N° P.24.0704.F
1. F. I.,
2. F. M.,
parties civiles,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Gilles Genicot, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
AG INSURANCE, société anonyme, dont le siège est situé à Bruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0404.494.849,
partie intervenue volontairement,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un jugement rendu le 8 avril 2024 par le tribunal correctionnel du Brabant wallon, statuant en degré d’appel.
Les demanderesses invoquent deux moyens dans un mémoire commun annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
Le premier avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de F. I. :
Sur l’ensemble du premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 1382 de l’ancien Code civil, 8.4 du Code civil et 870 du Code judiciaire.
Il est reproché au jugement de rejeter la méthode de capitalisation préconisée par la demanderesse et d’appliquer la méthode forfaitaire pour indemniser le dommage résultant des incapacités permanentes personnelle et ménagère de la victime.
Le juge du fond apprécie en fait l’existence d’un dommage causé par un acte illicite et le montant destiné à le réparer intégralement. Il peut recourir à une évaluation ex æquo et bono s’il indique la raison pour laquelle le mode de calcul proposé par la victime ne peut être admis, et constate en outre l’impossibilité de déterminer autrement le dommage tel qu’il l’a caractérisé.
En tant que méthode d’indemnisation d’un préjudice futur, la capitalisation se définit comme un calcul actuariel consistant à convertir en une somme l’ensemble des indemnités à échoir. Cette méthode suppose donc un minimum d’équivalence entre les échéances de la rente due et le préjudice annuel se manifestant jusqu’à la fin de la durée déterminée par le calcul.
Ce principe n’a cependant pas pour effet, même si la victime d’un fait illicite doit démontrer son dommage, de lui imposer, lorsqu’elle demande de calculer l’indemnisation de ses dommages personnel et ménager permanents par la capitalisation d’une base journalière forfaitaire, d’établir que ces dommages resteront constants dans le futur.
Le juge ne peut donc pas refuser la capitalisation au motif que le préjudice ne se manifestera pas de manière linéaire. Il ne peut pas non plus la refuser au prix d’une contradiction qui consisterait à dire que l’incapacité permanente, en réalité, ne l’est pas. En revanche, il peut la refuser si, l’équivalence susdite étant impossible à établir, cette méthode conduirait à allouer à la victime une somme dépassant le préjudice à indemniser.
Le jugement considère notamment que
- les critères retenus par l’expert pour déterminer les taux des incapacités personnelle et ménagère permanentes reposent principalement sur des éléments subjectifs, les lésions physiques ne pouvant avoir qu’un discret retentissement sur la capacité personnelle et ménagère ainsi que sur le plan psychiatrique ;
- il résulte des circonstances de la cause que les dommages, tels que décrits, mais aussi et surtout les bases respectives forfaitaires à l’indemnisation, sont amenés à varier dans le temps à telle enseigne qu’il est impossible pour le tribunal d’évaluer la quantification du préjudice futur par unité de temps ;
- en l’absence d’équivalence entre les échéances des rentes dues et les préjudices annuels respectifs se manifestant jusqu’à la fin des durées déterminées par les calculs, il est impossible de déterminer la quantification des dommages par la méthode de calcul qu’est la capitalisation.
D’une part, le premier motif précité et une partie du second, relatifs à l’existence et à la nature des dommages, sont étrangers à leur évaluation.
D’autre part, par les deuxième et troisième motifs précités, le jugement attaqué revient à considérer qu’il appartient à la victime d’un fait illicite, lorsqu’elle propose de calculer l’indemnisation de ses dommages personnel et ménager permanents par la capitalisation d’une base journalière forfaitaire, d’établir que ces dommages se manifesteront de manière linéaire.
Enfin, en indiquant qu’en se fondant exclusivement sur les rapports d’expertise, la demanderesse ne produit pas les éléments suffisamment objectifs, précis et concordants pour établir la récurrence suffisante de la base forfaitaire pour justifier la méthode de capitalisation de ses dommages, le tribunal ne constate pas que la méthode de capitalisation préconisée par cette partie conduirait à lui allouer une somme dépassant les préjudices à indemniser et qu’il lui est impossible de déterminer autrement les dommages.
Ces motifs ne justifiant pas légalement la décision d’indemniser lesdits dommages de manière forfaitaire, le moyen est fondé.
Pour le surplus, la demanderesse n’invoque aucun moyen.
1.B. Sur le pourvoi de F. M. :
Sur l’ensemble du second moyen :
Pour les motifs indiqués en réponse au premier moyen, similaire, le moyen est fondé.
Pour le surplus, la demanderesse n’invoque aucun moyen.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué en tant qu’il statue sur l’indemnisation des préjudices personnel et ménager permanents des demanderesses ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Condamne chacune des demanderesses à la moitié des frais de son pourvoi et réserve la seconde moitié pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, au tribunal correctionnel du Hainaut, siégeant en degré d’appel.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de quatre cent septante-quatre euros onze centimes dont cent nonante-neuf euros quarante-neuf centimes dus et deux cent septante-quatre euros soixante-deux centimes payés par ces demanderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs, Ignacio de la Serna, conseillers, et Sidney Berneman, conseiller honoraire, magistrat suppléant, et prononcé en audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, premier avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.