N° P.24.0447.F
A. B.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Janina Heinen, avocat au barreau d’Eupen,
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Rédigé en allemand, le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu dans cette langue le 28 février 2024 par le tribunal correctionnel d’Eupen, statuant en degré d’appel.
La demanderesse invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Par une ordonnance du 26 mars 2024, le premier président de la Cour a décidé que la procédure à l’audience sera faite en français.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision d’acquittement du chef des préventions A et B :
Le pourvoi est irrecevable à défaut d’intérêt.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision statuant sur la prévention C :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lu en combinaison avec l’article 26 de la Constitution.
Il reproche au jugement de condamner la demanderesse du chef de non-respect de l’interdiction de se réunir, infraction visée à l’article 5 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus Covid-19.
La demanderesse relève que, conformément à l’arrêt n° 104/2023 de la Cour constitutionnelle du 29 juin 2023, le juge est tenu d’examiner si les mesures visées par l’arrêté ministériel susdit répondent aux principes de légalité matérielle, de légitimité et de proportionnalité.
Elle allègue, en outre, que la Cour européenne des droits de l’homme a décidé, dans un arrêt n° 21881/20 du 15 mars 2022, que l’interdiction de manifestations publiques décidée par les autorités suisses constituait une violation de l’article 11 de la Convention, notamment parce que celles-ci n’avaient prévu aucune restriction d’accès aux lieux de travail, et que les tribunaux internes n’étaient pas en mesure d’exercer un contrôle effectif de la mesure litigieuse dont le non-respect était sanctionné pénalement.
Le moyen soutient que, dès lors que la situation en Belgique n’était pas différente de celle constatée en Suisse, l’article 5 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 viole également l’article 11 de la Convention. Il en déduit qu’il appartenait au tribunal correctionnel de constater d’office cette non-conformité avec la disposition conventionnelle et d’acquitter la demanderesse.
En tant qu’il repose sur l’affirmation que les données de fait sont identiques dans les deux causes, le moyen requiert un examen en fait pour lequel la Cour est sans pouvoir et est, partant, irrecevable.
En vertu de la disposition conventionnelle invoquée, il ne peut y avoir d’autres restrictions à l’exercice du droit à la liberté de réunion que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’examen de la nécessité des restrictions implique de vérifier, au regard des données de fait de la cause, prises dans leur ensemble, s’il existe des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier la mesure.
Le jugement relève que, face à un virus mortel qui était encore insuffisamment analysé au moment de l’interdiction et contre lequel il n’y avait pas encore de médicament ou de vaccination connus, des mesures devaient être prises le plus rapidement possible afin d’en limiter la propagation.
Il considère ensuite que, dans ce contexte, les droits individuels ont été limités de manière légitime et proportionnée, afin d’éviter non seulement que les individus ne soient exposés à un danger mortel mais, avant tout, que ceux-ci n’en contaminent d’autres.
Par ces considérations, les juges d’appel ont effectué le contrôle de légitimité et de proportionnalité de l’interdiction litigieuse.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 1138, 4°, du Code judiciaire, le moyen reproche au jugement de ne pas répondre aux conclusions qui invoquaient la prescription de l’action publique, s’agissant de délits contraventionnalisés.
Dans ses conclusions, la demanderesse a soulevé la prescription de l’action publique en cas de contraventionnalisation de l’infraction.
Le jugement inflige à la demanderesse une peine correctionnelle.
Partant, les juges d’appel n’étaient pas tenus de répondre au moyen, non pertinent en raison de leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Pris de la violation de l’article 149 de la Constitution, le moyen fait grief au jugement d’énoncer, dans les motifs, que le sursis à l’exécution de la peine d’amende sera accordé pour une durée de deux ans, et, dans le dispositif, que ledit sursis a une durée de trois ans.
Par les énonciations susdites, le jugement se contredit.
Le moyen est fondé.
L'irrégularité de la décision relative au sursis, mesure qui affecte l'exécution de la peine, entraîne l'annulation des décisions qui déterminent le choix et le degré de la peine, en raison du lien existant entre le taux de la peine et ladite mesure.
Le contrôle d'office
Pour le surplus, les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est, hormis l’irrégularité à censurer ci-après, conforme à la loi.
La déclaration de culpabilité n'encourant pas elle-même la censure, la cassation sera limitée à la peine et à la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence, résultant de la condamnation à cette peine.
Il n’y a pas lieu d’examiner le troisième moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue ou sans renvoi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué en tant que, statuant sur la prévention C, il inflige à la demanderesse une peine et la condamne à une contribution au Fonds spécial pour l'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Condamne la demanderesse à la moitié des frais et réserve l'autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, au tribunal correctionnel d’Eupen, siégeant en degré d’appel, autrement composé.
Lesdits frais taxés à la somme de cent quatre-vingt-deux euros trente-huit centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Damien