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07/11/2024 | BELGIQUE | N°C.20.0313.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 novembre 2024, C.20.0313.F


N° C.20.0313.F
A. C.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
1. ORGANISATION DU TRAITÉ DE L’ATLANTIQUE NORD, dont le siège est établi à Evere, boulevard Léopold III,
défenderesse en cassation,
2. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires étrangères, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Petits Ca

rmes, 15,
défendeur en cassation ou, à tout le moins, partie appelée en déclaration d’arrêt com...

N° C.20.0313.F
A. C.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
1. ORGANISATION DU TRAITÉ DE L’ATLANTIQUE NORD, dont le siège est établi à Evere, boulevard Léopold III,
défenderesse en cassation,
2. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires étrangères, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,
défendeur en cassation ou, à tout le moins, partie appelée en déclaration d’arrêt commun,
représenté par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 251, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 23 novembre 2017 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 22 octobre 2024, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
En considérant que le demandeur « ne peu[t] obtenir l’écartement de l’immunité de juridiction de [la défenderesse], puisque la jurisprudence qu’[il] invoqu[e] [lui]-mêm[e] ne permet cet écartement que pour assurer la protection efficace des droits garantis par la Convention [de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] et qu’[il] ne bénéfici[e] pas de tels droits », l’arrêt donne à connaître que le demandeur, dont il admet par ailleurs qu’il bénéficie en Belgique du droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1er, de cette convention, ne peut se prévaloir d’autres droits garantis par cette convention pour réclamer l’écartement de l’immunité de juridiction de la défenderesse.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement que l’arrêt considère que ledit droit à un procès équitable ne permet d’écarter l’immunité de juridiction de la défenderesse qu’à la condition que le procès ait pour objet la préservation d’un autre droit garanti par ladite convention, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
L’arrêt considère que, contrairement à ce qu’invoquait le demandeur, « il n’existe pas de principe général du droit international public d’accès au juge et d’interdiction du déni de justice, garanti notamment par l’article 14 du Pacte [international relatif aux droits civils et politiques, signé à New York le 19 décembre 1966], en vertu duquel les immunités de juridiction des États ou des organisations internationales ne sortiraient plus leurs effets, notamment lorsqu’un État ou une organisation internationale est accusé d’une violation du droit de la guerre ou du droit humanitaire par une personne lésée et qu’il n’existe pas d’autre mécanisme de recours pour entendre la réclamation », et que le demandeur ne cite « aucun précédent ou autorité dont il résulterait que l’article 14 du pacte de New York devrait conduire à écarter l’immunité de juridiction de [la défenderesse] ».
Ces considérations non critiquées suffisent à fonder la décision de l’arrêt que l’article 14 précité ne permet pas d’écarter l’immunité de juridiction de la défenderesse.
Dans la mesure où il est dirigé contre la considération surabondante que ledit article 14 n’est pas applicable au demandeur au motif qu’il ne se trouve pas sur le territoire belge, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Pour le surplus, l’arrêt ne fonde pas sa décision que ledit article 14 n’est pas applicable au demandeur sur le motif qu’il est étranger.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la troisième branche :
L’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil.
Ce droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande, par sa nature même, une réglementation par l’État. L’État jouit en la matière d’une certaine marge d’appréciation.
Les limitations mises en œuvre ne peuvent toutefois restreindre l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6, § 1er, que si elles tendent à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
L’octroi de privilèges et immunités aux organisations internationales est un moyen indispensable au bon fonctionnement de celles-ci, sans ingérence unilatérale d’un gouvernement. Le fait pour les États d’accorder généralement l’immunité de juridiction aux organisations internationales en vertu des instruments constitutifs de celles-ci ou d’accords additionnels constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le bon fonctionnement de ces organisations.
L’importance de cette pratique se trouve renforcée par la tendance à l’élargissement et à l’intensification de la coopération internationale, qui se manifeste dans tous les domaines de la société contemporaine.
Dans ces conditions, la règle de l’immunité de juridiction des organisations internationales poursuit un but légitime.
Si des mesures qui reflètent des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des organisations internationales ne peuvent, de façon générale, être considérées comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal, tel que le consacre l’article 6, § 1er, il demeure que la question de la proportionnalité doit être appréciée en chaque cas à la lumière des circonstances particulières de l’espèce. Pour déterminer si l’atteinte portée aux droits fondamentaux est admissible au regard de l’article 6, § 1er, il importe d’examiner, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si la personne contre laquelle l’immunité de juridiction est invoquée dispose d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement les droits que lui garantit la Convention.
Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutènement que la proportionnalité de l’atteinte que constitue l’immunité de juridiction doit être appréciée en fonction de la nature du droit matériel revendiqué, manque en droit.
Quant à la quatrième branche :
La proportionnalité de l’atteinte que constitue l’immunité de juridiction, appréciée, ainsi qu’il a été dit dans la réponse à la troisième branche du moyen, indépendamment de la nature du droit matériel revendiqué, est fonction de l’existence d’autres voies de recours raisonnables ouvertes à la personne contre laquelle cette immunité est invoquée, celles-ci pouvant notamment consister en la possibilité offerte à la personne concernée d’exercer son droit dans un pays qui n’accorde pas l’immunité de juridiction à l’organisation internationale.
Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la cinquième branche :
Par les motifs que critique le moyen, en cette branche, l’arrêt considère, non qu’il incombait au demandeur d’établir qu’il ne disposait pas d’autres voies de recours raisonnables, mais que, dans la mesure où d’autres voies de recours raisonnables étaient éventuellement à sa disposition, il n’y a pas lieu d’écarter l’immunité de juridiction de la défenderesse.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la sixième branche :
Sur le premier rameau :
En tant qu’il est pris de la violation des articles 1315 de l’ancien Code civil et 870 du Code judiciaire, 2, § 4, 24, 42, 52, 53 et 54 de la Charte des Nations unies, le moyen, en ce rameau, ne précise pas en quoi l’arrêt violerait ces dispositions légales.
Par ailleurs, dépourvues d’effet direct en Belgique, les résolutions 1970 (2011) du 26 février 2011, 2016 (2011) du 27 octobre 2011, 2095 (2013) du 14 mars 2013 et 2376 (2017) du 17 septembre 2017 du Conseil de sécurité des Nations unies ne constituent pas une loi au sens de l’article 608 du Code judiciaire dont la violation peut être invoquée à l'appui d'un moyen de cassation.
Enfin, le rapport S/2017.726 du 22 août 2017 du secrétaire général sur la mission d’appui des Nations unies en Libye ne constituant pas un fait notoire, l’examen du moyen, en ce rameau, en tant qu’il se fonde sur ce rapport, suppose des vérifications de fait excédant les pouvoirs de la Cour.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
En vertu de l’article 25 de la Charte des Nations unies, les membres de l'Organisation des Nations unies conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à cette charte.
Les passages des résolutions visés par le moyen, en ce rameau, ne constituent pas des décisions au sens de cette disposition.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, manque en droit.
Et la violation prétendue des autres dispositions et du principe général du droit visés au moyen, en ce rameau, est déduite de ces griefs vainement allégués.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
Sur le deuxième rameau :
Pour les motifs énoncés dans la réponse au premier rameau, le moyen, en ce rameau, est irrecevable en tant qu’il est pris de la violation des articles 2, § 4, 24, 42, 52, 53 et 54 de la Charte des Nations unies et qu’il se fonde sur le rapport S/2017.726 du 22 août 2017 du secrétaire général sur la mission d’appui des Nations unies en Libye.
En tant qu’il est pris de la violation des articles 1349 et 1353 de l’ancien Code civil, le moyen, en ce rameau, s’érige contre une appréciation qui gît en fait.
En tant qu’il est pris de la violation des articles 1315 de l’ancien Code civil et 870 du Code judiciaire, le moyen, qui, en ce rameau, fait grief à l’arrêt de méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve telles qu’elles se déduisent de ces dispositions, ne précise pas les règles prétendument méconnues.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, est également irrecevable.
Pour les motifs énoncés dans la réponse au premier rameau, le moyen, en ce rameau, en tant qu’il est pris de la violation de l’article 25 de la Charte des Nations unies, manque en droit.
Et la violation prétendue des autres dispositions et du principe général du droit visés au moyen, en ce rameau, est déduite de ces griefs vainement allégués.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
Sur le troisième rameau :
L’examen du grief de contradiction dénoncé par le moyen, en ce rameau, suppose l’interprétation de la notion de recours gracieux.
Ce grief est étranger à l’article 149 de la Constitution, dont le moyen, en ce rameau, invoque seul la violation.
Le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
Sur le sixième rameau :
Les voies de recours raisonnables pour protéger efficacement les droits que garantit la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont l’existence justifie la proportionnalité de l’entrave que constitue l’immunité de juridiction, ne sont tenues ni d’offrir une garantie de succès à la personne contre laquelle cette immunité est invoquée ni de produire des effets identiques à ceux d’une action en justice contre le bénéficiaire de cette immunité.
L’arrêt considère, sans être critiqué, que « la constitution de [la défenderesse] par ses États membres n’aboutit d’ailleurs pas à permettre à ceux-ci d’échapper à leurs obligations vis-à-vis [du demandeur] ou d’autres victimes recherchant à être indemnisés de préjudices résultant d’opérations de maintien de la paix ».
L’arrêt a dès lors pu légalement considérer que, dans les circonstances particulières de l’espèce, un recours « contre l’État membre de [la défenderesse] dont les forces aériennes ont effectué les frappes litigieuses » constituait une des voies raisonnables pour protéger efficacement les droits que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit au demandeur.
La circonstance que l’arrêt ne constate ni que la défenderesse ou un État membre aurait désigné cet État ni que le demandeur a eu une possibilité concrète de l’identifier n’exclut pas par elle-même qu’un tel recours constitue une de ces voies raisonnables.
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Sur le septième rameau :
L’examen du grief de contradiction dénoncé par le moyen, en ce rameau, suppose l’interprétation de la coutume internationale relative à l’immunité de juridiction des États.
Ce grief est étranger à l’article 149 de la Constitution, dont le moyen, en ce rameau, invoque seul la violation.
Le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
Sur les quatrième, cinquième et huitième rameaux :
Les motifs vainement critiqués par les quatrième et cinquième branches et par les premier, deuxième, troisième, sixième et septième rameaux de la sixième branche, par lesquels l’arrêt considère que le demandeur dispose de plusieurs voies raisonnables pour protéger efficacement les droits que lui garantit l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, suffisent à fonder sa décision que l’immunité de juridiction de la défenderesse ne porte pas atteinte de manière disproportionnée auxdits droits.
Dirigé contre des motifs surabondants, le moyen, qui, en ces rameaux, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés, en débet, à la somme de deux cent nonante-neuf euros dix-neuf centimes envers la partie demanderesse et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du sept novembre deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.20.0313.F
Date de la décision : 07/11/2024
Type d'affaire : Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-11-07;c.20.0313.f ?

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