N° D.23.0015.F
M. B.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
1. PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE …,
2. PROCUREUR DU ROI …,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 12 juillet 2023 par le tribunal disciplinaire d’appel francophone.
Le 30 août 2024, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l’avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
En vertu de l’article 420, § 1er, alinéa 6, du Code judiciaire, le ministère public près le tribunal disciplinaire, l’autorité visée à l’article 412, § 1er, et le ministère public près la juridiction dont est issue la personne concernée peuvent introduire un appel contre la sanction ou l’absence de sanction décidée par le tribunal disciplinaire.
Il ne suit pas de cette disposition que le ministère public près la juridiction dont est issue la personne concernée ne pourrait introduire d’appel que contre une décision du tribunal disciplinaire qui, statuant au fond, prononce ou ne prononce pas de sanction et non contre une décision de ce tribunal disant l’action disciplinaire irrecevable.
Le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.
Sur le second moyen :
D’une part, aux termes de l’article 415, alinéa 1er, du Code judiciaire, le tribunal disciplinaire est saisi dans les six mois de la connaissance des faits par l’autorité compétente pour intenter une procédure disciplinaire.
Les faits visés par cette disposition s’entendent de ceux qui, conformément à l’article 404 de ce code, peuvent faire l’objet des sanctions disciplinaires déterminées à l’article 405.
D’autre part, en vertu des articles 19, alinéa 1er, 23 et 24 à 27 du même code, toute décision définitive est, dès sa prononciation, revêtue de l’autorité de la chose jugée, qui fait obstacle à la réitération de la demande, et l’exception de chose jugée, qui ne peut être soulevée d’office par le juge saisi de la demande, peut être invoquée en tout état de cause devant celui-ci.
L’arrêt attaqué constate que, par un jugement définitif du … juin 2022, le tribunal disciplinaire « a dit irrecevable car prescrite, sur pied de l’article 415 du Code judiciaire, l’action disciplinaire introduite » le … mars 2022 par l’autorité disciplinaire du demandeur après qu’elle eut été informée par le procureur général près la cour d’appel de … de l’ouverture en cause de celui-ci d’une information du chef d’abus de confiance et qu’elle eut fait procéder à une enquête préliminaire à ce sujet ; que le demandeur a été condamné le … novembre 2022 par la cour d’appel de … du chef de faux et d’usage de faux, d’abus de confiance et d’escroquerie, et que son autorité disciplinaire, ayant fait procéder à une nouvelle enquête préliminaire, a invoqué cet arrêt comme « élément nouveau » pour saisir à nouveau le tribunal disciplinaire, qui, par un jugement du … janvier 2023, dont le second défendeur a relevé appel, a « déclaré l’action disciplinaire irrecevable en vertu d’un principe non bis in idem eu égard à son jugement antérieur » du … juin 2022.
L’arrêt attaqué, qui considère qu’« à tort le tribunal disciplinaire a cru pouvoir asseoir sa décision d’irrecevabilité des poursuites sur le principe non bis in idem », concède que le demandeur précise que « son argumentation n’est pas fondée sur [ce] principe » mais qu’il expose qu’« une première décision […] a constaté la prescription de l’action disciplinaire, c’est-à-dire l’extinction des poursuites disciplinaires ; que cette décision est définitive et a l’autorité de la chose jugée ; que c’est cette autorité qui […] est bafouée ici sous le couvert d’un prétendu ‘nouveau grief disciplinaire’ », et que « l’action disciplinaire ne peut pas porter sur ‘des faits’ […] qui sont […] identiques aux faits ayant donné lieu à la procédure disciplinaire jugée irrecevable ».
En considérant, pour écarter ce moyen, que « la présente action disciplinaire est fondée sur l’arrêt correctionnel de la cour d’appel de … prononcé le … novembre 2022, lequel autorise de nouvelles poursuites disciplinaires », l’arrêt attaqué, qui, sans dénier que les faits réprimés par cet arrêt soient les mêmes que ceux ayant fondé les premières poursuites, tient la seule existence de cette décision pour un fait, au sens de l’article 415 du Code judiciaire, pouvant justifier la réitération d’une action disciplinaire définitivement jugée prescrite, viole les dispositions légales visées au moyen.
Celui-ci est fondé.
Et la cassation de l’arrêt attaqué entraîne l’annulation de l’arrêt du … novembre 2023, qui en est la suite.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il dit recevable l’appel du second défendeur ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Annule l’arrêt du … novembre 2023 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé et de l’arrêt annulé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal disciplinaire d’appel francophone, autrement composé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin, Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du trente et un octobre deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.