N° C.17.0195.F
1. R. C.,
2. UNION NATIONALE DES MUTUALITÉS SOCIALISTES, dont le siège est établi à Bruxelles, rue Saint-Jean, 32-38,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
ALLIANZ BENELUX, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de Laeken, 35,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le
19 septembre 2016 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 1135, 1147 et 1156 du Code civil ;
- article 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt dit l’appel de la défenderesse recevable et fondé, met à néant
le jugement entrepris, dit la demande originaire des demandeurs non fondée et
les condamne aux dépens des deux instances de la défenderesse, aux motifs que
« Il n’est pas douteux que [le demandeur] a bien contracté le staphylocoque doré à la clinique, dans le décours de l’intervention chirurgicale qu’il a subie le 4 novembre 2002, et qu’il a ainsi été victime d’une infection nosocomiale ;
La doctrine permet de constater que les enquêtes réalisées en Belgique comme dans les pays voisins révèlent un taux de prévalence moyen de telles infections se situant entre cinq et dix pour cent ; il s’agit d’un taux tous services confondus, certains services étant plus exposés que d’autres. Parmi ces infections, environ trente pour cent sont évitables par le respect strict de mesures d’hygiène élémentaire (lavage des mains, stérilisation des instruments, port de gants…) tandis qu’environ septante pour cent sont en revanche inéluctables […] ;
La cour [d’appel] ne peut, dans ces conditions, se rallier à la position défendue par [le demandeur] et admise par le premier juge suivant laquelle les hôpitaux et les médecins seraient tenus envers leurs patients, accessoirement à leur obligation générale de soins (obligation de moyens), d’une obligation de sécurité qui répondrait au régime d’une obligation de résultat et qui aurait pour conséquence que leur responsabilité serait ipso facto établie en présence d’une infection nosocomiale, sauf pour eux à rapporter la preuve d’une cause étrangère exonératoire ;
Une obligation est de moyens lorsque le débiteur a promis de tout mettre en œuvre pour aboutir à un résultat déterminé, sans cependant garantir celui-ci. À l'inverse, l'obligation est dite de résultat dans les hypothèses où l’on peut considérer que le débiteur s'est engagé à atteindre un résultat déterminé et précis, qui suppose uniquement l'exécution d'un fait positif. L'aléa constitue le critère de distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat : si le résultat recherché est aléatoire ou incertain, l'obligation sera de moyens ; si l'obtention de ce résultat est certaine ou quasi certaine, elle sera de résultat ;
Dès lors que la large majorité des infections nosocomiales se présentant habituellement dans les hôpitaux ne peut être évitée malgré le respect strict des consignes d'hygiène, l'hôpital ne peut être tenu, en ce qui concerne de telles infections, que d'une obligation de moyens ;
La distinction que voudrait opérer [le demandeur] - et, avec lui, une partie de la doctrine - entre l'aléa thérapeutique, d'une part, qui affecte l'obligation de soins, et l'infection nosocomiale, d'autre part, qui est étrangère à la raison pour laquelle le patient est hospitalisé, ne permet pas de justifier la solution proposée, qui conduit à imposer aux professionnels de la santé une obligation de résultat en matière d'infections nosocomiales. L'infection nosocomiale n'est contractée par le patient qu'en raison du fait qu'il se voit administrer des soins dans un environnement médicalisé, ce qui présente des risques, parmi lesquels celui de contracter une infection nouvelle en raison de la présence de germes, bactéries et autres micro-organismes qui sont inhérents à un tel environnement, quelles que soient les mesures de prévention mises en œuvre. Il s'agit donc également d'un aléa thérapeutique ;
Certes, une obligation de moyens peut être qualifiée d’obligation de résultat par la volonté des parties, lesquelles sont libres de déterminer le caractère des obligations qu'elles souscrivent. Il est toutefois totalement improbable qu'un médecin ou un établissement de soins s'engage à obtenir à ce propos un résultat déterminé - à savoir l'absence d'infection -, s'agissant en grande majorité d'infections dont le risque est inhérent au milieu hospitalier et que l'hôpital ne peut éradiquer malgré toute la vigilance dont il pourrait faire preuve. Rien ne permet de considérer qu'en l'espèce, la clinique aurait voulu garantir [au demandeur] qu'il serait mis à l'abri de tout risque d'infection nosocomiale ;
La circonstance qu'aucune information précise n'ait été donnée à ce sujet [au demandeur] ne permet pas d'en déduire que la clinique aurait pour autant, implicitement mais certainement, accepté de prendre à sa charge le risque d'une telle infection ».
Griefs
En vertu de l'article 1147 du Code civil, siège de l'obligation de résultat et de la distinction de celle-ci d’avec l'obligation de moyens, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
L'article 1135 du même code étend les obligations contractuelles, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.
Pour déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat, il convient de se référer prioritairement à l'intention commune des parties, qu'elle soit expresse ou tacite, en application de l'article 1156 du Code civil, selon lequel on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
L'existence, dans le chef du patient hospitalisé pour subir une intervention chirurgicale, d'une intention d'accepter le risque de contracter une infection nosocomiale et de devoir en subir les conséquences suppose que ce patient ait été dûment informé de ce risque, en application de l'article 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, qui dispose que celui-ci a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable et que les informations fournies au patient, préalablement et en temps opportun, en vue de la manifestation de son consentement, concernent notamment les risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le patient.
Si l'obligation de soins du médecin et de l'hôpital est assurément une obligation de moyens, en ce qu'elle consiste en la mise en œuvre de l'art médical, le contrat d'hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met par ailleurs à la charge de ce dernier, en matière d'infection nosocomiale, une obligation accessoire de sécurité qui est de résultat. Il s'ensuit qu'il n'appartient pas au patient victime d'une telle infection de rapporter la preuve d'une faute à charge de l'hôpital et qu'au contraire celui-ci ne peut se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère.
La détermination de la nature d'une obligation - de moyens ou de résultat - ne dépend pas exclusivement de la présence d'un aléa objectif mais également de la question de savoir qui doit assumer celui-ci. Il convient, afin d'apprécier la partie qui doit assumer l'aléa, de prendre en considération, d'une part, l'existence d'une volonté implicite commune des parties dans le sens d'une obligation de moyens, d'autre part, le rôle du créancier dans l'exécution de l'obligation : si la prestation promise relève de l'entière maîtrise du débiteur, tandis que le créancier ne dispose d'aucune autonomie et a un rôle purement passif, on peut en inférer que le débiteur assume une obligation de résultat. Il s'agit alors de déterminer, au regard notamment de l'article 1135 du Code civil, ce que l'on peut raisonnablement exiger du débiteur, compte tenu des attentes légitimes du créancier.
Ainsi l'obligation ne sera-t-elle de moyens que si le créancier est légitimement censé avoir accepté l'aléa. Tel n'est pas le cas si le créancier est par définition passif, alors que le débiteur est un professionnel qui a la maîtrise complète de l'exécution. Dans ces conditions, qui correspondent à celles dans lesquelles se trouve nécessairement le patient subissant une intervention chirurgicale à l'hôpital, le créancier, dont il n'est pas établi qu'il aurait accepté le moindre risque, attend un résultat, en dépit de l'aléa objectif qui subsiste.
Il ne suffit dès lors pas de constater, pour conclure que l'obligation de sécurité accessoire à l'obligation principale de soins n'est que de moyens, qu'il existait une incertitude dans l'exécution de la convention et un grand risque que le débiteur avait refusé d'assumer : l'intention doit être commune aux deux parties, de sorte que la circonstance que le débiteur de l'obligation n'a pas voulu promettre un résultat ne permet pas de présumer que le créancier, qui n'a pas été averti du risque auquel il est nécessairement exposé, aurait marqué son accord à cet égard.
Il ne suffit pas davantage de constater l'existence d'un aléa incompressible, lequel ne suffit pas à qualifier cette obligation de sécurité accessoire d'obligation de moyens, dans la mesure où celle-ci ne porte pas sur un aléa inhérent à l'intervention médicale mais sur un risque indépendant des soins et qu'aucun patient n'accepte de courir, d'autant plus qu'il n'en est nullement informé.
L'arrêt limite l'obligation de résultat que sont susceptibles d'endosser les institutions de soins au « résultat déterminé et précis, qui suppose uniquement l'exécution d'un fait positif » ; il considère que seul « l'aléa constitue le critère de distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat », l'obligation ne pouvant être que de moyens « si le résultat recherché est aléatoire ou incertain », et que tel est le cas en l'espèce « dès lors que la large majorité des infections nosocomiales se présentant habituellement dans les hôpitaux ne peuvent être évitées malgré le respect strict des consignes d'hygiène ».
Il admet par ailleurs qu’« une obligation de moyens peut être qualifiée de résultat par la volonté des parties, lesquelles sont libres de déterminer le caractère des obligations qu'elles souscrivent », mais retient qu’« il est toutefois totalement improbable qu'un médecin ou un établissement de soins s'engage à obtenir à ce propos un résultat déterminé - à savoir l'absence d'infection -, s'agissant en grande majorité d'infections dont le risque est inhérent au milieu hospitalier et que l’hôpital ne peut éradiquer malgré toute la vigilance dont il pourrait faire preuve », que « rien ne permet de considérer qu'en l'espèce la clinique aurait voulu garantir [au demandeur] qu'il serait mis à l'abri de tout risque d'infection nosocomiale » et que « la circonstance qu'aucune information précise n'ait été donnée à ce sujet [au demandeur] ne permet pas d'en déduire que la clinique aurait pour autant, implicitement mais certainement, accepté de prendre à sa charge le risque d'une telle infection ».
Ce faisant, l'arrêt
1° n'a égard qu'à l'existence d'un aléa objectif pour assimiler les infections nosocomiales à un aléa thérapeutique classique, alors que l'obligation de sécurité pesant sur les établissements hospitaliers en matière d'infection nosocomiale doit être de résultat, dans la mesure où elle est étrangère à la mise en œuvre de l'art médical ;
2° n'a pas égard au rôle purement passif du créancier dans l'exécution de l'obligation litigieuse, dont le débiteur a la maîtrise complète, et
3° loin de constater l’existence d’une volonté implicite commune des parties en faveur d’une obligation de moyens, alors qu’il s’agit du critère essentiel de distinction des obligations de moyens et de résultat, relève qu’aucune information précise n’a été donnée au demandeur au sujet du risque de contracter une infection nosocomiale au sein de l’établissement hospitalier, ce dont il déduit que le demandeur ne saurait avoir accepté de conserver ce risque à sa charge.
Il n’est, partant, pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen).
III. La décision de la Cour
Aux termes de l’article 1135 de l’ancien Code civil, les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation suivant sa nature.
Lorsque la loi n’a pas imprimé à une obligation le caractère d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat, il appartient au juge de déterminer ce caractère en tenant compte de toutes les circonstances de la cause propres à l’éclairer sur la commune intention des parties.
Son appréciation gît en fait.
Le moyen, qui invite la Cour à substituer son appréciation à celle de la cour d’appel, est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille quatre cent septante-deux euros quatre-vingt-quatre centimes envers les demandeurs.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du sept novembre deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.