N° P.24.1198.F
J. R.,
père de l’enfant mineur G. R.,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant wallon.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 25 juin 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 54 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse.
Le demandeur, père du mineur, reproche au juge d’appel d’avoir autorisé celui-ci à se faire représenter par son conseil à l’audience et, partant, d’avoir statué dans la cause sans l’avoir rencontré.
Il soutient que l’article 54 de la loi du 8 avril 1965, qui prévoit la présence du mineur de plus de douze ans devant la juridiction de la jeunesse, n’est pas susceptible d’exception en raison du caractère éducatif de la mesure à prendre à l’issue des débats.
Il précise que, puisqu’il appartient à la juridiction de la jeunesse de rechercher la mesure la plus adaptée à aider le mineur, ce qui implique une interaction directe avec celui-ci, la présence du jeune à l’audience est justifiée au regard de la finalité de l’intervention du magistrat. Il déduit de cette finalité que l’obligation faite au mineur de comparaître devant les juridictions de la jeunesse ne méconnaît pas les droits consacrés par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, en l’espèce, celui de se faire représenter à l’audience par un avocat.
Le moyen soutient également que la motivation de l’arrêt ne justifie pas l’autorisation donnée au mineur de se faire représenter par son conseil dès lors qu’il aurait été possible de garantir autrement le respect des droits de la défense, et que cette décision paraît inopportune puisqu’elle donne au jeune, qui a décidé unilatéralement de ne pas se présenter, un sentiment de toute-puissance.
Il allègue encore que, s’il est concevable que, dans des circonstances exceptionnelles, il puisse être préjudiciable pour l’enfant de rencontrer ses parents, aucun élément objectif et concret ne vient étayer une telle situation en l’espèce.
Enfin, selon le moyen, l’arrêt attaqué viole l’article 8 de la Convention dès lors qu’en acceptant de ne pas rencontrer le jeune, la cour d’appel ne s’est pas donné tous les moyens de déterminer la meilleure mesure à prendre pour permettre la reprise des contacts entre le demandeur et son fils.
Conformément à l’article 54 de la loi du 8 avril 1965, les parties comparaissent en personne en matière de mesures de protection des mineurs. Cette disposition doit être lue en combinaison avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui consacre, dans le cadre du droit à un procès équitable, le respect des droits de la défense.
Partant, lorsque le mineur sollicite l’autorisation de se faire représenter devant la juridiction de la jeunesse, celle-ci examine si les circonstances concrètes de la cause justifient cette demande, afin de lui garantir le respect des droits de la défense.
L’arrêt énonce que le refus du mineur de comparaître à l’audience du tribunal de la jeunesse et la volonté de se faire représenter en justice font partie des droits de la défense et constituent un élément fondamental du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention. Toujours selon l’arrêt, la juridiction de la jeunesse peut estimer qu’en raison des circonstances de la cause, le mineur ne peut, du seul fait qu’il ne comparaît pas, être privé du droit d’être représenté à l’audience.
L’arrêt expose
- que les parents du jeune se sont rapidement séparés après sa naissance, et que celui-ci est au cœur d’un conflit parental majeur persistant,
- qu’il est exposé à un important conflit de loyauté,
- qu’à la suite de troubles de sommeil, d’un état dépressif et de difficultés de concentration, il a été hospitalisé deux mois et demi en 2020 au service de pédopsychiatrie d’un hôpital,
- et que durant cette période, le jeune a exprimé le souhait de revoir son père mais qu’à la sortie d’hôpital, il a refusé tout retour chez celui-ci.
L’arrêt expose encore qu’à la suite d’ une ordonnance ultérieure, le jeune a été soumis à la surveillance du service de la protection de la jeunesse, qu’il a entamé un suivi auprès d’un service de santé mentale, qu’en mai 2022, il a été en situation de décrochage scolaire et s’est montré dans un état général de démotivation.
L’arrêt souligne qu’avec l’aide de l’équipe Centre Ados, le mineur a repris une scolarité de qualité et qu’il a retrouvé un équilibre personnel, mais que la relation entre le père et son fils reste bloquée.
Le juge d’appel a encore énoncé que le service d’accompagnement a été chargé de « travailler la reprise » de cette relation, que ce mandat a été prolongé par une ordonnance du 6 octobre 2023, nonobstant le constat que les six premiers mois de guidance n’ont pas permis au demandeur de se sentir entendu en raison d’une « communication peu performante entre [lui] et le service », et qu’entre le 29 janvier et le 6 février 2024, le demandeur a laissé sans réponse six tentatives du service de le rencontrer.
Il a enfin indiqué que ce service a perçu le demandeur comme se confortant dans une position attentiste, n’ayant donné aucune suite aux courriels, appels et messages téléphonique en vue de propositions d’entretien par vidéoconférence.
Le juge d’appel a, pour le surplus, considéré qu’en l’espèce, le père n’a plus reçu son fils depuis cinq années, que l’objet de l’appel du demandeur est la mesure qui permettrait de renouer leurs liens et que suivant le conseil du demandeur, l’enfant appréhende toujours la rencontre avec son père avec lequel il refuse tout contact.
Il a enfin retenu que l’enfant entend se concentrer sur sa période d’examens.
Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la cour d’appel a pu autoriser le conseil du mineur à le représenter.
Ainsi, la décision du juge d’appel d’autoriser le mineur à être représenté par son avocat à l’audience garantit son droit d’accès effectif à un tribunal, en prenant en considération les données particulières de la cause.
Le moyen, dans cette mesure, ne peut être accueilli.
Critiquant pour le surplus l’appréciation en fait du juge d’appel, le moyen est, à cet égard, irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.