N° P.24.1526.F
I. et II. D. K.,
étranger, détenu en vue d’extradition,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Bieke Vanmarcke et Laurent Kennes, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre des arrêts rendus le 27 juin et le 12 novembre 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque huit moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt du 27 juin 2024 :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 632 de l’Accord de commerce et de coopération du 30 décembre 2020, publié le 30 avril 2021, entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part, et 12 de la Constitution.
Le demandeur reproche aux juges d’appel d’avoir estimé que la saisine du juge d’instruction était régulière, alors que ce magistrat fut saisi sur la base de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen. Le moyen soutient qu’en application de l’article 13 de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, dans les relations avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, la détermination des autorités compétentes et la procédure d'émission et d'exécution des demandes de remise sont certes régies par la loi du 19 décembre 2003, mais sous réserve des disposition contraires figurant sous le titre VII de la troisième partie de l’Accord de commerce et de coopération du 30 décembre 2020 entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique, d'une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, d'autre part.
Le moyen concerne la saisine du juge d’instruction, lequel n’a pas statué sur l’exécution du mandat d’arrêt européen mais s’est borné, conformément à l’article 11 de la loi du 19 décembre 2003, à ordonner le placement en détention du demandeur.
Les juges d’appel et, avant eux, la chambre du conseil n’ont pas statué sur la prolongation des mesures ordonnées par le juge d’instruction, mais étaient appelés à se prononcer, conformément à l’article 16 de la loi du 19 décembre 2003, sur l’exécution dudit mandat d’arrêt européen.
Étranger à l’arrêt attaqué, dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Et en tant qu’il invoque la violation de l’article 12 de la Constitution, sans indiquer en quoi cette disposition serait méconnue par l’arrêt attaqué, le moyen, imprécis, est également irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 609.2 de l’Accord de commerce et de coopération du 30 décembre 2020 entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Il soutient que le demandeur, qui ne parle pas anglais, n’a pas, dès son placement en détention par le juge d’instruction, reçu de ce dernier la traduction écrite du mandat d’arrêt européen le visant.
Ainsi qu’il a été exposé en réponse au premier moyen, l’arrêt attaqué ne statue pas sur le maintien de la détention du demandeur.
Étranger à l’arrêt attaqué, le moyen est irrecevable.
Et il n’y a pas lieu d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne, dès lors que le moyen est rejeté pour des motifs sans lien avec l’objet de la question préjudicielle proposée.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 601.1.h et 604 de l’Accord de commerce et de coopération du 30 décembre 2020 entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Il reproche aux juges d’appel d’avoir écarté les griefs du demandeur tendant à faire constater le risque d’atteinte à ses droits fondamentaux, en cas de remise, en se fondant sur le statut de membre de l’Union européenne de l’État d’émission du mandat d’arrêt européen, alors que cet État est la Grande-Bretagne, laquelle n’a précisément plus la qualité d’État membre de l’Union européenne. Le moyen ajoute qu’il suit du retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne que dans les relations entre cet État et ceux de l’Union, le principe de confiance mutuelle n'est plus applicable.
D’une part, les juges d’appel n’ont pas énoncé que la Grande-Bretagne serait encore actuellement membre de l’Union européenne.
À cet égard, le moyen manque en fait.
D’autre part, dans les relations entre un État membre de l’Union européenne et la Grande-Bretagne, conformément à l’article 601.1.h, précité, l'exécution du mandat d'arrêt peut être refusée s'il y a des raisons de croire, sur la base d'éléments objectifs, que cet acte a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu'il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l'une de ces raisons.
Ce motif de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen est facultatif.
Dans un arrêt du 29 juillet 2024, numéro 202/24, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que si aucune disposition de l'Accord de commerce et de coopération ne prévoit expressément que les États membres sont tenus de donner suite à un mandat d'arrêt émis par le Royaume-Uni sur le fondement de cet Accord, il résulte de la structure du titre VII de sa troisième partie, et notamment « des fonctions respectives de ses articles 600 à 604 », qu’un État membre ne peut refuser d'exécuter un tel mandat d'arrêt que pour des motifs procédant de l'Accord. La Cour a par ailleurs énoncé que, s'il ressort des termes de l'article 524.1 de l'Accord que la coopération entre le Royaume-Uni et les États membres est fondée sur le respect de longue date de la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes, cette coopération n'est pas présentée comme reposant sur la préservation de la confiance mutuelle entre les États concernés qui existait avant la sortie du Royaume-Uni de l'Union, le 31 janvier 2020. Elle en conclut que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’Accord ne saurait ordonner la remise de la personne recherchée si elle considère, à la suite de l’examen concret et précis de la situation de cette personne, qu’il y a des raisons valables de penser que cette dernière encourrait un risque réel de violation de ses droits fondamentaux en cas de remise au Royaume-Uni.
Dès lors, lorsqu’une cause de refus d’exécution est alléguée sur la base de l’article 601.1.h précité, il appartient aux juridictions d’instruction saisies en application de l’article 13 de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, de procéder à cet examen et de vérifier si, sur la base d’éléments fiables, précis et dûment actualisés, il est établi qu’il existe des raisons valables de penser qu'en cas de remise, il y a lieu de craindre un risque réel de violation du droit fondamental invoqué.
Les juges d’appel ont considéré que le refus de remise devait être justifié par des éléments circonstanciés indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée et aptes à renverser la présomption de respect de ces droits, dont l’État d’émission du mandat d’arrêt européen bénéficie. Ils ont précisé que ce risque ne pouvait se déduire de simples présomptions ou spéculations mais devait faire l’objet d’un examen concret. Ils ont ensuite estimé que le demandeur demeurait en défaut de faire état d’éléments concrets, de nature à faire craindre le risque allégué. Ils ont ajouté que la circonstance que des mesures administratives sont prises en Grande-Bretagne à l’égard de ressortissants albanais n’est pas de nature à objectiver le fait que les droits fondamentaux du demandeur seraient violés en raison de sa nationalité en cas de remise et que, pour ce même motif, son droit à un procès équitable pourrait être méconnu.
Ainsi, les juges d’appel ont procédé à l’examen concret requis, lorsque la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen allègue l’existence d’un risque de subir des traitements prohibés en cas d’exécution de cet acte.
Dès lors, nonobstant les motifs que le moyen critique, les juges d’appel ont procédé à l’examen requis.
Dépourvu d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 601.1.h et 604 de l’Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Il reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu adéquatement aux conclusions du demandeur qui invoquait l’existence, en cas de remise, d’un risque tel que visé à l’article 601.1.h susvisé. Le demandeur dit trouver des indices de pareil risque dans les dires du ministre britannique de l’Intérieur, proche du ministre de la Justice, accusant les ressortissants albanais d’être des criminels, et dans le fait qu’en cas de procès, le demandeur serait jugé par un jury, ce qui, selon lui, « laisse craindre le pire compte tenu du racisme ambiant en Angleterre », racisme dont le demandeur prétendait découvrir la preuve jusqu’au sein des institutions judiciaires britanniques, en faisant état de divers rapports.
Mais ainsi qu’il a été indiqué en réponse au troisième moyen, les juges d’appel étaient tenus de procéder à un examen concret de la situation du demandeur afin de vérifier si, dans son cas, il existait un risque, tel qu’allégué, en cas de remise.
Et aux termes des motifs rappelés en réponse au troisième moyen, les juges d’appel ont procédé à l’examen requis.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, les juges d’appel n’étaient pas tenus de répondre à des griefs, que le moyen lui-même qualifie d’arguments, critiquant de manière générale certaines institutions de l’État d’émission ou le comportement de son ministre de l’Intérieur.
À cet égard également, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt du 12 novembre 2024 :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 19 du Code judiciaire et du principe général du droit relatif à l’autorité de la chose jugée. Il soutient que les juges d’appel ne pouvaient, sans violer la règle visée au moyen, décider d’autoriser l’exécution du mandat d’arrêt européen nonobstant l’absence de réponse aux demandes d’octroi de garanties adressées aux autorités britanniques à la suite de l’arrêt du 27 juin 2024 et relatives, d’une part, à la peine encourue par le demandeur et, d’autre part, aux modalités de sa détention en cas de remise.
Il ressort de l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire qui dispose que le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi, que le juge qui a épuisé sa juridiction sur un tel point par une décision définitive et qui statue à nouveau sur ce point litigieux, commet un excès de pouvoir : ce n'est pas l'autorité de chose jugée mais l'exercice complet de la juridiction qui empêche le juge de statuer à nouveau.
Aux termes de l’arrêt du 27 juin 2024, les juges d’appel n’ont pas refusé d’autoriser l’exécution du mandat d’arrêt européen. Ils se sont bornés à inviter le ministère public à solliciter, conformément à l’article 604, c), ou à l’article 613 de l’Accord, auprès des autorités de l’État d’émission, l’octroi de garanties ou la communication d’informations.
Et pareille décision ne leur interdisait pas, une fois en possession de la réponse des autorités de l’État d’émission, d’en évaluer le caractère suffisant au regard des demandes formulées et d’en apprécier la teneur du point de vue du risque allégué d’atteinte aux droits fondamentaux du demandeur en cas de remise, afin de statuer sur l’exécution du mandat d’arrêt européen.
Aux termes de l’arrêt attaqué, les juges d’appel n’ont pas décidé qu’il n’y avait pas lieu de solliciter la communication des éléments visés au premier arrêt.
L’arrêt attaqué décide, ce qui est différent, que si les garanties données par les autorités britanniques sont assez générales, n’indiquant pas l’établissement où le demandeur devrait être détenu, elles concernent cependant spécifiquement ce dernier, en contenant l’engagement qu’après la remise, il sera détenu dans des conditions conformes à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour d’appel a ajouté qu’une attestation produite par la défense concernait un lieu dont rien n’indiquait qu’il pourrait recevoir le demandeur et alors, d’une part, que le Royaume-Uni est signataire des mêmes instruments internationaux protecteurs des droits de l’homme que ceux auxquels la Belgique adhère et, d’autre part, qu’aucun élément concret ne permettait de considérer que le demandeur pourrait, en cas de remise, être exposé au risque d’atteinte à de tels droits.
Ainsi, sans statuer à nouveau sur une question litigieuse déjà tranchée, mais en se bornant à apprécier les garanties données par les autorités de l’État d’émission au regard des risques allégués de violation des droits fondamentaux du demandeur, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision que l’existence de ces risques ne paraissait pas établie et qu’il y avait lieu, dès lors, d’accorder l’exécution du mandat d’arrêt européen.
À cet égard, procédant d’une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, quant à la peine encourue par le demandeur, s’ils ont constaté que les autorités britanniques ne l’ont pas précisée, les juges d’appel ont observé qu’elle pourrait consister dans une peine d’emprisonnement à perpétuité et que cette sanction, selon la Cour européenne des droits de l’homme, ne serait pas incompatible avec le respect de l’article 3 de la Convention, dès lors qu’en Grande-Bretagne, la possibilité de réexamen demeure lorsque pareille sanction est infligée.
Ainsi, en tout état de cause, l’arrêt constate que la peine maximale encourue est connue.
Et aucune disposition ou principe général du droit n’interdit au juge qui a invité le ministère public à solliciter d’une autorité étrangère la communication d’informations ou de garanties, à puiser dans une autre source la réponse aux questions posées.
Dans cette mesure, revenant à soutenir le contraire, le moyen manque en droit.
Enfin, en tant que, se référant au contenu de la réponse donnée à ces demandes par les autorités britanniques, il soutient que l’information reçue était inapte à éclairer la cour d’appel, le moyen, qui requiert un examen des éléments de fait de la cause, est irrecevable.
Sur l’ensemble du deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 604, c), de l’Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Il reproche aux juges d’appel d’avoir statué sur l’exécution du mandat d’arrêt européen sans avoir disposé des garanties et des informations sollicitées aux termes de l’arrêt interlocutoire du 27 juin 2024, et alors qu’en demandant de telles garanties et informations, les juges d’appel ont nécessairement considéré qu’il existait à tout le moins des motifs valables de craindre un risque réel d’atteinte aux droits fondamentaux du demandeur.
Dans la mesure où il réitère le grief vainement invoqué à l’appui du premier moyen, le moyen est irrecevable.
Et en tant qu’il soutient que les juges d’appel ont, aux termes de l’arrêt du 27 juin 2024, estimé qu’il existait des motifs de craindre la survenance d’un risque d’atteinte aux droits fondamentaux du demandeur, alors qu’ils ont au contraire exclu ce risque, le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 3 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il reproche aux juges d’appel d’avoir écarté les griefs soulevés en conclusions par le demandeur, sans avoir procédé à des vérifications « utiles, complètes et concrètes » de l’existence des risques, invoqués par ce dernier, d’atteinte aux droits fondamentaux garantis par les dispositions précitées.
Aux termes des motifs rappelés en réponse au troisième moyen dirigé contre l’arrêt du 27 juin 2024 et au premier moyen dirigé contre l’arrêt du 12 novembre 2024, les juges d’appel ont examiné les risques allégués et ont légalement justifié leur décision à cet égard.
Réitérant dès lors les griefs vainement invoqués à l’appui de ces moyens, le moyen est irrecevable.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen, qui réitère la teneur des conclusions d’appel du demandeur, invite la Cour à se pencher sur les conditions générales de la détention en Grande-Bretagne.
L’instance en cassation ne constitue pas une voie d’appel contre la décision du juge d’appel.
Le moyen, qui méconnaît cette règle déduite de l’article 147 de la Constitution et n’élève aucun grief contre l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de nonante-quatre euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.