N° P.24.1102.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE LIEGE,
demandeur en cassation,
contre
C. Y.,
accusée,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre deux arrêts rendus le 21 juin 2024, sous les numéros 11 et 12 du répertoire, par la cour d’assises de la province de Namur.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe le 20 septembre 2024.
A l’audience du 30 octobre 2024, le président de section chevalier Jean de Codt a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.
II. LES FAITS
Par un arrêt du 13 février 2023, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège a renvoyé la défenderesse devant la cour d’assises de la province de Namur pour qu’elle y soit jugée du chef d’avoir, à Houdremont (Gedinne) le 5 juin 2012, comme auteur ou coauteur, volontairement et avec intention de donner la mort, commis un homicide sur son enfant immédiatement après sa naissance.
A l’audience du 19 juin 2024 de la cour d’assises, le conseil de la défenderesse a sollicité que soit posée au jury, comme résultant des débats, une question subsidiaire ayant pour objet la substitution de la qualification d’homicide involontaire à celle d’infanticide libellée dans l’acte d’accusation.
Le 21 juin 2024, le jury a répondu par la négative à la question de l’infanticide et par l’affirmative à celle, subsidiaire, de l’homicide par défaut de prévoyance ou de précaution.
Sur le fondement de cette disqualification, l’arrêt rendu par la cour d’assises le 21 juin 2024 sous le numéro 11 du répertoire dit le fait visé par l’accusation établi sous la seule qualification délictuelle des articles 418 et 419 du Code pénal.
Par son arrêt du même jour, prononcé sous le numéro 12 du répertoire, la cour d’assises constate que le délit susvisé est prescrit et dit que l’accusée en est dès lors absoute.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt qui, rendu sous le numéro 11/24, porte la motivation du verdict :
Sur le premier moyen :
L’abstention volontaire d’un acte que l’agent a l’obligation d’accomplir peut constituer l’élément matériel d’un homicide lorsque cette abstention a provoqué le décès de la personne créancière de cette obligation. Encore faut-il, pour qu’il y ait meurtre ou infanticide, que l’omission d’agir soit caractérisée par l’intention de donner la mort ou par l’acceptation consciente de ce résultat comme une conséquence devant advenir dans le cours normal des événements, l’agent s’étant délibérément abstenu à cette fin.
Le juge du fond apprécie souverainement si l’auteur était animé de ladite intention.
L’arrêt attaqué énonce ce qui suit :
- la défenderesse a accouché le 5 juin 2012 d’un enfant à son domicile ;
- elle a constaté que l’enfant avait le bout des doigts bleuté, mais qu’il respirait ;
- la mère a langé le bébé et a tenté de lui donner le biberon, sans y parvenir ;
- puis, elle a laissé l’enfant seul momentanément avant de constater son décès ;
- les déclarations des témoins, ainsi que les constatations et conclusions des experts, corroborent l’accouchement le 5 juin 2012 au domicile de la défenderesse et la naissance d’un enfant viable ;
- les éléments qui sont ressortis des débats ne permettent pas d’établir, sans doute raisonnable, que des actes ont été posés ou omis par la défenderesse dans l’intention de causer la mort de l’enfant ou en admettant sa mort comme une possibilité ou une conséquence inéluctable ;
- en revanche, en n’appelant pas les secours alors qu’elle avait constaté que l’enfant, petit prématuré, semblait en détresse et en le laissant momentanément seul et sans soins appropriés, la défenderesse a involontairement causé la mort de l’enfant immédiatement après sa naissance.
Par ces motifs, au terme d’une appréciation en fait qu’il n’appartient pas à la Cour de censurer, la cour d’assises a pu considérer que les agissements décrits n’établissaient pas, au-delà de tout doute raisonnable, l’intention de tuer l’enfant ou l’acceptation d’un tel résultat.
En tant qu’il critique cette appréciation en fait, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, les juges du fond ont, par la motivation critiquée, légalement justifié et régulièrement motivé leur décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 418 et 419 du Code pénal.
Le demandeur fait valoir que la cour d’assises n’a pu retenir la qualification d’homicide par défaut de prévoyance ou de précaution après avoir relevé que l’accusée a volontairement laissé l’enfant sans soins.
Mais l’article 419 du Code pénal peut trouver à s’appliquer lorsque le décès est la conséquence involontaire d’un acte délibéré.
Reposant sur l’affirmation du contraire, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Il n’est pas contradictoire de considérer, d’une part, qu’une mère a privé consciemment son nouveau-né des soins que requérait son état et, d’autre part, qu’il n’est pas établi, au-delà de tout doute raisonnable, qu’en agissant de la sorte, elle a voulu ou accepté la mort de l’enfant.
Le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt qui, rendu sous le numéro 12/24, prononce l’absolution de l’accusée :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros quatre centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, le chevalier Jean de Codt, président de section, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Lutgarde Body, greffier.