N° C.23.0341.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l’Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pachéco, 44,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 251, où il est fait élection de domicile,
contre
1. H. A., et
2. A. A., agissant tant en nom personnel qu’au nom de leurs enfants mineurs R. A., R. A. et R. A.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Ixelles, place du Champ de Mars, 5, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 4 et 17 avril 2023 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 23 décembre 2024, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Suivant l'article 39/1, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, le conseil du contentieux des étrangers est une juridiction administrative, seule compétente pour connaître des recours introduits contre les décisions individuelles prises en application des lois sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
En vertu de l’article 39/2, § 2, de cette loi, le conseil statue en annulation, par voie d'arrêts, sur les autres recours pour violation des formes soit substantielles soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir.
Ces dispositions ne dérogent pas au pouvoir de juridiction, que les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire puisent dans l’article 144 de la Constitution, sur les contestations qui ont pour objet des droits subjectifs civils, telles que celles portant sur la réparation du dommage causé par une faute de l’État, la réparation fût-elle demandée en nature sous la forme d’un titre de séjour.
Le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux sur une contestation portant sur un tel droit subjectif civil n’est pas affecté par la circonstance que le droit de l’étranger au séjour est politique ou que la reconnaissance du titre de séjour par l’autorité administrative dépendrait de son appréciation discrétionnaire de la proportionnalité de la mesure.
L’arrêt constate que les défendeurs demandaient la réparation du dommage causé par la faute qu’ils imputaient au demandeur dans la transposition de l’article 35 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ce dommage consistant selon eux dans le retrait automatique et sans examen de proportionnalité du droit de séjour de la défenderesse et de l’aîné des enfants et, par conséquent, du défendeur, et qu’ils sollicitaient à titre de réparation en nature de ce dommage la délivrance des titres de séjour ainsi perdus par ces parties ainsi que, pour les plus jeunes enfants, de titres de séjours suivant le statut de la défenderesse.
Il considère que « le droit à la réparation du dommage causé par un acte illicite est un droit subjectif qui relève de la compétence exclusive des tribunaux de l’ordre judiciaire », que « l’objet véritable et direct de la demande des [défendeurs] tend à obtenir la protection de ce droit », que les défendeurs « disposent dès lors d’un droit subjectif à obtenir du juge une mesure telle que l’autorisation de séjour sur le territoire si cette mesure est seule de nature à protéger [leur] droit à la réparation en nature du dommage en lien causal avec la faute alléguée ».
Par ces énonciations, l’arrêt justifie légalement sa décision que la demande des défendeurs relève du pouvoir de juridiction des juridictions judiciaires.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de son article 3, point 1), la directive 2004/38/CE s'applique à tout citoyen de l'Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu'aux membres de sa famille, tels qu’ils sont définis à l'article 2, point 2), qui l'accompagnent ou le rejoignent.
L’article 2, point 1), de cette directive définit le citoyen de l’Union comme étant toute personne ayant la nationalité d’un État membre.
Suivant l’article 2, point 2), on entend par membre de la famille a) le conjoint ; b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil ; c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel qu’il est visé au point b) ; d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel qu’il est visé au point b).
Ces dispositions n’exigent pas que le membre de la famille du citoyen de l’Union européenne ait la nationalité d’un État membre.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient que tous les titulaires du droit conféré par la directive doivent avoir pareille nationalité, manque en droit.
Pour le surplus, l’arrêt retient la responsabilité du demandeur, au motif qu’il a commis une faute en transposant de manière incomplète l’article 35 de la directive 2004/38/CE et que cette faute a privé la défenderesse et l’aîné des enfants d’un examen de proportionnalité du retrait de leur droit de séjour, ce qui constitue un dommage pour eux et, par conséquent, pour le défendeur qui tenait son droit de séjour de celui des deux premiers, et condamne le demandeur à réparer ce dommage.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient que cet article 35 et les dispositions légales dont il invoque la violation obligeaient la cour d’appel à procéder elle-même à cet examen de proportionnalité, sans soutenir que cette obligation affecterait la légalité de la décision sur la responsabilité du demandeur, ne saurait entraîner la cassation de la condamnation.
Il est irrecevable à défaut d’intérêt.
Quant à la seconde branche :
L’arrêt considère que le demandeur a commis une faute en transposant de manière incomplète, de 2007 à 2016, l’article 35 de la directive 2004/38/CE, qui « confère, au titulaire d’un droit attribué par la directive, le droit à un examen de la proportionnalité de la mesure de retrait de ce droit », que le demandeur « est tenu de réparer le dommage causé aux personnes qui n’ont pas pu bénéficier de l’examen de la proportionnalité du retrait d’un droit conféré par la directive en raison de sa carence », qu’« il ne ressort pas du dossier […] que l’Office des étrangers a examiné la proportionnalité de la mesure de retrait du droit de séjour » de la défenderesse et de l’aîné des enfants en 2013, que « le lien causal entre la faute [du demandeur] et la perte automatique du droit de séjour [de la défenderesse et de l’enfant, et, par conséquent, du défendeur], est établi puisque, sans [cette faute], ce retrait n’aurait été automatique ni pour [les deux premiers] ni, par voie de conséquence, pour [le dernier] ».
Par ces énonciations, l’arrêt considère que la transposition fautive de l’article 35 de la directive a privé la défenderesse et l’enfant d’un examen de la proportionnalité du retrait de leur droit de séjour, ce qui constitue un dommage pour eux et, par conséquent, pour le défendeur.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient que l’arrêt ne retient pas l’existence d’un dommage et d’un lien causal entre la faute et ce dommage, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de sept cent dix-huit euros dix-neuf centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Eric de Formanoir, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du neuf janvier deux mille vingt-cinq par le premier président Eric de Formanoir, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.