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22/01/2025 | BELGIQUE | N°P.24.0409.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 janvier 2025, P.24.0409.F


N° P.24.0409.F
I. A. SC.,
ayant pour conseil Maître Maxime Dulieu, avocat au barreau de Liège-Huy,
II. 1. Th. G.,
ayant pour conseil Maître Géraldine Falque, avocat au barreau de Liège-Huy,
2. V. V.B.,
ayant pour conseils Maîtres Géraldine Falque et Maxime Dulieu, avocats au barreau de Liège-Huy,
III. L. B.,
ayant pour conseil Maître Pierre Bayard, avocat au barreau de Liège-Huy,
IV. E. L.,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège-Huy,
prévenus,
demandeurs en cassation,
les demandeurs su

b III et IV représentés par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
V. ALLIANZ BENELUX, ...

N° P.24.0409.F
I. A. SC.,
ayant pour conseil Maître Maxime Dulieu, avocat au barreau de Liège-Huy,
II. 1. Th. G.,
ayant pour conseil Maître Géraldine Falque, avocat au barreau de Liège-Huy,
2. V. V.B.,
ayant pour conseils Maîtres Géraldine Falque et Maxime Dulieu, avocats au barreau de Liège-Huy,
III. L. B.,
ayant pour conseil Maître Pierre Bayard, avocat au barreau de Liège-Huy,
IV. E. L.,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège-Huy,
prévenus,
demandeurs en cassation,
les demandeurs sub III et IV représentés par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
V. ALLIANZ BENELUX, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard du Roi Albert II, 32, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0403.258-197,
ayant pour conseil Maître Bernard Ceulemans, avocat au barreau de Liège-Huy,
partie intervenue volontairement,
demanderesse en cassation,
les pourvois contre
1. M. L.,
2. Ch. M.,
ayant pour conseil Maître Cécile De Boe, avocat au barreau de Bruxelles, et représentés par Maître Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 26 février 2024 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Les demandeurs A. Sc. et V. V.B. invoquent quatre moyens, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Les demandeurs ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Liège, division Liège, sur pied des articles 418 et 419, alinéa 1er, du Code pénal, pour avoir, par défaut de prévoyance ou de précaution, mais sans intention d’attenter à la personne d’autrui, involontairement causé la mort d’A. L. dans le cadre des activités d’un baptême estudiantin (prévention A).
Le 17 janvier 2022, le procureur du Roi de Liège a informé par écrit les parties et le tribunal qu’il invoquerait, lors de son réquisitoire oral, la qualification complémentaire des faits sur la base de l’article 8 de l’arrêté-loi du 14 novembre 1939 relatif à la répression de l’ivresse.
A l’audience du 21 janvier 2022, les prévenus ont été invités à se défendre sur cette nouvelle qualification.
Par un jugement rendu le 20 janvier 2023, le tribunal correctionnel a déclaré les faits établis sous la double qualification précitée et a condamné chacun des demandeurs, après admission des circonstances atténuantes, à une peine de travail de cent septante-cinq heures ou, en cas d’inexécution, à une peine de substitution de dix mois d’emprisonnement.
Sur le plan civil, le premier juge a condamné solidairement les cinq demandeurs à payer au défendeur une indemnité définitive et à la défenderesse une indemnité provisionnelle. Il a également ordonné une expertise médicale concernant l’étendue du dommage subi par celle-ci.
Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision, tant dans ses dispositions pénales que civiles.
Par un arrêt rendu le 26 février 2024, la cour d’appel de Liège a confirmé le jugement entrepris, sous les émendations que l’arrêt précise.
Il s’agit de l’arrêt attaqué.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur les pourvois d’A. Sc. et V. V.B. :
1. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions de condamnation rendues sur l’action publique exercée à charge des demandeurs :
Les quatre moyens leur sont communs et appellent dès lors la même réponse.
Sur le premier moyen :
Pris de la violation des articles 182, 202 et 211 du Code d’instruction criminelle, le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir ajouté en degré d’appel à la qualification pénale originaire des faits, une qualification complémentaire sur la base de l’article 8 de l’arrêté-loi du 14 novembre 1939 relatif à la répression de l’ivresse.
Les demandeurs font valoir que le juge ne peut condamner un prévenu du chef d’un fait dont il n’est pas saisi et qu’il ne peut, sans citation complémentaire ou comparution volontaire en première instance, ajouter à charge du prévenu une prévention supplémentaire fondée sur le même fait. Ils ajoutent qu’une saisine complémentaire est exclue en degré d’appel.
Mais il résulte des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que c’est le tribunal correctionnel qui, en première instance, sur le réquisitoire du procureur du Roi, a qualifié complémentairement les faits en référence à l’article 8 de l’arrêté-loi du 14 novembre 1939 et a procédé au dédoublement de qualification critiqué à propos duquel les parties ont été invitées à se défendre à l’audience publique du 21 janvier 2022.
La cour d’appel a ensuite confirmé cette qualification complémentaire qu’elle a déclarée régulière et justifiée.
Dans la mesure où il soutient que l’arrêt attaqué ajoute en degré d’appel une qualification complémentaire, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, en matière répressive, les juridictions de jugement ne peuvent statuer sur des faits dont elles ne sont pas saisies et les juges d'appel ne peuvent se prononcer sur des faits autres que ceux sur lesquels portait la décision du premier juge. Le juge pénal apprécie souverainement, sur la base des éléments de l'ordonnance de renvoi ou de la citation et du dossier répressif, si les faits qu'il déclare établis en corrigeant éventuellement leur qualification dans le respect des droits de la défense, sont réellement ceux qui constituent l'objet des poursuites ou les fondent.
Il en résulte qu’en règle, le juge ne peut, à moins d’être saisi par une citation directe complémentaire ou par la comparution volontaire, ajouter à la qualification originelle une qualification pouvant déboucher sur une déclaration de culpabilité supplémentaire.
Cependant, le défaut de prévoyance ou de précaution visé à l’article 418 du Code pénal comprend toutes les formes de la faute, aussi légère soit-elle ; il s'en déduit que, saisi d’une prévention de coups ou blessures involontaires, le juge doit, pour examiner en quoi consiste la négligence répréhensible, prendre en considération toutes les fautes susceptibles de la constituer.
Lorsque le juge constate que le manquement à la norme générale de prudence consiste en un comportement délictueux spécifique, il lui appartient d’examiner si le prévenu s’est effectivement rendu coupable de ce comportement et d’ajouter à cette fin, dans le respect des droits de la défense, la qualification complétant celle initiale d’homicide involontaire.
En considérant que le manquement reproché aux prévenus, au titre de l’article 419 du Code pénal, s’identifie au comportement prohibé par l’article 8 de l’arrêté-loi précité, les juges d’appel n’ont pas excédé leur saisine ni statué sur une culpabilité nouvelle. Ils se sont bornés à donner son nom légal à la faute visée dans l’acte de poursuite.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation de la foi due aux actes, ainsi que des articles 418 et 419 du Code pénal, et 8 de l’arrêté-loi du 14 novembre 1939.
Quant à la première branche :
Il est reproché à l’arrêt d’énoncer que les experts médecins ont écarté d’autres causes de décès que la faute imputée aux prévenus, alors que cette exclusion n’est mentionnée ni dans le rapport médico-légal du 1er février 2019 ni dans le procès-verbal de l’audience du 19 février 2021.
Mais il n’est pas nécessaire qu’une faute soit l’unique cause d’un décès pour que son auteur doive en répondre.
L’auteur d’une faute sans laquelle le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalisé, n’est pas exonéré de sa responsabilité du seul fait que d’autres causes, telle une prédisposition pathologique de la victime, auraient concouru à sa réalisation.
L’arrêt relève que, pour les experts, le décès n’est imputable ni à une hémorragie méningée, ni à un infarctus pulmonaire, ni à un petit infarctus du myocarde aigu.
Le grief élevé par les demandeurs contre cette considération ne pourrait, à le supposer fondé, entraîner la cassation puisqu’il laisse intacte l’affirmation des juges d’appel suivant laquelle A. L. ne serait pas mort de la manière dont il a péri si les prévenus ne l’avaient pas enivré comme ils l’ont fait.
Dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Quant à la deuxième branche :
Il est reproché à l’arrêt d’imputer la cause du décès à la seule faute des prévenus, alors que le temps écoulé avant l’intervention des secours a engendré, pour la victime, la perte d’une chance de survie.
Comme indiqué ci-dessus en réponse à la première branche, une faute ne cesse pas d’être causale du seul fait qu’elle entre en concours avec d’autres circonstances ayant contribué à la survenance du dommage.
Reposant sur l’affirmation du contraire, le moyen manque en droit.
Quant à la troisième branche :
Il est reproché à l’arrêt de ne pas tenir compte du fait que les experts sont loin d’avoir écarté toutes les autres causes éventuelles du décès.
Mais le juge ne doit pas tenir compte d’un fait non pertinent pour la solution du litige.
Les articles 418 à 420 du Code pénal ne subordonnent pas la culpabilité de l’auteur à la preuve que sa faute soit l’unique cause du dommage. Il suffit de constater que sans elle, le préjudice ne se serait pas produit, ce que l’arrêt constate.
Le moyen procède d’une prémisse juridique inexacte et manque, dès lors, en droit.
Sur le troisième moyen :
Pris de la violation des articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 71 du Code pénal, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs à la sécurité juridique et à la prévisibilité de la loi pénale, le moyen reproche à l’arrêt de déclarer le demandeur coupable de l’infraction visée à l’article 8 de l’arrêté-loi du 14 novembre 1939 relatif à la répression de l’ivresse, alors que cette disposition légale est tombée en désuétude depuis de très nombreuses années de sorte que le demandeur peut se prévaloir d’une erreur invincible.
La loi pénale ne s'abroge pas par désuétude.
L'erreur n'est invincible et ne constitue une cause de justification que pour autant qu'elle soit de nature telle que toute personne raisonnable et prudente, placée dans les mêmes circonstances de fait et de droit, l'eût commise.
Selon l’arrêt, les prévenus étaient conscients des risques auxquels ils ont exposé A. L. en lui faisant absorber trop d’alcool en trop peu de temps avec la circonstance que cette imprégnation alcoolique s’est avérée mortelle.
Les juges d’appel ont pu, sur le fondement de cette appréciation en fait, considérer que les actes reprochés ne relèvent pas de la pratique « normale » et tolérée des baptêmes étudiants, mais d’une outrance sanctionnée de manière prévisible par la loi.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation de l’article 195, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, le moyen reproche à l’arrêt de confirmer la peine de travail infligée en première instance, sans indiquer explicitement, dans la motivation de la décision ou son dispositif, la durée de cette peine.

Il n'y a de décision sur la peine que si celle-ci est expressément énoncée, mais peu importe la place où figure cette décision dans le texte du jugement ou de l'arrêt.
Contrairement à ce que le moyen soutient, la décision d'appel qui confirme la peine infligée en première instance ne doit donc pas nécessairement l'énoncer dans le dispositif proprement dit. L'indication légalement requise peut figurer soit dans un résumé préalable de la décision dont appel, soit dans les motifs du juge d'appel, soit dans la décision entreprise lorsqu'elle est jointe à la décision d'appel.

Sous réserve d’une émendation relative à la base légale de l’octroi des circonstances atténuantes et à l’infliction d’une amende, l’arrêt attaqué confirme, tant dans ses motifs que dans son dispositif, le jugement entrepris, lequel condamne les demandeurs à une peine de travail de cent septante-cinq heures ou, en cas d’inexécution de celle-ci, à une peine de substitution de dix mois d’emprisonnement.
La durée de la peine est donc régulièrement indiquée.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
2. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision rendue sur l’action civile exercée par le défendeur contre les demandeurs :
Les demandeurs n’invoquent aucun moyen spécifique.
3. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par la défenderesse contre les demandeurs, statue sur
a. le principe de la responsabilité :
Les demandeurs ne font valoir aucun moyen spécifique.
b. l’étendue des dommages :
L’arrêt confirme le jugement entrepris en ce qu’il condamne les demandeurs à payer à la défenderesse une indemnité provisionnelle et ordonne une mesure d’expertise. Il confirme cette mesure d’instruction et renvoie la cause au premier juge afin qu’il soit statué sur le surplus des réclamations de la défenderesse et sur les dépens de première instance non liquidés.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle et est étrangère aux cas visés au second alinéa de cet article.
Les pourvois sont prématurés et, partant, irrecevables.
B. Sur le pourvoi de Th. G. :
Le demandeur se désiste de son pourvoi.
C. Sur les pourvois de L. B. et E. L. :
1. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision de condamnation rendue sur l’action publique exercée à charge des demandeurs :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
2. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision rendue sur l’action civile exercée par le défendeur contre les demandeurs :
Les demandeurs n’invoquent aucun moyen.
3. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par la défenderesse contre les demandeurs, statue sur
a. le principe de la responsabilité :
Les demandeurs ne font valoir aucun moyen.
b. l’étendue des dommages :
L’arrêt confirme le jugement entrepris en ce qu’il condamne les demandeurs à payer à la défenderesse une indemnité provisionnelle et ordonne une mesure d’expertise. Il confirme cette mesure d’instruction et renvoie la cause au premier juge afin qu’il soit statué sur le surplus des réclamations de la défenderesse et sur les dépens de première instance non liquidés.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Les pourvois sont prématurés et, partant, irrecevables.
D. Sur le pourvoi de la société anonyme Allianz Benelux :
Il n’apparaît pas, des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, que la demanderesse ait fait signifier son pourvoi aux parties contre lesquelles il est dirigé.
Le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR

Décrète le désistement du pourvoi de Th. G. ;
Rejette les autres pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de trois cent dix euros six centimes dont I) sur le pourvoi d’A. Sc. : soixante-six euros douze centimes dus ; II) sur les pourvois de Th. G. et V. V.B. : soixante-six euros douze centimes dus ; III) sur le pourvoi de L. B. : soixante-six euros douze centimes dus ; IV) sur le pourvoi d’E. L. : soixante-six euros douze centimes dus et V) sur le pourvoi de la société anonyme Allianz Benelux : soixante-six euros douze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Marie-Claire Ernotte et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.24.0409.F
Date de la décision : 22/01/2025
Type d'affaire : Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2025-01-22;p.24.0409.f ?

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