N° P.23.1778.F
P. J-M.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Marc Gouverneur et Alexandre Bertrand, avocats au barreau de Charleroi.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 14 novembre 2023 par le tribunal correctionnel du Hainaut, division Charleroi, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 27 mars 2024, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général délégué Véronique Truillet a conclu.
Le demandeur a déposé, le 19 avril 2024, une note en réponse par application de l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Le moyen est pris de la violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 et 49.3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 38, § 2bis, 38, § 6, et 45, alinéa 1er, de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière.
Quant à la première branche :
L’article 3 de la Convention prohibe la torture ainsi que les traitements inhumains et dégradants.
L’article 4 de la Charte est rédigé dans les mêmes termes. Cependant, les dispositions de la Charte ne s’adressent aux Etats membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
La loi relative à la police de la circulation routière n’est pas du droit de l’Union, en manière telle que le moyen manque en droit lorsqu’il invoque, à propos de sa mise en œuvre, l’article 4 susdit.
L’obligation de réussir les examens théorique, pratique, médical et psychologique en vue d’obtenir la réintégration dans le droit de conduire après en avoir été déchu par jugement, constitue une mesure préventive de sûreté poursuivant un objectif d’intérêt général.
Ces examens permettent de vérifier que l’état médical et psychologique d’un conducteur dangereux répond aux normes minimales légales requises pour la conduite d’un véhicule en toute sécurité, de manière à limiter le risque de récidive et à garantir la sécurité routière.
L’obligation de réussir les quatre examens précités ne vise donc pas à sanctionner le conducteur récidiviste. Elle n’a pas pour but, ou pour effet, de lui infliger des souffrances graves au sens de l’article 3 de la Convention, et elle n’est revêtue d’aucun caractère humiliant ou avilissant.
Il appartient au législateur d’apprécier s’il y a lieu de contraindre le juge à la fermeté lorsqu’une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général.
Partant, l’article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 n’enfreint pas la prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants lorsqu’il contraint le juge, en cas de récidive de conduite en état d’imprégnation alcoolique, à soumettre le conducteur dangereux à l’obligation de réussir les quatre examens avant d’être à nouveau autorisé à prendre le volant.
Reposant sur l’affirmation du contraire, le moyen manque en droit.
Le demandeur sollicite qu’en cas de doute, une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne et une autre à la Cour constitutionnelle.
La première question concerne la compatibilité de l’article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 avec l’article 4 de la Charte.
Cette question repose sur l’affirmation qu’il serait contraire à la prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants d’abandonner au pouvoir législatif, et non au juge, le soin de préciser les cas dans lesquels une mesure de sûreté devra obligatoirement être prononcée.
Comme dit ci-dessus, les dispositions de la Charte n’ont pas vocation à régir la répression de la conduite automobile en état d’imprégnation alcoolique.
Il n’y a dès lors pas lieu de renvoyer la cause à titre préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne.
La seconde question porte sur la compatibilité du même article 38, § 6, avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
D’une part, le demandeur n’indique pas en quoi et au préjudice de qui l’application obligatoire de la mesure de sûreté litigieuse aux conducteurs récidivistes, entraînerait une discrimination.
D’autre part, il ressort du considérant B.12.1 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 88 du 28 mai 2019, que le législateur n’agit pas de manière manifestement déraisonnable lorsque, pour tenter de diminuer le nombre de tués sur les routes et pour protéger la société contre des comportements injustifiés dans la circulation, il subordonne la réintégration dans le droit de conduire faisant suite à une déchéance infligée à un conducteur ayant commis à plusieurs reprises des infractions graves au code de la route, à la réussite des examens théorique, pratique, médical et psychologique, sans pour autant conférer un pouvoir d’appréciation au juge.
Imprécise et similaire à une question déjà tranchée par la Cour constitutionnelle, la question ne doit pas lui être déférée.
Quant à la seconde branche :
Le jugement attaqué se fonde sur les conditions prévues aux articles 38, § 2bis, et 45, alinéa 1er, précités, pour dire qu’il n’y a pas lieu de limiter la déchéance du droit de conduire selon les modalités que ces dispositions prévoient.
Le moyen n’indique pas en quoi lesdits articles seraient violés par l’application que les juges d’appel en ont faite.
A cet égard, imprécis, le moyen est irrecevable.
Aux termes de l’article 49.3 de la Charte, l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction. Comme dit ci-dessus, cet impératif régit la mise en œuvre du droit communautaire et non celle des normes qui n’en relèvent pas.
Le grief revient à soutenir, non pas que le juge a méconnu le prescrit légal, mais au contraire qu’il aurait dû s’en affranchir parce que l’article 3 de la Convention l’y obligerait.
En vertu des articles 38, § 2bis, et 45, alinéa 1er, de la loi du 16 mars 1968, le juge ne peut pas décider que la déchéance du droit de conduire sera mise à exécution en fin de semaine, ni limiter la déchéance aux catégories de véhicules qu’il indique, lorsqu’il subordonne la réintégration dans le droit de conduire à la condition d’avoir satisfait à un ou plusieurs examens.
Circonscrite à un objet précis et applicable dans les cas strictement définis où l’infraction révèle un comportement routier dangereux, cette limitation apportée par la loi au pouvoir d’appréciation du juge ne porte atteinte ni au principe de l’individualisation des peines ni à la prohibition édictée par l’article 3 de la Convention.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Le demandeur sollicite qu’en cas de doute, la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne et une à la Cour constitutionnelle.
Les deux questions portent sur l’absence de pouvoir d’appréciation laissé par la loi au juge lorsque celle-ci exclut, dans les cas qu’elle définit, la possibilité de limiter la déchéance à une catégorie déterminée de véhicules, ou de n’exécuter la déchéance qu’en fin de semaine.
La première question, adressée à la Cour de justice de l’Union européenne ne doit pas lui être déférée, pour le motif donné en réponse à la première demande de renvoi figurant sous la première branche.
La deuxième question, adressée à la Cour constitutionnelle, ne doit pas lui être posée non plus parce qu’elle ne précise pas les termes de la discrimination suggérée et que, dans son arrêt du 6 avril 2000, la Cour constitutionnelle n’a pas relevé l’inconstitutionnalité prêtée par l’auteur de la question aux bornes que la loi met, dans les cas qu’elle définit, au pouvoir d’appréciation du juge.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingts euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-quatre avril deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Véronique Truillet, avocat général délégué, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.