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19/02/2025 | BELGIQUE | N°P.22.1145.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 février 2025, P.22.1145.F


N° P.22.1145.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR DE CASSATION,
en cause
M-F. D.,
inculpée,
ayant pour conseils Maîtres Jean-Pierre Buyle et Alexis Deswaef, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE
Par une lettre du 2 août 2022, le ministre de la Justice a transmis au procureur général près la Cour de cassation, conformément à l’article 482 du Code d’instruction criminelle, les pièces qui lui avaient été adressées par le procureur général près la cour d’appel de Bruxelles le 11 mai 2022 à charge de M-F. D., consei

ller suppléant à ladite cour d’appel, du chef d’entrave méchante à la circulation routière, ré...

N° P.22.1145.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR DE CASSATION,
en cause
M-F. D.,
inculpée,
ayant pour conseils Maîtres Jean-Pierre Buyle et Alexis Deswaef, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE
Par une lettre du 2 août 2022, le ministre de la Justice a transmis au procureur général près la Cour de cassation, conformément à l’article 482 du Code d’instruction criminelle, les pièces qui lui avaient été adressées par le procureur général près la cour d’appel de Bruxelles le 11 mai 2022 à charge de M-F. D., conseiller suppléant à ladite cour d’appel, du chef d’entrave méchante à la circulation routière, rébellion par une personne armée, délit de fuite, mise en circulation, en tant que conducteur, d’un véhicule non couvert par une assurance, refus d’obtempérer aux injonctions d’un agent qualifié, et transgression d’un feu rouge.
Par un arrêt du 28 septembre 2022, la Cour a renvoyé la cause au premier président de la cour d’appel de Liège aux fins qu’il désigne un magistrat pour exercer les fonctions de juge d’instruction.
Par une ordonnance du 25 octobre 2022, le premier président précité a désigné un conseiller à la cour d’appel pour exercer les fonctions de juge d’instruction.

Le 25 mai 2023, ce conseiller instructeur a communiqué le dossier à toutes fins au ministère public.
Le 12 septembre 2024, le procureur général près la Cour a déposé des réquisitions tendant au règlement de la procédure.
A l’audience du 2 octobre 2024, tenue en chambre du conseil, la cause a été remise au 30 octobre 2024, puis, à cette audience, remise sine die, à la suite du dépôt, par l’inculpée, d’une demande d’accomplir des devoirs complémentaires en application des articles 61quinquies et 127, § 3, du Code d’instruction criminelle.
Le 10 octobre 2024, le magistrat instructeur a statué sur la requête.
L’inculpée a interjeté appel de cette ordonnance et la chambre des mises en accusation de Liège s’est prononcée sur ce recours par un arrêt du 25 novembre 2024.
La personne poursuivie a été invitée à comparaître devant la Cour par une convocation datée du 20 décembre 2024.
II. LES RÉQUISITIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC
Le procureur général a déposé un réquisitoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme, par lequel il demande de constater que l’instruction est complète, de dire qu’il existe des charges suffisantes pour justifier le renvoi de l’inculpée, conseiller suppléant à la cour d’appel de Bruxelles, du chef des inculpations y visées, étant précisé que lesdits crimes et délits auraient été commis en dehors de l’exercice des fonctions de conseiller suppléant, d’admettre des circonstances atténuantes en ce qui concerne l’inculpation d’entrave méchante à la circulation routière, celles-ci résultant, dans le chef de l’inculpée, de l’absence de condamnation antérieure à une peine criminelle et, réglant la procédure, d’ordonner le renvoi de la personne poursuivie devant la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, du chef des inculpations telles que reprises au réquisitoire.
III. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
A l’audience du 15 janvier 2025, tenue en chambre du conseil, le magistrat instructeur a fait rapport et le premier avocat général Michel Nolet de Brauwere a requis. Il a précisé que, en raison de l’entrée en vigueur de l’article 43 de la loi du 15 mai 2024 portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses II, il requiert désormais que l’inculpée soit renvoyée devant le tribunal correctionnel.
Maître Alexis Deswaef a été entendu en ses moyens au nom de l’inculpée.
IV. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Quant à la compétence de la Cour pour régler la procédure :
L’article 43 de la loi du 15 mai 2024 portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses II, entré en vigueur le 28 novembre 2024, a modifié, dans le livre II, titre IV, du Code d’instruction criminelle, le chapitre III de ce code, comportant les articles 479 à 503bis.
En vertu de l’article 479 nouveau du même code, pour l’application dudit chapitre, l’on entend par magistrat mis en cause celui qui est soupçonné, inculpé, prévenu ou accusé du chef d’un crime ou d’un délit et est revêtu, soit au moment de l’infraction, soit au moment de la poursuite, de la fonction de magistrat à la cour d’appel, à l’exclusion, notamment, des conseillers suppléants.
En vertu de l’article 3 du Code judiciaire, les lois d’organisation judiciaire, de compétence et de procédure sont immédiatement applicables aux procès en cours sans dessaisissement cependant de la juridiction qui, à son degré, avait été valablement saisie, sauf les exceptions prévues par la loi.
Conformément à l’article 147, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2024 précitée, pour ce qui concerne les modifications prévues dans l’article 43, pour les dossiers qui, comme en l’espèce, ont été régulièrement mis à l’instruction avant la date d’entrée en vigueur de cette loi en application des dispositions du livre II, titre IV, chapitre III, du Code d’instruction criminelle telles qu’elles étaient d’application à ce moment, la chambre des mises en accusation procède au règlement de la procédure à l’issue de l’instruction.
A cet égard, par l’arrêt n° 131/2016 du 20 octobre 2016, la Cour constitutionnelle a jugé que l’absence d’intervention, au terme de l’instruction, d’un organe juridictionnel qui procède, dans le cadre d’une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine, ce faisant, si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Il y a, partant, lieu d’interpréter les articles 479 à 482bis du Code d’instruction criminelle anciens en ce sens que, au terme de l’instruction requise par la Cour de cassation, l’affaire doit être renvoyée à cette dernière, dont la compétence est, dans cette procédure, comparable à celle d’une juridiction d’instruction et qui procède, dans le cadre d’une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine à cette occasion si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière.
Il résulte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précité que, dans cette interprétation, ces dispositions légales ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Selon l’alinéa 2 de l’article 147 précité, si la cour d’appel a été saisie régulièrement avant la date d’entrée en vigueur de la loi, elle le reste même si aucun inculpé n’est un magistrat mis en cause, au sens de l’article 479 du Code d’instruction criminelle, tel que remplacé par l’article 43.
Il suit de la lecture combinée des deux alinéas dudit article 147, ainsi que des travaux préparatoires de la loi précitée du 15 mai 2024, que le législateur n’a pas entendu déroger au principe, énoncé à l’article 3 du Code judiciaire, selon lequel les lois d’organisation judiciaire, de compétence et de procédure sont immédiatement applicables aux procès en cours, cependant sans dessaisissement de la juridiction qui, à son degré, avait été valablement saisie.
Partant, par l’emploi à l’article 147 du terme « chambre des mises en accusation », le législateur a entendu viser la juridiction d’instruction régulièrement saisie du règlement de la procédure impliquant un conseiller suppléant d’une cour d’appel poursuivi du chef de crimes ou délits commis hors de l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire, dans le cas de l’inculpée, la chambre de la Cour de cassation qui connaît des pourvois en matière criminelle et correctionnelle.
Il résulte de ce qui précède que la Cour est compétente pour procéder au règlement de la procédure.
B. Quant à l’existence de charges :
L’instruction paraît complète et la procédure est régulière.
Il ressort des constatations des verbalisateurs, confirmées par les policiers intervenants, des documents transmis par une compagnie d’assurance, et des images enregistrées par une caméra de surveillance, qu’il existe des charges suffisantes de culpabilité en cause de l’inculpée, du chef d’entrave méchante à la circulation routière (prévention A), rébellion par une personne munie d’une arme (prévention B), délit de fuite (prévention C), mise en circulation, étant conducteur, d’un véhicule automoteur sans que la responsabilité civile soit couverte conformément à la loi du 21 novembre 1989 (prévention D), avoir négligé d’obtempérer immédiatement aux injonctions d’un agent qualifié (prévention E), et avoir négligé, étant conducteur d’un véhicule sur la voie publique, de respecter un feu rouge (prévention F).
A les supposer établis, les faits visés à la prévention A sont punis de la réclusion de cinq à dix ans en application de l’article 406 du Code pénal, et ceux de la prévention B sont punis d’un emprisonnement de trois mois à deux ans en vertu de l’article 271 du même code.
En application de l’article 33, § 1er, 2°, de la loi relative à la police de la circulation routière, les faits présumés repris sous la prévention C sont punis d’un emprisonnement de quinze jours à six mois et d’une amende de deux cents à deux mille euros, ou d’une de ces peines seulement.
Les faits présumés visés à la prévention D sont punis, en vertu de l’article 22 de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent à mille euros, ou d’une de ces peines seulement.
Chacun des faits, à les supposer établis, énoncés respectivement aux préventions E et F, est puni d’une amende de trente euros à cinq cents euros, en application de l’article 29, § 1er, alinéa 2, de la loi relative à la police de la circulation routière.
En vertu des articles 1er et 2 de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes, il y a lieu d’admettre de telles circonstances en ce qui concerne les faits repris sous la prévention A, résultant de l’absence de condamnation antérieure de l’inculpée à une peine criminelle.
C. Quant à la juridiction de fond compétente pour connaître des préventions mises à charge de l’inculpée :
Le renvoi de l’inculpée, qui est ordonné après l’entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2024 précitée, doit avoir lieu devant le juge compétent en vertu de l’article 479 nouveau du Code d’instruction criminelle pour connaître des crimes correctionnalisés ou des délits présumés mis à sa charge et, par connexité, des préventions d’infraction à la loi précitée du 21 novembre 1989 et à la loi relative à la police de la circulation routière dont elle est soupçonnée, à savoir le tribunal correctionnel territorialement compétent.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant contradictoirement, en chambre du conseil,
Vu les articles 479 à 482bis anciens et nouveaux du Code d’instruction criminelle, et 147 de la loi du 15 mai 2024 portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses II,
Vu les articles 127 et 130 du Code d’instruction criminelle, et 2 de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes,
Vu la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire ;
Admet des circonstances atténuantes en ce qui concerne l’inculpation d’entrave méchante à la circulation routière, celles-ci résultant, dans le chef de l’inculpée, de l’absence de condamnation antérieure à une peine criminelle ;
Dit qu’il existe des charges suffisantes justifiant le renvoi de l’inculpée devant la juridiction de fond du chef des préventions précitées ;
Ordonne son renvoi, de ces chefs, devant le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles.
Ainsi rendu le 19 février deux mille vingt-cinq en chambre du conseil par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, Filip Van Volsem, président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Maxime Marchandise, conseillers, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.1145.F
Date de la décision : 19/02/2025
Type d'affaire : Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2025-02-19;p.22.1145.f ?

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