N° P.24.1283.F
J. S.,
prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
P. V.,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 27 juin 2024 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président de section chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 51 du Code pénal.
Le demandeur soutient que la tentative de meurtre ne se conçoit que lorsque l’auteur a recherché précisément la mort de la victime, autrement dit lorsque ses actes ne peuvent s’expliquer que par la volonté de ce résultat. Il fait grief à l’arrêt attaqué de considérer que l’intention homicide qui a animé le prévenu a pu consister en un dol éventuel, défini comme étant l’acceptation par l’auteur du décès de la victime au titre d’une suite possible des violences dont elle a été frappée.
L’obligation de motiver les jugements et arrêts, imposée par l’article 149 de la Constitution, est une règle de forme, étrangère à la valeur des motifs donnés par le juge au soutien de sa décision.
Sous le couvert de l’article 149, le moyen dénonce, non pas un défaut de motivation au sens de cette disposition, mais une fausse application de la notion légale d’intention homicide prêtée à la tentative.
Le grief invoqué étant étranger à la norme constitutionnelle au visa de laquelle le demandeur prétend, le moyen manque en droit.
La mort n’est pas un élément constitutif du meurtre en tant que conséquence de la violence homicide. Elle est un élément constitutif de ce crime en tant que but de l’acte.
L’élément moral requis par l’article 393 du Code pénal consiste dans l’adoption volontaire et en connaissance de cause du comportement interdit, étant entendu que le but homicide poursuivi par l’auteur se déduit tant de la volonté de réaliser le résultat mortel que de son acceptation consciente comme conséquence devant advenir dans le cours normal des événements.
La notion d’élément moral ainsi définie s’applique tant au meurtre consommé qu’au meurtre tenté.
Il ressort des constatations des juges du fond que la victime est une enfant de quinze ans trouvée dévêtue et inconsciente sur un talus, au bas d’une rue à Herstal, abandonnée en hiver à cet endroit après avoir été torturée et violée.
Selon l’arrêt, la jeune fille, en état débutant de choc hémorragique et d’hypothermie, présentait trois dilacérations profondes de la paroi vaginale sur toute la longueur du vagin, réalisées à l’aide d’une bouteille en verre. Elle présentait également un hémopéritoine de vingt-cinq centimètres cubes, ainsi que de nombreux hématomes, ecchymoses et abrasions sur la tête, le visage, le thorax, l’abdomen, le dos, et les membres supérieurs et inférieurs. Une importante quantité de sang apparaissait à hauteur de son bassin, à sa droite, et des excréments ont été découverts dans sa bouche et sur ses dents.
Selon les juges d’appel, dès lors que la victime est inconsciente, en train de se vider de son sang en raison des coups et du viol bestial commis sur elle par le prévenu, qu’elle est abandonnée, à demi-nue, sur un talus, un jour d’hiver, alors qu’il gèle, présentant des blessures d’une gravité telle que sa survie était engagée, il ne peut que s’en déduire que le demandeur a voulu la mort de la jeune fille ou qu’il a admis son trépas comme une conséquence inéluctable et prévisible de la violence exercée.
L’article 51 du Code pénal punit la tentative en la définissant comme étant un commencement d’exécution dont les actes qui le constituent n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.
Cette disposition n’a pas vocation à régir l’élément moral de l’infraction tentée.
L’arrêt relève que la jeune fille n’a échappé à une mort certaine que grâce à l’intervention d’un passant qui a découvert la victime très vite après son abandon dans le talus, et grâce à la rapidité avec laquelle les soins nécessaires ont pu lui être prodigués.
Les juges d’appel ont, ainsi, légalement qualifié les faits de tentative de meurtre.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen reproche à l’arrêt de ne pas répondre aux conclusions du demandeur contestant être l’auteur des sévices infligés à la victime.
Ces conclusions ont notamment fait valoir que
- la localisation du téléphone portable et du véhicule du prévenu permet de conclure que la victime n’était pas en sa présence au moment de l’agression ;
- les deux témoins ayant fait des déclarations à charge se contredisent ;
- les véhicules présents au moment et à l’endroit des faits n’ont pas été vérifiés ;
- les enquêteurs n’ont pas exploité le téléphone portable de la victime, alors que ce devoir aurait permis de vérifier si elle était en lien avec un réseau de prostitution ;
- l’existence d’excréments humains dans le véhicule n’a pas été vérifiée ;
- plusieurs des faits et gestes du demandeur paraissent incompatibles avec les préventions mises à sa charge.
A ces conclusions, l’arrêt oppose les éléments suivants :
- la jeune fille a déclaré être sortie la nuit des faits avec, notamment, un prénommé « J. » ;
- le demandeur a été privé de liberté le lendemain des faits, soit le 6 février 2022 ;
- l’examen de son véhicule a révélé d’importantes taches de sang ainsi que des traces d’excréments ;
- lors de la visite domiciliaire réalisée le 7 février 2022, les enquêteurs ont découvert, dans la poubelle, un gant de toilette humide ainsi que des baskets neuves appartenant au prévenu ; sur ces effets, des traces de sang ont été décelées ;
- la compagne du prévenu s’est présentée à la police le lendemain de la visite, expliquant avoir constaté la présence d’une tache de sang sur le caleçon du prévenu lorsqu’il est rentré la nuit des faits ;
- la compagne précise encore avoir remarqué, lorsque le prévenu est rentré, une très forte odeur de déjections humaines ; l’intéressé a pris une douche et s’est lavé avec le gant de toilette trouvé dans la poubelle ;
- après s’être lavé, le demandeur a prié sa compagne d’aller acheter des produits pour nettoyer le véhicule ;
- l’expert judiciaire a mis en évidence la présence de sperme sur la serviette hygiénique de la victime ;
- le prélèvement réalisé dans la zone concernée soutient extrêmement fort l’hypothèse selon laquelle le prévenu et la victime ont participé à la constitution du mélange de profils génétiques obtenus ;
- les prélèvements réalisés sur la bouteille en verre trouvée près de la victime permettent également d’obtenir un mélange de profils génétiques correspondant extrêmement fort aux profils de la victime et du prévenu ;
- le prévenu affirme qu’il n’est pas l’auteur des fait mais il admet avoir rencontré la jeune fille la nuit des faits, l’avoir conduite à Herstal à sa demande et avoir dû se rendre ensuite au car-wash pour nettoyer son véhicule souillé par les vomissements, l’urine, les excréments et le sang menstruel de la jeune fille en état d’ébriété ;
- le prévenu s’est contredit à de multiples reprises dans ses explications, modifiant celles-ci au fil des invraisemblances relevées par les enquêteurs ;
- l’enquête de téléphonie, l’examen des images de vidéo-surveillance et l’analyse réalisée sur l’extraction des données du système informatique du véhicule du prévenu établissent que la jeune fille s’est trouvée seule avec lui vers 06.30 heures sur le parking du magasin Cora, que le véhicule du prévenu a quitté ce parking vers 06.42 heures, qu’il est arrivé à 06.53 heures rue de Hermée à Herstal, qu’il a quitté cette rue à 07.19 heures, que la victime y a été trouvée, inconsciente, à 07.20 heures ;
- le demandeur ne fournit aucune explication plausible sur ce qu’il a fait entre 06.30 et 06.42 heures, d’une part, et entre 06.42 et 07.19 heures, d’autre part ;
- aucun élément d’enquête n’a permis de conclure à la présence de la victime dans le milieu de la prostitution ;
- rendant invraisemblable la suggestion du prévenu suivant laquelle c’est un tiers qui aurait agressé la jeune fille, ces éléments constituent un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes établissant, sans aucun doute possible, la culpabilité du demandeur.
Les juges d’appel ont, ainsi, répondu aux conclusions visées au moyen et régulièrement motivé leur décision.
Le moyen manque en fait.
Sur le moyen pris, d’office, de la violation des articles 25, alinéa 4, et 80 du Code pénal :
Aux termes du quatrième alinéa de l’article 25 susdit, la durée de l’emprisonnement correctionnel est de quinze ans au plus s’il s’agit d’un crime punissable de la réclusion de quinze à vingt ans qui a été correctionnalisé.
En vertu de l’article 80, en cas d’admission de circonstances atténuantes, la réclusion de quinze à vingt ans sera remplacée par la réclusion de dix à quinze ans ou de cinq à dix ans, ou par un emprisonnement d’un an au moins et de quinze ans au plus.
Le demandeur a été poursuivi et déclaré coupable de tentative de meurtre (prévention A), viol précédé ou accompagné de torture sur la personne d’une mineure d’âge de moins de seize ans et dont l’état de vulnérabilité était manifeste (prévention B), attentat à la pudeur avec les mêmes circonstances aggravantes (prévention C), traitement inhumain infligé à une personne mineure d’âge et vulnérable (prévention D).
Les faits ont été correctionnalisés par une ordonnance du 6 octobre 2023 de la chambre du conseil visant les circonstances atténuantes.
L’arrêt constate que les infractions ont été commises le 5 février 2022, donc avant l’entrée en vigueur, le 1er juin 2022, de la loi du 21 mars 2022 modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel.
Les juges d’appel ont considéré que les préventions déclarées établies constituent un fait pénal unique, appelant dès lors la prononciation d’une seule peine, la plus forte.
Les articles 51, 52, 80 et 393 du Code pénal punissent la tentative de meurtre d’une peine de réclusion de quinze à vingt ans.
Les articles 376, alinéa 2, et 417ter du Code pénal, de même que l’article 417/13, prévoient pour le viol et l’attentat à la pudeur avec torture une peine de réclusion de quinze à vingt ans.
Le viol d’un enfant de plus de quatorze ans et de moins de seize ans est également passible d’une peine de réclusion de quinze à vingt ans aux termes de l’article 375, alinéas 1 et 5, du Code pénal. Certes, l’article 417/16, nouveau, dernier tiret, sanctionne cette infraction par la réclusion de vingt à trente ans, mais cette peine plus forte ne peut pas être appliquée, la loi qui l’institue étant postérieure à la date des faits.
L’infliction d’un traitement inhumain est punie, par l’article 417quater du Code pénal, de dix à quinze ans de réclusion lorsque l’infraction est commise envers un mineur ou à l’égard d’une personne dont l’état de vulnérabilité est apparent ou connu de l’auteur des faits.
La peine la plus forte est celle qui sanctionne, au même taux, les préventions A, B et C.
La peine criminelle de quinze à vingt ans prévue par les dispositions légales applicables auxdites préventions est ramenée, ensuite de la correctionnalisation par admission des circonstances atténuantes, à un emprisonnement d’un an à quinze ans. La récidive permet de doubler le maximum mais cette circonstance n’est pas constatée en l’espèce.
En portant la peine unique à vingt ans d’emprisonnement, l’arrêt excède donc le maximum légal et viole les dispositions visées au moyen.
Il n’y a pas lieu d’examiner le troisième moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.
L’emprisonnement est un élément de la peine infligée de sorte que l’illégalité s’étend à l’ensemble de la sanction ainsi qu’à la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence. En revanche, il n’y a pas lieu d’étendre la cassation à la décision par laquelle les juges d’appel ont déclaré les infractions établies, lorsque l’annulation est encourue, comme en l’espèce, pour un motif étranger à ceux qui justifient cette décision.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est, sauf l’illégalité à censurer ci-après, conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions qui, rendues sur les actions civiles exercées par la défenderesse agissant en nom personnel et qualitate qua, statuent sur
1. le principe de la responsabilité :
Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique.
2. l’étendue des dommages :
L’arrêt alloue des indemnités provisionnelles, confirme l’expertise ordonnée par le premier juge et lui renvoie les suites de la cause.
Pareilles décisions ne sont pas définitives au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et sont étrangères aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Prématuré, le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur l’ensemble de la peine et sur la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à la moitié des frais de son pourvoi et réserve l’autre moitié pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, autrement composée.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de trois cent nonante-deux euros trente-neuf centimes dont trois cent dix-sept euros deux centimes dus et septante-cinq euros trente-sept centimes couverts par l’assistance judiciaire.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.