N° P.24.0940.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE MONS,
demandeur en cassation,
contre
1. ETABLISSEMENTS MAURICE WANTY, société anonyme,
2. Y. F.,
3. S. M.,
4. S. V. D.,
5. Ch. W.,
6. P. V. DE V.,
7. V. V. D. H.,
inculpés,
défendeurs en cassation,
les premier, cinquième, sixième et septième défendeurs ayant pour conseil Maître Damien Holzapfel, avocat au barreau de Bruxelles,
les deuxième, troisième et quatrième défendeurs ayant pour conseil Maître Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 3 juin 2024 par la cour d’appel de Mons, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président de section chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général délégué Véronique Truillet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.
L’arrêt déclare l’action publique éteinte pour cause de dépassement très grave du délai raisonnable, conformément à l’article 27, alinéas 1 et 2, nouveau, du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Il est reproché à l’arrêt d’assimiler à une atteinte irrémédiable aux droits de la défense le fait qu’il ne soit plus possible d’effectuer une analyse des matériaux déposés temporairement sur le site de l’autoroute A 7, ces matériaux ayant été évacués en été 2015.
Selon le demandeur, cette analyse n’aurait pas pu, en tout état de cause, démentir la présence, dans le dépôt litigieux, de matériaux non pierreux, dont certains classés comme déchets dangereux.
Il est également fait grief à l’arrêt de ne pas préciser en quoi l’absence d’analyse contradictoire du dépôt aurait une incidence sur l’exercice des droits de la défense quant aux préventions de faux en écritures par fonctionnaire public, de ne pas indiquer les raisons pour lesquelles la mise en prévention tardive de certains suspects empêcherait l’ensemble de ceux-ci de se défendre, et enfin de ne pas donner les motifs pour lesquels le dépassement du délai raisonnable revêtirait une gravité telle que l’action publique doive être déclarée irrecevable.
L’article 149 de la Constitution ne s’applique pas à la chambre des mises en accusation statuant sur l’appel de l’inculpé contre l’ordonnance de renvoi.
En tant qu’il invoque la violation de cet article, le moyen manque en droit.
Dans la mesure où il soutient que l’analyse contradictoire qui n’a pu être réalisée n’aurait de toute manière pas eu d’autre objet que de déterminer la granulométrie des terres de remblai, le moyen requiert pour son examen la vérification d’éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir.
A cet égard, le moyen est irrecevable.
Lorsque la juridiction d’instruction estime que le dépassement du délai raisonnable a nui gravement et de manière irrémédiable aux droits de la défense, il lui appartient de préciser en quoi celle-ci ne peut plus s’exercer pleinement et quels sont les éléments de preuve dont l’écoulement du temps a entraîné la perte ou compromis la discussion.
L’arrêt constate que le dépôt litigieux a été découvert le 5 septembre 2013, que le procès-verbal suivant n’a été rédigé que trois ans plus tard, que l’information a accusé de nouveaux retards par la suite, qu’un juge d’instruction a été requis le 23 octobre 2018, qu’il a communiqué son dossier à toutes fins le 18 février 2020, que le procureur du Roi a rédigé le 3 juin 2021, soit plus d’un an après, le réquisitoire tendant au règlement de la procédure, et que les personnes qui y sont visées n’ont été mises en prévention qu’environ huit ans après le constat.
L’arrêt en déduit que l’information et l’instruction n’ont pas été menées avec toute la diligence requise.
Selon les juges d’appel, la gravité de ce dépassement du délai raisonnable résulte de ce qu’il n’est plus possible, actuellement, de procéder à une analyse contradictoire des matériaux de surcharge déposés sur le chantier de l’autoroute A 7, aucun échantillon de ces matériaux n’ayant été conservé.
Il ressort du libellé des préventions, y compris celles relatives aux faux en écritures commis par des fonctionnaires publics, que les poursuites ont pour objet des matériaux qualifiés de déchets traités ou de terres non contaminées, alors que ces prétendues terres contenaient, tant en masse qu’en volume, d’une part plus de cinq pour cent de matériaux pierreux, à savoir des gravats, des débris de maçonnerie, des blocs de béton, des morceaux d’asphalte et des briquaillons et, d’autre part, des matériaux non pierreux.
Il s’en déduit que le fondement des préventions est tributaire de la proportion exacte des matériaux pierreux, non pierreux et organiques composant le dépôt litigieux.
En considérant que l’absence d’analyse des terres en question empêche d’établir ladite proportion de manière contradictoire et autre que sommaire, l’arrêt précise en quoi l’écoulement du temps a compromis l’administration de la preuve et limité indûment les droits de la défense.
Les juges d’appel ont pu en conclure que cette limitation, combinée avec la lenteur excessive de la procédure, justifiait l’extinction des poursuites mues à charge des défendeurs.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 27 du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Il est reproché à l’arrêt de ne pas constater l’impossibilité de tenir un procès équitable.
Une procédure apparaît équitable lorsque la juridiction s’est prononcée à l’issue d’un débat contradictoire au cours duquel les différents moyens de preuve ont été discutés, que le prévenu a pu contester les moyens développés par la partie poursuivante, qu’il a eu l’occasion de faire valoir toutes les observations estimées nécessaires, que la juridiction a apprécié la crédibilité des preuves produites et dûment motivé sa décision à cet égard.
En relevant que le dossier ne contient qu’une analyse sommaire des terres concernées, qu’il n’est plus possible d’en réaliser une expertise contradictoire et qu’il en résulte une atteinte irréparable aux droits de la défense, l’arrêt a nécessairement conclu à l’impossibilité d’entendre la cause équitablement.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-deux euros cinquante centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Véronique Truillet, avocat général délégué, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.