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03/05/2024 | BELGIQUE | N°C.18.0244.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 mai 2024, C.18.0244.F


N° C.18.0244.F
B. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
B. D.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 janvier 2018 par la cour d’appel de Mons.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
L

a demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articl...

N° C.18.0244.F
B. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
B. D.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 janvier 2018 par la cour d’appel de Mons.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 893, 895, 967, 971, 1002, 1014, 1035 à 1039, 1042, 1043, 1075 à 1080, spécialement 1075 et 1078, 1319, 1320 et 1322 du Code civil
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt qualifie le testament litigieux de partage d’ascendant et, en conséquence, déclare l’appel de la défenderesse recevable et fondé, met à néant les dispositions entreprises du jugement déféré et dit ensuite pour droit que le testament de la mère des parties du 25 août 2009 contient un partage d’ascendant qui doit être déclaré nul et de nul effet, aux motifs que
« Le 25 août 2009, [la mère des parties] dictait le testament suivant au notaire H., de résidence à … : ‘Je révoque tout testament antérieur au présent. Je veux que les biens meubles et immeubles ci-après désignés soient partagés entre mes deux filles, sans aucune soulte à charge de l’une ou l’autre : 1. [la demanderesse] recevra tous les biens immeubles que je possède dans la commune de … ; 2. [la défenderesse] recevra la maison avec dépendances et terrain que je possède et occupe à …, rue …, …, avec tout son contenu, à l’exception du matériel agricole, qui ne m’appartient pas, de même que la cuve à mazout, voulant que le surplus des biens qui composent ma succession soit partagé entre mes deux filles, par parts égales, soit une moitié à chacune d’elles’ ;
[…] Le partage d’ascendant visé aux articles 1075 et suivants du Code civil consiste en un ‘acte en forme de donation entre vifs ou de testament par lequel un ascendant partage tout ou partie de sa succession ab instestat entre ses descendants en composant à son gré les lots qu’il attribue à chacun’ ;
Le partage d’ascendant constitue un partage anticipé de la succession de l’ascendant. À son décès, la succession sera soumise aux règles normales de la succession, hormis celles du partage ;
Il ne constitue pas un legs en ce sens qu’il a pour unique but de régler par avance le partage de la succession. Les héritiers recueillent donc les biens à titre d’héritiers ab intestat et non de légataires ;
Le partage d’ascendant doit répondre à diverses conditions :
- seuls les ascendants peuvent procéder à un partage d’ascendant, à l’exclusion des autres parents ;
- l’ascendant doit être capable au moment de la rédaction de l’acte ;
- le partage ne peut avoir lieu qu’en faveur des descendants du disposant, sans qu’il y figure d’autres copartagés ;
- tous les descendants du disposant qui seront héritiers doivent être compris dans le partage ;
- l’ascendant doit procéder lui-même à un allotissement ;
- l’ascendant est tenu de respecter la règle de l’égalité en valeur des lots ;
Il ressort des termes mêmes utilisés par [la mère des parties] dans son testament du 25 août 2009 que cette dernière a voulu procéder à un partage d’ascendant et non à un legs ;
[La mère des parties] utilise en effet à deux reprises les mots ‘partage’ et à aucune moment le terme ‘léguer’ ;
[…] Il n’est pas nécessaire que le partage comprenne tous les biens de l’ascendant ;
Rien n’empêchait donc [la mère des parties] de procéder au partage de ses seuls biens immeubles, comme elle le fit en l’espèce ;
La vente de l’immeuble de … antérieurement au décès de [la mère des parties] entraîne par conséquent la nullité du partage d’ascendant litigieux, de sorte que l’intégralité de [sa] succession doit être partagée selon les règles du droit commun ».
Griefs

Pour décider que le testament litigieux, dont les termes sont reproduits par l’arrêt, est un partage d’ascendant réalisé par [la mère des parties] entre ses filles et ensuite en prononcer la nullité en raison de la vente de l’immeuble de … qui, selon les termes du testament, revenait à la défenderesse, l’arrêt se fonde sur les deux éléments suivants :
- le terme « partage » contenu à deux reprises dans le texte ;
- le fait qu’un partage d’ascendant peut porter sur une partie seulement des biens du défunt et notamment sur ses seuls biens immeubles, comme le fit en l’espèce [la mère des parties].
Première branche
Viole la foi due à un acte le juge qui donne de l’acte incriminé une interprétation inconciliable avec ses termes. Il en est ainsi lorsque, pour retenir cette interprétation, le juge fait mentir l’acte en question en retenant une mention qu’il ne contient pas ou en déniant l’existence d’une énonciation, d’une contestation ou d’une mention qui y figure.
Ainsi que le relève l’arrêt, le partage d’ascendant suppose que le défunt ait procédé lui-même à un allotissement.
Il ressort du texte du testament reproduit par l’arrêt que le terme utilisé à deux reprises par la défunte n’est pas le terme « partage » mais le terme « partagé(s) » et qu’en outre, il n’a nullement une portée identique dans les deux passages où il est utilisé.
Si le terme « partagé » utilisé par [la mère des parties] au début du texte du testament litigieux pouvait éventuellement être interprété comme exprimant une volonté de réaliser un partage d’ascendant, puisqu’elle prend la peine de préciser les « lots » revenant à chacune de ses filles, tel n’est pas le cas du terme « partagé(s) » utilisé in fine, puisque, s’agissant dans cette partie du testament du surplus de ses biens, elle indique uniquement vouloir un partage entre ses filles, « par parts égales, soit une moitié à chacune d’elles », sans procéder pour les biens visés à un quelconque allotissement, les biens concernés n’étant d’ailleurs pas inventoriés.
Il en ressort que l’arrêt n’a pu, sans violer la foi due au testament litigieux, conclure que le texte de celui-ci constatait la volonté de la défunte de réaliser un partage d’ascendant en se fondant sur le terme « partage » utilisé à deux reprises alors que, d’une part, le terme utilisé n’est pas « partage » mais bien « partagé(s) » et que ce terme n’était pas utilisé les deux fois dans le même sens et avec une portée identique (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).
Deuxième branche

Viole la foi due à un acte le juge qui donne de l’acte incriminé une interprétation inconciliable avec ses termes. Il en est ainsi lorsque, pour retenir cette interprétation, le juge fait mentir l’acte en question en retenant une mention qu’il ne contient pas ou en déniant l’existence d’une énonciation, d’une contestation ou d’une mention qui y figure.
Pour retenir que le testament litigieux constitue un partage d’ascendant au sens des articles 1075 à 1080 du Code civil, l’arrêt souligne « qu’il n’est pas nécessaire que le partage comprenne tous les biens de l’ascendant » et que le testament en question peut en conséquence être interprété comme tel dès lors que « rien n’empêchait [la mère des parties] de procéder au partage de ses seuls biens immeubles, comme elle le fit en l’espèce ».
Or, il résulte des termes exprès du testament de la défunte que sa volonté de partager ses biens entre ses deux filles portait tant sur des biens meubles que sur des biens immeubles puisque, après avoir indiqué qu’elle révoque tout testament antérieur, elle précise dans celui-ci vouloir « que les biens meubles et immeubles ci-après désignés soient partagés » et que, parmi les biens désignés comme revenant à la défenderesse figurent des meubles, puisqu’il est précisé qu’elle recevra « la maison avec dépendances et terrain que je possède et occupe à …, rue …, …, avec tout son contenu, à l’exception du matériel agricole, qui ne m’appartient pas, de même de la cuve à mazout ».
L’arrêt viole en conséquence la foi due au testament litigieux en le qualifiant de partage d’ascendant en se fondant sur le fait que ce testament comportait un partage d’ascendant portant sur les seuls biens immeubles de la défunte, comme il lui était loisible de le faire, alors qu’il résulte des termes exprès du testament que sa volonté exprimée portait tant sur des biens meubles que sur des biens immeubles et qu’elle voulait que chacune de ses filles reçoive les biens spécialement désignés et identifiés dans la première partie du testament, le surplus étant à partager par moitié entre elles.
Il viole en conséquence les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.
Troisième branche
[…] Selon les termes du testament reproduits par l’arrêt, cet acte est rédigé comme suit : « Je veux que les biens meubles et immeubles ci-après désignés soient partagés entre mes deux filles, sans aucune soulte à charge de l’une ou l’autre : 1. [la demanderesse] recevra tous les biens immeubles que je possède dans la commune de … ; 2. [la défenderesse] recevra la maison avec dépendances et terrain que je possède et occupe à …, rue …, …, avec tout son contenu, à l’exception du matériel agricole, qui ne m’appartient pas, de même que la cuve à mazout, voulant que le surplus des biens qui composent ma succession soit partagé entre mes deux filles, par parts égales, soit une moitié à chacune d’elles ».
En vertu de l’article 1075 du Code civil, les père et mère et autres ascendants pourront faire, entre leurs enfants et descendants, la distribution et le partage de leurs biens.
L’acte ne constitue un partage d’ascendant que s’il opère une distribution des biens inclus dans le partage.
Inversement, si l’acte n’opère pas une distribution des biens que l’ascendant entend partager, il n’y a pas partage d’ascendant mais simple legs des biens litigieux en faveur des bénéficiaires.
L’arrêt qualifie le testament litigieux de partage d’ascendant en relevant que le texte de celui-ci utilise le terme « partage » à deux reprises.
Or, il ressort du texte du testament [de la mère des parties] que, si celle-ci a désigné de manière précise la manière dont certains de ses biens seraient attribués à chacune de ses filles (première partie du testament), elle n’a effectué pour le surplus aucun allotissement, se limitant à exprimer sa volonté que « le surplus des biens qui composent [sa] succession soit partagé entre [ses] deux filles, par parts égales, soit une moitié à chacune d’elles ».
L’arrêt n’a pu en conséquence décider que le testament litigieux est un partage d’ascendant et non un testament comportant de simples legs à défaut d’avoir procédé à un allotissement de tous les biens visés par le testament.
L’arrêt viole en conséquence
- les articles 1075 à 1080 du Code civil, spécialement l’article 1075, dont l’application suppose que l’ascendant ait procédé à un allotissement de tous les biens qu’il entend partager dans le cadre du partage d’ascendant qu’il établit, et l’article 1078, puisque l’arrêt applique la sanction de la nullité prévue par cette disposition à un testament qui ne pouvait en application de l’article 1075 être considéré comme un partage d’ascendant ;
- les articles 893, 895, 967, 971, 1002, 1014, 1035 à 1039, 1042 et 1043 du Code civil, dès lors que le testament litigieux ne pouvant être qualifié de partage d’ascendant comportait en réalité des legs en faveur des deux parties et qu’il devait être exécuté en faveur de la demanderesse, dont le legs portant sur « tous les biens meubles et immeubles que je possède sur la commune de … » avait subsisté, même si celui de la défenderesse, portant sur « la maison avec dépendances et terrain que je possède et occupe à …, rue …, …, avec tout son contenu, à l’exception du matériel agricole, qui ne m’appartient pas, de même que la cuve à mazout », avait été révoqué par la vente du bien en question.
III. La décision de la Cour
L’arrêt constate que le testament de la mère des parties est rédigé dans les termes suivants :
« Je révoque tout testament antérieur au présent.
Je veux que les biens meubles et immeubles ci-après désignés soient partagés entre mes deux filles sans aucune soulte à charge de l’une ou de l’autre.
1. [La demanderesse] recevra tous les biens immeubles que je possède sur la commune de … ;
2. [La défenderesse] recevra la maison avec dépendance et terrain que je possède et occupe à …, rue …, …, avec tout son contenu, à l’exception du matériel agricole qui ne m’appartient pas, de même que la cuve à mazout.
Voulant que le surplus des biens qui composent ma succession soit partagé entre mes deux filles susnommées par parts égales, soit une moitié à chacune d’elles ».
Il considère qu’« il ressort des termes mêmes utilisés par [la testatrice] dans son testament […] que cette dernière a voulu procéder à un partage d’ascendant et non à des legs ; [qu’elle] utilise en effet à deux reprises le mot ‘partage’ et à aucun endroit le terme ‘léguer’ ; [que] l’ensemble des héritiers légaux de [la testatrice] sont visés, à l’exclusion d’autres parents ou copartageants » ; [que] rien n’empêchait [la testatrice] de procéder au partage de ses seuls biens immeubles, comme elle le fit », et décide que « la vente de l’immeuble de … antérieurement au décès de [la testatrice] entraîne la nullité du partage d’ascendant litigieux, de sorte que l’intégralité de [sa] succession […] doit être partagée selon les règles du droit commun ».
Il ressort du rapprochement de ces énonciations que l’arrêt tient pour un partage d’ascendant l’allotissement des biens repris dans la première partie du testament litigieux sous les numéros 1 et 2, et pour un partage de droit commun le sort réservé au surplus des biens composant la succession.
Quant à la première branche :
Ni en utilisant, pour désigner les termes du testament litigieux auxquels il se réfère, le mot « partage », alors que ce testament use du participe passé du verbe « partager », qui est dérivé de ce mot, ni en se fondant sur l’emploi redoublé de celui-ci qui, dans l’interprétation du testament que retient le moyen, en cette branche, y serait utilisé dans deux acceptions différentes, l’arrêt, qui en déduit que la testatrice n’a pas voulu procéder à des legs, ne donne dudit testament une interprétation inconciliable avec ses termes et ne viole, partant, la foi due à l’acte qui le contient.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Il ressort des clauses reprises dans la première partie du testament litigieux sous les numéros 1 et 2 que les biens qui y sont visés consistent en des immeubles, sous réserve du contenu, tel qu’il est précisé par ce testament, du bien sis à ...
En considérant que « rien n’empêchait [la testatrice] de procéder au partage de ses seuls biens immeubles, comme elle le fit », l’arrêt, qui use d’une formule ramassée pour désigner les biens visés sous les numéros 1 et 2 précités, ne donne pas du testament une interprétation inconciliable avec ses termes et ne viole pas, partant, la foi due à l’acte qui le contient.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la troisième branche :
Aux termes de l’article 1075 de l’ancien Code civil, les père et mère et autres ascendants pourront faire, entre leurs enfants et descendants, la distribution et le partage de leurs biens.
L’article 1077 de ce code dispose que si tous les biens que l’ascendant laissera au jour de son décès n’ont pas été compris dans le partage, ceux de ces biens qui n’y auront pas été compris seront partagés conformément à la loi.
Un testament contenant règlement de la succession du disposant entre ses enfants peut être considéré comme un partage d’ascendant même s’il ne renferme pas l’allotissement de tous ses biens.
Le moyen, qui repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de neuf cent quarante-trois euros septante-six centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du trois mai deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0244.F
Date de la décision : 03/05/2024
Type d'affaire : Droit du travail

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-05-03;c.18.0244.f ?

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