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18/12/2024 | BELGIQUE | N°P.24.1012.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 décembre 2024, P.24.1012.F


N° P.24.1012.F
I. à X. E. N.,
accusé, détenu,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Frédéric Mourlon Beernaert, avocat à la Cour de cassation,
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre les arrêts rendus le 20 février 2024 sous les numéros 1347 et 1348, le 8 avril 2024 sous le numéro 2714, le 11 avril 2024 sous les numéros 2828 et 2829, le 25 avril 2024 sous le numéro 3é, le 14 mai 2024 sous le numéro 3499, le 15 mai 2024 sous le numéro 3500, le 6 juin 2024 sous le numéro 4093 et le 10 juin 2024 sous le numéro

4210 par la cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale.
Le...

N° P.24.1012.F
I. à X. E. N.,
accusé, détenu,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Frédéric Mourlon Beernaert, avocat à la Cour de cassation,
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre les arrêts rendus le 20 février 2024 sous les numéros 1347 et 1348, le 8 avril 2024 sous le numéro 2714, le 11 avril 2024 sous les numéros 2828 et 2829, le 25 avril 2024 sous le numéro 3é, le 14 mai 2024 sous le numéro 3499, le 15 mai 2024 sous le numéro 3500, le 6 juin 2024 sous le numéro 4093 et le 10 juin 2024 sous le numéro 4210 par la cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le premier avocat général Michel Nolet de Brauwere a déposé au greffe le 26 novembre 2024 des conclusions auxquelles le demandeur a répondu par une note reçue le 16 décembre 2024.
A l’audience du 18 décembre 2024, le président de section chevalier Jean de Codt a fait rapport et le premier avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur les pourvois dirigés contre les arrêts rendus le 20 février 2024 sous les numéros 1347 et 1348, le 8 avril 2024 sous le numéro 2714, le 11 avril 2024 sous les numéros 2828 et 2829, le 25 avril 2024 sous le numéro 3é, le 14 mai 2024 sous le numéro 3499, le 15 mai 2024 sous le numéro 3500, le 6 juin 2024 sous le numéro 4093 et le 10 juin 2024 sous le numéro 4210 :
Sur le deuxième moyen :
Le demandeur invoque la nullité de tous les arrêts rendus en la cause, parce que l’ordonnance du 6 novembre 2023 portant désignation des greffiers ayant assisté le président de la cour d’assises est irrégulière dès lors qu’elle n’est revêtue, en guise de signature, que d’une marque illisible ne permettant pas de certifier que le greffier en chef, au nom duquel l’acte est libellé, en est bien l’auteur.
Invoqué pour la première fois devant la Cour, le moyen est, dans cette mesure, irrecevable.
Le demandeur ne soutient pas que Ch. A.et S. H. qui ont assisté le président de la cour d’assises, ne sont pas greffiers au tribunal de première instance. Leur présence continue et non contestée au siège durant toute la session suffit pour faire présumer qu’ils y ont été désignés à cette fin par leur autorité hiérarchique.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
B. Sur les pourvois dirigés contre les arrêts rendus les 6 et 10 juin 2024 sous les numéros 4093 et 4210 :
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches réunies :
Le moyen est pris de la violation des articles 7 et 53 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 5 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 12, 14 et 149 de la Constitution, 2 du Code pénal et 344, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle.
Le demandeur a été puni d’une peine de vingt-cinq ans de réclusion du chef d’avoir, comme auteur ou coauteur, entre le 9 avril 1994 et le 28 mai 1994, au Rwanda, d’une part, commis le crime de génocide, crime de droit international prévu par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, approuvée par la loi du 26 juin 1951, et d’autre part, commis des meurtres ainsi qu’une tentative de meurtre et un viol, infractions graves qualifiées crimes de droit international portant atteinte, par action ou par omission, aux personnes et aux biens protégés par les Conventions signées à Genève le 12 août 1949 et approuvées par la loi du 3 septembre 1952, et par les protocoles I et II additionnels à ces Conventions, adoptés à Genève le 8 juin 1977 et approuvés par la loi du 16 avril 1986.
Le moyen reproche aux arrêts attaqués de méconnaître ainsi le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que la règle de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, qui en découle. Il fait valoir que le droit belge n’incriminait pas le génocide au moment où, en 1994, le demandeur aurait participé à des faits susceptibles de recevoir cette qualification.
La violation alléguée des principes susvisés constitue une cause d’irrecevabilité de l’action publique susceptible d’être relevée avant l’examen du fond. Conformément à l’article 278bis du Code d’instruction criminelle, il appartient à la partie poursuivie, qui se prévaut d’une telle fin de non-recevoir, de l’invoquer par voie de conclusions devant le juge du fond. Le président de la cour d’assises se prononce alors dans un arrêt séparé passible d’un pourvoi en cassation à former en même temps que celui dirigé contre l’arrêt définitif.
Dans la mesure où les griefs visés au moyen sont soulevés pour la première fois devant la Cour alors qu’ils auraient pu et dû l’être devant la cour d’assises conformément à l’article 278bis précité, le moyen est irrecevable.
Voulue par le législateur ainsi que les travaux préparatoires de cette loi en témoignent, l’application rétroactive de la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, n’emporte aucune violation de l’article 7 de la Convention, dès lors que la condamnation du demandeur est fondée sur le droit international applicable à l’époque où les faits ont été commis, en l’espèce la Convention de Genève du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, ratifiée par la Belgique le 5 septembre 1951.
Définissant, avec suffisamment d’accessibilité et de prévisibilité, les comportements qu’elle incrimine, cette Convention confirme l’existence d’une coutume pénale internationale s’imposant aux Etats, y compris dans leur droit interne. L’incrimination de génocide peut être considérée comme faisant déjà partie de l’ordre juridique de l’Etat belge avant l’entrée en vigueur de la loi susdite.
Et lorsque le droit international ne définit pas, avec une clarté suffisante, les sanctions s’attachant à une telle infraction, la juridiction nationale peut, après avoir jugé un accusé coupable, fixer la peine sur la base d’une disposition de droit pénal interne, telle celle incriminant le meurtre, puisque le meurtre des membres du groupe que l’auteur veut détruire fait partie des actes que la Convention du 9 décembre 1948 répute constitutifs de génocide.
En tant qu’il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Le demandeur reproche également aux deux arrêts attaqués de ne pas viser la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire définissant les éléments constitutifs de l’infraction et comminant la peine.
Si, comme dit ci-dessus, la poursuite du génocide et des crimes de guerre est recevable nonobstant l’absence, dans le Code pénal belge, de dispositions contemporaines à ces infractions, il ne saurait être requis du juge qu’il vise ces dispositions, par hypothèse inexistantes.
C’est l’arrêt portant la peine qui doit, en vertu de l’article 344, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, contenir l’indication de la loi pénale appliquée.
Modifiée par celle du 10 février 1999, la loi du 16 juin 1993 qualifie de crimes de droit international et sanctionne comme tels, notamment, les actes de génocide définis par référence à la Convention de Genève du 9 décembre 1948, approuvée par la loi du 26 juin 1951, et les crimes de guerre définis par référence aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 ainsi qu’aux protocoles I et II additionnels à celles-ci, approuvés par la loi du 16 avril 1986.

L’article 27 de la loi du 5 août 2003 relative aux violations du droit international humanitaire, entrée en vigueur le 7 août 2003, a abrogé la loi du 16 juin 1993 modifiée par celle du 10 février 1999. Il n’en est cependant résulté aucune interruption de continuité dans la répression des crimes de droit international visés par les Conventions de Genève puisque la même loi du 5 août 2003 a inséré dans le Code pénal, au livre II, titre Ier bis, d’une part, les articles 136bis et 136quater, lesquels répriment le génocide et les crimes de guerre dans les termes repris auxdites Conventions, et d’autre part, un article 136quinquies qui détermine les peines.
L’arrêt portant la peine infligée au demandeur cite notamment les articles 136bis, 136quater, § 1er, 1° et 4°, et 136quinquies, du Code pénal. Il se réfère en outre, dans le libellé des accusations déclarées établies, aux Conventions de Genève et à leurs protocoles précités.
La cour d’assises n’avait pas à mentionner et n’aurait pas pu mentionner, notamment quant à l’accusation de génocide, des dispositions légales qui n’existaient pas en droit belge en 1994 puisque c’est la loi du 10 février 1999 qui a comblé cette lacune. L’omission dénoncée par le moyen ne saurait cependant, comme dit ci-dessus, faire échec au jugement des actes criminels reconnus comme tels par l’ensemble des nations dans des termes suffisamment accessibles et prévisibles.
Il en résulte que la cour d’assises a légalement justifié sa décision en mentionnant, dans son arrêt, les dispositions d’incrimination et pénales transposant le droit international conventionnel pertinent.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
C. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt rendu le 10 juin 2024 sous le numéro 4210 :
Il est reproché à l’arrêt de ne pas préciser pourquoi la cour d’assises n’a pas jugé anormaux les délais suivants : près de deux ans se sont écoulés entre la communication du dossier à toutes fins et la fixation du dossier en chambre du conseil. Plus d’un an sépare le réquisitoire de renvoi du 2 juin 2016, de l’ordonnance de prise de corps du 20 octobre 2017. Entre la prononciation de cette ordonnance et l’arrêt de renvoi du 6 décembre 2018, il a encore fallu un an. Enfin, plus de quatre ans se sont écoulés entre l’arrêt de la cour d’assises du 9 octobre 2019 portant la disjonction de la cause et la fixation du dossier le 6 février 2024 pour l’audience préliminaire puis le 8 avril 2024 pour l’audience au fond.
L’existence d’intervalles de temps durant lesquels une procédure marque le pas n’empêche pas nécessairement que cette procédure, appréciée dans son ensemble, puisse être jugée conforme à l’exigence du délai raisonnable. Le juge du fond en décide souverainement, la Cour se bornant à vérifier si, de ses constatations, il a pu déduire la conclusion qu’il en tire.
Le respect du délai raisonnable, qui court à partir du moment où la personne poursuivie s’est trouvée dans l’obligation de fait de se défendre, s’apprécie à la lumière des données concrètes propres à chaque affaire, dont notamment l’enjeu du litige, la nature et la complexité de la cause, la manière dont elle est menée par les autorités judiciaires, ou le comportement de l’accusé qui peut, par son attitude, retarder le déroulement du procès ou en faciliter l’examen.
L’arrêt constate que
- dès le 23 mars 2011, date de son interpellation, le demandeur s’est trouvé dans l’obligation de se défendre ;
- la cause à juger concerne le génocide commis au Rwanda en 1994, soit un dossier d’une particulière complexité, ayant nécessité l’envoi dans ce pays de plusieurs commissions rogatoires internationales et l’audition de très nombreux témoins ;
- un premier réquisitoire de renvoi a été établi par le ministère public le 3 septembre 2014, mais le règlement de la procédure a été ajourné sine die par la chambre du conseil à la suite des demandes de devoirs complémentaires formulées par le demandeur à la veille de l’audience, dont une commission rogatoire aux Pays-Bas ;
- les 20 octobre 2017 et 6 décembre 2018, les juridictions d’instruction se sont prononcées pour le renvoi du demandeur devant la cour d’assises ;
- l’accusé s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de renvoi et la Cour a rejeté ce pourvoi le 23 janvier 2019 ;
- la cause a été fixée devant le jury à l’automne de la même année ;
- à l’audience préliminaire, le demandeur a sollicité la disjonction de sa cause, ce qui lui a été accordé par un arrêt du 9 octobre 2019 ;
- l’affaire a été refixée, après l’épidémie de Covid-19, aux audiences des 6 février et 8 avril 2024.
En ayant égard à l’enjeu du litige, à sa complexité et au temps nécessaire pour assurer aux droits de la défense leur plein exercice, les juges du fond ont pu considérer que, prise dans son ensemble, la procédure n’a pas encouru le grief visé par le moyen, nonobstant les quatre années qui ont suivi la disjonction de la cause au bénéfice du demandeur.
Le moyen ne peut être accueilli.
D. Sur l’ensemble des pourvois :
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrits à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de six cent soixante et un euros septante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, premier avocat général, avec l’assistance de Mike Van Beneden, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.24.1012.F
Date de la décision : 18/12/2024
Type d'affaire : Droit international public

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-12-18;p.24.1012.f ?

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