N° P.24.0302.F
I. EUROPEAN BUSINESS & TRADE, société anonyme, dont le siège est établi à Saint-Gilles, Esplanade de l’Europe, 29, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 477-658-088,
ayant pour conseil Maître Hani Madani, avocat au barreau de Bruxelles,
II. M. N.,
ayant pour conseil Maître Mélanie Bosmans, avocat au barreau de Bruxelles,
III. M. N.,
ayant pour conseil Maître Barbara Huylenbroeck, avocat au barreau de Bruxelles,
prévenus,
demandeurs en cassation,
les pourvois contre
1. LE FONCTIONNAIRE DELEGUE DE LA REGION DE BRUXELLES-CAPITALE, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue du Progrès, 80, boîte 1,
partie intervenue volontairement,
2. LA REGION DE BRUXELLES-CAPITALE, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Ducale, 7-9,
partie citée sur opposition,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 7 février 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Les demandeurs sont poursuivis pour avoir, sans permis d’urbanisme préalable écrit et exprès du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Bruxelles, apporté des transformations à une construction existante, modifié la destination et l’utilisation de cet immeuble en l’exploitant comme hôtel, et maintenu ces infractions urbanistiques durant près de cinq ans.
Le premier juge et les juges d’appel ont évalué les avantages patrimoniaux tirés directement des infractions urbanistiques déclarées établies dans le chef des trois demandeurs à la somme de 2.007.141,23 euros, sur la base d’une évaluation du degré d’occupation de l’hôtel et du chiffre d’affaires lié à son exploitation.
Afin de ne pas soumettre les trois demandeurs à une peine déraisonnablement lourde, la cour d’appel a réduit le montant de la confiscation en application de l’article 43bis, alinéa 7, du Code pénal. Le montant de la confiscation prononcée à charge de chacun des demandeurs a été fixé à 350.000 euros, compte tenu de leurs ressources apparentes et de leur implication identique dans les faits, particulièrement dans l’exploitation des lieux.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de la société anonyme European Business & Trade :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge de la demanderesse :
A l’appui de la confiscation de 350.000 euros prononcée à charge de la demanderesse au titre d’avantages patrimoniaux tirés de l’exploitation irrégulière de l’immeuble, l’arrêt considère que, contrairement à ce qu’elle soutenait devant la cour d’appel, le montant des avantages patrimoniaux ne doit pas être diminué à concurrence des loyers qui auraient été perçus si les trois demandeurs avaient maintenu l’affectation originaire de l’immeuble, à savoir des logements et des commerces.
Le moyen soutient que cette décision viole les articles 149 de la Constitution et 42 du Code pénal : contrairement à ce que la considération précitée énonce, la demanderesse n’a pas affirmé devant les juges d’appel que le montant des avantages patrimoniaux évalués à 2.007.141,23 euros devait être diminué à concurrence des loyers qu’elle aurait obtenus si l’affectation originaire du bien avait été respectée. Dans ses conclusions, la demanderesse faisait valoir, plus fondamentalement, qu’elle ne pouvait pas être condamnée à la confiscation d’avantages patrimoniaux tirés des infractions urbanistiques, puisque ce n’est pas elle mais quatre sociétés tierces qui exerçaient l’activité hôtelière sans respecter la destination urbanistique de l’immeuble. La demanderesse soutenait devant les juges d’appel qu’elle avait seulement mis l’immeuble à la disposition de ces sociétés qui, en contrepartie, lui payaient un loyer normal.
Selon le moyen, en ayant condamné la demanderesse à la confiscation d’une somme de 350.000 euros correspondant à une partie des avantages patrimoniaux que lesdites sociétés ont tirés de l’exploitation de l’hôtel, sans avoir rencontré cette défense soutenant qu’aucune confiscation ne pouvait être prononcée à sa charge parce qu’elle n’était pas l’exploitante de l’hôtel, mais seulement la bailleresse de l’immeuble, et n’avait dès lors tiré aucun avantage de l’infraction, les juges d’appel ont violé les dispositions invoquées.
Un avantage patrimonial est directement tiré d’une infraction, au sens de l’article 42, 3°, du Code pénal, s’il existe un lien de causalité entre cet avantage et l’infraction.
Pour pouvoir confisquer des avantages patrimoniaux à charge de l’auteur, du coauteur ou du complice d’une infraction, il faut mais il suffit que ces avantages proviennent de cette infraction.
A condition, conformément au prescrit de l’article 43bis, alinéa 7, du Code pénal, de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde, la confiscation peut atteindre tout bien ou valeur que l'infraction a générés, indépendamment de la question de savoir si l’auteur de l’infraction a personnellement retiré un avantage de la commission de l’infraction ou de la destination qu’il a ultérieurement donnée à cet avantage.
En tant qu’il soutient que le juge, pour pouvoir condamner l’auteur d’une infraction à la confiscation des avantages patrimoniaux que celle-ci a générés, doit constater qu’il a personnellement bénéficié de tout ou partie de ces avantages, le moyen manque en droit.
Le juge n’est pas tenu de répondre à un moyen devenu sans pertinence en raison de sa décision.
L’arrêt énonce que
- tout au long de l’enquête, les demandeurs sub II et III ont fait valoir que le bien avait été exploité successivement par diverses sociétés avec lesquelles ils auraient conclu un contrat de bail ; cependant, aucun contrat de bail relatif au bien en cause n’a été enregistré durant la période infractionnelle et aucun autre document n’a été produit concernant l’exécution, la fin ou la cession d’une prétendue convention de location ;
- aucune pièce du dossier ne révèle que les trois demandeurs, en leur qualité de propriétaires du bien, parfaitement informés des multiples infractions urbanistiques dénoncées par les autorités, se seraient adressés aux prétendues sociétés exploitantes pour émettre des réserves, que ce soit à propos de l’activité hôtelière des lieux ou des travaux effectués à cette fin, ni, a fortiori, exiger la mise en conformité requise par les services de l’urbanisme ;
- c’est la demanderesse elle-même, et non l’une des sociétés prétendument locataire des lieux, qui annonçait le 27 avril 2011 qu’elle introduirait prochainement une demande de permis en vue de régulariser la situation ;
- les pièces du dossier démontrent que les demandeurs sub II et III sont, avec la demanderesse, non seulement les auteurs des travaux incriminés, mais également les exploitants des lieux.
Ainsi, les juges d’appel ont considéré que la demanderesse avait participé à l’exploitation de l’hôtel litigieux, contrairement à ce qu’elle soutenait devant eux.
Ils n’avaient dès lors plus à répondre à la défense de la demanderesse qui, pour affirmer qu’aucune confiscation ne pouvait être prononcée à sa charge, soutenait qu’elle n’avait pas participé à l’exploitation de l’hôtel.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur la demande de réparation formulée par le fonctionnaire délégué :
Il n’apparaît pas, des pièces de la procédure, que la demanderesse ait fait signifier son pourvoi au fonctionnaire délégué, partie contre laquelle il est dirigé.
Le pourvoi est irrecevable.
B. Sur le pourvoi de M. N. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur la demande de réparation formulée par le fonctionnaire délégué :
Il n’apparaît pas, des pièces de la procédure, que le demandeur ait fait signifier son pourvoi au fonctionnaire délégué, partie contre laquelle il est dirigé.
Le pourvoi est irrecevable.
C. Sur le pourvoi de M. N. :
Le demandeur se désiste de son pourvoi, avec acquiescement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi de M. N. ;
Rejette les pourvois de la société anonyme European Business & Trade et de M. N. ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cent cinquante-six euros nonante-deux centimes dont I) sur le pourvoi de la société anonyme European Business & Trade : quatre-vingt-cinq euros soixante-quatre centimes dus ; II) sur le pourvoi de M. N. : quatre-vingt-cinq euros soixante-quatre centimes et III) sur le pourvoi de M. N. : quatre-vingt-cinq euros soixante-quatre centimes.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Mike Van Beneden, greffier.