N° P.23.1646.F
A. S.,
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Laura Severin, avocat au barreau de Bruxelles,
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 novembre 2023 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen, ainsi que de la violation de la décision-cadre du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale.
Il reproche à l’arrêt de rejeter la cause de refus obligatoire d’exécution du mandat d’arrêt européen délivré par les autorités françaises à charge du demandeur, visée à l’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003.
Quant à la première branche :
Devant la chambre des mises en accusation, le demandeur a fait valoir qu’il y avait lieu de refuser l’exequatur au motif que le droit français ne permettait pas d’imputer la détention préventive déjà subie en Belgique, depuis le 13 septembre 2016, sur la peine de réclusion criminelle de trente ans prononcée contre lui le 29 juin 2022 par la cour d’assises de Paris, nonobstant le concours entre les faits commis en Belgique et ceux commis en France. Il a soutenu que l’exercice d’un recours, devant la juridiction compétente française, contre le calcul du reliquat de la peine à subir, n’empêcherait pas l’application d’une peine plus longue que celle fixée par la cour d’assises, puisque la détention préventive susdite ne sera pas décomptée. Il en déduit qu’il sera soumis à une privation de liberté arbitraire.
Le moyen fait grief à l’arrêt de ne pas répondre à cette défense qui nécessite, selon le demandeur, l’analyse du droit français de l’exécution des peines et de son application au cas d’espèce.
En vertu de l’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003, l'exécution du mandat d'arrêt européen est refusée s'il y a des raisons sérieuses de croire que cette exécution aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du Traité sur l'Union européenne, à savoir ceux garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ceux qui résultent, en tant que principes généraux du droit communautaire, des traditions constitutionnelles communes aux États membres de l’Union.
Il ressort de la considération (10) du préambule de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, que le mécanisme dudit mandat repose sur un degré de confiance élevé entre ces États. Ce degré de confiance implique une présomption de respect par l’État d’émission des droits fondamentaux visés à l’article 4, 5°, précité.
Compte tenu du principe de confiance mutuelle entre les États membres, le refus de remise doit être justifié par des éléments circonstanciés indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée et aptes à renverser la présomption de respect de ces droits dont l’État d’émission bénéficie.
Il ne saurait se déduire, dès à présent, des dispositions du Code de procédure pénale français invoquées par le demandeur qu’en cas de recours contre le calcul du reliquat de la peine à subir, la juridiction compétente française n’aura pas égard aux spécificités particulières de la cause, parmi lesquelles la circonstance qu’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités françaises aux fins de poursuites a été rendu exécutoire en Belgique par une ordonnance de la chambre du conseil du 20 avril 2017, sans remise du demandeur à la France, ni qu’elle ne respectera pas les principes et droits fondamentaux précités, applicables à l’exécution de la peine.
Par adoption des motifs de l’ordonnance de mise en détention et de l’ordonnance de la chambre du conseil, l’arrêt considère que le calcul exact du reliquat de la peine de trente ans de réclusion sera à examiner par les services d’exécution des peines compétents et que le demandeur dispose d’une voie de recours devant les juridictions françaises.
Par cette énonciation, l’arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision, sans que la chambre des mises en accusation ait été tenue de déterminer la durée du reliquat de la peine en vertu des dispositions légales françaises.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Devant la chambre des mises en accusation, le demandeur a fait valoir que sa remise aux autorités françaises l’exposait à un cumul illégal des peines en l’absence d’un accord entre les autorités belges et françaises relatif à l’exécution, en France, de la peine d’emprisonnement de vingt ans prononcée à sa charge le 23 avril 2018 par le tribunal correctionnel de Bruxelles pour des infractions en concours avec celles sanctionnées par l’arrêt de la cour d’assises de Paris.
Le moyen reproche à l’arrêt de ne pas procéder à l’évaluation du risque manifeste dudit cumul et, partant, du risque que le demandeur soit exposé à une peine totale de cinquante ans, et de ne pas répondre aux éléments circonstanciés que le demandeur avait fait valoir devant la chambre des mises en accusation.
Lorsque le concours matériel de crimes procède de condamnations prononcées par des tribunaux différents, l’absorption prévue par l’article 62 du Code pénal se règle au niveau de l’exécution de la peine. Il n’appartient pas aux juridictions d’instruction, saisies d’une demande d’exequatur d’un mandat d’arrêt européen délivré pour l’exécution d’une des peines en concours, de se substituer aux autorités compétentes de l’Etat d’émission pour vérifier si, et dans quelle mesure, la peine à y exécuter absorbera celle encourue dans l’Etat d’exécution ou sera absorbée par elle.
Reposant sur l’affirmation du contraire, le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de septante-sept euros soixante et un centimes.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du six décembre deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.