de ces décisions, autorité qui s'y attache; qu'il découle nécessairement de l'ordonnance précitée, que la commission constituait une juridiction administrative ayant compétence pour infliger des sanctions, la révocation comprise; que pour mesurer la portée du grief du requérant il suffit de constater qu'à l'heure actuelle encore il est obligé de se livrer à de pures hypothèses pour essayer de savoir à quels éléments de ses comptes se rattachent les dépenses non justifiées qui lui sont imputées; qu'il y a violation des articles 4, 5, 8, 9, 15 et 18 de l'ordonnance du 29 mars 1968, violation des règles de forme, omission de formalités substantielles en ce que la commission de répression n'a pas procédé à un débat contradictoire sur les dépenses imputées au requérant, n'a pas mis sa décision en délibéré après son audition et a statué sur l'ensemble des affaires par une seule décision alors qu'il résulte des dispositions visées au moyen qu'elle devait instruire chaque cause, en délibérer et statuer sur chaque affaire comme toute autre juridiction administrative ou judiciaire; que la commission a procédé à un débat contradictoire sur certains éléments des comptes du requérant mais a omis de le faire en ce qui concerne la somme mise à sa charge; qu'il n'est pas mentionné qu'elle a délibéré et s'est prononcée à la majorité. Toute formalité non mentionnée est de jurisprudence, tenue pour non accomplie; que d'autre part il résulte de sa décision qu'elle l'a prise non après la clôture des débats mais à une époque non indiquée et qui est en tous les cas postérieur aux débats de toutes les affaires sur lesquelles elle s'est prononcée en même temps alors qu'il s'agissait d'actes de gestion différents ou de fait n'intéressant pas le requérant et imputables à d'autres personnes; que de l'intitulé de l'acte entrepris il résulte que la commission a délibéré alors qu'elle a procédé à l'examen de sept affaires au moins du 26 juin au 23 juillet 1968; qu'il y a violation de la loi du 15 décembre 1959 et de la convention du 21/7/1959 en ce que la décision entreprise porte sanction contre le requérant alors qu'aux termes des textes visés ci-dessus, aucune sanction administrative ne pouvait être prise contre lui en dehors de la remise à la disposition du gouvernement français; qu'il y a donc incompétence de la commission de ce chef; que les dispositions qui précèdent sont formelles et se passent de commentaires;

Vu, enregistré comme-ci dessus, le 6 janvier 1969, le mémoire présenté par l'Etat dahoméen, tendant au rejet de la requête, par les moyens que l'ordonnance N°18/PR du 29 mars 1968 dispose que la commission militaire de répression connaît des affaires concernant les agents de l'Etat Dahoméen, le sieur BOSSOU, fonctionnaire détaché de la République Française peut-il être considéré comme ''un agent de l'Etat Dahoméen'' au sens de cette ordonnance. La question ne peut être résolue que par référence à la notion de détachement et aux effets qui en découlent; que le détachement est, aux termes de la loi du 19 octobre 1946, article 97, ''la position du fonctionnaire placé hors de son cadre d'origine, mais en continuant à bénéficier de ses droits à l'avancement et à la retraite; d'après l'article 105 de la même loi, le fonctionnaire en détachement est soumis à l'ensemble des règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement»»; que le détachement place le fonctionnaire dans une situation hybride; que le Conseil d'Etat posé des règles qui permettent de trancher le débat; qu'en particulier le conseil d'Et a défini ce qu'il faut entendre par règles régissant la fonction, ''qu'il a décidé que ces règles concernent les conditions d'occupation de l'emploi et il a partout attribué, pouvoir hiérarchique à l'égard de BOSSOU appartient donc au Ministre de l'intérieur du Dahomey et non au Ministre Français; qu'en fait et en droit Monsieur BOSSOU a toujours reçu des directives, et a toujours agi aux ordres du gouvernement Dahoméen, ainsi qu'il est de règle en cas de détachement - les liens qu'il conserve avec la fonction publique française sont relatifs à l'avancement et à la retraite; que travaillant au Dahomey, pour le compte du gouvernement Dahoméen dont il reçoit instructions, soumis à l'autorité hiérarchique de son Ministre de l'Intérieur, BOSSOU peut être considéré comme un agent de l'Etat Dahoméen; qu'il est donc passible de poursuites devant la commission militaire de répression; que l'article 13 la convention du 21 juillet 1959 disposant que BOSSOU n'encourt d'autres sanctions administratives que la remise motivée au gouvernement français, la commission militaire de répression a-t-elle pu valablement le condamner à une suspension de trois mois avec perte de salaire, et
au paiement d'une somme de 401.041 francs; que pour résoudre ce problème, il convient d'abord de dire si la commission militaire de répression est une ''autorité administrative'' prononçant des ''sanctions administratives'' ou s'il s'agit d'une véritable ''juridiction'' dont des décisions sont des ''actes juridictionnels'' que la réponse étant rendue malaisée par la complexité de la nature de la commission, on peut avancer que cette commission, de par les attributions qui lui sont confiées et de par les condamnations qu'elle peut prononcer, participe aussi bien de la nature d'une juridiction que de la nature d'une autorité administrative; qu'elle est une juridiction en ce sens qu'on y rencontre les caractéristiques des juridictions: le nombre de ses membres est impair, les débats sont contradictoires, ses décisions sont exécutoires par elles-mêmes et ne sont-subordonnées à la ratification de l'autorité hiérarchique du fonctionnaire incriminé;; qu'elle est organe administratif en ce sens aussi que les sanctions qu'elle prononce sont disciplinaires (blâme, suspension, perte de salaire); que si l'on admet que la commission est une juridiction prononçant les actes juridictionnels et partant indépendante de l'autorité administrative, on affirmera que les condamnations prononcées contre BOSSOU ne sont pas des sanctions administratives, le propre de la sanction administrative étant qu'elle ''émane d'une autorité administrative sans nécessiter l'intervention à priori d'un juge'', en l'occurrence la commission militaire de répression; que dans ce cas, on conclura que la commission militaire de répressiona pu valablement prendre les sanctions qu'elle a prises contre Monsieur BOSSOU; que si l'on admet qu'il s'agit d'une autorité administrative, force sera de dire que les décisions prises par la commission militaire de répression sont des sanctions administratives; que compte tenu de la complexité sus-énoncée de la nature de la commission militaire de répression, le problème posé par la requête de BOSSOU doit être résolu en termes cumulatifs et non en termes alternatifs: la commission militaire de répression étant à la fois une juridiction autonome et une autorité administrative, les condamnations prononcées contre Monsieur BOSSOU sont les unes des sanctions administratives, les autres des sanctions civiles; que constitue une sanction administrative, la suspension de ses fonctions avec perte de salaire prononcée à l'encontre de BOSSOU; que cette sanction touche à sa situation administrative; que dès lors, elle est prohibée par article 13 de la convention franco-Dahoméenne du 21 juillet 1959 et peut être considérée comme nulle; que ne constitue pas une sanction administrative, mais une réparation, civile, la condamnation au paiement d'une somme de 401.041 francs; qu'en effet, cette somme représente les prélèvements, injustifiés au détriment de la caisse Publique reprochés à BOSSOU . qu'il s'agit de véritables dommages-intérêts; que le fait ait été déjà remis à la disposition de la France au moment où cette condamnation a été prononcée est inopérant, puisque les infractions qui sont reprochées ont été commises alors qu'il exerçait des fonctions de détachement; que BOSSOU est un agent de l'Etat dahoméen, en raison de son détachement qui, ainsi que l'a jugé le conseil d'Etat, le place sous l'autorité hiérarchique du Ministre de l'Intérieur du Dahomey de qui il reçoit des ordres et pour le compte de qui il agit; qu'il résulte que la commission militaire de répression avait compétence pour connaître les infractions commises par lui; qu'en raison de la nature hybride de la commission militaire de répression une distinction doit être faite entre les deux condamnations prononcées: est nulle la suspension pour trois mois avec perte de salaire qui constitue une sanction administrative, pour violation de la convention franco-dahoméenne; est valable la condamnation à dommages-intérêts de 401.041 francs qui constitue une sanction civile; que BOSSOU soutient que la commission militaire de répression a été saisie et l'a condamné du chef de ''dépense non justifié'', alors que d'après l'article 7 de l'ordonnance du 27 mars 1968, seuls sont de sa compétence les détournements de derniers publics, la corruption, la malversation et la prévarication; qu'il fait aussi valoir que les faits visés par l'ordonnance étant les infractions même prévues par le code pénal, aucune condamnation ne peut le frapper sans que le juge ait au préalable constaté si l'intention frauduleuse; qu'il est certain que devant les juridictions pénales de droit commun, les détournement, corruption, prévarication et autres malversations ne sont punissables que l'intention coupable est établie; qu'il est évident par exemple que l'infraction n'existerait pas si le coupable s'était borné à appliquer les fonds mis entre ses mains à une dépense publique non autorisée; que si l'élément intentionnel est indispensable, rien n'est plus difficile que de déterminer avec précision en quoi il consiste; que ''les tribunaux affirment ou nient cette intention, sans qu'il soit possible d'apercevoir les raisons juridiques de leurs décisions, et la Cour Suprême se borne à déclarer qu'ils ont sur ce point un pouvoir souverain''; que la commission reprochait à BOSSOU des dépenses non justifiées; que la dépense non justifiée est une dépense dont la destination non justifiée est une dépense dont la destination n'a pas été déterminée, et elle est donc différente de la dépense à des fins publiques non autorisée qui, elle, n'est pas punie par la loi pénale; que l'intéressé n'ayant pas justifié que les dépenses ont servi à l'Etat, la commission a pu valablement considérer qu'elles ont tourné à son propre profit; qu'au surplus, il convient de rappeler que si la commission militaire de répression n'est pas une juridiction de l'ordre judiciaire mais une juridiction administrative et disciplinaire. Il n'est pour s'en convaincre que de rappeler que si elle a été créée et si elle a été substituée au tribunal militaire d'exception c'est afin de l'affranchir des règles en vigueur devant les juridictions de l'ordre judiciaire. Ainsi s'explique que les magistrats aient été évincés de sa composition; qu'il ne s'agit pas là d'un argument de circonstance, mais d'un argument fondé sur des notions juridiques; que le requérant admet lui-même que la commission militaire de répression est une juridiction administrative disciplinaire et d'exception; que devant les juridictions administratives, si la règle ''nulla poena sine lege'' a la même portée que devant les juridictions de l'ordre judiciaire, il n'en va pas de même de la règle ''nullum crimen sine lege'', nul crime sans loi; qu'en effet devant les juridictions administratives, la règle ''nullum crimen sine lege'' c'est à dire le principe de la légalité des incriminations, n'a qu'une portée très limitée. Certes chaque fois qu'un texte permet à un organe administratif de prononcer des sanctions, ce texte fixe les grandes lignes de la réglementation que l'organe doit respecter; que le principe n'en demeure pas moins qu'il n'existe, en général, ni définition légale des infractions sanctionnées ni détermination légale d'une échelle des infractions correspondant à une échelle des peines»»; que l'auteur en a déduit que l'administration et le juge administratif peuvent ''réprimer tout fait de nature à motiver légalement une sanction, c'est-à-dire tout fait qu'ils estiment constituer une infraction à la réglementation dont la sanction a pour objet d'assurer le respect''; qu'on voit ainsi que la commission militaire de répression, juridiction prononçant une sanction administrative a un pouvoir qui lui permet de qualifier les faits qui lui sont soumis, que devant les juridictions disciplinaires (tel est bien le cas de la commission militaire répression) et le requérant l'admet, il est de règle que le principe de la légalité des délits est mis en échec. Ainsi que l'écrivent les professeurs Brèthe de la Gressaye et Légal, ''en matière disciplinaire prévaut, et sans discussion, tout au moins pour ce qui est des incriminations, le principe de l'arbitrage, la détermination des faits susceptibles d'entraîner une sanction disciplinaire étant très largement abandonnée à l'appréciation de l'autorité chargée de la répression''; que devant les juridictions d'exception, (la commission militaire de répression est une), (la commission militaire de répression est une), l'histoire des institutions française enseigne qu'à différentes époques, les juridictions d'exception ont eu de pouvoirs très époques, les juridictions d'exception ont eu de pouvoirs très larges concernant l'incrimination; qu'ainsi de la haute cour de justice instituée par les articles 9 et 12 des lois constitutionnelles des 24 février et 10 juillet 1875: à propos des décisions de cette cour, la jurisprudentielle constante lui donne les plus larges pouvoirs d'incrimination, de sorte qu'elle a valablement pu statuer sur des ''dépenses non justifiées''; que subsidiairement, ''les dépenses non justifiées''étant différentes des dépenses à des fins publiques non autorisées, elles doivent être considérées comme n'ayant pas tourné au profit de l'Etat. Dès lors elles constituent les détournements et malversations prévus par l'article 7 de l'ordonnance du 29 mars 1968; la commission militaire de répression étant souveraine pour dire qu'il y a élément intentionnel; que BOSSOU soutient que ses comptes ont été approuvés par les décrets des 11 septembre 1964, 26 février 1966 et 17 juin 1967, et 14 février 1968, lesquels ont valeur de quitus irrévocable, et qu'au surplus il n'a pas été mis en débet par un arrêté du Ministre des Finances; que sur le quitus, les approbations de compte contenue dans les décrets sus-visés n'ont pas le caractère irrévocable que leur confrère Monsieur BOSSOU, et en particulier ne font pas obstacle aux poursuites diligentées contre lui; que pour qu'il y ait quitus irrecevable ayant autorisé de chose jugée, il aurait fallu que les comptes aient été examinée par la chambre des comptes de la Cour Suprême, laquelle aurait rendu un arrêt après vérification de la correction des opérations et leur régularité comptable; que sur le défaut de débet. Monsieur BOSSOU soutient à tort que les poursuites du chef de détournement doivent nécessairement être précédées d'une mise en débet su Ministre des Finances; que la règle selon laquelle le fonctionnaire doit d'abord être mis en débet ne joue plus lorsque les poursuites ont été déclenchées sur une plainte du Ministre compétent, car cette plainte emporte désapprobation de la gestion de l'intéressé; que le dossier de poursuite adressé par le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire d'exception à Monsieur le Chef du Gouvernement en vue de transmission à la commission militaire de répression contient en bonne et due place une plainte du Ministre de l'Intérieur contre BOSSOU; qu'il suffira de se rapporter à ce dossier pour s'en convaincre; que BOSSOU soutient à tort que même si une telle lettre existe, elle n'est pas valable, car elle n'émanerait pas du Ministre compétent qui serait selon lui le Ministre des Finances; qu'en effet pour que la plainte dispense du débet il faut et il suffit qu'elle émane du Ministre dont relève l'intéresse; qu'ainsi a-t-il été jugé que la plainte pouvait émaner du Ministre de l'Agriculture et du Commerce si le délinquant relève de son département; que le Ministère dont dépendent les préfets est le Ministère de l4intérieur; que la plainte formulée par ce dernier est donc valable et dispense à la mise en débet préalable; que BOSSOU reproche à la commission militaire de répression d'avoir statué sans énoncer de motifs et sans indiquer les éléments d'appréciations et les documents dont elle a tiré sa conviction; que ce moyen n'est pas fondé car la décision N°11 du 23 juillet 1968 de la commission militaire de répression énonce en sa page 1 qu'elle a condamné après étude de la vérification effectuée à la préfecture de l'Ouémé et après audition des inculpés et témoins; qu'aucun texte ni aucun principe ne fait obligation à la commission militaire de répression de détailler les documents soumis à son appréciation; que la décision énonce également que BOSSOU a été condamné au motif qu'il a fait des dépenses injustifiées; que BOSSOU fait grief à la commission militaire de répression d'avoir violé les articles 4, 5, 8, 9, 15, et 18 de l'ordonnance du 29 mars 1968, en omettant des formalités substantielles, notamment les débats n'auraient pas été contradictoires, la décision n'a pas été mise en délibéré, la commission militaire de répression n'aurait statué sur l'ensemble des affaires que par une décision n'a pas été mise en délibéré, la commission militaire de répression n'aurait statué sur l'ensemble des affaires que par une seule décision; qu'il est inexact que les débats n'aient pas été contradictoires, puisque Monsieur BOSSOU a été entendu et admis à présenter ses moyens de défense; que s'agissant du délibéré, l'ordonnance du 29 mars 1968 ne fixe pas des formes sacramentelles quant à la manière dont la décision doit être prise. On ne peut faire grief à une siège; qu'on ne saurait reprocher à la commission militaire de répression de n'avoir pas observé des règles qui n'étaient pas incluses dans l'ordonnance du 29 mars 1968;

Vu enregistré comme ci-dessus, le 17 mars 1969, le mémoire en réponse de Maître BARTOLI pour le compte de BOSSOU Alfred, tendant aux mêmes fins pour les même motifs et ensuite par les moyens que le mémoire de l'Etat Dahoméen n'est ni daté ni signé et ne porte pas la qualité de son auteur que la décision à intervenir n'étant opposable à l'autorité compétente que dans la mesure où il est établi qu'elle a pu répondre aux moyens du recours et que la réponse émane d'elle; qu'il s'ensuit que le mémoire est irrecevable comme n'émanant pas de l'autorité compétente; que le défendeur reconnaissant la nullité partielle de la décision entreprise, les diverses parties de celle-ci étant interdépendantes c'est toute la parties la décision qui doit être annulée; que ce que propose le défendeur est la formation de cette décision dont il est gêné de l'évidente nullité; qu'il n'est pas exact que la commission pouvait souverainement interpréter la qualification des faits reprochés à BOSSOU comme le ferait le sénat constitué en Haute Cour; que la commission militaire de répression n'avait compétence que pour se prononcer sur les délits et crimes définis par le Code Pénal; qu'elle ne pouvait se prononcer qu'en fonction des qualifications légales; que le moyen tiré de l'incompétence est donc fondé;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 3 avril 1969 au greffe de la Cour, le mémoire en réplique de l'Et Dahoméen duquel il résulte que le défendeur s'en tient à son mémoire en défense;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu l'ordonnance N°21/PR du 26 avril 1966, portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour
Suprême;

Ouï à l'audience publique du mercredi vingt et un janvier mil neuf cent soixante dix, Monsieur le conseiller BOUSSARI en son rapport;

Monsieur le Procureur Général AÏNANDOU en ses conclusions se rapportant à justice;

Et après en avoir délibéré conformément à la loi;

Sur les conclusions touchant à l'annulation de la décision suspendant le requérant de ses fonctions;

considérant que l'article 7 de l'ordonnance N°18/PR du 29 mars 1968 dispose:

ARTICLE 7: la commission sera appelée à apprécier l'existence des faits suivants:

Détournement par tout individu de fonds ou de derniers publics de l'Etat, des collectivités secondaires, des établissements ou organismes publics et semi-publics;

-Acceptation de dons ou présents par toute personne au service de l'Etat, pour faire ou s'abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi;

D'une façon générale, la commission militaire de répression a compétence pour connaître des malversations ou prévarications dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions de toute personne au service de l'Etat? des colectivit2s secondaires? des 2tablissements publics ou semi-publics .

Considérant que la décision N°11du 23 juillet 1968 incriminée stipule: ''La commission militaire de répression après étude de la vérification effectuée à la préfecture de l'Ouémé et après audition des inculpés et témoins, du 26 juin 1968 au 23 juillet 1968,

1°- Retient contre BOSSOU Alfred, Ex-préfet de l'Ouémé, une somme de 401.O41 francs de dépenses non justifiées

2° Décide, en application des articles 7, 99, 10, 12 et 13 de l'ordonnance N°18/PR du 29/3/68, une suspension de trois mois avec perte de traitement et un remboursement de 401?041 francs contre BOSSOU Alfred;

En vertu de l'article 11 de l'ordonnance N°18/PR en date du 29 mars 1968, les intéressés sont tenus de rembourser les sommes dues dans un délai de 15 jours; passé ce délai, il sera procédé à la saisie de leurs biens''.

Considérant que la commission militaire de répression n'a retenu ni détournement de fonds de derniers publics, ni acceptation de dons, ni malversations ou prévarication;

Considérant que la qualification d'infraction est d'interprétation stricte; qu'en conséquence ladite commission ne pouvait légalement fonder sa décision sur une infraction ne résultant d'aucun texte;

Considérant que la qualification ''dépenses non justifiées'' ne figure pas dans l'énumération des infractions relevant de la compétence de la commission militaire de répression de l'article 7 de l'ordonnance N°18/PR du 29 mars 1968;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commission militaire de répression a méconnu sa compétence et que la décision querellée doit être annulée;

Sur les conclusions visant à l'annulation de la mesure ordonnant le remboursement de la somme de 401.041 francs

Considérant que le requérant, n'ayant pas fait l'objet d'une procédure de débet dans les conditions prévues au titre 1V de l'ordonnance N°21/PR du 26 avril 1966 sur la Cour Suprême alors en vigueur, la décision lui imposant le remboursement de la somme de 401.041 francs manque de base légale et doit par suite être annulée;

Sur les conclusions visant à l'annulation de la mesure ordonnant la suspension du requérant pendant trois mois avec perte de traitement:

Considérant que l'article 13 de la convention Franco-Dahoméenne du 21 juillet 1959 dispose: ''Le personnel mais à la disposition de la république française, assortie le cas échéant, d'un rapport précisant la nature et les circonstances de faits reprochés susceptibles de justifier l'ouverture de la procédure disciplinaire inscrit au statut de l'intéressé.44

Considérant qu'il résulte des dispositions sus-rappelées que s'agissant, d'un fonctionnaire détachée, la République du Dahomey ne pouvait, sans préjudice de sanctions pénales éventuelles, prononcer l'encontre du sieur BOSSOU Alfred, d'autre sanction administrative que la remise à la disposition du Gouvernement français dudit fonctionnaire; que dès lors, la suspension de celui-ci prononcée par la décision attaquée manque de base légale et doit en conséquence être annulée;

D E C I D E

ARTICLE 1er..- La décision N°11 du 23 juillet 1968 de la commission militaire de répression est annulée en ce qui concerne le sieur BOSSOU Alfred ;

ARTICLE 2.- Les dépens sont mis à la charge du Trésor Public.

ARTICLE 3.- Notification du présent arrêt sera faite aux parties;

Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Administrative) composée de Messieurs:

Louis IGNACIO-PINTO, Président à la Cour Suprême........PRESIDENT

Corneille T. BOUSSARI et Grégoire GBENOU...........CONSEILLERS

Et prononcé à l'audience publique du Mercredi vingt et un janvier mil neuf cent soixante dix, la chambre étant composée comme il est dit ci-dessous, en présence de Messieurs:

Cyprien AÏNANDOU.............PROCUREUR GENERAL

Approuvé deux mots rayés nuls et deux renvois en marge.-

Et ont signé:

LE PRESIDENT LE RAPPORTEUR LE GREFFIER

L. IGNACIO-PINTO C.T. BOUSSARI H. GERO AMOUSSOUGA


Synthèse
Formation : Chambre administrative
Numéro d'arrêt : 3
Date de la décision : 21/01/1970

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bj;cour.supreme;arret;1970-01-21;3 ?
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