N° C.23.0373.F
1. TRAGECO BAT, société anonyme, dont le siège est établi à Waimes, rue de la Litorne, 7 A, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0426.669.841,
2. SOCIÉTÉ DES TRAVAUX GÉNÉRAUX DE CONSTRUCTIONS, société anonyme, dont le siège est établi à Waimes, rue du Milan, 1, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0405.854.631,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
contre
1. INTERCOMMUNALE DE SOINS SPÉCIALISÉS DE LIÈGE, société coopérative, dont le siège est établi à Liège, rue Basse-Wez, 145, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0250.610.881,
défenderesse en cassation,
2. DAO, société anonyme, dont le siège est établi à Visé, rue de Maestricht, 106, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0419.180.550, venant aux droits de la société anonyme DTO, anciennement dénommée Delta Thermic,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Woluwe-Saint-Pierre, avenue des Lauriers, 1, où il est fait élection de domicile.
N° C.24.0097.F
DAO, société anonyme, dont le siège est établi à Visé, rue de Maestricht, 106, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0419.180.550, venant aux droits de la société anonyme DTO, anciennement dénommée Delta Thermic,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Woluwe-Saint-Pierre, avenue des Lauriers, 1, où il est fait élection de domicile,
contre
1. INTERCOMMUNALE DE SOINS SPÉCIALISÉS DE LIÈGE, société coopérative, dont le siège est établi à Liège, rue Basse-Wez, 145, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0250.610.881,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est fait élection de domicile,
2. TRAGECO BAT, société anonyme, dont le siège est établi à Waimes, rue de la Litorne, 7 A, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0426.669.841,
3. SOCIÉTÉ DES TRAVAUX GÉNÉRAUX DE CONSTRUCTIONS, société anonyme, dont le siège est établi à Waimes, rue du Milan, 1, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0405.854.631,
défenderesses en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l’arrêt rendu le 4 octobre 2022 par la cour d’appel de Liège.
Le 9 janvier 2025, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0169.F, la demanderesse présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0373.F, les demanderesses présentent quatre moyens dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.24.0097.F, la demanderesse présente trois moyens dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
III. La décision de la Cour
Les pourvois sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre.
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0169.F :
[…]
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0373.F :
Sur le premier moyen :
Quant à la troisième branche :
En vertu de l’article 976 du Code judiciaire, l’expert ne tient aucun compte des observations sur son avis provisoire qu'il reçoit tardivement et ces observations peuvent être écartées d'office des débats par le juge.
L’économie de cette disposition n’est pas de priver nécessairement la partie qui néglige de formuler ses observations dans le délai imparti du droit de soumettre à l'appréciation des juges ses griefs concernant le rapport d'expertise.
Toutefois, le juge peut sanctionner un comportement procédural déloyal et, par ce motif, écarter de tels griefs.
L’arrêt attaqué, qui relève qu’« une note a été rédigée par le […] conseiller technique de la [première demanderesse], laquelle remet en cause certaines conclusions contenues dans le rapport d’expertise », et que la première demanderesse « reproduit intégralement le contenu de cette note dans ses conclusions […] et la dépose au titre de pièce », considère que, « par ordonnance du 5 juillet 2018, le tribunal de première instance a écarté cette note technique établie par [ledit conseiller technique] et transmise à l’expert tardivement », et qu’« avoir la possibilité de critiquer un rapport d’expertise n’inclut pas celle de recommencer, de manière déloyale car unilatérale, le débat technique qui devait être mû devant l’expert judiciaire, débat technique qui a déjà eu lieu en l’espèce pendant plusieurs années, ce qui a permis aux parties de développer toutes les hypothèses et les thèses souhaitées ».
Il suit de ces énonciations que l’arrêt attaqué considère, sans qu’il lui soit fait grief de violer la foi due à cette note et aux conclusions la reproduisant, que le contenu de la note critiquant le rapport d’expertise s’identifie à celui de la note d’observation sur l’avis provisoire de l’expert écartée par l’ordonnance du 5 juillet 2018 et que ces griefs n’ont d’autre objet que de formuler des observations techniques sur cet avis provisoire qui eussent dû lui être adressées endéans le délai imparti pour ce faire.
L’arrêt attaqué, qui, par ces motifs, écarte ces griefs en raison du comportement procédural déloyal des demanderesses, ne viole aucune des dispositions légales et ne méconnaît pas le principe général du droit visés au moyen, en cette branche.
Celui-ci ne peut être accueilli.
Quant à la première et à la deuxième branche :
Les considérations reproduites dans la réponse à la troisième branche du moyen et vainement critiquées par celle-ci suffisent à fonder la décision de l’arrêt attaqué d’écarter les critiques des demanderesses à l’égard du rapport d’expertise.
Dirigé contre des considérations surabondantes, le moyen, en ces branches, qui ne saurait entraîner la cassation, est, comme le soutient la seconde défenderesse, dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt attaqué relève que « les parties sont en désaccord quant à la portée de la mission de coordination qui était dévolue à la [société momentanée formée par les demanderesses] » et que « cette dernière estime que son rôle était minime et subalterne par rapport au rôle que devait tenir dans ce cadre l’auteur de projet, le bureau d’architecture A., la société momentanée société anonyme Atelier d’architecture et d’urbanisme et la société anonyme Tractebel Development engineering ».
Il énonce que, « pour déterminer ce rôle, il faut et il suffit de se reporter au cahier spécial des charges qui fixe l’étendue des obligations et les limites librement souscrites par les parties » et que celui-ci « comporte un intitulé ‘mission de coordination de l’entrepreneur pilote’ (voir pages 20 et suivantes) et indique notamment :
- A. Introduction : Les tâches de coordination confiées à l’entrepreneur pilote ont pour objet : de permettre un bon déroulement de ses propres activités et de celles des entreprises annexes, de manière à respecter les délais convenus et à éviter les frais inutiles, d’éviter les travaux superflus de taille et de démolition, ou de remise en place de canalisations, de câbles, de tuyaux déjà posés et de prévenir des dégâts inutiles pouvant résulter d’une chronologie illogique des travaux ou du retard de certaines activités. Dans la pratique, sa mission englobe des tâches décrites ci-après : 1. les entreprises concernées par la mission de coordination de l’entrepreneur pilote sont celles des lots 02 (parachèvement), 03 (électricité), 04 (HVCA), 05 (ascenseurs), et du lot 06 (équipement cuisine) qui sera adjugé ultérieurement. (…) ; 2. les frais supplémentaires, directs ou indirects, seront mis à la charge de l’entrepreneur si une insuffisance ou une déficience de coordination lui sont imputables. Il pourra toutefois invoquer la responsabilité des entrepreneurs adjoints si ces derniers n’ont pas répondu à ses questions, s’ils n’ont pas respecté les accords, s’ils ont fourni les données tardivement, s’ils n’ont pas suivi le plan d’exécution, … L’entrepreneur pilote devra informer le maître de l’ouvrage, par écrit, dans les trois jours ouvrables suivant l’apparition de difficultés. Le maître de l’ouvrage prendra alors les mesures nécessaires et sommera les entrepreneurs adjoints défaillants de respecter leurs obligations contractuelles.
- B. Réunions de coordination : 1. chaque fois qu’il y sera invité, l’entrepreneur pilote assistera aux réunions préparatoires des entreprises annexes ; 2. l’entrepreneur pilote sera responsable de l’organisation et de la conduite des réunions hebdomadaires de coordination, auxquelles tous les entrepreneurs adjoints assisteront (…).
- C. Planning : Sur la base du planning de principe qui sera défini avec
la direction des travaux de démarrage du chantier, l’adjudicataire du lot 02 (entrepreneur pilote) aura en charge l’établissement et la tenue à jour du planning d’exécution des travaux de l’ensemble des lots, à l’exception du lot 01 déjà en cours conformément à ce qui est prévu ci-avant. La responsabilité de l’entrepreneur s’étendra : 1. à l’établissement et à l’élaboration des plans d’exécution détaillés de quinzaine. Ces documents renseigneront clairement l’endroit où chacune des entreprises devra travailler. L’entrepreneur pilote se basera sur le planning contractuel, sur les jalons indiqués et sur les activités à court terme discutées et convenues pour chacune des entreprises. Il devra planifier les activités de telle sorte que chacune des entreprises puisse respecter tous les éléments du contrat. L’entrepreneur pilote transmettra ses instructions par écrit, de manière à pouvoir vérifier tout retard ultérieur. En l’occurrence, l’entrepreneur adjoint suivra les instructions de l’entrepreneur pilote ; 2. au signalement de tout retard qu’un lot quelconque risque d’encourir (…) ».
Il ajoute que, « sur ce point, on notera encore, quant aux stipulations du cahier spécial des charges au niveau de la ‘direction des travaux’, que la direction technique et la coordination des travaux seront assurées par : les architectes et les techniciens responsables désignés par l’association momentanée Atelier d’architecture et d’urbanisme et Tractebel Development engineering » et que « l’architecte d’opération chargé de la coordination et du suivi des travaux est le [bureau d’architecture] A. ».
Après avoir relevé que la société momentanée formée par les demanderesses « soutient que, d’une part, tout retard d’exécution qui résulterait d’un défaut de coordination relève de l’entière responsabilité des architectes, d’autre part, elle a correctement mené sa mission d’entrepreneur pilote et [qu’]elle considère que les incidents de chantier à l’origine du retard lui sont étrangers », l’arrêt attaqué énonce que « les architectes dont question ne sont pas à la cause », qu’« indépendamment de ce constat, la [société momentanée formée par les demanderesses] fait fi du cahier spécial des charges qui énonce un certain nombre d’obligations qui lui incombent », que « ce cahier spécial des charges fait la loi des parties » et que, « dès lors, à supposer même qu’une responsabilité échoit aux architectes dans le cadre de la coordination des travaux, problématique dont la cour [d’appel] n’est pas saisie, cela n’énerve en rien la responsabilité de la [société momentanée formée par les demanderesses] dans l’hypothèse où ses obligations, telles qu’elles sont définies par le cahier spécial des charges, n’auraient pas été correctement remplies ».
Il relève que « l’expert expose : sous le titre prolégomènes de son rapport : (…) ‘Ainsi, en l’occurrence, nous nous trouvons dans une situation relationnelle difficile résultant de la mise en présence, d’une part, d’une entreprise HVCA (E3) très structurée, rompue aux fonctionnements des marchés publics, et, d’autre part, d’un entrepreneur pilote chargé des parachèvements, peu structuré, de bonne foi, mais pensant pouvoir gérer un chantier important sur la base d’accords pris au coup par coup. Il suffit pour s’en convaincre de lire la lettre adressée le 24 février 2006 par [la société momentanée formée par les demanderesses] à [la seconde défenderesse] : « suite à l’entretien téléphonique de ce jour, après avoir ‘retourné le planning dans tous les sens’, j’ai une solution pour essayer de respecter les délais. Encore faut-il que cela vous arrange et vous permette d’avancer dans votre travail ». [La société momentanée formée par les demanderesses] fait part ainsi, dès avant le démarrage du chantier, de son désarroi et de la manière peu rationnelle par laquelle elle tente de le régler. Un planning se construit rationnellement sur des bases d’enchaînements et de durée soigneusement mises au point. On ne le « retourne pas dans tous les sens ». Une fois construit avec les éléments fiables fournis par les différents intervenants, il doit être imposé et chaque élément perturbateur doit être intégré dans la même séquence que l’originelle. Ce ne fut pas le cas. Le pouvoir adjudicateur a peut-être aussi pris ses distances par rapport à certains problèmes ou mis du temps à réagir. La cause majeure de la prolongation déraisonnable du délai réside dans un planning manquant au démarrage du chantier et défaillant par la suite parce que mis trop tard et sans tenir compte des réalités des enchaînements et durée de chaque opération, voire en en omettant. La seconde cause importante de l’avis de l’expert est l’incapacité pour [la société momentanée formée par les demanderesses] de mettre à disposition en temps utile les équipes, plus particulièrement celles de monteurs des cloisons et blocs de plâtre : [la société momentanée formée par les demanderesses] devait faire appel à de la sous-traitance qu’elle ne parvenait pas à obtenir et contrôler efficacement’ ».
Il considère que « l’expert met donc en exergue le fait que les plannings étaient tardifs et lacunaires », que « l’expert pointe encore le fait que la société Semaco (spécialisée dans la mise en place de planning) a été consultée tardivement par la [société momentanée formée par les demanderesses] et a pris ‘le train en marche’ », que « le premier planning disponible date de mars 2006, après l’ordre de commencer les travaux des lots 3 et suivants », que « le planning global sera finalisé seulement en juin 2006 », que « l’expert qui a examiné les différents procès-verbaux de chantier met en exergue les révisions incessantes des plannings qui suivent le chantier et non l’inverse », que « l’expert souligne encore des plannings devenus obsolètes avant même d’être transmis aux adjudicataires (voir notamment page 19 du rapport, le planning N) », que « le manque d’anticipation est souligné à plusieurs reprises dans le rapport d’expertise », que « l’expert judiciaire évoque encore des erreurs techniques qui affectaient les plannings comme des rendements irréalistes et surestimés (page 27 du rapport) ou l’absence de prise en compte de délais nécessaires à la commande des matériaux (page 33 du rapport) » et qu’« enfin, l’expert souligne les défaillances de la [société momentanée formée par les demanderesses] dépendant de sous-traitances à 95 p.c. » et il en déduit que la société momentanée formée par les demanderesses « n’a pas correctement rempli sa mission d’entreprise pilote ».
Il suit de ces énonciations que l’arrêt attaqué ne refuse pas d’examiner si le retard d’exécution ne pouvait être imputé aux architectes chargés de la coordination et du suivi des travaux mais qu’il considère que ce retard est uniquement imputable aux manquements des demanderesses dans l’exécution des tâches de coordination qui leur étaient confiées en leur qualité d’entrepreneur pilote et que, partant, les fautes imputées auxdits architectes dans le cadre de la coordination des travaux, à les supposer avérées, ne sont pas à l’origine de ce retard.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Statuant sur la demande de remise totale des amendes de retard et la demande d’indemnisation des demanderesses, l’arrêt attaqué, après avoir rappelé le texte de l’article 17 du cahier général des charges, relève que la société momentanée formée par les demanderesses « soutient que, d’une part, tout retard d’exécution qui résulterait d’un défaut de coordination relève de l’entière responsabilité des architectes, d’autre part, elle a correctement mené sa mission d’entrepreneur pilote et [qu’]elle considère que les incidents de chantier à l’origine du retard lui sont étrangers ».
S’agissant du report de l’entame du chantier, il considère que la société momentanée formée par les demanderesses « ne peut prétendre à une remise d’amendes de retard du fait du report du début de l’exécution des travaux », qu’« il ressort des éléments de la cause que le lot 2 a été mis en concurrence le 28 octobre 2004 et que le marché a été attribué à [la société momentanée formée par les demanderesses] le 31 mai 2005 », qu’« en vertu de l’article 28 du cahier général des charges, le début des travaux doit s’entendre, au plus tard, dans un délai de 45 jours de calendrier à compter de la notification de la décision d’attribution, soit le 15 juillet 2005 », que « la notification de l’ordre de service est cependant intervenue seulement le 13 janvier 2006 fixant le début des travaux au 1er mars 2006 », que la société momentanée formée par les demanderesses « expose avoir dénoncé, le 15 décembre 2007, l’existence d’un préjudice subi du fait du report de leur délai contractuel d’exécution », que « cette dernière reste donc en défaut de justifier d’une dénonciation conforme au prescrit de l’article 28 du cahier général des charges, à savoir une lettre adressée à la [première défenderesse] dans un délai de 30 jours de calendrier à compter de l’expiration du délai de 45 jours à partir du 31 mai 2005, soit avant le 15 août 2005 », que, « partant, elle est déchue de son droit à une indemnisation du préjudice qui aurait découlé dans son chef du fait du report de la date de commencement des travaux » et que « ce fait n’est d’ailleurs pas en soi contesté dès lors que [la société momentanée formée par les demanderesses] entend fixer sa position sur base de l’article 16 du cahier général des charges invoquant une faute commise par la [première défenderesse] ».
Il suit de ces énonciations que l’arrêt attaqué considère que la société momentanée formée par les demanderesses ne peut prétendre à une remise d’amendes de retard du fait du report du début de l’exécution des travaux à défaut pour elle d’avoir dénoncé ce fait dans le délai et selon les formes prescrites par l’article 28 du cahier général des charges.
En revanche, il ne suit ni de ces énonciations ni de ce qu’il « dit la demande de remise des amendes de retard et d’indemnisation du préjudice non fondée sur pied de l’article 28 du cahier général des charges et non fondée sur pied des articles 15 et 16 du cahier général des charges » que l’arrêt attaqué considère que la demande de remise des amendes de retard s’identifie à une demande d’indemnisation du préjudice sur la base de l’article 28 précité.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la troisième branche :
Par aucune considération, l’arrêt attaqué ne répond aux conclusions des demanderesses faisant valoir, à l’appui de leur demande de limiter les amendes de retard à la somme de 15 918,50 euros et de condamner la première défenderesse à la somme de 98 262,68 euros, que le calcul des amendes était entaché d'erreur dès lors que l’expert avait oublié de prendre en considération les 41 jours ouvrables critiques complémentaires accordés par le pouvoir adjudicateur pour la réalisation de travaux supplémentaires.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le troisième moyen :
Dans leurs conclusions, les demanderesses demandaient que la condamnation de la première défenderesse prononcée au titre de décomptes soit assortie d'intérêts de retard au taux de l'article 15, § 4, du cahier général des charges.
L'arrêt attaqué, qui omet de statuer sur ce chef de demande, viole l'article 1138, 3°, du Code judiciaire.
Le moyen est fondé.
Sur le quatrième moyen :
Dans leurs conclusions, les demanderesses demandaient que la condamnation de la seconde défenderesse prononcée au titre de comptes prorata soit assortie d'intérêts de retard au taux de l'article 15, § 4, du cahier général des charges à dater de la citation du 13 juin 2008.
L'arrêt attaqué, qui omet de statuer sur ce chef de demande, viole l'article 1138, 3°, du Code judiciaire.
Le moyen est fondé.
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.24.0097.F :
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Sur le premier rameau :
Conformément à l’article 28, § 1er, 1°, alinéa 1er, a), du cahier général des charges des marchés publics de travaux, de fournitures et de services et des concessions de travaux publics, annexé à l’arrêté royal du 26 septembre 1996, sauf pour les marchés qui sont attribués en période hivernale et dont l'exécution doit être reportée au début de la bonne saison, le pouvoir adjudicateur doit fixer le commencement des travaux, pour les travaux courants dont le montant correspond à la classe 5 de la réglementation organisant l’agréation d'entrepreneurs de travaux ou à une classe inférieure, entre le quinzième et le quarante-cinquième jour de calendrier qui suivent la conclusion du marché.
En vertu de l’alinéa 3 de cette disposition, lorsque le délai de quarante-cinq jours imparti à l’alinéa 1er expire sans que le pouvoir adjudicateur ait fixé la date de commencement des travaux, ou si ce pouvoir l’a fixée au-delà de ces délais, l’entrepreneur a le droit d'exiger la résiliation du marché ou la réparation du préjudice subi. L’entrepreneur est déchu de ses droits lorsqu’il n'en use pas au plus tard dans les trente jours de calendrier suivant le jour de l’expiration dudit délai. Il doit signifier sa volonté à ce sujet, d’une façon expresse, par lettre recommandée adressée au pouvoir adjudicateur.
Il suit de cette disposition que, lorsque le pouvoir adjudicateur fixe la date de commencement des travaux au-delà du délai de quarante-cinq jours imparti ou, hors le cas des marchés attribués en période hivernale, reporte cette date au-delà de ce délai, l’entrepreneur qui n’a pas signifié sa volonté à ce sujet dans les trente jours de calendrier suivant le jour de l’expiration dudit délai, est déchu de son droit d’exiger la réparation du préjudice subi.
L’arrêt attaqué considère que « l’attribution du lot 3 en faveur de la [demanderesse] lui a été notifiée le 25 mai 2005 », qu’ « à cette date, il est prévu un début des travaux pour la mi-août-début septembre », que, « dès le 30 juin 2005, un report du début des travaux est signifié » et que, « selon la position prise par la [demanderesse] elle-même pour expliquer son dommage, le principe en est acquis dès le dépassement de la date initiale prévue pour l’entame des travaux » et qu’« elle devait dès lors le dénoncer dès ce moment ou au plus tard dans les trente jours, ce qu’elle n’a pas fait puisque, selon ses propres dires, la situation a été dénoncée par des lettres des 27 décembre 2005 et 17 février 2006 ».
L’arrêt attaqué, qui considère ainsi que le dommage dont la demanderesse demande la réparation est celui subi en raison de la fixation de la date de commencement des travaux au-delà du délai de quarante-cinq jours imparti par l’article 28 précité, ensuite du report de cette date avant le commencement desdits travaux, justifie légalement sa décision qu’elle est « déchue du droit de postuler une indemnisation à ce titre ».
Sur le second rameau :
Après avoir relevé que la demanderesse « prétend se fonder sur l’article 16, § 1er, (le fait imprévisible) ou 16, § 2, (la perturbation de chantier) du cahier général des charges », l’arrêt attaqué, qui considère que « la base retenue est cependant inexacte relativement au report du début du chantier […] puisque ce fait est expressément visé par l’article 28 du cahier général des charges » et, par les motifs reproduits dans la réponse au premier rameau, que la demanderesse est déchue du droit de demander une indemnisation à ce titre à défaut d’avoir signifié sa volonté d’obtenir cette indemnisation endéans le délai prescrit par cette disposition, ne modifie pas l’objet de la demande de la demanderesse mais tranche le litige conformément à la règle de droit qui lui est applicable.
Le moyen, en aucun rameau de cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Les considérations vainement critiquées par la première branche du moyen suffisent à fonder la décision de l’arrêt attaqué de rejeter la demande d’indemnisation du préjudice découlant du report du démarrage du chantier.
Dirigé contre des considérations surabondantes, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Sur le premier et le deuxième rameau :
L’arrêt attaqué relève que « d’autres griefs sont mentionnés », qu’« ainsi, le 22 février 2006 […], la [demanderesse] dénonce l’exécution des autres lots en dehors de toute planification contractuelle et met en exergue des carences dans la coordination générale des travaux », qu’« en mars, avril, mai et juin 2006, [la demanderesse] dénonce encore diverses difficultés qui bloquent l’avancement des travaux telle l’absence de planning coordonné », qu’« elle mentionne ainsi un préjudice de l’ordre de 3 000 euros par jour quant à l’accroissement du délai de réalisation mais incluant dans cette question les reports de la date de démarrage des travaux », que « la [demanderesse] présente ainsi actuellement un calcul de préjudice en utilisant soit 292 jours (retenu par l’expert dans la computation du délai de réalisation des travaux), soit 316 jours d’allongement du délai de la réalisation des travaux », et que « l’analyse est ainsi faite de manière globale ».
Il considère qu’« il importe de repartir de chaque perturbation pour vérifier si elle a été dûment dénoncée (application de l’article 16, § 3, du cahier général des charges) et ensuite de vérifier si cette dénonciation a fait l’objet d’une évaluation (application de l’article 16, § 4, du cahier général des charges) », que « la ratio legis de cet article 16 […] est […] de traiter les perturbations une à une et de vérifier, d’une part, leur dénonciation conformément à l’article 16, § 3, et, d’autre part, la valorisation du préjudice qui en découle conformément à l’article 16, § 4 », que « ce raisonnement est absent en l’espèce », que la demanderesse « compare le délai théorique avec le délai effectif de réalisation des travaux en faisant l’économie de l’examen des conditions de dénonciation de chaque perturbation », que, « ce faisant, les conditions d’application de l’article 16 du cahier général des charges ne sont pas rencontrées ».
Par ces énonciations, l’arrêt attaqué ne refuse pas de lire dans les conclusions de la demanderesse l’énoncé chronologique des différentes lettres par lesquelles elle a procédé à la dénonciation de perturbations et de leur incidence sur les travaux mais considère qu’en procédant au calcul de son préjudice sur une base forfaitaire de 3 000 euros par jour de dépassement du délai d’exécution des travaux et sur la base du nombre total de jours de dépassement dudit délai, la demanderesse, d’une part, demande l’indemnisation du dommage résultant du report de la date de démarrage des travaux, dont il décide, par les motifs reproduits dans la réponse à la première branche du premier moyen, qu’elle ne peut en demander la réparation, d’autre part, s’abstient de préciser, pour chacune des perturbations alléguées, l’incidence sur l’allongement du délai d’exécution des travaux et le dommage qui en est résulté, de sorte que cet arrêt ne peut vérifier si, pour chacune de ces perturbations, les conditions auxquelles l’article 16, §§ 2 et 4, soumet le droit de l’adjudicataire d’obtenir des dommages-intérêts sont réunies.
Ce faisant, il indique les raisons pour lesquelles il considère que les conditions d’application de cette disposition ne sont pas remplies.
Le moyen, en chacun de ces rameaux, manque en fait.
Sur le troisième rameau :
L’arrêt attaqué, qui considère, ainsi qu’il a été dit dans la réponse aux deux premiers rameaux, que la demanderesse s’abstient de préciser, pour chacune des perturbations alléguées, l’incidence sur l’allongement du délai d’exécution des travaux et le dommage qui en est résulté, ce qui ne permet pas de vérifier si, pour chacune de ces perturbations, les conditions auxquelles l’article 16, §§ 2 et 4, soumet le droit de l’adjudicataire d’obtenir des dommages-intérêts sont réunies, n’était tenu ni de procéder à une telle vérification ni d’ordonner la réouverture des débats pour permettre à la demanderesse de fournir ces précisions.
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Dans la mesure où il fait grief à l’arrêt attaqué de rejeter sa demande d’indemnisation du préjudice lié à la perte de rendement du personnel ouvrier sur le fondement des motifs visés en tête du moyen, le moyen, en cette branche, ne précise pas en quoi les motifs, autres que celui qu’il reproduit dans cette branche, violent les dispositions légales visées au moyen, en cette branche.
Par ailleurs, le moyen, en cette branche, fait grief à l’arrêt attaqué de, en rejetant sa demande d’indemnisation du préjudice lié à la perte de rendement du personnel ouvrier au motif que « le calcul du préjudice dont se plaint [la demanderesse] est tout à fait théorique et basé sur la formule dite ‘Flamme’ » et qu’« il s’agirait le cas échéant d’indemniser un préjudice effectif et non théorique », violer la foi due aux conclusions de la demanderesse dès lors que celles-ci ne se fondent pas sur ladite méthode en ce qui concerne ce poste de son préjudice.
Les motifs de l’arrêt attaqué reproduits dans la réponse à la première branche du moyen et vainement critiqués par celle-ci ainsi que par cette branche du moyen suffisent à fonder sa décision de dire non fondée ladite demande.
À la supposer avérée, la violation de la foi due aux actes dénoncée, à cet égard, par le moyen, en cette branche, serait sans incidence dès lors que la cour d’appel a statué sur la contestation comme elle aurait dû le faire si elle n’avait pas commis de violation de la foi due aux actes.
Dans cette mesure, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt.
Enfin, en ce qu’il soutient que, s’il fallait considérer que l’arrêt attaqué ne rejette pas ladite demande sur le fondement desdits motifs, celui-ci omet de répondre à un chef de demande, le moyen, en cette branche, est étranger à l'article 1138, 3°, du Code judiciaire, qui prescrit au juge de statuer sur tous les chefs de la demande dont il est saisi.
Pour le surplus, par les motifs reproduits dans la réponse à la première branche du moyen, l’arrêt attaqué répond audit chef de demande.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième et à la quatrième branche :
Les motifs de l’arrêt attaqué reproduits dans la réponse à la première branche du moyen, et vainement critiqués par celle-ci et par la troisième branche du moyen suffisent à fonder sa décision de dire non fondée la demande de la demanderesse visée au moyen.
Dirigé contre des considérations surabondantes, le moyen, qui, en aucune de ces branches, ne saurait entraîner la cassation, est, comme le soutient la première défenderesse, dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Sur le troisième moyen :
En vertu des articles 1146 à 1153 de l’ancien Code civil, en cas de responsabilité contractuelle, la réparation du dommage doit rétablir la victime du manquement contractuel dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’y avait pas eu de manquement.
Les frais de défense nécessaires ne concernant pas l’assistance par un avocat mais l’assistance par un conseil technique peuvent, en vertu de ces dispositions, faire l’objet d’une indemnisation en cas de responsabilité contractuelle.
L’arrêt attaqué, qui décide qu’il ne sera pas fait droit à la « demande de remboursement des frais de conseil technique » de la demanderesse, au motif qu’elle « échoue dans une grande partie de ses demandes », ne justifie pas légalement sa décision.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.23.0169.F, C.23.0373.F et C.24.0097.F ;
Statuant en la cause C.23.0169.F,
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens ;
Statuant en la cause C.23.0373.F,
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la demande subsidiaire des demanderesses de limiter les amendes de retard à la somme de 15 918,50 euros et de condamner la première défenderesse à la somme de 98 262,68 euros, qu’il omet de statuer sur les demandes d’intérêts sur les sommes allouées au titre de décomptes et au titre de comptes prorata, et qu’il statue sur les dépens entre les parties à la cause ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Condamne les demanderesses à la moitié des dépens et en réserve l’autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Statuant en la cause C.24.0097.F,
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la demande de la demanderesse de remboursement des frais de conseil technique et qu’il statue sur les dépens entre la demanderesse et la première défenderesse ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Condamne la demanderesse à la moitié des dépens et en réserve l’autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons.
Les dépens taxés dans la cause C.23.0169.F à la somme de six cent septante euros vingt-sept centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Les dépens taxés dans la cause C.23.0373.F à la somme de huit cent trente euros vingt-sept centimes envers les parties demanderesses, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Les dépens taxés dans la cause C.24.0097.F à la somme de neuf cent seize euros quarante et un centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Michel Lemal, les conseillers Bart Wylleman, Marie-Claire Ernotte, Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du trente janvier deux mille vingt-cinq par le président de section Michel Lemal, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.